Читать онлайн книгу «La Sacrifiée Récalcitrante» автора Ines Johnson

La Sacrifiée Récalcitrante
Ines Johnson
Quand on lui a diagnostiqué une maladie incurable, elle a pensé que sa vie était finie.
Quand elle est sacrifiée à un dragon, elle apprend qu’elle n’en est qu’au commencement…
Le jour où Chrysanthème Jones part exercer sa vengeance sur l’homme responsable de la mort de sa sœur, elle sait que ce jour sera son dernier. Mais à la place, elle se retrouve emmenée dans une autre dimension et sacrifiée à un dragon en chair et en os. Au lieu d’être une grotte remplie d’or, le repaire de ce dragon est un hommage aux années 80, avec jeux vidéo pixelisés, cassettes vidéo débobinées, et pantalon en élasthanne imprimé léopard. Et la créature mythique en question est vachement plus sexy que Smaug. Miam !
Etant l’un des derniers dragons métamorphes par-delà le Voile, Corin a un urgent besoin de contrôler sa bête intérieure. La seule chose qui pourrait avec certitude garder le dragon sous contrôle, c’est la soumission d’une femme humaine. Mais les offrandes sacrificielles se font rares depuis que son royaume a été séparé de la Terre – un truc à propos de la libération de la femme ? Alors quand une sacrifiée débarque sur le pas de sa porte, Corin devrait être aux anges. Mais Chryssie a beau avoir des courbes d’enfer, sa santé est fragile, et il craint qu’elle ne survive pas à l’accouplement qui calmerait sa bête.
La mort n’a jamais tracassé Chryssie. Avec une maladie héréditaire incurable, elle s’est préparée à mourir toute sa vie. À présent, elle a l’occasion de perdre sa virginité et de donner naissance à des bébés dragons avant de partir ? Tu parles d’une sortie en beauté. Elle signe tout de suite ! Il faut juste convaincre son très sexy méta dragon d’être de la partie, et dans son lit.
Tandis que Corin s’attache de plus en plus à son exubérante petite humaine, sa bête rugit que Chryssie lui appartient et insiste pour la revendiquer. S’il ne revendique pas Chryssie et n’apaise pas sa bête intérieure, Corin restera coincé sous forme de dragon pour le restant de ses jours. Cependant, s’il la revendique, la naissance de sa progéniture pourrait être le dernier jour de la vie de Chryssie.

Translator: Sabine Ingrao


La sacrifiée récalcitrante
Cet ouvrage est une œuvre de fiction. Tous les personnages, lieux, et événements décrits dans cet ouvrage sont fictifs ou utilisés de manière fictive.

Toute reproduction ou transmission de cet ouvrage, en tout ou en partie, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, est interdite, excepté pour les distributeurs agréés, ou avec la permission écrite de l’auteur.

Copyright © 2019, Ines Johnson.
Tous droits réservés.

Première édition aux États-Unis : septembre 2019
Couverture : Jacqueline Sweet Designs

Titre original : The Dragon’s Reluctant Sacrifice

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Ingrao

Table des matières
Chapitre 1 (#u5ab4d252-5f26-53ba-9c60-e9c8a7558d50)
Chapitre 2 (#ue4c42d9e-fee2-5551-ac9e-5fbc7c54917e)
Chapitre 3 (#u749b15a5-4b59-59c5-ba41-11041927e9a1)
Chapitre 4 (#u03401d83-657f-5884-bc6a-dfcc097d665c)
Chapitre 5 (#u71b5952c-a43b-55ff-ae73-63357384a6c3)
Chapitre 6 (#ua09e93b1-b015-500b-8121-cc2157f243d8)
Chapitre 7 (#uc9fd090c-4b07-593c-864e-b64999cac4ad)
Chapitre 8 (#u4fd19a74-da54-59e7-a7eb-961edd756e17)
Chapitre 9 (#ue538482f-6f4e-5ddd-a315-9917228e9027)
Chapitre 10 (#ud3d72d0e-959c-5f70-80c0-33720577f287)
Chapitre 11 (#u570c0404-4e8d-5273-905c-b268273df088)
Chapitre 12 (#u5f331042-0dd3-5dfd-be6e-dc69a94aff8b)
Chapitre 13 (#ud5b2fbe8-6c92-535f-b630-a5bdb81e13f1)
Chapitre 14 (#ua155887c-9e8f-55be-b25e-a1d9b3c6a858)
Chapitre 15 (#u85f4cebc-4b7b-574e-8b3f-877d8f82def0)
Chapitre 16 (#uf7ac2699-1c65-5750-8321-c4f1c3f1c275)
Chapitre 17 (#u06706e31-8d9d-538c-90ff-5a9e1ddb3fbf)
Chapitre 18 (#ub77d9158-5eb5-5a6f-bba8-09ea5e026b5e)
Chapitre 19 (#u06d544d4-b64a-57aa-82da-2bc72bdbfbf4)
Chapitre 20 (#uc45eb241-5179-5b41-99c8-e8c82a5c840d)
Chapitre 21 (#ub2349481-3cb7-5a77-8926-d4783f616803)
Chapitre 22 (#ua087f386-df06-5b52-b07d-159a903e1ed8)
Chapitre 23 (#u12fc057f-40d4-5dab-a649-c118d2bb9f9f)
Chapitre 24 (#uf44d2426-d783-598a-bead-88540a51dcf0)
Épilogue (#u8630e4ab-40bf-5d99-80cb-65409b504450)

Chapitre Un
Vlan ! Crunch ! Crac !
Rester tranquille et anticiper un coup de poing était toujours plus douloureux que quand il arrivait complètement par surprise. Quand l’adversaire savait que la frappe arrivait, le corps se raidissait, se préparant à absorber un choc destiné à le réduire en miettes. Corin se raidit, mais comme il était plus solide que la moyenne, sa mâchoire ne se fendit pas comme un melon sous l’impact du direct.
Malgré tout, le coup violent asséné par un poing bien serré lui ébranla le crâne. Le choc interrompit le flot de ses ondes cérébrales. C’était l’objectif principal de la douleur ; ne plus être capable de réfléchir pendant une seconde entière.
Le cerveau de Corin était son atout le plus précieux, la chose qu’il essayait de protéger, ce qui l’avait amené à accepter de recevoir des coups de poing en plein visage.
Pow ! Bam ! Paf !
Il devait avoir perdu la tête pour accepter que ça continue. Ce crochet du droit à l’œil et cet uppercut au menton lui firent voir des étoiles de dessin animé. Nom d’une hémorragie crânienne, Batman. Corin devait mettre un terme à cette petite expérience avant qu’elle ne dérape. Dommage que son adversaire n’ait pas fini de lui asséner toute sa panoplie, avec un petit coup sec et un crochet au plexus solaire.
Corin se plia en deux. Une épaisse volute de fumée obscurcit sa vision. La transpiration qui s’était formée sur son front s’évapora à la chaleur de son souffle. Il lutta contre la colère enflant dans son ventre, sa poitrine se soulevant et s’abaissant rapidement. Entretemps, chaque nouveau coup successif agissait comme un combustible attisant le feu qui léchait les parois de ses entrailles.
— Comme un papillon voleter, comme une abeille piquer, chanta la voix de son bourreau qui sautillait d’un pied sur l’autre et se déplaçait autour de Corin avec les mains levées.
Même le rembourrage des gants de boxe n’atténuait pas l’impact des coups puissants de Béryl. Les biceps de ce type pesaient probablement vingt kilos chacun.
Corin ne prêta pas attention à la performance de ce crétin aux pieds agiles et se concentra sur son feu intérieur. Il devait freiner la croissance du brasier dans ses entrailles. Il devait éteindre la torche. S’il n’y arrivait pas, les flammes le consumeraient, le dévoreraient vivant de l’intérieur. Pire, la fournaise court-circuiterait son esprit.
— Ce que ses yeux ne peuvent voir, ses mains ne peuvent frapper.
Encore un enchaînement petit coup, petit coup, et crochet du droit de la part de Béryl.
— Là, tu me vois, là, tu ne me vois pas. Il pense me voir, mais il ne peut pas.
Corin était sur le point de mettre un terme à cette torture à base de rimes quand un nouveau craquement assourdissant projeta son visage loin du mur et l’envoya vers la fenêtre. Le ciel sombre s’éclaira lorsque les flammes enfermées dans le ventre de Corin rugirent dans sa poitrine et jaillirent de sa gorge. La pièce en pierres gris foncé fut inondée d’une sombre teinte rouge tandis que sa bête intérieure desserrait sa laisse.
— Ha ! dit Béryl en levant les gants au ciel en signe de victoire. J’ai réussi ! La bête est lâchée. Je suis le meilleur de tous les temps.
La bête était lâchée, mais elle n’était pas libre.
Corin serra les dents. Aspirant une grande goulée d’air, il regarda fixement la lune blanche au-dehors. Le disque pâle paraissait toujours rouge au travers de ses pupilles fendues. Corin n’osa pas fermer les yeux. Sinon, il se perdrait dans les ténèbres de la créature qui était en lui.
Ses poumons se contractèrent, l’homme et la bête se disputant l’air qui s’y trouvait. Son cœur battait frénétiquement tandis que l’organe était tiraillé dans deux directions différentes. Ce serait tellement plus simple pour Corin de s’abandonner à son feu intérieur, de le laisser brûler sa peau fragile.
Les écailles étaient plus fortes que la chair. Les griffes plus dures que les ongles. L’instinct plus fort que la raison.
Non ! C’était un mensonge. Son esprit, sa volonté, était l’essence même de son être. Il ne les abandonnerait jamais.
Se raccrochant fermement à sa réalité, Corin batailla contre le monstre qui voulait dévorer l’homme tout entier. Il le remit – avec griffes, écailles, et tout – dans sa cage, tout au fond de ses entrailles. Le feu en lui se réduisit à une chaleur supportable. La chair l’emporta et les écailles se lissèrent en une peau bronzée et dorée. La lune passa du rouge d’un rubis au rose d’un saphir, et enfin, à la glace étincelante d’un diamant. La bête se recroquevilla à l’intérieur de sa cage.
Pour l’instant.
Ayant regagné le contrôle complet, Corin ferma les yeux, libérant le souffle qu’il avait retenu. Quand il les ouvrit à nouveau, des ailes sombres éclipsèrent la lune lorsqu’une bête différente vola de l’autre côté de la fenêtre. Le bref triomphe de Corin fut anéanti. Il avait peut-être gagné une bataille intérieure, mais il était en train de perdre la guerre à l’extérieur.
Corin se leva de sa chaise et se dirigea vers les papiers sur son bureau. Des annotations, et des formules, et des équations étaient couchées sur le parchemin. Un breuvage, qui passait du rouge au vert puis au bleu, bouillonnait dans un creuset au-dessus d’une flamme.
— Oooh, grogna Béryl en retirant ses gants. On en a fini avec la journée fous une raclée à ton frère au boulot ? Et moi qui pensais qu’on était en train de resserrer nos liens.
L’expérience était terminée. Elle avait été couronnée de succès. Corin prit la fiole de liquide et l’examina, écrivant davantage de notes sur le parchemin. L’inoculation était pour bientôt, mais il manquait encore quelque chose.
Peut-être davantage de pollen d’anthère de fée. Ou un peu plus de poils de la crinière d’un lion métamorphe. Probablement encore quelques copeaux de griffe d’ours métamorphe. Avec seulement quelques petits ajustements supplémentaires, la potion serait prête pour être partagée avec ses frères, dans quelques jours, peut-être une semaine ou deux.
Corin reposa son stylo et prit le cube de monsieur Rubik comme s’il détenait la solution. Cet engin déconcertant ne détenait aucune réponse. Corin n’avait jamais résolu l’énervante énigme. Ses essais quotidiens ne distrayaient sa bête que durant un bref instant. Et aujourd’hui n’était pas un de ces jours-là.
— Je ne sais pas pourquoi tu t’embêtes avec ces élixirs, dit Béryl.
Sa voix était plus animale qu’humaine. Ses yeux étaient de perpétuelles fentes émeraude de feu brûlant.
— Ton dragon serait un peu plus relax si tu le laissais goûter au nectar entre les cuisses d’une fée, ajouta-t-il.
Ce n’était qu’une solution temporaire, et qui ne présentait que peu d’attraits pour Corin, ces derniers temps. Il avait flirté avec quelques fées au cours de sa vie. Les plantes métamorphes avaient calmé sa bête quand il était jeune. Contrairement à ses frères, Corin ne voulait pas que sa vie repose entre les mains d’une femme. Qu’elle soit fée ou humaine. Il était déterminé à rester maître de son destin.
— Ce truc à l’air horrible, dit Béryl en prenant la fiole. Hors de question que tu me fasses avaler ça.
— Pose ça, gronda Corin.
Les ingrédients avaient déjà été difficiles à obtenir. Il avait dû se séparer de deux rubis pour que le lion métamorphe accepte de raser une portion de sa crinière. Les cheveux de Léander repoussaient bizarrement. Il doutait que la vaniteuse créature accepte de recommencer de sitôt.
— Je vais le boire, dit une voix provenant d’un coin de la pièce.
Leur jeune frère, Ilia, s’avança depuis l’entrée. Son regard de jade fixait intensément la fiole dans la main de Béryl.
Ilia était plus petit que Béryl. Bien que musclée, la silhouette d’Ilia était plus longiligne, avec davantage de contours souples que de volumes massifs.
Béryl chipa la fiole, par-dessus la tête d’Ilia.
— Pas avant que je le fasse.
Le sang chaud de Corin se glaça en voyant ses frères s’affronter. Les dragons étaient des créatures extrêmement compétitives. Compétitives et enclines à la violence. Corin devait récupérer cette fiole d’entre leurs mains ou ça se terminerait mal.
— Tu n’as pas besoin de la potion, Ilia, dit Corin d’une voix rocailleuse et apaisante. Tu es bien plus doué pour contrôler tes métamorphoses que Béryl.
Les yeux verts de Béryl lancèrent des éclairs en direction de Corin. De la fumée lui sortit des narines lorsqu’il parla.
— Même pas vrai.
Ilia rit, bombant le torse.
— Si, c’est vrai.
— Prouve-le.
Les yeux sombres d’Ilia fouillèrent la pièce à la recherche d’un défi. Son regard atterrit sur la fenêtre.
— On saute. Le premier qui se transforme avant de toucher le sol a perdu.
— D’accord.
Pendant que ces deux imbéciles se tournaient vers la fenêtre, Corin subtilisa la fiole des mains de Béryl. Le liquide clapota sur les bords du récipient, mais ne se renversa pas. Corin poussa un soupir de soulagement. Ce léger souffle d’air fut suivi d’un grand bruit sourd et d’un battement d’ailes.
Corin ne regarda pas pour voir lequel de ses frères s’était triomphalement écrasé au sol et lequel s’était élevé dans les airs en signe de défaite. Son propre dragon tira à nouveau sur sa laisse. Pas de manière exigeante, cette fois. De manière suppliante, comme un animal de compagnie incitant son maître à le laisser sortir pour faire un tour.
Corin était peut-être capable de contrôler sa bête, mais il ne pouvait renier sa nature profonde. À un moment ou à un autre, la bête finirait par sortir. Et un jour, les rôles seraient inversés, et la bête glisserait une laisse autour du cou de l’homme et ne le laisserait plus jamais sortir.
Comme tous les métamorphes du Voile, il était né animal avec un homme vivant à l’intérieur de lui. Et comme tous les autres métamorphes, l’homme et l’animal luttaient constamment pour le contrôle de leur corps.
Il n’y avait qu’une seule chose qui pourrait apaiser la bête et lui imposer une soumission permanente : une sacrifiée. Une humaine sacrifiée. Une femme que le dragon pourrait marquer et revendiquer pour lui-même. Mais cette voie n’était pas accessible aux métamorphes derrière le Voile.
Plus maintenant.
Alors c’était soit les potions, soit l’impuissance pour les derniers des dragons. Corin se rassit à son bureau. Il écarta le Rubik’s Cube et s’attela à déchiffrer une énigme qu’il était bien plus proche de résoudre.

Chapitre 2
L’air de la salle d’attente de la clinique empestait la mort. Les pales du ventilateur au plafond tournaient encore et encore, répartissant équitablement l’odeur d’œufs durs pourris. Les chaises en plastique avaient la couleur vert clair du chou. Les coussins des sièges dégageaient une odeur de végétaux en décomposition. Chaque fois que quelqu’un bougeait ou posait un pied sur le sol, leurs semelles se détachaient du revêtement collant et une bouffée de naphtaline moisie s’élevait dans l’atmosphère étouffante.
Personne n’était mort, dans la salle d’attente. Jusqu’ici. Mais chaque personne dans cette pièce avait un pied dans la tombe. Elle comprise.
Chryssie inspira profondément. Enfin, aussi profondément que possible pour elle. Le mince filet d’air siffla dans ses poumons contractés. C’était suffisant pour qu’elle tienne debout.
Elle fit passer son poids d’un pied sur l’autre tandis qu’elle donnait un faux nom à une réceptionniste à l’air indifférent. Elle essaya de ne pas trop s’appuyer sur son côté droit, qui transportait une lourde charge dans sa nouvelle veste en cuir flambant neuve.
Enfin, neuve pour elle, au moins. Elle était certaine que la jeune femme aisée qui s’était débarrassée de la veste au Goodwill du coin avait dû payer un joli paquet pour elle. Chryssie n’avait payé que quelques dollars, mais le vêtement la faisait ressembler à une justicière implacable.
Elle inclina la hanche comme elle avait vu Michelle Gellar le faire dans des rediffusions de Buffy contre les vampires. Même si Chryssie était probablement plus du genre Willow, avec ses cheveux roux, sa peau laiteuse, et un talent pour botter des fesses qui était proche de zéro. Willow passait le plus clair de son temps en mocassins avec le nez dans un livre, ce qui correspondait parfaitement à la description de Chryssie.
Chryssie était en équilibre précaire sur ses bottes de dure à cuire. Les étourdissements étaient des compagnons permanents.
Mais, ça, c’était avant. Aujourd’hui était un autre jour.
Les bottes étaient un autre accessoire nécessaire, aujourd’hui. Elle les avait aussi dégotées au dépôt-vente. La veste et les bottes avaient probablement appartenu à la même jet-setteuse philanthrope. Chryssie n’avait jamais rien porté d’autre que des chaussures plates, et elle n’avait jamais levé le poing, et encore moins le pied, pour botter les fesses de qui que ce soit. Pour quelqu’un qui avait de la peine à remplir ses poumons d’oxygène, ça n’avait aucun sens de les lever au-dessus du sol plus haut que la normale.
Ça aussi, ça prenait fin aujourd’hui.
— Le docteur va vous recevoir dans un instant, asseyez-vous, s’il vous plaît.
Chryssie reporta son poids sur son côté droit et se retourna. Elle avait trouvé un préservatif à l’intérieur des bottes quand elle les avait achetées, confortant confirmant un peu plus le statut rebelle de leur précédente propriétaire. Chryssie l’avait laissé là. Pas qu’elle ait la moindre intention de l’utiliser prochainement. Son heure était bientôt venue. Mais savoir le contraceptif dans ses bottes la faisait se sentir encore plus implacable.
Les talons de ses bottes roulèrent une pelle à la crasse sur le sol avec des slurp slurp slurp à chaque pas. C’était ce qu’elle avait connu de plus proche d’une expérience charnelle. La seule expérience qu’elle aurait jamais, jusqu’à la fin de ses jours. Un baiser était pratiquement hors de question pour quelqu’un qui pouvait à peine respirer, alors retenir son souffle pendant que quelqu’un d’autre lui fourrait sa langue dans la bouche, encore moins.
Quand le docteur pourrait la recevoir, il serait le dernier homme qu’elle verrait. À part les gardiens de prison. Et ça, c’était si elle quittait cet endroit en vie. La société ne voyait pas d’un très bon œil qu’on laisse les meurtriers de sang-froid courir les rues.
Enfin, du moins les pauvres.
La main de Chryssie se posa sur le froid canon en métal enfoui dans la poche de sa veste. L’acier était plus chaud que ses doigts. Mais tout était plus chaud qu’elle. Chaque jour de sa vie, elle n’avait rien ressenti d’autre que le froid. Le froid et la fatigue et la faiblesse et l’inutilité.
Faisant des yeux le tour de la salle d’attente, elle vit tant de cas désespérés. Personnellement, elle ne faisait plus semblant d’avoir de l’espoir. Les gens venaient dans cette petite clinique miteuse, au fond d’une ruelle, en dernier recours. Chryssie aurait été l’une d’entre eux quelques mois plus tôt, mais elle n’en était plus à se raconter des histoires. Elle était à court d’options.
La maladie s’était propagée dans tous les recoins de son corps, et maintenant, c’était même devenu difficile de respirer. Il n’y avait rien qui puisse atténuer sa souffrance. Avant qu’elle aille en enfer, il y avait juste une chose qu’elle avait besoin de faire.
— Mademoiselle Slayer, le docteur va vous recevoir, à présent.
Chryssie se leva sur des jambes flageolantes. La main dans sa poche droite était ferme. Les talons de ses bottes claquèrent sur le linoléum en décomposition en direction de la salle d’examen. L’odeur de mort s’intensifia encore à mesure qu’elle s’approchait de la porte ouverte.
La petite salle d’examen était identique à toutes celles qu’elle avait déjà vues durant ses vingt années d’existence. Un évier aseptisé entouré d’instruments en métal. Des affiches qui se décollaient prévenaient des risques de ne pas se faire vacciner et immuniser. Toutes les piqûres du monde n’avaient rien pu faire pour Chryssie et sa sœur.
Elle ne se donna pas la peine de se déshabiller. C’étaient les vêtements dans lesquels elle voulait être enterrée. En plus, ces bottes étaient galères à enfiler, elle n’allait pas les enlever si vite. Pas quand elle les portait pour botter le cul de l’homme responsable de la mort de sa sœur.
La porte s’ouvrit en grand, et il apparut. Il ne s’était même pas donné la peine de frapper pour savoir si elle était prête avant d’entrer. Il n’avait pas changé. La même moustache en guidon de vélo. Les mêmes sourcils froncés. Les mêmes mains boudinées.
Il ne lui adressa même pas un regard. Ses yeux restèrent rivés sur ses dossiers. Exactement comme quand elle n’était encore qu’une enfant et que ses symptômes n’étaient pas encore apparus. Elle ne lui avait été d’aucune utilité, parce qu’elle avait été en bonne santé. Sa grande sœur de dix-huit ans, malade, avait eu plus de valeur.
— Mademoiselle Slayer, c’est bien ça ?
— C’est exact, dit Chryssie en caressant la sécurité de son arme.
Ce n’était pas un pieu comme celui de l’héroïne dont elle avait emprunté le nom, mais elle avait la ferme intention de viser le cœur de ce démon quand le moment viendrait.
— Je suis désespérée. On m’a dit que vous étiez mon seul espoir.
Elle avait la voix tremblante en racontant ce mensonge. Elle n’avait jamais été très douée pour mentir. Pourquoi s’embêter à inventer des trucs quand sa propre réalité était si pénible.
— J’ai déjà vu ces symptômes auparavant, dit le médecin en ne levant toujours pas les yeux, regardant uniquement ses papiers. Fatigue permanente, intolérance au froid, souffle court, et votre bilan sanguin…
Elle vit le calcul dans ses yeux. Le vit soustraire d’une colonne en plissant les paupières. Puis multiplier dans une autre lorsque ses petits yeux perçants s’arrondirent.
— Il y a un traitement expérimental que vous pourriez essayer si—
Le bloc-notes et les dossiers tombèrent avec fracas sur le sol. Les papiers contenant le diagnostic condamnant Chryssie se détachèrent et s’éparpillèrent, se collant au bazar malpropre sous leurs pieds. Il n’y eut pas le slurp slurp slurp de talons se décollant de la crasse du sol. Uniquement le déclic assourdissant de la sécurité qui s’enlevait.
Il leva les yeux, alors. Droit sur le sombre canon de l’arme de Chryssie. Il desserra les mâchoires et sa bouche s’ouvrit en grand.
— Je m’appelle Chrysanthème Jones. Tu as tué ma sœur. Prépare-toi à mourir.
— Quoi ?
Chryssie soupira. Elle avait préparé plusieurs discours de vengeance différents. Puisque Princess Bride avait été le film préféré de sa sœur, ça paraissait être ce qui convenait le mieux. Encore une chose que ce médecin avait fichue en l’air. Heureusement, elle avait préparé une deuxième réplique. Comme la première, les mots n’étaient pas d’elle.
— Ne crie pas, dit Chryssie. N’aie pas peur. Ça ne fera pas mal du tout, et ensuite tu seras dans un monde meilleur.
Chryssie se souvenait encore du jour où sa sœur avait été emmenée. Elle avait été présente dans la chambre avec elle. Sa petite main enfouie dans la main de sa grande sœur. Jacinthe avait désespérément voulu aller mieux. Pas juste pour elle-même, mais pour Chryssie aussi. Elles venaient juste de perdre leur mère l’année précédente. Elles étaient tout ce qui leur restait.
Le médecin avait prononcé ces mots, l’avait emmenée au bloc, et Jacinthe avait disparu. On ne l’avait plus jamais revue. Excepté quand des morceaux de son corps étaient réapparus lors d’un coup de filet du FBI, dans une version moderne des profanateurs de sépulture. Les autorités avaient pincé les étudiants en médecine qui avaient acheté les morceaux de corps malades, mais elles n’avaient jamais été capables d’identifier le revendeur. Quand les noms des personnes décédées avaient été révélés, Chryssie s’était immédiatement souvenue du dernier jour où elle avait vu sa sœur, ainsi que du médecin qui avait prononcé ces dernières paroles.
— C’est ce que vous avez dit à ma sœur avant de la tuer et de la découper comme une tarte aux patates douces à Thanksgiving.
— J’ai dit la vérité, dit-il. Elle n’a pas souffert.
— Vous l’avez tuée.
— Elle allait mourir. Il n’y avait rien que quiconque pouvait faire, à part étudier les symptômes de sa maladie.
Le doigt de Chryssie posé sur la détente recula d’un millimètre vers l’intérieur. Mais les yeux du médecin avaient perdu leur frayeur. Il la regardait à nouveau comme si elle était un spécimen de laboratoire.
— Vous savez à quel point les gens comme vous sont rares ? demanda-t-il en jetant un œil vers le sommet de son crâne. Et ils ont toujours les cheveux roux.
Chryssie s’empêcha de passer la main dans ses mèches rouge sang. Tout comme sa mère et sa sœur, la couleur ressemblait à des flammes lui sortant directement du crâne.
— Il y a de l’hélium dans votre sang, continua-t-il. Ce n’est pas normal. Vous devriez être morte. À vous regarder, vous le serez dans peu de temps.
— Vous d’abord.
Elle tendit les bras. Ses mains étaient fermes, ce qui était surprenant vu qu’elle s’était sentie faible tous les jours de sa vie depuis qu’elle avait douze ans. Mais son index ne voulait toujours pas plier. Elle avait envie de poignarder cet homme. Elle devrait peut-être faire ça avec un pieu, à la place.
— Écoute, chérie, je vois bien qu’il faut faire la queue, mais je n’ai pas que ça à faire.
Chryssie et le médecin tournèrent tous les deux brusquement la tête vers la fenêtre d’où provenait la voix. Sur le rebord se trouvait assise l’incarnation même de la définition d’héroïne balèze. La femme était vêtue d’un corsage bleu argenté qui soutenait une poitrine généreuse. Ses abdos musclés étaient parfaitement plats et sans un seul bourrelet, malgré qu’elle soit assise avec un genou relevé. Des cheveux violets flottaient dans la brise comme si un ventilateur était dirigé vers elle. Et puis, il y avait ses bottes. Si celles de Chryssie étaient du genre balèze de dépôt-vente, celles de cette femme étaient clairement d’authentiques fouteuses de branlée.
Dans ses mains, la femme tenait une grosse boule noire, semblable à une boule de billard, avec le chiffre huit peint dans un cercle blanc. Elle lançait la boule de haut en bas, la rattrapant adroitement dans sa main. Au bout des doigts, elle avait de longs ongles ressemblant à des serres qui se refermaient autour de la boule. Ses yeux étaient fixés sur Chryssie. Ils étaient dorés. Pas noisettes. De l’or véritable, brillant comme le métal.
— Tu vas appuyer sur la détente ou pas, beaux nichons ?
— Je…
Chryssie hésita. En partie parce qu’on l’avait appelée beaux nichons. Ses seins n’avaient jamais attiré l’attention de personne. C’était un peu flatteur.
Ou peut-être que c’était le choc de voir une femme, qui n’était pas là auparavant, assise à la fenêtre d’un immeuble de trois étages.
— Qu’est-ce que tu en penses, Magic 8 Ball ? Elle a les couilles d’exploser la tête de ce crétin ? Ou je dois le faire moi-même ?
La femme secoua la boule et scruta le cube à l’intérieur de celle-ci.
— Réponse difficile, essaie plus tard. Quelle connerie.
Le beau visage de la femme grimaça de mécontentement. Elle balança la boule par la fenêtre. Puis elle tourna son regard doré vers Chryssie.
— Qu’est-ce que tu fais, poupée ? Je serais ravie que tu fasses mon boulot à ma place.
— Votre boulot ? demanda Chryssie.
— Je suis une escorte. J’escorte les enfoirés tordus et criminels humains comme celui-là dans les boyaux de l’enfer.
L’enfoiré criminel, qui faisait maintenant face non pas à une, mais à deux folles furieuses qui voulaient sa mort, saisit l’opportunité de se diriger vers la porte.
Oh non, pas si vite. Chryssie n’allait pas le laisser s’échapper. Oubliant sa rivale, mieux habillée, en meilleure forme, et carrément canon, à la fenêtre, Chryssie tourna rapidement son arme vers le médecin en fuite.
Le temps que l’arme soit dirigée vers le médecin, l’autre femme était là. La vraie tueuse donna un haut coup de pied circulaire qui rappela la Buffy télévisée, et maîtrisa l’homme. Mais pas avant qu’un coup de feu ne retentisse dans la pièce.
La Vraie Tueuse grimaça en baissant les yeux sur le petit trou dans son corsage. Chryssie baissa les yeux avec horreur pour découvrir que son index posé sur la détente s’était détendu. Elle avait raté sa cible qui gisait au sol.
— Je suis désolée. Mon doigt a glissé. Je ne voulais pas…
La Vraie Tueuse balaya de la main la balle de révolver sur son torse. Il n’y avait pas de sang. Juste un accroc dans le tissu, à cet endroit-là. Un sourire mauvais se forma sur son visage. Elle secoua la tête d’un côté à l’autre, et Chryssie vit que ses oreilles étaient pointues, comme celles d’un elfe. Ou d’une fée.
— Tu vas payer pour ça, frangine.
Ses yeux dorés étincelèrent de façon anormalement vive, permettant enfin à Chryssie de piger ce qui se passait. Cette femme ne pouvait être qu’un ange de la mort. Elle était venue collecter l’âme du médecin, et maintenant ses griffes mortelles étaient braquées sur Chryssie parce qu’elle avait voulu tuer l’homme et l’avait manqué. C’était probablement l’équivalent d’une agression sur un officier de police.
Chryssie baissa son arme. Elle n’avait pas prévu de quitter cette pièce. Après la bagarre et le coup de feu, la police allait sans aucun doute bientôt débarquer. Mourir des mains de cette femme – ou cet ange, ou ce démon, ou peu importe ce qu’elle était – valait mieux que de mourir en prison.
Chryssie était née pour sauver sa sœur. Elle avait échoué à le faire quand on avait découvert qu’elle portait la même maladie incurable. Elle avait prévu de mourir triomphalement en descendant l’homme qui avait assassiné et mutilé sa sœur. Mais une mort par tueuse implacable devrait suffire. Du moment que son corps n’atterrissait pas dans un centre de soins palliatifs du gouvernement, ou en pièces détachées entre les mains de trafiquants de cadavres.
Chryssie se mit à genoux. Elle inspira profondément. Malgré tout, ses poumons ne se remplirent pas complètement. Mais l’air était doux, ou du moins, c’est ce qu’elle se dit puisque c’était son dernier souffle.
— Faites vite, s’il vous plaît, et ne laissez aucun morceau de moi sur lequel ils puissent faire des expériences.
— Bien sûr, beaux nichons.
Une vive douleur se répandit dans son crâne, puis le monde commença à disparaître. Mais pas avant qu’elle ne voie ce qu’elle crut être un dragon passer la tête par la fenêtre et lui sourire. Ça semblait logique d’avoir une créature de l’enfer comme monture, puisqu’un ange de la mort la transportait à présent par la fenêtre sur le dos de la bête.

Chapitre 3
— Meurs !!! Meurs, espèce de reptile vert bâtard, avec ta grosse carapace et ton long cou !
Corin se pinça l’arête du nez lorsque Béryl commença à faire des bruits d’explosion avec la bouche. Il était surpris que son frère ne crache pas vraiment du feu sur l’écran de télévision. Ce jeu et tuer des soldats-tortues animés étaient la passion numéro deux de Béryl dans la vie.
Béryl appuyait encore et encore sur les boutons de l’appareil rectangulaire entre ses mains ; une manette de jeu, ça s’appelait. Judicieusement nommée parce que c’était la distraction parfaite pour les jeunes frères hyperactifs de Corin. Sur le grand écran carré, un homme moustachu avec une casquette et une salopette rouge sauta sur la tortue bâtarde qui avait si gravement offensé Béryl. À l’instant où le personnage animé de Béryl atterrit sur l’animal pixélisé, la tortue rentra dans sa carapace.
— C’est ça, Koopa Troopa, cria Béryl. Rentre dans ta carapace. Maintenant, tu vas me servir d’arme pour assommer tous tes frères à écailles.
Après quelques pressions sur les boutons du joystick, l’homme à la salopette rouge sauta sur la carapace de la tortue. La carapace roula vers l’avant et assomma une rangée d’autres tortues. Des pièces d’or jaillirent sur l’écran en récompense pour les multiples meurtres.
— Ça devrait être mon tour, maintenant, dit Ilia.
Il s’affala sur les coussins à côté de Béryl, tenant mollement son joystick pendant que son frère aîné dominait le jeu.
Béryl et Ilia étaient nés le même jour, mais Béryl avait été le premier à faire son apparition, tout comme il faisait la course, se battait, et criait le plus fort pour être le premier en tout avec ses frères. Béryl était l’aîné de triplés – une chose rare parmi les naissances de dragons. La plupart d’entre eux naissaient par paires. Ilia était le plus jeune des trois et l’avorton de la portée. Un fait que Béryl ne le laissait jamais oublier.
— Tu veux des champignons, petit plombier ?
Béryl positionna l’homme à la salopette en dessous d’une brique. D’une pression de bouton, l’homme sauta, se cognant la tête sur la brique. Un champignon grandit au-dessus de celle-ci. Béryl pressa davantage de boutons jusqu’à ce que l’homme soit au-dessus du champignon à pois. Le plombier animé sauta dessus et commença à grandir.
Ilia ronchonna, jetant son joystick sur le sol. Il se croisa les bras sur le torse et lança un regard noir à Béryl qui continuait à frimer.
— C’est ça, hurla Béryl. Surpuissance. Niveau supérieur, enculé. C’est l’heure de Super Mario.
La petite musique aiguë accéléra. Corin se détourna et se concentra plutôt sur l’énigme silencieuse du Rubik’s Cube. Il avait presque réussi une face.
Tous les blocs rouges étaient parfaitement alignés. Il ne lui manquait que le dernier bloc rouge restant de l’autre côté, pris en sandwich entre un bloc bleu et un bloc blanc. En une seule torsion du cube, davantage de blocs rouges s’éparpillèrent, atterrissant sur une autre face du cube. Tout son travail minutieux sur une face était maintenant détruit. Chaque fois qu’il se rapprochait d’un semblant d’ordre, le chaos reprenait ses droits.
Avec une grimace, Corin étudia le casse-tête. Il travaillait sur cet engin depuis longtemps et n’était pas plus près de le résoudre. Il commençait à se demander s’il y avait seulement une solution.
Néanmoins, il préférait le casse-tête du cube au jeu vidéo. En partie à cause de l’énervante petite musique. En partie parce que le jeu n’avait jamais eu de sens pour lui.
Des plombiers qui parcouraient à toute vitesse l’univers du Royaume Champignon, où des tortues claquant du bec et des plantes avec des dents essayaient de les manger, tout ça pour récolter des briques et des pièces dans l’espoir de vaincre le méchant. Et pendant tout ce temps, il n’y avait aucune urgence de plomberie dans tout l’univers ? C’était absurde et ne valait pas la peine que Corin perde son temps.
— Il va y arriver, dit Elek. Il va battre le meilleur score de Cardi.
Corin sursauta lorsque le plus jeune des dragons sortit de l’ombre de la salle de jeux, leur repaire, comme Cardi aimait l’appeler. Grand et mince, Elek était passé maître dans l’art de n’être ni vu ni entendu. Contrairement à ses frères, Elek préférait la solitude. Il ne faisait des apparitions que pour les grands événements ou quand Cardi était dans les parages.
Corin regarda le jeu sur l’écran. Un événement majeur se déroulait au Royaume du Champignon. Béryl atteignait effectivement un nouveau territoire dans l’univers du jeu.
Rhyol, le deuxième des triplés, passa le museau par la fenêtre ouverte. Les écailles bleues du dragon luirent au clair de lune lorsqu’il replia ses ailes et s’appuya au rebord de la fenêtre avec ses mains munies de serres. Le dragon avait l’air humain en regardant l’écran, mais personne n’avait vu Rhyol, l’homme, depuis de nombreuses saisons. Battre le meilleur score à ce jeu était suffisamment remarquable pour que le dragon s’y intéresse, mais pas assez pour que la bête leur rende leur frère.
Ilia décroisa les bras et se pencha vers l’avant. Sa manette était oubliée sur le sol tandis que Béryl atteignait un niveau qu’aucun d’eux n’avait atteint auparavant.
— Attention à la plante carnivore.
— Je la vois.
Béryl appuya sur la manette, survolant la plante carnivore. Il atterrit sur un tuyau vert, la seule chose réaliste ayant un lien avec la plomberie dans ce monde fantaisiste, et descendit dans un nouveau monde. Tous les frères laissèrent échapper un hoquet de surprise.
— On n’est jamais allé aussi loin sans elle, avant, dit Ilia.
— Regardez, dit Elek. Il est là ; Bowser.
— Bowser, articulèrent-ils tous silencieusement.
Sur l’écran se trouvait une caricature de dragon. Il était grand, avec des bras et des jambes épais et une tête surdimensionnée. Bowser, le dragon de jeu vidéo, avait le ventre nervuré d’un dragon. Mais sur son dos, il avait une carapace de tortue avec des piques. Encore une ânerie du Royaume Champignon.
Corin aurait ri si la tentative d’arriver au boss du jeu n’était pas une occasion à ce point historique. Et il y avait aussi l’opportunité de voir le trésor du dragon pour la première fois.
— La voilà, dit Ilia. Princesse Peach.
Derrière cette caricature de dragon se trouvait une minuscule jeune femme aux cheveux blonds, habillée en rose. Elle se tenait là, impuissante, attendant soit d’être enlevée, soit d’être secourue, Corin n’était pas très sûr. Elle était la récompense, la sacrifiée pour laquelle plombiers et dragons déterraient de l’or et se battraient jusqu’à la mort.
— J’y vais, déclara Béryl.
— Tu ne crois pas que tu devrais établir un plan, d’abord ? dit Corin.
— Mon plan, c’est de botter le cul de ce faux dragon.
Béryl enfonça furieusement quelques boutons.
À peine le personnage de Béryl avait-il levé son poing pixélisé pour se battre que le dragon à l’écran l’arrosa de feu. La musique criarde entama les notes de la marche funèbre. Il n’y aurait pas de réanimation de Mario, le plombier. Béryl n’avait plus de vies. Le jeu était terminé.
Le silence remplit la pièce. Il avait fallu toute la journée à Béryl pour en arriver à ce stade du jeu. Et c’était fini en seulement quelques petites secondes.
Le tableau des scores apparut. Il n’y avait aucun changement dans le classement. Ilia détenait toujours la troisième place sous le pseudo d’Illest MC. Béryl était deuxième en tant que l’Incroyable Bulk. Et en haut du classement, à la place d’honneur, il y avait le pseudo Péché Cardinal.
Béryl jeta le joystick à terre et s’élança vers la fenêtre, furieux. Rhyol s’inclina vers l’arrière pour laisser passer son frère. Béryl s’élança en courant et sauta, ses ailes se déployant au moment où ses pieds passaient par-dessus le rebord de la fenêtre. Un dragon aux écailles vertes masqua la lune argentée en s’élançant vers le ciel.
— Mauvais perdant, cria Ilia après lui tout en ramassant la manette en son absence.
Rhyol s’envola pour rejoindre Béryl pendant qu’il prenait une petite pause. Elek était déjà reparti dans l’ombre.
Corin reprit son cube. Mais son esprit ne parvenait pas à se concentrer. Les frères se réunissaient souvent dans la salle de jeux pour se détendre. L’issue du jeu de ce soir était un peu trop proche de leur situation réelle.
Les obstacles qui se dressaient devant eux étaient énormes. Ils n’auraient pas de seconde chance dans cette vie. Les princesses dont ils avaient besoin pour gagner le jeu étaient hors de leur portée. Les dragons qui vivaient en eux les consumeraient s’ils ne trouvaient pas un moyen de gagner.
Même si Corin avait envie d’une sacrifiée, il n’avait aucun moyen d’en obtenir une. Les Valkyries avaient défendu aux humains mâles d’offrir leurs vierges longtemps auparavant. Cardi avait été la dernière à être sacrifiée. Ce n’était pas les hommes qui l’avaient offerte en sacrifice en échange de pierres précieuses. C’était les Valkyries qui l’avaient apportée elles-mêmes. La raison pour laquelle elles avaient enfreint leur propre règle n’était toujours pas très claire pour Corin. Mais il y avait peu de chance pour qu’elles recommencent.
On frappa un coup à la porte tout en bas. Aucune des créatures vivant derrière le Voile ne s’aventurerait au château des dragons au milieu de la nuit. Sauf si elle avait envie de finir comme en-cas nocturne. Seul un groupe de créatures était plus haut dans la chaîne alimentaire que les dragons.
— J’y vais, dit Corin en se levant.
Ilia ne daigna même pas lever les yeux de son jeu. Corin attrapa le sac laissé par son frère jumeau aîné et descendit les escaliers. Les pierres précieuses cliquetèrent à l’intérieur du sac à chacun de ses pas. Corin soupçonnait que la livraison de ce soir serait importante.
Le coup frappé à la porte venait de l’arrière du château. De l’autre côté de la montagne, à sa base, il existait un passage entre les mondes. L’endroit était invisible à l’œil nu. Mais si quelqu’un, d’un côté ou de l’autre, s’en approchait, un flot d’énergie le submergeait.
Les dragons ne s’aviseraient pas d’emprunter ce passage. Non seulement parce que c’était interdit, mais aussi parce que, bien qu’ils soient l’une des espèces les plus fortes de ce côté-ci du Voile, ils n’étaient pas taillés pour survivre dans le monde des humains. La plupart des fées étaient revenues de ce côté-ci du Voile, se plaignant de la pollution, de quelque chose appelé pesticides, et d’un trou dans le ciel qui laissait passer les rayons du soleil les plus dangereux.
Et malgré cela, les humains étaient la création préférée de la Déesse ?
Corin ouvrit la porte arrière du château pour découvrir un dragon sur le seuil. Les écailles de ce dragon étaient du même brun que la terre, pas de l’une des nuances des joyaux qui se trouvaient dans les mines sous le château. Ce dragon n’était pas l’un des frères de Corin, mais l’un de ses ancêtres.
Les dragons descendaient de l’une des créations favorites de la Déesse appelée dinosaure. Lorsque la Déesse s’était amusée avec la composition génétique des dinosaures, les premiers dragons étaient nés. Comme c’était le cas pour beaucoup de Ses créations, Elle avait entrepris de façonner les dragons à Son image et avait placé un homme dans le ventre de la bête. Et puis, comme avec la plupart de Ses créations, Elle avait perdu tout intérêt pour le projet et était partie s’amuser avec une autre espèce.
Les dragons étaient tout ce qui restait de ces lézards géants. Personne ne savait pourquoi ils avaient disparu de la surface de la Terre. Bien que Corin ait lu des théories humaines farfelues à propos de rochers tombés du ciel.
Il y avait de l’intelligence dans le regard du dragon sur le seuil de la porte, mais aucune volonté propre. C’était un dragon de pure race, pas un métamorphe. Il n’y avait pas d’homme à l’intérieur de cette créature.
À une époque, Corin avait eu pitié du fait que les dragons de pure race n’avaient aucun contrôle sur leur propre vie. Ils étaient esclaves des autres. À présent, il les enviait de n’avoir aucune aspiration à être davantage que ce qu’ils étaient.
La plupart du temps.
De larges sacoches pendaient des flancs de la bête. Le chargement incluait l’armure bleu clair de la Valkyrie. La bête, qui avait autrefois été utilisée comme arme de guerre pour récupérer les mâles tombés au combat, avait été réduite à l’état de bête de somme.
La femme en question glissa du dos du dragon avec un saut périlleux et un grand salut. À la place de son armure, elle portait un bout de tissu sur lequel était écrit Hooters. Au lieu de porter une protection sur les jambes, elle portait ce que Corin avait appris qu’on nommait un micro-short. Un vêtement dans lequel Kimber avait défendu à Cardi de se pavaner dans le château.
— Hé, Cory.
Corin détestait qu’on raccourcisse son nom. Mais il ne contredit pas l’une des filles de la Déesse.
— Salutations, Morrigan.
— C’est bon, mec. Tu peux m’appeler Morri.
Corin n’aimait pas non plus le terme mec. Ça sonnait un peu trop comme un autre mot humain pour désigner des excréments. Mais, à nouveau, on ne contredisait pas une Valkyrie.
Morrigan déposa l’une des larges sacoches avec un bruit sourd. Le dessus du sac s’ouvrit sous le choc, révélant son contenu. À l’intérieur, il y avait un stock de chemises aux couleurs vives et criardes, des shorts élastiques avec des jupes en dentelle attachées, et des pièces tubulaires molles appelées chaussettes. Corin détourna le regard de bouts de tissu triangulaires connectés dont il avait appris qu’ils s’appelaient soutiens-gorges. Des bouteilles de Coca-Cola Original s’entrechoquaient à côté de boîtes de bonbons Nerds et de paquets de Hot Pockets.
— C’est le vingt-et-unième siècle, là-bas, dit la Valkyrie. La mode des années 80 est de plus en plus difficile à trouver vu que ceux de la génération X sont maintenant des grands-parents avec poignées d’amour et bourrelets. Mais, évidemment, la Madge de cinquante ans se balade encore les fesses à l’air de temps en temps. Tu savais qu’elle partait toujours en tournée ?
La plupart du temps, Corin n’avait aucune idée de ce dont la Valkyrie ou la jeune humaine sous leur protection parlaient. Il hochait simplement la tête et s’éclipsait discrètement de la conversation et de la pièce.
— Kimber est parti au repaire des loups avec Cardi. Mais il m’a laissé votre paiement.
Corin tendit le sac de pierres précieuses en échange de la sacoche et se prépara à opérer une retraite rapide. Le bavardage n’était pas son fort.
Les yeux de la Valkyrie étincelèrent en examinant les diamants à l’intérieur du sac. Bien que les Valkyries soient les créatures les plus fortes du Voile, les pierres précieuses étaient leur seule faiblesse. En dehors de l’utilisation de leur force brute, c’était comme ça que les dragons maintenaient leur rang de deuxièmes dans ce jardin de créatures surnaturelles.
Pour atteindre les pierres précieuses, il fallait à la fois le feu et les fortes griffes acérées des dragons. Aucune autre créature derrière le Voile ne possédait ces deux forces. C’était pour cette raison que les joyaux étaient une denrée rare.
Malheureusement, les dragons n’étaient pas réputés pour partager leur trésor. Corin songea que le poids du sac de pierres précieuses de Kimber était un prix énorme pour des choses aussi frivoles. Mais les dragons étaient réputés pour faire des folies pour leurs sacrifiées.
Lorsque Corin se retourna pour s’en aller, un mouvement dans une autre sacoche attira son attention. Il savait que ça devait être un humain mâle. Les Valkyries se rendaient de l’autre côté du Voile, dans le monde des humains, et retiraient la lie de l’humanité de la mêlée pour les emmener au Valhalla, un endroit pire que les boyaux de l’enfer.
Morrigan avait fait un beau coup de filet, ce soir. Il y avait deux sacoches sur le dos du dragon. L’une s’agitait, la puanteur de mort flottant à travers le tissu jusqu’au nez de Corin. L’autre sac demeurait immobile.
— À la prochaine fois, dit Corin en chargeant le sac de babioles sur son dos et en se tournant vers la porte.
— Attends, l’écailleux, dit Morrigan. Je n’en ai pas fini avec toi.
Ce n’était pas des mots qu’un homme avait envie d’entendre de la part d’une Valkyrie. Les dragons n’étaient pas emmenés au Valhalla. Mais une Valkyrie était assez forte pour les battre. Corin inspira profondément. Il n’avait enfreint aucune règle.
— J’ai une autre offrande, dit Morrigan.
Contrairement à Kimber, qui marchandait avec les Valkyries pour qu’elles lui ramènent des babioles qui feraient plaisir à sa compagne, Corin se fichait du monde des humains. Même s’il chérissait le Rubik’s Cube que Cardi avait abandonné après un essai. Et il aimait le jeu Docteur Maboul et quelques autres jeux de plateau du monde des humains. À part ça, il n’y avait rien pour lequel il abandonnerait ses précieux rubis.
L’homme dans le sac gigota encore. Ses mouvements causèrent des remous dans l’autre sacoche. L’odeur du contenu de ce second sac flotta dans la brise. Le sac de trésors pour Cardi s’échappa des mains de Corin.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit Corin dont la voix était soudain grave et rocailleuse, plus dragon qu’homme.
Morrigan souriait de toutes ses dents en se dirigeant vers le dragon et en soulevant le sac comme s’il ne pesait rien. Plus elle s’approchait, plus les poils de Corin se dressaient.
La Valkyrie dévoila une femme. Les yeux fermés, une bouche en forme de cœur entrouverte, des cheveux rouge flamme comme des rubis flottant en vagues autour de ses frêles épaules.
La bête à l’intérieur de Corin rugit. Le dragon se glissa presque hors de sa peau. Mais à la dernière seconde, Corin tira sur la laisse. Il avait besoin de toute sa présence d’esprit pour comprendre ce qui se passait.
— Qu’est-ce que c’est, répéta-t-il lentement.
L’homme se raccrochait à son esprit, mais le dragon avait déjà pris possession de sa voix.
— Tu es aveugle ? dit Morrigan. C’est un sacrifice.
Ça n’avait aucun sens. Corin ne croyait pas aux coïncidences. Il n’aimait pas les questions sans réponse. Tout avait une explication, même ce cube déconcertant que la Valkyrie avait apporté pour le tourmenter.
— Votre sœur a interdit les sacrifiées dans le Voile.
— Pas tout à fait. Hilda a dit que plus aucun homme ne pourrait sacrifier une humaine. Je ne suis pas un homme.
Morrigan déposa la femme aux pieds de Corin et recula.
Corin ne pouvait détacher les yeux du paquet devant lui. La partie inférieure du corps de la jeune femme était cachée par la sacoche. Le haut lui fit se lécher les babines.
Quand Cardi était arrivée, elle était plus enfant que femme. Aucun des dragons n’avait été sexuellement attiré par elle. Ils étaient devenus ses amis, à la place, et l’avaient traitée comme une des leurs.
Il n’y avait aucun danger de confondre cette jeune femme avec une enfant. Même maintenant, le pantalon de Corin fut soudain trop étroit à la vue de ses clavicules. Oui, ses clavicules. Il ne pouvait détacher les yeux de leur forme. Sa bête les étudiait, se demandant quelle partie il marquerait en premier.
— Elle a du tempérament, dit la Valkyrie. Elle essayait de tuer ma cible. Elle ne s’en serait jamais sortie vivante, si elle l’avait fait. Ou elle aurait fini en tôle. Donc, techniquement, ce n’est même pas une sacrifiée. En un sens, je l’ai sauvée. Vive moi !
Sauvée ? Pour l’amener dans un repaire de dragons où elle mourrait avec certitude. Corin n’avait pas vu la couleur de ses yeux, mais son ventre se contracta en sachant qu’un jour il regarderait la vie s’en échapper. Tout comme il avait vu la vie s’éteindre dans les yeux de sa propre mère et dans ceux de la mère des triplés.
Les femmes offertes aux dragons étaient appelées des sacrifiées pour une bonne raison. Il ne connaissait pas cette jeune femme, mais il savait qu’il ne lui ferait pas subir ça. Il ne pourrait pas. La Valkyrie devait l’emmener.
— Tu la veux, Cory ?
Corin serra les doigts en forme de poings. Ce n’étaient plus des doigts, d’ailleurs. Des griffes lui creusèrent la peau.
— Des rubis iraient vraiment bien sur un collier de diamants, tu ne crois pas ?

Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=66741008) на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.