François le champi / Франсуа-найденыш. Книга для чтения на французском языке
François le champi / Франсуа-найденыш. Книга для чтения на французском языке
George Sand
Чтение в оригинале (Каро)Littérature classique (Каро)
Повесть Жорж Санд «Франсуа-найденыш» – это история о нравах французской деревни середины XIX века. И. С. Тургенев поделился своими впечатлениями от этой «деревенской» повести: «Франсуа… написан в ее лучшей манере: просто, правдиво, захватывающе…»
Многие критики того времени упрекали Жорж Санд в том, что она идеализирует крестьян, но писательница настаивала на том, цивилизация еще не испортила нравы сельских жителей, которые полны самоотверженности и честно трудятся, а горожане отдалились от простой и естественной жизни и не замечают неравенства, бедности обездоленных.
Детство Франсуа было бы совсем безрадостным, если бы не встреча с Мадленой Бланше, ставшей второй матерью для заброшенного ребенка. Мальчик взрослеет, и теперь уже он посвящает свою жизнь Мадлене и ее близким…
Предлагаем вниманию читателей неадаптированный текст повести, снабженный вопросами по содержанию каждой главы и словарем.
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George Sand
François le Champi
© Каро, 2021
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Chapitre I
Un matin que Madeleine Blanchet, la jeune meunière du Cormouer, s’en allait au bout de son pré pour laver à la fontaine, elle trouva un petit enfant assis devant sa planchette, et jouant avec la paille qui sert de coussinet aux genoux des lavandières. Madeleine Blanchet, ayant avisé cet enfant, fut étonnée de ne pas le connaître, car il n’y a pas de route bien achalandée de passants de ce côté-là, et on n’y rencontre que des gens de l’endroit.
“Qui es-tu, mon enfant? dit-elle au petit garçon, qui la regardait d’un air de confiance, mais qui ne parut pas comprendre sa question. Comment t’appelles-tu? reprit Madeleine Blanchet en le faisant asseoir à côté d’elle et en s’ agenouillant pour laver.
– François, répondit l’enfant.
– François qui?
– Qui? dit l’enfant d’un air simple.
– A qui es-tu fils?
– Je ne sais pas, allez!
– Tu ne sais pas le nom de ton père!
– Je n’en ai pas.
— Il est donc mort?
– Je ne sais pas.
– Et ta mère?
– Elle est par là, dit l’enfant en montrant une maisonnette fort pauvre qui était à deux portées de fusil du moulin et dont on voyait le chaume à travers les saules.
– Ah! je sais, reprit Madeleine, c’est la femme qui est venue demeurer ici, qui est emménagée d’hier soir?
– Oui, répondit l’enfant.
– Et vous demeuriez à Mers?
– Je ne sais pas.
– Tu es un garçon peu savant. Sais-tu le nom de ta mère, au moins?
– Oui, c’est la Zabelle.
– Isabelle qui? tu ne lui connais pas d’autre nom?
– Ma foi non, allez!
– Ce que tu sais ne te fatiguera pas la cervelle, dit Madeleine en souriant et en commençant à battre son linge.
– Comment dites-vous?” reprit le petit François.
Madeleine le regarda encore; c’était un bel enfant, il avait des yeux magnifiques. C’est dommage, pensa-t-elle, qu’il ait l’air si niais. “Quel âge as-tu? reprit-elle. Peut-être que tu ne le sais pas non plus”.
La vérité est qu’il n’en savait pas plus long là-dessus que sur le reste. Il fit ce qu’il put pour répondre, honteux peut-être de ce que la meunière lui reprochait d’être si borné, et il accoucha de cette belle repartie:
“Deux ans!
– Oui-da! reprit Madeleine en tordant son linge sans le regarder davantage, tu es un véritable oison, et on n’a guère pris soin de t’instruire, mon pauvre petit. Tu as au moins six ans pour la taille, mais tu n’as pas deux ans pour le raisonnement.
– Peut-être bien!” répliqua François. Puis, faisant un autre effort sur lui-même, comme pour secouer l’engourdissement de sa pauvre âme, il dit: “Vous demandiez comment je m’appelle? On m’appelle François le Champi.
– Ah! ah! je comprends”, dit Madeleine en tournant vers lui un oeil de compassion; et Madeleine ne s’étonna plus de voir ce bel enfant si malpropre, si déguenillé et si abandonné à l’hébétement de son âge.
“Tu n’es guère couvert, lui dit-elle, et le temps n’est pas chaud. Je gage que tu as froid?
– Je ne sais pas”, répondit le pauvre champi, qui était si habitué à souffrir qu’il ne s’en apercevait plus.
Madeleine soupira. Elle pensa à son petit Jeannie qui n’avait qu’un an et qui dormait bien chaudement dans son berceau, gardé par sa grand-mère, pendant que ce pauvre champi grelottait tout seul au bord de la fontaine, préservé de s’y noyer par la seule bonté de la Providence, car il était assez simple pour ne pas se douter qu’on meurt en tombant dans l’eau.
Madeleine, qui avait le cœur trés charitable, prit le bras de l’enfant et le trouva chaud, quoi-qu’il eût par instants le frisson et que sa jolie figure fût très pâle.
“Tu as la fièvre? lui dit-elle.
– Je ne sais pas, allez!” répondit l’enfant, qui l’avait toujours.
Madeleine Blanchet détacha le chéret de laine qui lui couvrait les épaules et en enveloppa le champi, qui se laissa faire, et ne témoigna ni étonnement ni contentement. Elle ôta toute la paille qu’elle avait sous ses genoux et lui en fit un lit où il ne chôma pas de s’endormir, et Madeleine acheva de laver les nippes de son petit Jeannie, ce qu’elle fit lestement, car elle le nourrissait, et avait hâte d’aller le retrouver.
Quand tout fut lavé, le linge mouillé était devenu plus lourd de moitié, et elle ne put emporter le tout. Elle laissa son battoir et une partie de sa provision au bord de l’eau, se promettant de réveiller le champi lorsqu’elle reviendrait de la maison, où elle porta de suite tout ce qu’elle put prendre avec elle. Madeleine Blanchet n’était ni grande ni forte. C’était une très jolie femme, d’un fier courage, et renommée pour sa douceur et son bon sens.
Quand elle ouvrit la porte de sa maison, elle entendit sur le petit pont de l’écluse un bruit de sabots qui courait après elle, et, en se virant, elle vit le champi qui l’avait rattrapée et qui lui apportait son battoir, son savon, le reste de son linge et son chéret de laine.
“Oh! oh! dit-elle en lui mettant la main sur l’épaule, tu n’es pas si bête que je croyais, toi, car tu es serviable, et celui qui a bon cœur n’est jamais sot. Entre, mon enfant, viens te reposer.Voyez ce pauvre petit! il porte plus lourd que lui-même!
– Tenez, mère, dit-elle à la vieille meunière qui lui présentait son enfant bien frais et tout souriant, voilà un pauvre champi qui a l’air malade.Vous qui vous connaissez à la fièvre, il faudrait tâcher de le guérir.
– Ah! c’est la fièvre de misère! répondit la vieille en regardant François; ça se guérirait avec de la bonne soupe; mais ça n’en a pas. C’est le champi à cette femme qui a emménagé d’hier. C’est la locataire à ton homme, Madeleine. Ça paraît bien malheureux, et je crains que ça ne paie pas souvent.”
Madeleine ne répondit rien. Elle savait que sa belle-mère et son mari avaient peu de pitié, et qu’ils aimaient l’argent plus que le prochain. Elle allaita son enfant, et quand la vieille fut sortie pour aller chercher ses oies, elle prit François par la main, Jeannie sur son autre bras, et s’en fut avec eux chez la Zabelle.
La Zabelle, qui se nommait en effet Isabelle Bigot, était une vieille fille de cinquante ans, aussi bonne qu’on peut l’être pour les autres quand on n’a rien à soi et qu’il faut toujours trembler pour sa pauvre vie. Elle avait pris François, au sortir de nourrice, d’une femme qui était morte à ce moment-là, et elle l’avait élevé depuis, pour avoir tous les mois quelques pièces d’argent blanc et pour faire de lui son petit serviteur; mais elle avait perdu ses bêtes et elle devait en acheter d’autres à crédit, dès qu’elle pourrait, car elle ne vivait pas d’autre chose que d’un petit lot de brebiage et d’une douzaine de poules qui, de leur côté, vivaient sur le communal. L’emploi de François, jusqu’à ce qu’il eût gagné l’âge de la première communion, devait être de garder ce pauvre troupeau sur le bord des chemins, après quoi on le louerait comme on pourrait, pour être porcher ou petit valet de charrue, et, s’il avait de bons sentiments, il donnerait à sa mère par adoption une partie de son gage.
On était au lendemain de la Saint-Martin, et la Zabelle avait quitté Mers, laissant sa dernière chèvre en paiement d’un reste dû sur son loyer. Elle venait habiter la petite locature dépendante du moulin du Cormouer, sans autre objet de garantie qu’un grabat, deux chaises, un bahut et quelques vaisseaux de terre. Mais la maison était si mauvaise, si mal close et de si chétive valeur, qu’il fallait la laisser déserte ou courir les risques attachés à la pauvreté des locataires.
Madeleine causa avec la Zabelle, et vit bientôt que ce n’était pas une mauvaise femme, qu’elle ferait en conscience tout son possible pour payer, et qu’elle ne manquait pas d’affection pour son champi. Mais elle avait pris l’habitude de le voir souffrir en souffrant elle-même, et la compassion que la riche meunière témoignait à ce pauvre enfant lui causa d’abord plus d’étonnement que de plaisir.
Enfin, quand elle fut revenue de sa surprise et qu’elle comprit que Madeleine ne venait pas pour lui demander, mais pour lui rendre service, elle prit confiance, lui conta longuement toute son histoire, qui ressemblait à celle de tous les malheureux, et lui fit grand remerciement de son intérêt. Madeleine l’avertit qu’elle ferait tout son possible pour la secourir; mais elle la pria de n’en jamais parler à personne, avouant qu’elle ne pourrait l’assister qu’en cachette, et qu’elle n’était pas sa maîtresse à la maison.
Elle commença par laisser à la Zabelle son chéret de laine, en lui faisant donner promesse de le couper dès le même soir pour en faire un habillement au champi, et de n’en pas montrer les morceaux avant qu’il fût cousu. Elle vit bien que la Zabelle s’y engageait à contrecoeur, et qu’elle trouvait le chéret bien bon et bien utile pour elle-même. Elle fut obligée de lui dire qu’elle l'abandonnerait si, dans trois jours, elle ne voyait pas le champi chaudement vêtu. “Croyez-vous donc, ajouta-t-elle, que ma belle-mère, qui a l’oeil à tout, ne reconnaîtrait pas mon chéret sur vos épaules? Vous voudriez donc me faire avoir des ennuis? Comptez que je vous assisterai autrement encore, si vous êtes un peu secrète dans ces choses-là. Et puis, écoutez: votre champi a la fièvre, et, si vous ne le soignez pas bien, il mourra.
– Croyez-vous? dit la Zabelle; ça serait une peine pour moi, car cet enfant-là, voyez-vous, est d’un cœur comme on n’en trouve guère; ça ne se plaint jamais, et c’est aussi soumis qu’un enfant de famille; c’est tout le contraire des autres champis, qui sont terribles et tabâtres, et qui ont toujours l’esprit tourné à la malice.
– Parce qu’on les rebute et parce qu’on les maltraite. Si celui-là est bon, c’est que vous êtes bonne pour lui, soyez-en assurée.
– C’est la vérité, reprit la Zabelle; les enfants ont plus de connaissance qu’on ne croit. Tenez, celui-là n’est pas malin, et pourtant il sait très bien se rendre utile. Une fois que j’étais malade, l’an passé (il n’avait que cinq ans), il m’a soignée comme ferait une personne.
– Ecoutez, dit la meunière: vous me l’enverrez tous les matins et tous les soirs, à l’heure où je donnerai la soupe à mon petit. J’en ferai trop, et il mangera le reste; on n’y prendra pas garde.
– Oh! c’est que je n’oserai pas vous le conduire, et, de lui-même, il n’aura jamais l’esprit de savoir l’heure.
– Faisons une chose. Quand la soupe sera prête, je poserai ma quenouille sur le pont de l’écluse. Tenez, d’ici, ça se verra très bien. Alors, vous enverrez l’enfant avec un sabot dans la main, comme pour chercher du feu, et puisqu’il mangera ma soupe, toute la vôtre vous restera. Vous serez mieux nourris tous les deux.
– C’est juste, répondit la Zabelle. Je vois que vous êtes une femme d’esprit, et j’ai du bonheur d’être venue ici. On m’avait fait grand-peur de votre mari qui passe pour être un rude homme, et si j’avais pu trouver ailleurs, je n’aurais pas pris sa maison, d’autant plus qu’elle est mauvaise, et qu’il en demande beaucoup d’argent. Mais je vois que vous êtes bonne au pauvre monde, et que vous m’aiderez à élever mon champi. Ah! si la soupe pouvait lui couper sa fièvre! Il ne me manquerait plus que de perdre cet enfant-là! C’est un pauvre profit, et tout ce que je reçois de l’hospice passe à son entretien. Mais je l’aime comme mon enfant, parce que je vois qu’il est bon, et qu’il m’assistera plus tard. Savez-vous qu’il est beau pour son âge, et qu’il sera de bonne heure en état de travailler?”
C’est ainsi que François le Champi fut élevé par les soins et le bon cœur de Madeleine la meunière. Il retrouva la santé très vite, car il était bâti, comme on dit chez nous, à chaux et à sable, et il n’y avait point de richard dans le pays qui n’eût souhaité d’avoir un fils aussi joli de figure et aussi bien construit de ses membres. Avec cela, il était courageux comme un homme; il allait à la rivière comme un poisson, et plongeait jusque sous la pelle du moulin, ne craignant pas plus l’eau que le feu; il sautait sur les poulains les plus folâtres et les conduisait au pré sans même leur passer une corde autour du nez, jouant des talons pour les faire marcher droit et les tenant aux crins pour sauter les fossés avec eux. Et ce qu’il y avait de singulier, c’est qu’il faisait tout cela d’une manière fort tranquille, sans embarras, sans rien dire, et sans quitter son air simple et un peu endormi.
Cet air-là était cause qu’il passait pour sot; mais il n’en est pas moins vrai que s’il fallait dénicher des pies à la pointe du plus haut peuplier, ou retrouver une vache perdue bien loin de la maison, ou encore abattre une grive d’un coup de pierre, il n’y avait pas d’enfant plus hardi, plus adroit et plus sur de son fait. Les autres enfants attribuaient cela au bonheur du sort, qui passe pour être le lot du champi dans ce bas monde. Aussi le laissaient-ils toujours passer le premier dans les amusettes dangereuses.
“Celui-là, disaient-ils, n’attrapera jamais de mal, parce qu’il est champi. Froment de semence craint la vimère du temps; mais folle graine ne périt point.”
Tout alla bien pendant deux ans. La Zabelle se trouva avoir le moyen d’acheter quelques bêtes, on ne sut trop comment. Elle rendit beaucoup de petits services au moulin, et obtint que maître Cadet Blanchet le meunier fît réparer un petit le toit de sa maison qui faisait l’eau de tous côtés. Elle put s’habiller un peu mieux, ainsi que son champi,et elle parut peu à peu moins misérable que quand elle était arrivée. La belle-mère de Madeleine fit bien quelques réflexions assez dures sur la perte de quelques effets et sur la quantité de pain qui se mangeait à la maison. Une fois même, Madeleine fut obligée de s’accuser pour ne pas laisser soupçonner la Zabelle; mais, contre l’attente de la belle-mère, Cadet Blanchet ne se fâcha presque point, et parut même vouloir fermer les yeux.
Le secret de cette complaisance, c’est que Cadet Blanchet était encore très amoureux de sa femme. Madeleine était jolie et nullement coquette, on lui en faisait compliment en tous endroits, et ses affaires allaient fort bien d’ailleurs; comme il était de ces hommes qui ne sont méchants que par crainte d’être malheureux, il avait pour Madeleine plus d’égards qu’on ne l’en aurait cru capable. Cela causait un peu de jalousie à la mère Blanchet, et elle s’en vengeait par de petites tracasseries que Madeleine supportait en silence et sans jamais s’en plaindre à son mari.
C’était bien la meilleure manière de les faire finir plus vite, et jamais on ne vit à cet égard de femme plus patiente et plus raisonnable que Madeleine. Mais on dit chez nous que le profit de la bonté est plus vite usé que celui de la malice, et un jour vint où Madeleine fut questionnée et tancée tout de bon pour ses charités.
C’était une année où les blés avaient grêlé et où la rivière, en débordant, avait gâté les foins. Cadet Blanchet n’était pas de bonne humeur. Un jour qu’il revenait du marché avec un confrère qui venait d’épouser une fort belle fille, ce dernier lui dit: “Au reste, tu n’as pas été à plaindre non plus, dans ton temps, car ta Madelon était aussi une fille très agréable.
– Qu’est-ce que tu veux dire avec mon temps et ta Madelon était? Dirait-on pas que nous sommes vieux, elle et moi? Madeleine n’a encore que vingt ans et je ne sache pas qu’elle soit devenue laide.
– Non, non, je ne dis pas ça, reprit l’autre. Certainement Madeleine est encore bien; mais enfin, quand une femme se marie si jeune, elle n’en a pas pour longtemps à être regardée. Quand ça a nourri un enfant, c’est déjà fatigué; et ta femme n’était pas forte, à preuve que la voilà bien maigre et qu’elle a perdu sa bonne mine. Est-ce qu’elle est malade, cette pauvre Madelon?
– Pas que je sache. Pourquoi donc me demandes-tu ça?
– Dame! je ne sais pas. Je lui trouve un air triste comme quelqu’un qui souffrirait ou qui aurait de l’ennui. Ah! les femmes, ça n’a qu’un moment, c’est comme la vigne en fleur. Il faut que je m’attende aussi à voir la mienne prendre une mine allongée et un air sérieux. Voilà comme nous sommes, nous autres! Tant que nos femmes nous donnent de la jalousie, nous en sommes amoureux. Ça nous fâche, nous crions, nous battons même quelquefois; ça les chagrine, elles pleurent; elles restent à la maison, elles nous craignent, elles s’ennuient, elles ne nous aiment plus. Nous voilà bien contents, nous sommes les maîtres!… Mais voilà aussi qu’un beau matin nous nous avisons que si personne n’a plus envie de notre femme, c’est parce qu’elle est devenue laide, et alors, voyez le sort! nous ne les aimons plus et nous avons envie de celles des autres… Bonsoir, Cadet Blanchet; tu as embrassé ma femme un peu trop fort à ce soir; je l’ai bien vu et je n’ai rien dit. C’est pour te dire à présent que nous n’en serons pas moins bons amis et que je tâcherai de ne pas la rendre triste comme la tienne, parce que je me connais: si je suis jaloux, je serai méchant, et quand je n’aurai plus sujet d’être jaloux, je serai peut-être encore pire…”
Une bonne leçon profite à un bon esprit; mais Cadet Blanchet, quoique intelligent et actif, avait trop d’orgueil pour avoir une bonne tête. Il rentra l’oeil rouge et l’épaule haute. Il regarda Madeleine comme s’il ne l’avait pas vue depuis longtemps. Il s’aperçut qu’elle était pâle et changée. Il lui demanda si elle était malade, d’un ton si rude, qu’elle devint encore plus pâle et repondit qu’elle se portait bien, d’une voix très faible. Il s’en fâcha, Dieu sait pourquoi, et se mit à table avec l’envie de chercher querelle à quelqu’un. L’occasion ne se fit pas longtemps attendre. On parla de la cherté du blé, et la mère Blanchet remarqua, comme elle le faisait tous les soirs, qu’on mangeait trop de pain. Madeleine ne dit mot. Cadet Blanchet voulut la rendre responsable du gaspillage. La vieille déclara qu’elle avait surpris, le matin même, le champi emportant une demi-tourte… Madeleine aurait dû se fâcher et leur tenir tête, mais elle ne sut que pleurer. Blanchet pensa à ce que lui avait dit son compère et n’en fut que plus âcreté; si bien que, de ce jour-là, expliquez comment cela se fit, si vous pouvez, il n’aima plus sa femme et la rendit malheureuse.
Questions:
1. Qui est Madeleine Blanchet?
2. Où a-t-elle rencontré François le Champi?
3. Avec qui habitait Madeleine?
4. Pourquoi la belle-mère de Madeleine n’a-t-elle pas accueilli François?
5. Qui est la Zabelle?
6. Pourquoi Madeleine a-t-elle éprouvé beaucoup de pitié envers François?
7. Qu’a-t-elle proposé à la Zabelle?
8. Pourquoi Cadet Blanchet, s’est il fâché après la discussion avec son confrère?
9. Que s’est-il passé à table dans la famille Blanchet?
Chapitre II
Il la rendit malheureuse; et, comme jamais bien heureuse il ne l’avait rendue, elle eut doublement mauvaise chance dans le mariage. Elle s’était laissé marier, à seize ans, à ce rougeot qui n’était pas tendre, qui buvait beaucoup le dimanche, qui était en colère tout le lundi, chagrin le mardi, et qui, les jours suivants, travaillant comme un cheval pour réparer le temps perdu, car il était avare, n’avait pas le loisir de songer à sa femme. Il était moins malgracieux le samedi, parce qu’il avait fait sa besogne et pensait à se divertir le lendemain. Mais un jour par semaine de bonne humeur ce n’est pas assez, et Madeleine n’aimait pas le voir guilleret, parce qu’elle savait que le lendemain soir il rentrerait tout enflambé de colère.
Mais comme elle était jeune et gentille, et si douce qu’il n’y avait pas moyen d’être longtemps fâché contre elle, il avait encore des moments de justice et d’amitié, où il lui prenait les deux mains, en lui disant: “Madeleine, il n’y a pas de meilleure femme que vous, et je crois qu’on vous a faite exprès pour moi. Si j’avais épousé une coquette comme j’en vois tant, je l’aurais tuée, ou je me serais jeté sous la roue de mon moulin. Mais je reconnais que tu es sage, laborieuse, et que tu vaux ton pesant d’or.”
Mais quand son amour fut passé, ce qui arriva au bout de quatre ans de ménage, il n’eut plus de bonne parole à lui dire, et il eut du dépit de ce qu’elle ne répondait rien à ses mauvaisetés. Qu’eût-elle répondu! Elle sentait que son mari était injuste, et elle ne voulait pas lui en faire de reproches, car elle mettait tout son devoir à respecter le maître qu’elle n’avait jamais pu chérir.
La belle-mère fut contente de voir que son fils redevenait l’homme de chez lui; c’est ainsi qu’elle disait, comme s’il avait jamais oublié de l’être et de le faire sentir! Elle haïssait sa bru, parce qu’elle la voyait meilleure qu’elle. Ne sachant quoi lui reprocher, elle lui tenait à méfait de n’être pas forte, de tousser tout l’hiver, et de n’avoir encore qu’un enfant. Elle la méprisait pour cela et aussi pour ce qu’elle savait lire et écrire, et que le dimanche elle lisait des prières dans un coin du verger au lieu de venir caqueter et marmotter avec elle et les commères d’alentour.
Madeleine avait remis son âme à Dieu, et, trouvant inutile de se plaindre, elle souffrait comme si cela lui était dû. Elle avait retiré son cœur de la terre, et rêvait souvent au paradis comme une personne qui serait bien aise de mourir. Pourtant elle soignait sa santé et s’ordonnait le courage, parce qu’elle sentait que son enfant ne serait heureux que par elle, et qu’elle acceptait tout en vue de l’amour qu’elle lui portait.
Elle n’avait pas grande amitié pour la Zabelle, mais elle en avait un peu, parce que cette femme, moitié bonne, moitié intéressée, continuait à soigner de son mieux le pauvre champi; et Madeleine, voyant combien deviennent mauvais ceux qui ne songent qu’à eux-mêmes, était portée à n’estimer que ceux qui pensaient un peu aux autres. Mais comme elle était la seule, dans son endroit, qui n’eût pas du tout souci d’elle-même, elle se trouvait bien esseulée et s’ennuyait beaucoup, sans trop connaître la cause de son ennui.
Peu à peu cependant elle remarqua que le champi, qui avait alors dix ans, commençait à penser comme elle. Quand je dis penser, il faut croire qu’elle le jugea à sa manière d’agir; car le pauvre enfant ne montrait guère plus son raisonnement dans ses paroles que le jour où elle l’avait questionné pour la première fois. Il ne savait dire mot, et quand on voulait le faire causer, il était arrêté tout de suite, parce qu’il ne savait rien de rien. Mais s’il fallait courir pour rendre service, il était toujours prêt; et même quand c’était pour le service de Madeleine, il courait avant qu’elle eût parlé. A son air on eût dit qu’il n’avait pas compris de quoi il s’agissait, mais il faisait la chose commandée si vite et si bien qu’elle-même en était émerveillée.
Un jour qu’il portait le petit Jeannie dans ses bras et qu’il se laissait tirer les cheveux par lui pour le faire rire, Madeleine lui reprit l’enfant avec un brin de mécontentement, disant comme malgré elle: “François, si tu commences déjà à tout souffrir des autres, tu ne sais pas où ils s’arrêteront.” Et à son grand ébahissement, François lui répondit: “J’aime mieux souffrir le mal que de le rendre.”
Madeleine, étonnée, regarda dans les yeux du champi. Il y avait, dans les yeux de cet enfant-là quelque chose qu’elle n’avait jamais trouvé même dans ceux des personnes les plus raisonnables; quelque chose de si bon et de si décidé en même temps, qu’elle en fut comme étourdie dans ses esprits; et s’étant assise sur le gazon avec son petit sur les genoux, elle fit asseoir le champi sur le bord de sa robe, sans oser lui parler. Elle ne pouvait pas s’expliquer à elle-même pourquoi elle avait comme de la crainte et de la honte d’avoir souvent plaisanté cet enfant sur sa simplicité. Elle l’avait toujours fait avec douceur, il est vrai, et peut-être que sa niaiserie le lui avait fait plaindre et aimer d’autant plus. Mais dans ce moment-là, elle s’imagina qu’il avait toujours compris ses moqueries et qu’il en avait souffert, sans pouvoir y répondre.
Et puis elle oublia cette petite aventure, car ce fut peu de temps après que son mari, s’étant coiffé d’une drôlesse des environs, se mit à la détester tout à fait et à lui défendre de laisser la Zabelle et son gars remettre les pieds dans le moulin. Alors Madeleine ne songea plus qu’aux moyens de les secourir encore plus secrètement. Elle en avertit la Zabelle, en lui disant que pendant quelque temps elle aurait l’air de l’oublier.
Mais la Zabelle avait grand-peur du meunier, et elle n’était pas femme, comme Madeleine, à tout souffrir pour l’amour d’autrui. Elle raisonna à part soi, et se dit que le meunier, étant le maître, pouvait bien la mettre à la porte ou augmenter son loyer, ce à quoi Madeleine ne pourrait porter remède. Elle songea aussi qu’en faisant soumission à la mère Blanchet, elle se remettrait bien avec elle, et que sa protection lui serait plus utile que celle de la jeune femme. Elle alla donc trouver la vieille meunière, et s’accusa d’avoir accepté des secours de sa belle-fille, disant que c’était bien malgré elle, et seulement par commisération pour le champi, qu’elle n’avait pas le moyen de nourrir. La vieille haissait le champi, tant seulement parce que Madeleine s’intéressait à lui. Elle conseilla à la Zabelle de s’en débarrasser, lui promettant, à tel prix, d’obtenir six mois de crédit pour son loyer. On était encore, cette fois-là, au lendemain de la Saint-Martin, et la Zabelle n’avait pas d’argent, vu que l’année était mauvaise. On surveillait Madeleine de si près depuis quelque temps, qu’elle ne pouvait lui en donner. La Zabelle prit bravement son parti, et promit que dès le lendemain elle reconduirait le champi à l’hospice.
Elle n’eut pas plus tôt fait cette promesse qu’elle s’en repentit, et qu’à la vue du petit François qui dormait sur son pauvre grabat, elle se sentit le cœur aussi gros que si elle allait commettre un péché mortel. Elle ne dormit guère; mais, dès avant le jour, la mère Blanchet entra dans son logis et lui dit:
“Allons, debout, Zabeau! vous avez promis, il faut tenir. Si vous attendez que ma bru vous ait parlé, je sais que vous n’en ferez rien. Mais dans son intérêt, voyez-vous, tout aussi bien que dans le vôtre il faut faire partir ce gars. Mon fils l’a pris en malintention à cause de sa bêtise et de sa gourmandise; ma bru l’a trop affriandé, et je suis sûre qu’il est déjà voleur. Tous les champis le sont de naissance, et c’est une folie que de compter sur ces canailles-là. En voilà un qui vous fera chasser d’ici, qui vous donnera mauvaise réputation, qui sera cause que mon fils battra sa femme quelque jour, et qui, en fin de compte, quand il sera grand et fort, deviendra bandit sur les chemins, et vous fera honte. Allons, allons, en route! Conduisez-le-moi jusqu’à Corlay par les prés. A huit heures, la diligence passe. Vous y monterez avec lui, et sur le midi au plus tard vous serez à Châteauroux. Vous pouvez revenir ce soir, voilà une pistole pour faire le voyage, et vous aurez encore là-dessus de quoi goûter à la ville.”
La Zabelle réveilla l’enfant, lui mit ses meilleurs habits, fit un paquet du reste de ses hardes, et, le prenant par la main, elle partit avec lui au clair de lune.
Mais à mesure qu’elle marchait et que le jour montait, le cœur lui manquait; elle ne pouvait aller vite, elle ne pouvait parler, et quand elle arriva au bord de la route, elle s’assit sur la berge du fossé, plus morte que vive. La diligence approchait. Il n’était que temps de se trouver là.
Le champi n’avait coutume de se tourmenter, et jusque-là il avait suivi sa mère sans se douter de rien. Mais quand il vit, pour la première fois de sa vie, rouler vers lui une grosse voiture, il eut peur du bruit qu’elle faisait, et se mit à tirer la Zabelle vers le pré d’où ils venaient de déboucher sur la route. La Zabelle crut qu’il comprenait son sort, et lui dit:
“Allons, mon pauvre François, il le faut!”
Ce mot fit encore plus de peur à François. Il crut que la diligence était un gros animal toujours courant qui allait l’avaler et le dévorer. Lui qui était si hardi dans les dangers qu’il connaissait, il perdit la tête et s’enfuit dans le pré en criant. La Zabelle courut après lui; mais le voyant pâle comme un enfant qui va mourir, le courage lui manqua tout à fait. Elle le suivit jusqu’au bout du pré et laissa passer la diligence.
Questions:
1. A cause de quoi Madeleine est-elle devenue malheureuse?
2. La mère de Cadet aimait-elle sa bru?
3. Pourquoi la mère de Cadet détestait François?
4. De quoi la Zabelle avait-elle peur?
5. La belle-mère de Madeleine, qu’est-ce qu’elle a proposé à la Zabelle?
6. Pourquoi la Zabelle et François le Champi ne sont-ils pas partis?
Chapitre III
Ils revinrent par où ils étaient venus, jusqu’à mi-chemin du moulin, et là, de fatigue, ils s’arrêtèrent. La Zabelle était inquiète de voir l’enfant trembler de la tête aux pieds, et son cœur sauter si fort qu’il soulevait sa pauvre chemise. Elle le fit asseoir et tâcha de le consoler. Mais elle ne savait ce qu’elle disait, et François n’était pas en état de le deviner. Elle tira un morceau de pain de son panier, et voulut lui persuader de manger; mais il n’en avait nulle envie, et ils restèrent là longtemps sans se rien dire.
Enfin, la Zabeau, qui revenait toujours à ses raisonnements, eut honte de sa faiblesse et se dit que si elle reparaissait au moulin avec l’enfant, elle était perdue. Une autre diligence passait vers le midi; elle décida de se reposer là jusqu’au moment à propos pour retourner à la route; mais comme François était épeuré jusqu’à en perdre le peu d’esprit qu’il avait, comme, pour la première fois de sa vie, il était capable de faire de la résistance, elle essaya de l’apprivoiser avec les grelots des chevaux, le bruit des roues et la vitesse de la grosse voiture.
Mais, tout en essayant de lui donner confiance, elle en dit plus qu’elle ne voulait; peut-être que le repentir la faisait parler malgré elle: ou bien François avait entendu en s’éveillant, le matin, certaines paroles de la mère Blanchet qui lui revenaient à l’esprit; ou bien encore ses pauvres idées s’éclaircissaient tout d’un coup à l’approche du malheur: tant il y a qu’il se mit à dire, en regardant la Zabelle avec les mêmes yeux qui avaient tant étonné et presque effarouché Madeleine: “Mère, tu veux me renvoyer d’avec toi! tu veux me conduire bien loin d’ici et me laisser.” Puis le mot d’hospice, qu’on avait plus d’une fois lâché devant lui, lui revint à la mémoire. Il ne savait ce que c’était que l’hospice, mais cela lui parut encore plus épouvantant que la diligence, et il s’écria en frissonnant: “Tu veux me mettre dans l’hospice!”
La Zabelle s’était portée trop avant pour reculer. Elle croyait l’enfant plus instruit de son sort qu’il ne l’était, et, sans songer qu’il n’eût guère été malaisé de le tromper et de se débarrasser de lui par surprise, elle se mit à lui expliquer la vérité et à vouloir lui faire comprendre qu’il serait plus heureux à l’hospice qu’avec elle, qu’on y prendrait plus de soin de lui, qu’on lui enseignerait à travailler, qu’on le placerait pour un temps chez quelque femme moins pauvre qu’elle qui lui servirait encore de mère.
Ces consolations achevèrent de désoler le champi. L’inconnaissance du temps à venir lui fit plus de peur que tout ce que la Zabelle essayait de lui montrer pour le dégoûter de vivre avec elle. Il aimait d’ailleurs, il aimait de toutes ses forces cette mère ingrate qui ne tenait pas à lui autant qu’à elle-même. Il aimait quelqu’un encore, et presque autant que la Zabelle, c’était Madeleine; mais il ne savait pas qu’il l’aimait et il n’en parla pas. Seulement il se coucha par terre en sanglotant, en arrachant l’herbe avec ses mains et en s’en couvrant la figure, comme s’il fût tombé du gros mal. Et quand la Zabelle, tourmentée et impatientée de le voir ainsi, voulut le relever de force en le menaçant, il se frappa la tête si fort sur les pierres qu’il se mit tout en sang et qu’elle vit l’heure où il allait se tuer.
Le bon Dieu voulut que dans ce moment-là Madeleine Blanchet vînt à passer. Elle ne savait rien du départ de la Zabelle et de l’enfant. Elle avait été chez la bourgeoise de Presles pour lui remettre de la laine qu’on lui avait donné à filer très menu, parce qu’elle était la meilleure filandière du pays. Elle en avait touché l’argent, et elle s’en revenait au moulin avec dix écus dans sa poche. Elle allait traverser la rivière sur un de ces petits ponts de planches à fleur d’eau comme il y en a dans les prés de ce côté-là, lorsqu'elle entendit des cris à fendre l’âme et reconnut tout d’un coup la voix du pauvre champi. Elle courut du côté, et vit l’enfant tout sanguifié qui se débattait dans les bras de la Zabelle. Elle ne comprit pas d’abord; car, à voir cela, on eût dit que la Zabelle l’avait frappé mauvaisement et voulait se défaire de lui. Elle le crut d’autant que François, en l’apercevant, se prit à courir vers elle, se roula autour de ses jambes comme un petit serpent, et s’attacha à ses cotillons en criant:
“Madame Blanchet, madame Blanchet, sauvez-moi!”
La Zabelle était grande et forte, et Madeleine était petite et mince comme un brin de jonc. Elle n’eut cependant pas peur, et, dans l’idée que cette femme, devenue folle, voulait assassiner l’enfant, elle se mit au-devant de lui, bien déterminée à le défendre ou à se laisser tuer pendant qu’il se sauverait.
Mais il ne fallut pas beaucoup de paroles pour s’expliquer. La Zabelle, qui avait plus de chagrin que de colère, raconta les choses comme elles étaient. Cela fit que François comprit enfin tout le malheur de son état, et, cette fois, il fit son profit de ce qu’il entendait avec plus de raison qu’on ne lui en eût jamais supposé. Quand la Zabelle eut tout dit, il commença à s’attacher aux jambes et aux jupons de la meunière, en disant:
“Ne me renvoyez pas, ne me laissez pas renvoyer!” Et il allait de la Zabeau qui pleurait, à la meunière qui pleurait encore plus fort, disant toutes sortes de mots et de prières qui n’avaient pas l’air de sortir de sa bouche, car c’était la première fois qu’il trouvait moyen de dire ce qu’il voulait: “O ma mère, ma mère mignonne! disait-il à la Zabelle, pourquoi veux-tu me quitter? Tu veux donc que je meure du chagrin de ne plus te voir? Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu ne m’aimes plus? Est-ce que je ne t’ai pas toujours obéi dans tout ce que tu m’as commandé? Est-ce que j’ai fait du mal? J’ai toujours eu bien soin de nos bêtes, tu le disais toi-même, tu m’embrassais tous les soirs, tu me disais que j’étais ton enfant, tu ne m’as jamais dit que tu n’étais pas ma mère! Ma mère, garde-moi, garde-moi, je t’en prie comme on prie le bon Dieu! j’aurai toujours soin de toi; je travaillerai toujours pour toi; si tu n’es pas contente de moi, tu me battras et je ne dirai rien; mais attends pour me renvoyer que j’aie fait quelque chose de mal.”
Et il allait à Madeleine en lui disant: “Madame la meunière, ayez pitié de moi. Dites à ma mère de me garder. Je n’irai plus jamais chez vous, puisqu’on ne le veut pas, et quand vous voudrez me donner quelque chose, je saurai que je ne dois pas le prendre. J’irai parler à M. Cadet Blanchet, je lui dirai de me battre et de ne pas vous gronder pour moi. Et quand vous irez aux champs, j’irai toujours avec vous, je porterai votre petit, je l’amuserai encore toute la journée.
Je ferai tout ce que vous me direz, et si je fais quelque chose de mal, vous ne m’aimerez plus. Mais ne me laissez pas renvoyer, je ne veux pas m’en aller, j’aime mieux me jeter dans la rivière.”
Et le pauvre François regardait la rivière en s’approchant si près qu’on voyait bien que sa vie ne tenait qu’à un fil, et qu’il n’eût fallu qu’un mot de refus pour le faire noyer. Madeleine parlait pour l’enfant, et la Zabelle mourait d’envie de l’écouter; mais elle se voyait près du moulin, et ce n’était plus comme lorsqu’elle était auprès de la route.
“Va, méchant enfant, disait-elle, je te garderai; mais tu seras cause que demain je serai sur les chemins demandant mon pain. Toi, tu es trop bête pour comprendre que c’est par ta faute que j’en serai réduite là, et voilà à quoi m’aura servi de me mettre sur le corps l’embarras d’un enfant qui ne m’est rien, et qui ne me rapporte pas le pain qu’il mange.
– En voilà assez, Zabelle, dit la meunière en prenant le champi dans ses bras et en l’enlevant de terre pour l’emporter, quoiqu’il fût déjà bien lourd. Tenez, voilà dix écus pour payer votre ferme ou pour emménager ailleurs, si on s’obstine à vous chasser de chez nous. C’est de l’argent à moi, de l’argent que j’ai gagné; je sais bien qu’on me le redemandera, mais ça m’est égal. On me tuera si l’on veut, j’achète cet enfant-là, il est à moi, il n’est plus à vous. Vous ne méritez pas de garder un enfant d’un aussi grand cœur, et qui vous aimait tant. C’est moi qui serai sa mère, et il faudra bien qu’on le souffre. On peut tout souffrir pour ses enfants. Je me ferais couper par morceaux pour mon Jeannie; eh bien! j’en endurerai autant pour celui-là. Viens, mon pauvre François. Tu n’es plus champi, entends-tu? Tu as une mère, et tu peux l’aimer à ton aise; elle te le rendra de tout son cœur.”
Madeleine disait ces paroles-là sans trop savoir ce qu’elle disait. Elle qui était la tranquillité même, elle avait en ce moment la tête tout en feu. Son cœur s’était regimbé, et elle était vraiment en colère contre la Zabelle. François avait jeté ses deux bras autour du cou de la meunière, et il serrait si fort qu´elle en perdit la respiration, en même temps qu’il remplissait de sang sa coiffe et son mouchoir, car il s’était fait plusieurs trous à la tête.
Tout cela fit un tel effet sur Madeleine, elle eut à la fois tant de pitié, tant d’effroi, tant de chagrin et tant de résolution, qu’elle se mit à marcher vers le moulin avec autant de courage qu’un soldat qui va au feu. Et, sans songer que l’enfant était lourd et qu’elle était si faible qu’à peine pouvait-elle porter son petit Jeannie, elle traversa le petit pont qui n’était guère bien assis et qui enfonçait sous ses pieds.
Quand elle fut au milieu elle s’arrêta. L’enfant devenait si pesant qu’elle fléchissait et que la sueur lui coulait du front. Elle se sentit comme si elle allait tomber en faiblesse, et tout d’un coup il lui revint à l’esprit une belle et merveilleuse histoire qu’elle avait lue, la veille, dans son vieux livre de la Vie des Saints: c’était l’histoire de saint Christophe portant l’enfant Jésus pour lui faire traverser la rivière, et le trouvant si lourd, que la crainte l’arrêtait. Elle se retourna pour regarder le champi. Il avait les yeux tout retournés. Il ne la serrait plus avec ses bras; il avait eu trop de chagrin, ou il avait perdu trop de sang. Le pauvre enfant s’était pâmé.
Questions:
1. Comment la Zabelle essayait-elle de convaincre François le Champi de partir ou rester à l’hospice?
2. Pourquoi ne pouvait-elle plus le garder?
3. Où la Zabelle et François ont-ils rencontré Madeleine?
4. Comment était la réaction de ce petit garçon quand il a vu Madeleine?
5. Comment François voulait-il prouver son amour envers la Zabelle?
6. Que s’est-il passé avec Madeleine?
Chapitre IV
Quand la Zabelle le vit ainsi, elle le crut mort. Son amitié lui revint dans le cœur, et ne songeant plus ni au meunier, ni à la méchante vieille, elle reprit l’enfant à Madeleine et se mit à l’embrasser en criant et en pleurant. Elles le couchèrent sur leurs genoux, au bord de l’eau, lavèrent ses blessures et en arrêtèrent le sang avec leurs mouchoirs; mais elles n’avaient rien pour le faire revenir. Madeleine, réchauffant sa tête contre son cœur, lui soufflait sur le visage et dans la bouche comme on fait aux noyés. Cela le réconforta, et dès qu’il ouvrit les yeux et qu’il vit le soin qu’on prenait de lui, il embrassa Madeleine et la Zabelle l’une après l’autre avec tant de cœur, qu’elles furent obligées de l’arrêter, craignant qu’il ne retombat en pâmoison.
“Allons, allons, dit la Zabelle, il faut retourner chez nous. Non, jamais, jamais je ne pourrai quitter cet enfant-là, je le vois bien, et je n’y veux plus songer. Je garde vos dix écus, Madeleine, pour payer ce soir si on m’y force. Mais n’en dites rien; j’irai trouver demain la bourgeoise de Presles pour qu’elle ne nous démente pas, et elle dira, au besoin, qu’elle ne vous a pas encore payé le prix de votre filage; ça nous fera gagner du temps, et je ferai si bien, quand je devrais mendier, que je m’acquitterai envers vous pour que vous ne soyez pas molestée à cause de moi. Vous ne pouvez pas prendre cet enfant au moulin, votre mari le tuerait. Laissez-le-moi, je jure d’en avoir autant de soin qu’à l’ordinaire, et si on nous tourmente encore nous aviserons.”
Le sort voulut que la rentrée du champi se fît sans bruit et sans que personne y prît garde; car il se trouva que la mère Blanchet venait de tomber bien malade d’un coup de sang, avant d’avoir pu avertir son fils de ce qu’elle avait exigé de la Zabelle à l’endroit du champi; et maître Blanchet n’eut rien de plus pressé que d’appeler cette femme pour venir aider au ménage, pendant que Madeleine et la servante soignaient sa mère. Pendant trois jours on fut sens dessus dessous au moulin. Madeleine ne s’épargna pas, et passa trois nuits debout au chevet de sa belle-mère, qui rendit l’esprit entre ses bras.
Ce coup du sort abattit pendant quelque temps l’humeur malplaisante du meunier. Il aimait sa mère autant qu’il pouvait aimer, et il mit de l’amour-propre à la faire enterrer selon ses moyens. Il oublia sa maîtresse pendant le temps voulu, et il s’avisa même de faire le généreux, en donnant les vieilles nippes de la défunte aux pauvres voisines. La Zabelle eut sa part dans ces aumônes, et le champi lui-même eut une pièce de vingt sous, parce que Blanchet se souvint que, dans un moment où l’on était fort pressé d’avoir des sangsues pour la malade, tout le monde ayant couru inutilement pour s’en procurer, le champi avait été en pêcher, sans rien dire, dans une mare où il en savait, et en avait rapporté, en moins de temps qu’il n’en avait fallu aux autres pour se mettre en route.
Si bien que Cadet Blanchet avait à peu près oublié sa rancoeur, et que personne ne sut au moulin l’équipée de la Zabelle pour remettre son champi à l’hospice. L’affaire des dix écus de la Madeleine revint plus tard, car le meunier n’avait pas oublié de faire payer la ferme de sa chétive maison à la Zabelle. Mais Madeleine prétendit les avoir perdus dans les prés en se mettant à courir, à la nouvelle de l’accident de sa belle-mère. Blanchet les chercha longtemps et gronda fort, mais il ne sut pas l’emploi de cet argent, et la Zabelle ne fut pas soupçonnée.
A partir de la mort de sa mère, le caractère de Blanchet changea peu à peu, sans pourtant s’amender. Il s’ennuya davantage à la maison, devint moins regardant à ce qui s’y passait et moins avare dans ses dépenses. Il n’en fut que plus étranger aux profits d’argent, et comme il engraissait qu’il devenait dérangé et n’aimait plus le travail, il chercha son aubaine dans des marchés de peu de foi et dans un petit maquignonnage d’affaires qui l’aurait enrichi s’il ne se fût mis à dépenser d’un côté ce qu’il gagnait de l’autre. Sa concubine prit chaque jour plus de maîtrise sur lui. Elle l’emmenait dans les foires et assemblées pour tripoter dans des trigauderies et mener la vie de cabaret. Il apprit à jouer et fut souvent heureux; mais il eût mieux valu pour lui perdre toujours, afin de s’en dégoûter; car ce dérèglement acheva de le faire sortir de son assiette, et, à la moindre perte qu’il essuyait, il devenait furieux contre lui-même et méchant envers tout le monde.
Pendant qu’il menait cette vilaine vie, sa femme, toujours sage et douce gardait la maison et élevait avec amour leur unique enfant. Mais elle se regardait comme doublement mère, car elle avait pris pour le champi une amitié très grande et veillait sur lui presque autant que sur son propre fils. A mesure que son mari devenait plus débauché, elle devenait moins servante et moins malheureuse. Dans les premiers temps de son libertinage il se montra encore très rude, parce qu’il craignait les reproches et voulait tenir sa femme en état de peur et de soumission. Quand il vit que par nature elle haïssait les querelles et qu’elle ne montrait pas de jalousie, il prit le parti de la laisser tranquille. Sa mère n’étant plus là pour l’exciter contre elle, force lui était bien de reconnaître qu’aucune femme n’était plus économe pour elle-même que Madelaine. Il s’accoutuma à passer des semaines entières hors de chez lui, et quand il y revenait un jour, en humeur de faire du train, il y était désencoléré par un silence si patient qu’il s’en étonnait d’abord et finissait par s’endormir. Si bien qu’on ne le revoyait plus que lorsqu’il était fatigué et avait besoin de se reposer.
Il fallait que Madeleine fût une femme bien chrétienne pour vivre ainsi seule avec une vieille fille et deux enfants. Mais c’est qu’en fait elle était meilleure chrétienne peut-être qu’une religieuse; Dieu lui avait fait une grande grâce en lui ayant permis d’apprendre à lire et de comprendre ce qu’elle lisait. C’était pourtant toujours la même chose, car elle n’avait possession que de deux livres, le saint Evangile et un accourci de la Vie des Saints. L’Evangile la sanctifiait et la faisait pleurer toute seule lorsqu’elle le lisait le soir auprès du lit de son fils. La Vie des Saints lui faisait un autre effet: c’était, sans comparaison, comme quand les gens qui n’ont rien à faire lisent des contes et se montent la tête pour des rêvasseries et des mensonges. Toutes ces belles histoires lui donnaient des idées de courage et même de gaieté. Et quelquefois, aux champs, le champi la vit sourire et devenir rouge, quand elle avait son livre sur les genoux. Cela l’étonnait beaucoup, et il eut bien du mal à comprendre comment les histoires qu’elle prenait la peine de lui raconter en les arrangeant un peu pour les lui faire entendre (et aussi parce qu’elle ne les entendait peut-être pas toutes très bien d’un bout jusqu’à l’autre), pouvaient sortir de cette chose qu’elle appelait son livre. L’envie lui vint d’apprendre à lire aussi, et il apprit si vite et si bien avec elle, qu’elle en fut étonnée, et qu’à son tour il fut capable d’enseigner au petit Jeannie. Quand François fut en âge de faire sa première communion, Madeleine l’aida à s’instruire dans le catéchisme, et le curé de leur paroisse fut tout réjoui de l’esprit et de la bonne mémoire de cet enfant, qui pourtant passait toujours pour un nigaud, parce qu’il n’avait point de conversation et n’était hardi avec personne.
Quand il eut communié, comme il était en âge d’être loué, la Zabelle le vit de bon cœur entrer domestique au moulin, et maître Blanchet ne s’y opposa point, car il était devenu clair pour tout le monde que le champi était bon sujet, très laborieux, très serviable, plus fort, plus dispos et plus raisonnable que tous les enfants de son âge. Et puis, il se contentait de dix écus de gages, et il y avait toute économie à le prendre. Quand François se vit tout à fait au service de Madeleine et du cher petit Jeannie qu’il aimait tant, il se trouva bien heureux, et quand il comprit qu’avec l’argent qu’il gagnait la Zabelle pourrait payer sa ferme et avoir de moins le plus gros de ses soucis, il se trouva aussi riche que le roi.
Malheureusement la pauvre Zabelle ne jouit pas longtemps de cette récompense. A l’entrée de l’hiver, elle fit une grosse maladie, et, malgré tous les soins du champi et de Madeleine, elle mourut le jour de la Chandeleur, après avoir été mieux qu’on la croyait guérie. Madeleine la regretta et la pleura beaucoup, mais elle tâcha de consoler le pauvre champi, qui, sans elle, n’aurait jamais surmonté son chagrin.
Un an après, il y pensait encore tous les jours et quasi à chaque instant, et une fois il dit à la meunière:
“J’ai comme un repentir quand je prie pour l’âme de ma pauvre mère: c’est de ne l’avoir pas assez aimée. Je suis bien sûr d’avoir toujours fait mon possible pour la contenter, de ne lui avoir jamais dit que de bonnes paroles, et de l’avoir servie en toutes choses comme je vous sers vous-même; mais il faut, madame Blanchet, que je vous avoue une chose qui me peine et dont je demande pardon à Dieu bien souvent: c’est que depuis le jour où ma pauvre mère a voulu me reconduire à l’hospice, et où vous avez pris mon parti pour l’en empêcher, l’amitié que j’avais pour elle avait, bien malgré moi, diminué dans mon cœur. Je ne lui en voulais pas, je ne me permettais pas même de penser qu’elle avait mal fait en voulant m’abandonner. Elle était dans son droit; je lui faisais du tort, elle avait crainte de votre belle-mère, et enfin elle le faisait bien à contrecoeur; car j’ai bien vu qu’elle m’aimait grandement. Mais je ne sais comment la chose s’est retournée dans mon esprit, ça été plus fort que moi. Du moment où vous avez dit des paroles que je n’oublierai jamais, je vous ai aimée plus qu’elle, et, j’ai eu beau faire, je pensais à vous plus souvent qu’à elle. Enfin, elle est morte, et je ne suis pas mort de chagrin comme je mourrais si vous mouriez.
– Et quelles paroles est-ce que j’ai dites, mon pauvre enfant, pour que tu m’aies donné comme cela toute ton amitié? Je ne m’en souviens pas.
– Vous ne vous en souvenez pas? dit le champi en s’asseyant aux pieds de la Madeleine qui filait son rouet en l’écoutant. Eh bien! vous avez dit en donnant des écus à ma mère: “Tenez, je vous achète cet enfant-là; il est à moi.” Et vous m’avez dit en m’embrassant: “A présent, tu n’es plus champi, tu as une mère qui t’aimera comme si elle t’avait mis au monde." – N'avez-vous pas dit comme cela, madame Blanchet?
– C’est possible, et j’ai dit ce que je pensais, ce que je pense encore. Est-ce que tu trouves que je t’ai manqué de parole?
– Oh non! seulement…
– Seulement, quoi?
– Non, je ne le dirai pas, car c’est mal de se plaindre, et je ne veux pas faire l’ingrat et le méconnaissant.
– Je sais que tu ne peux pas être ingrat, et je veux que tu dises ce que tu as sur le cœur. Voyons, qu’as-tu qui te manque pour n’être pas mon enfant? Dis, je te commande comme je commanderais à Jeannie.
– Eh bien, c’est que… c’est que vous embrassez Jeannie bien souvent, et que vous ne m’avez jamais embrassé depuis le jour que nous disions tout à l’heure. J’ai pourtant grand soin d’avoir toujours la figure et les mains bien lavées, parce que je sais que vous n’aimez pas les enfants malpropres et que vous êtes toujours après laver et peigner Jeannie. Mais vous ne m’embrassez pas davantage pour ça, et ma mère Zabelle ne m’embrassait guère non plus. Je vois bien pourtant que toutes les mères caressent leurs enfants, et c’est à quoi je vois que je suis toujours un champi et que vous ne pouvez pas l’oublier.
– Viens m’embrasser, François, dit la meunière en asseyant l’enfant sur ses genoux et en l’embrassant au front avec beaucoup de sentiment. J’ai eu tort, en effet, de ne jamais songer à cela, et tu méritais mieux de moi. Tiens, tu vois, je t’embrasse de grand cœur, et tu es bien sûr à présent que tu n’es plus champi, n’est-ce pas?”
L’enfant se jeta au cou de Madeleine, et devint si pâle qu’elle en fut étonnée et l’ôta doucement de dessus ses genoux en essayant de le distraire. Mais il la quitta au bout d’un moment, et s’enfuit tout seul comme pour se cacher, ce qui donna de l’inquiétude à la meunière. Elle le chercha et le trouva à genoux dans un coin de la grange et tout en larmes.
“Allons, allons, François, lui dit-elle, en le relevant, je ne sais pas ce que tu as. Si c’est que tu penses à ta pauvre mère Zabelle, il faut faire une prière pour elle et tu te sentiras plus tranquille.
– Non, non, dit l’enfant en tortillant le bord du tablier de Madeleine et en le baisant de toutes ses forces, je ne pensais pas à ma pauvre mère. Est-ce que ce n’est pas vous qui êtes ma mère?
– Et pourquoi pleures-tu donc? Tu me fais de la peine.
– Oh non! oh non! je ne pleure pas, répondit François en essuyant vitement ses yeux et en prenant un air gai; c’est-à-dire je ne sais pas pourquoi je pleurais. Vrai, je n’en sais rien, car je suis content comme si j’étais en paradis.”
Questions:
1. Qui est tombé malade dans la maison du meunier?
2. Comment sont les changements dans la maison du meunier après la mort de sa mère?
3. Quand et comment la Zabelle est morte?
4. François continuait-il à se souvenir de sa mère Isabelle?
5. Pourquoi François a-t-il conclu que personne ne l’aimait?
6. Comment Madeleine a-t-elle pu influencer l’opinion «de François»?
7. Pourquoi le Champi a-t-il dû s’adresser à Dieu?
Chapitre V
Depuis ce jour-là Madeleine embrassa cet enfant matin et soir, ni plus ni moins que s’il eût été à elle, et la seule différence qu’elle fît entre Jeannie et François, c’est que le plus jeune était le plus gâté et le plus cajolé, comme son âge le comportait. Il n’avait que sept ans lorsque le champi en avait douze, et François comprenait fort bien qu’un grand garçon comme lui ne pouvait être amijolé comme un petit. D’ailleurs ils étaient encore plus différents d’apparence que d’âge. François était si grand et si fort, qu’il paraissait un garçon de quinze ans, et Jeannie était mince et petit comme sa mère, dont il avait toute la retirance.
En sorte qu’il arriva qu’un matin qu’elle recevait son bonjour sur le pas de sa porte, et qu’elle l’embrassait comme de coutume, sa servante lui dit:
“M’est avis, sans vous offenser, notre maîtresse, que ce gars est bien grand pour se faire embrasser comme une petite fille.
— Tu crois? répondit Madeleine étonnée. Mais tu ne sais donc pas l’âge qu’il a?
– Si fait; aussi je n’y verrais pas de mal, n’était qu’il est champi, et que moi, qui ne suis que votre servante, je n’embrasserais pas ça pour bien de l’argent.
– Ce que vous dites là est mal, Catherine, reprit madame Blanchet, et surtout vous ne devriez pas le dire devant ce pauvre enfant.
– Qu’elle le dise et que tout le monde le dise et que tout le monde le dise, répliqua François avec beaucoup de hardiesse. Je ne m’en fais pas de peine. Pourvu que je ne sois pas champi pour vous, madame Blanchet, je suis très content.
– Tiens, voyez donc! dit la servante. C’est la première fois que je l’entends causer si longtemps. Tu sais donc mettre trois paroles au bout l’une de l’autre, François? Eh bien! vrai, je croyais que tu ne comprenais pas seulement ce qu’on disait. Si j’avais su que tu écoutais, je n’aurais pas dit devant toi ce que j’ai dit, car je n’ai nulle envie de te molester. Tu es un bon garcon, très tranquille et complaisant. Allons, allons, n’y pense pas; si je trouve drôle que notre maîtresse t’embrasse, c’est parce que tu me parais trop grand pour ça, et que ta câlinerie te fait paraître encore plus sot que tu n’es.”
Ayant ainsi raccommodé la chose, la grosse Catherine alla faire sa soupe et n’y pensa plus.
Mais le champi suivit Madeleine au lavoir, et s’asseyant auprès d’elle, il lui parla encore comme il savait parler avec elle et pour elle seule.
“Vous souvenez-vous, madame Blanchet, lui dit-il, d’une fois que j’étais là, il y a bien longtemps, et que vous m’avez fait dormir dans votre chéret?
– Oui, mon enfant, répondit-elle, et c’est même la première fois que nous nous sommes vus.
– C’est donc la première fois? Je n’en étais pas certain, je ne m’en souviens pas bien; car quand je pense à ce temps-là, c’est comme dans un rêve. Et combien d’années est-ce qu’il y a de ça?
– Il y a… attends donc, il y a environ six ans, car mon Jeannie avait quatorze mois.
– Comme cela je n’étais pas si vieux qu’il est à présent? Croyez-vous que quand il aura fait sa première communion, il se souviendra de tout ce qui lui arrive à présent?
– Oh! oui, je m’en souviendrai bien, dit Jeannie.
– Ça dépend, reprit François. Qu’est-ce que tu faisais hier à cette heure-ci?”
Jeannie, étonné, ouvrit la bouche pour répondre, et resta court d’un air penaud.
“Eh bien! et toi? je parie que tu n’en sais rien non plus, dit à François la meunière qui avait coutume de s’amuser à les entendre deviser et babiller ensemble.
– Moi, moi? dit le champi embarrassé, attendez donc… J’allais aux champs, et l’ai passé par ici… et j’ai pensé à vous: c’est hier, justement, que je me suis souvenu du jour òu vous m’avez plié dans votre chéret.
– Tu as bonne mémoire, et c’est étonnant que tu te souviennes de si loin. Et te souviens-tu que tu avais la fièvre?
– Non, par exemple!
– Et que tu m’as rapporté mon linge à la maison sans que je te le dise?
– Non plus.
– Moi, je m’en suis toujours souvenue, parce que c’est à cela que j’ai connu que tu étais de bon cœur.
– Moi aussi, je suis d’un bon cœur, pas vrai, mère? dit le petit Jeannie en prèsentant à sa mère une pomme qu’il avait à moitié rongée.
– Certainement, toi aussi, et tout ce que tu vois faire de bien à François, tu le feras aussi plus tard.
– Oui, oui, répliqua l’enfant bien vite; je monterai ce soir sur la pouliche jaune; et j’irai la conduire au pré.
– Oui-da, dit François en riant; et puis tu monteras aussi sur le grand cormier pour dénicher les croquabeilles? Attends, que je vas te laisser faire, petiot! Mais dites-moi donc, madame Blanchet, il y a une chose que je veux vous demander, mais je ne sais pas si vous voudrez me la dire.
– Voyons.
– C’est pourquoi ils croient me fâcher en m’appelant champi. Est-ce que c’est mal d’être champi?
– Mais non, mon enfant, puisque ce n’est pas ta faute.
– Et à qui est-ce la faute?
– C’est la faute aux riches.
– La faute aux riches! comment donc ça?
– Tu m’en demandes bien long aujourd’hui; je te dirai ça plus tard.
– Non, non, tout de suite, madame Blanchet.
– Je ne peux pas t’expliquer… D’abord sais-tu toi-même ce que c’est que d’être champi?
– Oui, c’est d’avoir été mis à l’hospice par ses père et mère, parce qu’ils n’avaient pas le moyen pour vous nourrir et vous élever.
– C’est ça. Tu vois donc bien que s’il y a des gens assez malheureux pour ne pouvoir pas élever leurs enfants eux-mêmes, c’est la faute aux riches qui ne les assistent pas.
– Ah! c’est juste! répondit le champi tout pensif. Pourtant il y a de bons riches, puisque vous l’êtes, vous, madame Blanchet; c’est le tout de se trouver au droit pour les rencontrer.”
Questions:
1. Quel âge a Jeannie?
2. Pourquoi il était plus cajolé et gâté que François?
3. Qui est Catherine?
4. De quoi Catherine a-t-elle été surprise?
5. Pourquoi critiquait-elle Madeleine?
6. Pourquoi «c’est mal d’être Champi»?
7. Que signifie la «Faute aux riches»?
Chapitre VI
Cependant le champi, qui allait toujours rêvassant et cherchant des raisons à tout, depuis qu’il savait lire et qu’il avait fait sa première communion, rumina dans sa tête ce que la Catherine avait dit à madame Blanchet à propos de lui; mais il eut beau y songer, il ne put jamais comprendre pourquoi, de ce qu’il devenait grand, il ne devait plus embrasser Madeleine. C’était le garçon le plus innocent de la terre, et il ne se doutait point de ce que les gars de son âge apprennent bien trop vite à la campagne.
Sa grande honnêteté d’esprit lui venait de ce qu’il n’avait pas été élevé comme les autres. Son état de champi, sans lui faire honte, l’avait toujours rendu malhardi; et, bien qu’il ne prît point ce nom-là pour une injure, il ne s’accoutumait pas à l’étonnement de porter une qualité qui le faisait toujours différent de ceux avec qui il se trouvait. Les autres champis sont presque toujours humiliés de leur sort, et on le leur fait si durement comprendre qu’on leur ôte de bonne heure la fierté du chrétien. Ils s’élèvent en détestant ceux qui les ont mis au monde, sans compter qu’ils n’aiment pas davantage ceux qui les y ont fait rester. Mais il se trouva que François était tombé dans les mains de la Zabelle qui l’avait aimé et qui ne le maltraitait point, et ensuite qu’il avait rencontré Madeleine dont la charité était plus grande et les idées plus humaines que celles de tout le monde. Elle avait été pour lui ni plus ni moins qu’une bonne mère, et un champi qui rencontre de l’amitié est meilleur qu’un autre enfant, de même qu’il est pire quand il se voit molesté et avili.
Aussi François n’avait-il jamais eu d’amusement et de contentement parfait que dans la compagnie de Madeleine, et au lieu de rechercher les autres pastours pour se divertir, il s’était élevé tout seul, ou pendu aux jupons des deux femmes qui l’aimaient. Quand il était avec Madeleine surtout, il se sentait aussi heureux que pouvait l’être Jeannie, et il n’était pas pressé d’aller courir avec ceux qui le traitaient bien vite de champi, puisque avec eux il se trouvait tout d’un coup, et sans savoir pourquoi, comme un étranger.
Il arriva donc en âge de quinze ans sans connaître la moindre malice, sans avoir l’idée du mal, sans que sa bouche eût jamais répété un vilain mot, et sans que ses oreilles l’eussent compris. Et pourtant depuis le jour où Catherine avait critiqué sa maîtresse sur l’amitié qu’elle lui montrait, cet enfant eut le grand sens et le grand jugement de ne plus se faire embrasser par la meunière. Il eut l’air de ne pas y penser, et peut-être d’avoir honte de faire la petite fille et le câlin, comme disait Catherine. Mais, au fond, ce n’était pas cette honte-là qui le tenait. Il s’en serait bien moqué, s’il n’eût comme deviné qu’on pouvait faire un reproche à cette chère femme de l’aimer. Pourquoi un reproche? Il ne se l’expliquait point; et voyant qu’il ne le trouverait pas de lui-même, il ne voulut pas se le faire expliquer par Madeleine. Il savait qu’elle était capable de supporter la critique par amitié et par bon cœur; car il avait bonne mémoire, et il se souvenait bien que Madeleine avait été tancée et en danger d’être battue dans le temps, pour lui avoir fait du bien.
En sorte que, par son bon instinct, il lui épargna l’ennui d’être reprise et moquée à cause de lui. Il comprit, et c’est merveille! il comprit, ce pauvre enfant, qu’un champi ne devait pas être aimé autrement qu’en secret, et plutôt que de causer un désagrément à Madeleine, il eût consenti à ne pas être aimé du tout.
Il était attentif à son ouvrage, et comme, à mesure qu’il devenait grand, il avait plus de travail sur les bras, il advint que peu à peu il fut moins souvent avec Madeleine. Mais il ne s’en faisait pas de chagrin, parce qu’en travaillant il se disait que c’était pour elle, et qu’il serait bien récompensé par le plaisir de la voir aux repas. Le soir, quand Jeannie était endormi, Catherine allait se coucher, et François restait encore, dans les temps de veillée, pendant une heure ou deux avec Madeleine. Il lui faisait lecture de livres ou causait avec elle pendant qu’elle travaillait. Les gens de campagne ne lisent pas vite; si bien que les deux livres qu’ils avaient suffisaient pour les contenter. Quand ils avaient lu trois pages dans la soirée, c’était beaucoup, et quand le livre était fini, il s’était passé assez de temps depuis le commencement, pour qu’on pût reprendre la première page, dont on ne se souvenait pas trop. Et puis il y a deux manières de lire, et il serait bon de dire cela aux gens qui se croient bien instruits. Ceux qui ont beaucoup de temps à eux, et beaucoup de livres, en avalent tant qu’ils peuvent et se mettent tant de sortes de choses dans la tête, que le bon Dieu n’y connaît plus goutte. Ceux qui n’ont pas le temps et les livres, sont heureux quand ils tombent sur le bon morceau. Ils le recommencent cent fois sans se lasser, et chaque fois, quelque chose qu’ils n’avaient pas bien remarqué leur fait venir une nouvelle idée. Au fond, c’est toujours la même idée, mais elle est si retournée, si bien goûtée et digérée, que l’esprit qui la tient est mieux nourri et mieux portant, à lui tout seul, que trente mille cervelles remplies de vent et de fadaises. Ce que je vous dis là, mes enfants, je le tiens de M. le curé, qui s’y connaît.
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