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Caravane
Stephen Goldin
Nous sommes dans les années 1980, dans une Amérique alternative. La société américaine s'est effondrée suite à des pénuries de nourriture et de carburant, des troubles raciaux et une multitude d'autres problèmes. Un groupe de personnes a l'intention de fuir vers une autre planète et d'y créer un nouveau monde...si elles parviennent à rejoindre le vaisseau avant qu'il ne parte.
Nous sommes dans les années 1980, dans une Amérique alternative. La société américaine s'est effondrée suite à des pénuries de nourriture et de carburant, des troubles raciaux et une multitude d'autres problèmes. Un groupe de visionnaires a l'intention de fuir vers une autre planète et d'y créer un tout nouveau monde... Mais avant,  elles vont devoir traverser le pays en volant du carburant et en affrontant des bandits sur la route - en espérant rejoindre le vaisseau avant qu'il ne parte à jamais.



CARAVANE
Un roman de
Stephen Goldin

Publié par Parsina Press (http://www.parsina.com/)

Traduction publiée par Tektime (http://www.traduzionelibri.it/default.asp)
Caravane Copyright 1975 Stephen Goldin. Tous droits réservés
Titre original: Caravan
Traduit par: Caroline Robert

TABLE DES MATIERES
Chapitre 1 (#uc112ce87-d39d-5953-8f23-fbaf43800d23)
Chapitre 2 (#ua16ca646-19ac-5243-817d-52b7ad688fc5)
Chapitre 3 (#u937b8470-17fd-5998-afde-e232ec5d7b85)
Chapitre 4 (#litres_trial_promo)
Chapitre 5 (#litres_trial_promo)
Chapitre 6 (#litres_trial_promo)
Chapitre 7 (#litres_trial_promo)
Chapitre 8 (#litres_trial_promo)
Chapitre 9 (#litres_trial_promo)
Chapitre 10 (#litres_trial_promo)
Chapitre 11 (#litres_trial_promo)
Chapitre 12 (#litres_trial_promo)
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CHAPITRE 1
WASHINGTON – Des réunions internationales concernant l'économie ont débuté lundi. Les prix plus élevés du pétrole et la menace d'une dépression mondiale ont provoqué morosité et désespoir.
H. Johannes Witteveen, directeur du Fonds Monétaire International, a prédit une récession et une inflation continues dans le monde, couplées de tensions financières sans précédent.
Le président de la Banque Mondiale, Robert S. McNamara, a prédit une importante famine dans les pays les plus pauvres du monde. Un milliard de personnes seraient concernées, à moins que les nations industrielles et exportatrices de pétrole leur offrent leur aide – ce que à quoi peu de pays semblent enclins.

Los Angeles Times
Mardi, 1er octobre 1974

* * *

Nous sommes au bord du précipice, mettant la gravité au défi de nous entraîner dans ce gouffre. Nous avons grimpé si haut que nous avons perdu de vue l'insupportable fond. Ce n'est pas aussi banal qu'une récession; même une dépression comme celle des années 1930 ferait pâle figure à côté. Au fond de l'abîme se trouve tout simplement la destruction totale de notre civilisation actuelle. La plupart d'entre nous ont le vertige et ont tout simplement détourné le regard...
Si vous grimpez en-haut d'une colline et que vous glissez, vous ne vous ferez probablement pas très mal. Une chute plus importante peut toutefois être fatale. Nous avons gravi la colline du Progrès au point où une chute nous réduirait en mille morceaux, comme un verre jeté du haut du Mont Everest...

Peter Stone
La Chute du Monde

* * *

Le panneau au-dessus du bureau indiquait « Poste de Contrôle de Granada Hills », mais cela ne cachait pas le fait que ce bâtiment était en fait un supermarché abandonné, aux abords d'un centre commercial désert. Les allées d'étagères vides témoignaient des temps obscurs auxquels la communauté avait été confrontée. En fait, ce bâtiment vide paraissait symboliser la Chute tout entière de la civilisation aux yeux de Peter. Le garde derrière le bureau le regarda avec suspicion. Peter n'y connaissait pas grand chose en armes, mais celle que portait le garde à l'épaule paraissait assez grande pour arrêter un troupeau d'éléphants enragés.
Peter toussa nerveusement et s'éclaircit la gorge. « Je...Je voudrais rejoindre votre communauté, si possible », dit-il. « J'ai trente-deux ans et je suis bon travailleur. Je sais faire presque tout ce qui est nécessaire. »
Le garde le jaugea, sceptique. « C'est quoi votre nom, déjà ?
« Peter Smith », mentit-il. Son vrai nom, Stone, avait acquis une mauvaise réputation ces dernières années et il ne le donnait plus. Il avait déjà assez de mal à ne pas se faire reconnaître sans sortir davantage du lot.
« Smith, hein ? Quelqu'un de Granada Hills peut se porter garant pour vous ?
« Euh, non, je viens juste d'arriver. Ces derniers mois, j'ai parcouru les routes à vélo, depuis San Francisco, et cet endroit avait l'air bien pour se poser. »
« Comment vont les choses là-bas ? »
« Mal », répondit Peter. « Tout va mal le long de la côte. D'après ce que j'ai vu, votre région semble encore assez stable. »
Le garde grogna. « Désolé, M. Smith, mais nous ne pouvons pas vous accepter ici. Nous avons déjà assez de gens sans avoir besoin d'accueillir des étrangers. Il y a beaucoup de gens prêts à travailler, mais les ressources sont limitées et nous ne pouvons pas nourrir tout le monde. Si vous voyez ce que je veux dire. »
« Bien sûr », acquiesça Peter. Il ne connaissait que trop bien l'histoire. « Dans ce cas, je me demandais si je pouvais acheter un peu de nourriture. J'ai de l'argent- »
« Granada Hills fait du troc jusqu'à ce que la question de l'argent soit réglée. Si vous n'avez rien à échanger, pas de chance. Vous avez des munitions, bougies, outils ou fils de cuivre ? »
Peter secoua la tête. « Et votre vélo ? On a toujours besoin d'un vélo supplémentaire. »
« Désolé, j'en ai besoin. A pied, ce n'est pas sûr. Le vélo m'offre au moins un petit avantage. » L'autre hocha la tête.
« Les temps sont durs, je sais. Je ne pensais jamais être témoin de ce qui nous arrive un jour. » « Écoutez, y a-t-il un endroit dans la région qui accepte de l'argent ? » Le soleil se couchait et Peter voulait s'arrêter quelque part avant la tombée de la nuit. Récemment, il avait vécu tant d'expériences effrayantes une fois la nuit tombée.
« Vous pouvez tenter San Fernando. J'ai entendu dire qu'ils acceptaient encore l'argent. Vous devriez faire attention, toutefois – c'est une bande de voyous. »
« Comment je peux m'y rendre ? »
« Prenez la rue là-bas, Balboa. Ensuite, allez vers le nord sur environ un mille , vers le Boulevard San Fernando, puis vers l'est sur deux milles. Vous ne pourrez pas le louper. »
« Merci. » Peter commença à pousser son vélo hors du supermarché.
« Bonne chance », lança le garde. « Je ne voudrais pas être un nomade pour tout l'or de Fort Knox. »
Pédalant distraitement, Peter se demanda s'il y avait encore de l'or à Fort Knox. Sans doute que oui car l'or ne valait pas le coup d'être volé en ce moment. Les gens avaient d'autres besoins plus urgents comme la nourriture, l'eau, le carburant et l'électricité. Quelque part, pensa-t-il, le gouvernement américain est peut-être en train d'essayer de faire comme si de rien n'était, surveillant cet or et cette richesse comme un dinosaure vierge gardant son nid d’œufs infertiles. Et s'ils pensent à la Chute, ils me rejettent probablement la faute – comme si je n'étais que le messager apportant les nouvelles du désastre. Être un oiseau de mauvaise augure n'est pas une carrière qui rapporte.
Alors qu'il pédalait le long du boulevard Balboa, Peter regarda autour de lui et essaya d'imaginer à quoi ressemblait le quartier il y a dix ans, avant la Chute. A sa gauche se trouvait un autre centre commercial et un grand bâtiment qui fut jadis un hôpital. Actuellement, il abritait plusieurs appartements. A sa droite se trouvaient des appartements jadis de luxe, mais à présent délabrés et laids. Des ordures qu'on ne pouvait pas brûler avaient été jetées sur le trottoir, émettant une odeur très déplaisante.
Il dépassa un autre supermarché abandonné en traversant Chatsworth Street et continua vers le nord. Il y avait des maisons des deux côtés, le genre d'habitations très populaires dans les communautés de banlieue de l'époque. Les pelouses avaient laissé place à des jardins avec de la laitue, des radis, des tomates et des melons. Les jardins étaient entourés de clôtures et certaines provenaient des séparateurs de voies d'autoroute. Un panneau Stop avait été planté dans l'un des jardins, habillé de loques pour en faire un épouvantail de fortune. Quelques maisons semblaient avoir été rasées au profit de champs de maïs. Les tiges vertes se mouvaient au gré du vent.
Des chiens erraient dans les rues et devant les maisons. Ils aboyèrent en le voyant passer, mais ne prirent pas la peine de lui courir après car il ne représentait aucun danger pour les jardins de leurs maîtres. On voyait aussi quelques chèvres et pas mal de poules, mais Peter ne voyait aucun chat. Les chats et les lapins serviraient sans doute de nourriture. Les animaux domestiques n'étaient plus un luxe qu'on pouvait se permettre. Les oiseaux aussi étaient rares. Nul doute que les enfants du voisinage s'entraînaient sur eux avec leurs lance-pierres.
Peter se demanda pourquoi il restait toujours dans les centres urbains. Les villes étaient des pièges, il le savait. Elles finiraient par s'écrouler sous leur propre poids, entraînant quiconque s'y trouvait dans leur chute. Le petit nombre de gens vivant à la campagne auraient les meilleures chances de survie, même s'ils seraient marqués, eux aussi. N'importe quelle personne sensée s'en rendrait compte et s'approprierait un bout de terre avant que le chaos total ne s'empare de la nation. Mais Peter était et avait toujours été un citadin et était attiré par les villes, même s'il savait qu'elles signeraient son arrêt de mort un jour.
Mon problème, pensa-t-il, est que je donne de bons conseils, mais comme tout le monde, je refuse de les suivre.
Peut-être avait-il été trop tard pour faire quoique ce soit il y a sept ans, à la sortie de son livre, La Chute du Monde, qui avait provoqué la controverse. Il avait déjà prédit la destruction de la civilisation à l'époque. La pénurie de matériaux était devenue notable dès le début des années 1970 et pourtant, les petites crises continuèrent à escalader sans qu'on ne prenne la moindre mesure pour les empêcher. La société se divisait, les groupes se battaient les uns contre les autres. L'humanité n'avait plus la cohésion nécessaire pour affronter les problèmes. L'inflation avait mis à mal l'économie et les gens avaient perdu confiance.
On avait écrit beaucoup de livres prédisant que les choses deviendraient critiques avant la fin du vingtième siècle et ils avaient tous été rejetés pour leur caractère trop pessimiste par la plupart des gens. Ces derniers avaient gardé foi en l'humanité – humanité qui pourrait renaître de ses cendres tel un phénix. Puis, La Chute du Monde était sorti, apportant les arguments les plus effrayants à ce jour. Peter Stone, vingt-cinq ans à l'époque, prouva que la civilisation était destinée à s'effondrer deux ans plus tard, à moins que l'on ne prenne des mesures radicales sans plus attendre. Il avait même décrit ces mesures: euthanasie obligatoire, contraception obligatoire, redistribution immédiate de la richesse, décentralisation immédiate de la société, fin des logements unifamiliaux, fin de l'élevage d'animaux domestiques, déplacement forcé des gens pour une répartition plus juste de la population, rationnement strict des aliments et de l'eau, reprise gouvernementale totale de l'industrie, contrôle gouvernemental total des transports, programme pour la culture et la colonisation des fonds marins.
A ses yeux, ce fut étonnant qu'il pût virtuellement antagoniser quatre-vingt-quinze pourcent du pays en un jour. Quelques intellectuels le qualifièrent comme « l'un des plus grands esprits de l'époque », mais la plupart des gens le considéraient comme « le maudit socialiste ». Certains étaient convaincus qu'il était le diable incarné alors qu'il ne disait que la vérité. Mais le livre s'était vendu à des millions d'exemplaires. C'était ironique, pensa Peter. Son livre serait l'un des derniers best-sellers. Peu après la vingtième réimpression de l'ouvrage, la plupart des imprimeurs firent grève.
Peut-être faisaient-ils toujours grève.
Il était devenu célèbre et riche et était apparu dans bon nombre de talk-shows afin d'expliquer son point de vue – que la civilisation, pas uniquement aux USA, mais dans le monde entier, était en train de s'effondrer. Il n'arrêtait pas de répéter aux gens que, lui non plus, n'aimait pas ses solutions, mais qu'il fallait des mesures drastiques pour éviter un sort encore plus funeste. Personne ne l'avait écouté. Ses ennemis le qualifiaient d'opportuniste qui se faisait de l'argent sur le dos du malheur du monde et qui profitait du désastre. Il était considéré comme un vilain, un radical, un traître.
Entre-temps, tout ce qu'il avait prédit avait fini par arriver. Des grèves des travailleurs municipaux provoquèrent l'effondrement des services de la ville. Les pénuries de carburant qu'il avait prédites devinrent d'autant plus importantes lors de la Guerre d'Israël qui dévasta quatre-vingt-treize pourcent des gisements de pétrole. Du jour au lendemain, le monde fit face à sa crise énergétique la plus importante. Sans électricité, les stations radio et les chaînes télé devinrent silencieuses les unes après les autres. Sans carburant, les camionneurs ne pouvaient plus livrer les marchandises et les matériaux de façon efficace. Les « Trois Piliers » énoncés par Peter dans son livre se détérioraient de jour en jour.
Peter tourna à droite, vers San Fernando Mission Boulevard et continua à pédaler. Des poteaux téléphoniques bordaient la route, mais la plupart avaient été abattus pour en faire du feu. En passant près des maisons, il aperçut de nombreuses personnes travailler dans leurs jardins. Elles continueraient sans doute leur petite routine jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau. Peter frissonna en pensant à la panique qui se créait lentement, prête à surgir tel un génie maléfique qui attendait le jour fatidique de sa libération.
Il traversa des passages souterrains et une grande route avant d'arriver à ce qui fut jadis un parc. Il faisait environ trois blocs de long et un bloc de large. On avait tenté d'y faire pousser du maïs, mais les gens qui s'y étaient installés avaient tout détruit. Le parc était rempli de vieilles voitures dans lesquelles les gens avaient installé des logements de fortune. Au début, Peter s'était demandé pourquoi ils s'étaient donnés cette peine car les logements étaient ce dont on manquait le moins. Et puis, il vit ce qu'il y avait de l'autre côté du parc.
C'était la mission de San Fernando, l'un des sanctuaires établis au dix-huitième siècle par le Père Junipero. Plus tard, on l'appela El Camino Real. En tant qu'église catholique, elle représentait l'une des rares organisations toujours en service aujourd'hui. La mission servait de point de distribution de nourriture pour les plus pauvres. Cette charité avait incité tous ces gens à s'installer dans le parc de l'autre côté de la rue.
Peter était mitigé par rapport aux églises. Il n'était pas croyant et avait tendance à ne pas leur faire confiance. Bien sûr, elles faisaient du beau boulot en distribuant de la nourriture et elles aidaient les gens à garder le moral. Alors que la situation empirait, les gens se tournaient de plus en plus vers la religion en guise de consolation. C'était bien, mais Peter ne pouvait s'empêcher de penser à comment l'église médiévale était devenue un monolithe abrutissant, encourageant la superstition et écrasant l'individualisme. Si l'humanité devait se relever, la liberté de penser serait une nécessité absolue. Peter craignait que les églises apportent un soutien à court terme et une oppression à long terme.
Peter s'arrêta devant la mission et descendit de son vélo. C'était sa meilleure option pour passer la nuit. Il pourrait avoir à manger et dormir, adossé à un mur. Les nuits pouvaient être fraîches à Los Angeles, mais elles n'étaient jamais insupportablement froides. A part de l'argent, l'une de ses seules possessions était la couverture dans son sac à dos. Elle suffirait à le garder au chaud cette nuit.
Il commença à pousser son vélo jusqu'à la mission lorsqu'il remarqua quelque chose dans une rue parallèle, à l'ouest du bâtiment. Un homme Noir, avec une moto, se faisait harceler par un groupe de jeunes Blancs.
« Je crois qu'il vient de Pacoima », dit l'un des voyous. « Il vient pour nous espionner, pour trouver nos points faibles. Ses potes et lui veulent sans doute nous piquer du carburant, cette nuit. Allez, mon beau, où t'as eu cette bécane ? »
Le Noir était jeune, grand et mince. Jadis, il avait peut-être été joueur de basket à la fac. Il portait un débardeur rouge, un pantalon bleu et un bandana rouge autour du front. Il avait un bouc noir et une moustache et il avait des cheveux courts, ondulés. Il arborait un air digne. « Touche à cette moto », lança-t-il, « et je graverai le Discours de Gettysburg sur tes jolies fesses blanches. » Sa voix était tellement calme qu'elle était à peine audible. Pourtant, on pouvait en ressentir une certaine autorité.
Le groupe fut surpris l'espace d'un instant, puis ils se mirent tous à rire nerveusement. Ils était en surnombre. Neuf contre un. « Tu te prends pour qui, le nègre, à venir ici et à nous donner des ordres ? » demanda le leader en se rapprochant. Le reste du groupe l'imita.
D'un geste rapide, l'étranger plongea sa main dans sa poche et en sortit un couteau à cran d'arrêt. Sa main décrivit de petits cercles devant lui, donnant l'illusion que le couteau flottait tout seul. « Ce sont pas des ordres », déclara-t-il. « Juste de bons conseils. »
Les voyous s'arrêtèrent. Les enjeux devenaient plus importants et ils ignoraient quoi faire. Le leader était dans la pire des positions – il ne voulait pas perdre la face devant ses potes. Alors, après avoir observé le couteau un instant, il mit la main à sa ceinture pour en sortir sa propre arme : une baïonnette fixée à un manche en bois. « Si tu veux jouer, alors jouons. Pas vrai, les gars ? » Encouragés par leur chef, les autres sortirent leurs couteaux.
Peter regarda autour de lui. Il n'y avait personne d'autre pour voir ce qui se passait ou alors, ils faisaient tous comme s'ils ne voyaient rien. Il se sentit soudain nauséeux et sa salive avait un goût acide. Il vérifia que son propre couteau fût accessible s'il en avait besoin.
La meute tournait autour de sa proie, mais avec moins de confiance que ce qu'on pourrait croire. La victime n'était pas un étranger sans défense, craignant leur harcèlement, mais un homme aux allures puissantes avec un couteau aiguisé, semblant savoir comment s'en servir. Le groupe se rapprocha prudemment.
Le Noir ne bougea pas, tournant lentement pour garder un œil sur les gens derrière lui. Il continuait à pointer son couteau vers la gorge du leader.
Ce dernier chargea en poussant un rugissement. Le Noir l'esquiva aisément et lui tordit le poignet sans effort apparent. Néanmoins, le leader se redressa et Peter aperçut une importante coupure au niveau de son oreille gauche. Il saignait abondamment. « Suivant, » rit le Noir.
Trois autres le chargèrent de toutes les directions. L'un reçut un coup de pied au niveau de l'entrejambe. Le deuxième fendit l'air lorsque sa victime l'esquiva et asséna un coup à la main du troisième. « Allez ! » cria le leader. « On est pas des poules mouillées ! Faisons-lui sa fête ! »
Ils s'élancèrent tous en même temps, preuve qu'ils respectaient grandement les aptitudes de leur victime. Le Noir avait une meilleur portée que la plupart d'entre eux et pouvait les tenir éloignés un moment grâce à ses coups de couteau. Mais il ne tiendrait pas éternellement.
Peter n'était pas un bon combattant, même s'il avait pu s'entraîner tout au long de l'année. D'habitude, il évitait les confrontations dès qu'il le pouvait, mais il ne pouvait pas ignorer ce qui se passait ici s'il ne voulait pas avoir mauvaise conscience. Dégainant son couteau, il s'élança.
Le groupe fut surpris par cette attaque et se figea un instant, donnant l'avantage nécessaire à Peter. Il mit l'un d'eux hors d'état de nuire en le poignardant juste sous les côtes. Il se tourna vers le prochain, le coupant juste au-dessus du sourcil. Du sang jaillit de la plaie jusque dans son œil, aveuglant l'homme qui croyait que son œil n'était plus. Il se laissa tomber au sol en criant.
Le Noir n'avait pas hésité. Son couteau les attaquait sans relâche, les forçant à adopter une position défensive. Mais maintenant qu'ils s'étaient remis de l'attaque surprise de Peter, ils lancèrent leur propre offensive.
Peter se retrouva face à deux grands types menaçants au regard meurtrier. Sans l'élément de surprise, les autres seraient sans doute de meilleurs combattants. Peter recula lentement jusqu'à se retrouver dos contre le mur de la mission. Les deux autres se rapprochèrent, des sourires machiavéliques aux lèvres.
Celui de gauche se jeta sur lui. Peter tenta de l'esquiver, mais ne fut pas assez rapide. Le couteau de l'agresseur lui entailla le haut du bras gauche, envoyant une vague de douleur à travers le corps de Peter. Le sang jaillit, tachant sa chemise, mais il n'avait pas le temps de s'en inquiéter. Il luttait pour sa vie.
Il se retrouvait en très mauvaise posture car son côté droit, et sa main tenant son couteau, se trouvait contre le mur. Il dut se baisser rapidement lorsque le second agresseur tenta de l'attaquer au niveau de la tête. La lame passa à moins d'un centimètre des cheveux de Peter.
Mais l'autre était à présent sans la moindre défense. Peter fonça sur lui et planta son couteau dans l'estomac de l'attaquant. L'homme émit un cri de douleur et glissa lentement au sol. Peter retira rapidement sa lame, tomba au sol et roula loin du premier attaquant qui revint vers lui.
Lorsqu'il se releva, il vit l'homme en face de lui légèrement accroupi. Ils se tournèrent autour un moment, puis l'autre chargea. Peter tenta de jouer les matadors en esquivant la charge et en parant son coup, mais il n'y parvint qu'à moitié. Le couteau de l'autre traversa sa chemise et égratigna ses côtes. Peter se retourna et recula à nouveau.
L'autre, le pensant à sa merci, chargea une nouvelle fois. Mais il n'eut pas le temps d'atteindre Peter car il laissa échapper un cri soudain et tomba en avant, un couteau planté dans la gorge.
Peter regarda autour de lui, évaluant le champ de bataille. Sept corps gisaient au sol, la plupart étaient en vie, mais grièvement blessés. Les deux membres du gang restants étaient en train de s'enfuir. Parmi ce carnage, l'homme noir admira calmement son travail.
Souriant à Peter, il s'approcha et retira son couteau de la gorge de sa dernière victime, l'essuya sur la chemise de l'homme et le remit dans sa poche. Puis, il se dirigea vers sa moto, prêt à partir.
« Hé ! », lança Peter. « Vous n'allez pas me remercier ? »
L'autre se retourna. « Merci ? Pourquoi ? D'avoir fait ce que n'importe qui avec un peu de jugeote aurait fait ? »
« Mais ce n'était pas n'importe qui. C'était moi. Et je saigne. »
Le Noir se pencha, attrapa le bras gauche de Peter et l'examina.
« C'est rien, mec. Juste une petite blessure qui va guérir, sauf si elle s'infecte. » Il marqua un temps d'arrêt alors qu'il eut une idée. « Tu vis par ici ? »
Peter secoua la tête.
« Oh, un nomade, hein ? » Peter détestait cette expression. Depuis la Chute, beaucoup de gens avaient quitté leur maison et erraient en cherchant un endroit meilleur que celui qu'ils avaient quitté. Le terme « nomade » avait surgi car ces personnes étaient décrites comme « en perpétuel mouvement ».
« Écoute », continua l'homme, « Est-ce que ça te plairait de t'installer quelque part de paisible, où on ne manque de rien et où tout le monde travaille main dans la main ? »
Peter l'observa avec circonspection. « Bien sûr, qui ne le voudrait pas ? Mais où trouverez-vous un endroit comme ça ? Dans votre jardin ? »
« Rigole pas, mec. C'était une question légitime. »
« Et j'ai dit oui. »
« C'est quoi, ton nom ? »
« Peter Smith. » Le mensonge était devenu un réflexe.
Le Noir tendit la main. « Kudjo Wilson. » Ils se frappèrent la paume de la main au lieu de la secouer. « Écoute, si tu veux vraiment quelque chose de mieux que tout ça », il désigna le parc rempli de vieilles voitures, « Je pense que tu devrais parler à mon homme. »
Peter haussa les épaules. « Je suppose que ça ne peut pas faire de mal. Où est-il ? »
« Il est à quelques milles d'ici. Si tu veux, tu peux monter derrière moi et je t'y emmènerai direct. »
Peter secoua la tête. « Désolé, mais j'ai un vélo et j'aimerais le garder. Et on ne peut pas l'emmener en moto. »
« T'as raison. » L'autre réfléchit un instant. « Voilà ce qu'on va faire. Je pars devant et je lui parle de toi. Il va passer par ici, de toute façon. Ou pas loin, en tout cas. Pourquoi ne pas l'attendre près de la route là-bas ? » Il désigna l'est. « C'est à quelques blocs d'ici. Attends simplement devant le pont, au sud. T'as une montre ? »
Peter secoua à nouveau la tête. « On me l'a volée il y a un mois et demi. »
« Quoiqu'il en soit, il sera là dans deux heures, mais il fera déjà nuit. Si ça te dérange pas. »
« Eh bien... », commença Peter.
« Sois là. » déclara l'autre. Il démarra sa moto. « On n'attendra pas. » Et il partit.
Tenant son bras gauche, Peter retourna à son vélo. Après ce combat, la mission n'était peut-être pas le meilleur endroit pour passer la nuit, au final. Les voyous pourraient revenir avec des potes pour se venger. Son estomac faisait des siennes car il n'avait rien avalé depuis le petit-déjeuner. Mais rester en vie était plus important qu'essayer d'obtenir une ration gratuite et se faire tuer dans son sommeil.
Il pédala vers l'est, le long du boulevard San Fernando jusqu'à arriver au pont mentionné par Kudjo Wilson. Le soleil venait de se coucher et le ciel devenait noir. Il s'arrêta au pont et leva les yeux. Devait-il croire aux paroles du Noir ? Il ne croyait plus aux contes de fées depuis longtemps et cette histoire ressemblait étrangement à un El Dorado moderne. Un endroit où régnait la paix et où on ne manquait de rien était rare et il n'aurait probablement pas d'autres invitations du genre. De plus, un homme noir pouvait-il avoir la clé d'Utopia ? Ça n'avait pas de sens. Si un tel endroit existait, que faisait Kudjo Wilson là-bas ?
Mais qu'avait-il à perdre ? Si c'était une embuscade, que pourraient-ils lui voler à part son vélo, une couverture et de l'argent inutile ? Il avait trop peu de possessions pour un plan aussi élaboré. De plus, Wilson aurait pu le voler tout à l'heure s'il l'avait voulu. Toute cette histoire était très déconcertante.
Peter posa son vélo contre la rampe, près du pont.
Il s'assit dans le noir et attendit. Il n'y avait plus de trafic sur l'autoroute à cause de la pénurie de carburant – on comptait peut-être deux voitures par heure et elles le dépassèrent sans même ralentir. Il se demanda si les gens qu'il attendait étaient déjà passés sans le voir ou s'ils allaient vraiment venir. Toute cette histoire était peut-être une farce gigantesque.
T'es qu'un crétin, se dit-il à lui-même. Écouter des histoires du Pays Imaginaire à ton âge. Tu achèterais probablement le Pont du Golden Gate si quelqu'un te l'offrait à cet instant. Mais il resta car il n'avait nulle part où aller.
Environ une heure plus tard, il vit des phares approcher. Ils se déplaçaient plus lentement que les voitures de tout à l'heure. Au fur et à mesure qu'ils approchaient, Peter distingua toute une file de voitures. Le véhicule de tête s'arrêta juste devant le pont et se gara sur le côté de la route. Les autres voitures firent pareil.
Une lumière l'éclaira depuis le toit de la voiture, aveuglante. « M. Smith ? » appela une voix inconnue.
« Oui, » répondit-il.
« Montez. On espérait vous trouver là. Vous avez faim ? »

CHAPITRE 2
« Le courrier prioritaire est le plus mauvais de l'histoire, » affirme le Wall Street Journal. Le mois dernier, un sac de courrier a disparu dans le comté de Prince George, provoquant un véritable casse-tête chez les habitants. Mme Ernest Drumheller, vivant à Clinton, a déclaré qu'en rentrant de vacances, on lui avait coupé le téléphone car le règlement de sa facture n'était jamais arrivé à destination. Elle a dû payer $10 pour la réinstauration du service. De nombreux clients de la People's National Bank de Clinton ont annulé les paiements des chèques éventuellement présents dans le sac disparu...

Los Angeles Times
Mercredi, 11 septembre 1974

* * *

La communication fait partie des Trois Piliers de toute civilisation. Les gens et les organisations ne peuvent interagir qu'à travers la communication. Peu ou pas de communication provoque la suspicion, la haine et le conflit. Au fur et à mesure que la communication s'améliore, la peur de l'étranger s'estompe et les interactions deviennent plus calmes, plus faisables...
A l'époque des Grecs, la politique était régie par un état-cité. Sa taille était déterminée par la distance qu'un homme pouvait parcourir en un jour. Personne n'était à plus d'un jour des événements du moment. On ne faisait pas confiance aux états-cité voisins avec lesquels la communication était moins fréquente.
Aujourd'hui, on peut communiquer presque instantanément avec le monde entier. Cela nous a permis de développer une civilisation globale. Toutefois, nous avons peut-être été trop loin en créant ce réseau de façon aussi rapide. Tel un élastique trop tendu, le contrecoup sera rapide et douloureux...

Peter Stone
La Chute du Monde

* * *

En approchant du premier véhicule, Peter fut surpris d'y voir un véhicule blindé, comme ceux transportant jadis l'argent vers les banques. Sa forme rectangulaire se dressait devant lui, impassible. La lumière sur le toit l'aveuglait. Lui, habitué à l'obscurité. Toutefois, il parvint à reconnaître un deuxième véhicule, lui aussi blindé. Les autres voitures n'étaient que des formes floues, dissimulées par les ombres. Peter fut incapable de déterminer combien de voitures il y avait et à quoi elles ressemblaient.
Une silhouette élancée descendit du deuxième véhicule et s'approcha de lui, près de la portière du premier véhicule. C'était Kudjo Wilson. « Content de te voir , » déclara-t-il en ouvrant la portière du côté passager. « Je vais faire les présentations. »
Il passa sa tête à l'intérieur du véhicule. « Honon, voici mon homme. Peter. Peter, je te présente l'honorable, le distingué, l'inestimable Israel Baumberg. »
Une petite lampe brillait à l'intérieur du véhicule et Peter put distinguer l'homme auquel on le présentait. Même assis, Israel Baumberg était un homme grand avec de larges épaules et des bras puissants. Debout, il devait faire au moins 1 mètre 95. Il avait les cheveux raides, noirs et courts. Il avait le visage ridé et buriné, ressemblant plus à du cuir qu'à de la chair. Il était difficile de déterminer sa couleur de peau par cette faible lumière, mais à en juger par ses traits, Peter devina qu'il devait avoir la peau foncée. Un fusil automatique et une mitraillette étaient posées à côté de lui.
« Bienvenue dans notre caravane, M. Smith. Entrez. » Alors que Peter entrait, l'autre l'examina à travers la faible lumière. « Ou devrais-je dire, M. Stone ? C'est un honneur inattendu. »
Peter grimaça. Il n'aimait pas être reconnu, trop de gens nourrissaient des sentiments négatifs à son égard. Toutefois, il monta dans le véhicule et s'installa sur le siège passager.
« Laissez-moi voir votre bras », poursuivit l'homme. « Kudjo m'a dit que vous avez été blessé. » Il examina doucement la blessure. « Eh bien, ça ne m'a pas l'air très grave, mais nous voulons éviter les mauvaises surprises. Nous ferions donc mieux de nous en occuper. Kudjo, tu peux aller voir si Sarah est libre ? Et tant que tu y es, vérifie où en est le dîner. »
« Compris, Boss », Kudjo sourit avant de remonter la file de voitures pour exécuter les ordres.
« Kudjo est un homme bien. Vous avez eu de la chance de tomber sur lui. Avant, il était un infiltré de la brigade des stups de la police de St. Louis. On ne pouvait pas trouver meilleur que lui. Quant à moi, mon père était Juif et ma mère Indienne. Je préfère utiliser mon nom Indien, Honon. Cela signifie « ours ». Et ce sera tout à mon sujet pour le moment. Des questions ? »
« Oui. C'est quoi, tout ça ? »
« Ceci, » Honon écarta les bras pour désigner les véhicules derrière le sien, « est une caravane, menée par Kudjo et moi. Nous allons d'ici à là-bas. »
« Je sais où on est ici, mais « là-bas », c'est où ? »
« C'est une longue histoire et je commencerai dans une minute. Nous sommes partis de San Francisco cette fois et nous avançons vers la côte californienne. Vous avez de la chance d'être tombé sur nous. Nous venions de la route 101 et nous serions passés à côté de cette zone si un séisme n'avait pas détruit la route au sud de Ventura. Nous avons dû rebrousser chemin jusqu'à la route 138 avant de traverser Santa Paula jusqu'à l'autoroute 5, où nous nous trouvons en ce moment. Nous allons probablement camper ici, cette nuit, et nous repartirons demain. »
A cet instant, une femme passa sa tête par la porte ouverte. Elle semblait avoir la quarantaine, avait les cheveux gris-blonds et un visage plutôt rond. « On m'a dit que quelqu'un avait besoin de soins. » dit-elle à Honon.
« Oui. Peter, voici le Dr Sarah Finkelstein. Elle prend soin de nous durant ce voyage. Sarah, voici le tristement célèbre Peter Stone. »
Peter soupira lors de la présentation. Le médecin le regarda de haut en bas. « Bien, bien, bien. L'homme qui avait raison. Cela vous console d'une quelconque façon ? »
« Pas du tout. »
« Je suppose que non. Eh bien, voyons ça. » Elle examina sa blessure. « Votre vaccin contre le tétanos est à jour ? » demanda-t-elle.
« Je n'en ai pas fait depuis des années. »
« C'était une question idiote, je sais, mais les vieilles habitudes ont la tête dure. Je ne vous en ferai pas non plus, je suis à court de vaccin. Mais ça ne m'a pas l'air trop grave. Je vais nettoyer et bander votre blessure. Vous survivrez. Prochaine question, et ça va vous sembler un peu personne, mais c'est nécessaire. Avez-vous une quelconque maladie vénérienne ? »
Peter fut surpris par cette franchise, mais il répondit que non. « Bien », déclara-t-elle. « Nous devons garder un groupe sain. » Sans plus d'explications, elle s'occupa de son bras en silence, de façon efficace, puis elle laissa Peter et Honon seuls.
« Avant de commencer mon histoire », dit Honon « Vous devez connaître certains faits. Vous connaissez sûrement les avancées en matière de cryogénisation et d'animation suspendue. »
Peter hocha la tête. « J'en ai parlé dans mon livre. »
« Oui, c'est vrai. Excusez-moi, j'avais oublié. Cela fait un moment que je ne l'ai pas relu. Si je me souviens bien, vous n'en faisiez aucunement l'éloge. »
« C'était un effort gâché, une tentative futile d'atteindre l'immortalité. Quel avantage pourrait-il y avoir à congeler quelqu'un pour le réveiller cinquante ans plus tard, alors que tout portait à croire que le monde aurait du mal à subvenir aux besoins des quelques personnes restantes ? Les gens du passé seraient totalement désarmés dans un nouveau monde régi par la famine, la sécheresse, la guerre et la maladie. L'argent et les connaissances utilisés pour ces recherches auraient pu être utilisées ailleurs. »
« Peut-être », déclara Honon, « mais il y aurait pu y avoir certaines choses que même vous n'aviez pas prévues. »
« Comme quoi ? »
« Pas si vite. Avez-vous déjà entendu parler d'un astre appelé Epsilon Eridani ? »
« Je crains ne jamais avoir été doué en astronomie. »
« Moi non plus. Mais heureusement, quelques personnes s'y sont intéressées. Quelques années auparavant, avant la disparition totale du programme spatial, ils ont effectué une expérience de parallaxe satellite – ne me demandez pas de vous expliquer, je ne pourrai pas – et ils ont découvert qu'Epsilon Eridani possédait tout un tas d'autres planètes, comme notre soleil. C'était une découverte intéressante, mais il y avait des problèmes plus urgents et on n'y prêta que peu d'attention.
« Presque au même moment, un homme écrivait un livre. Ce fut un grand livre, un livre puissant qui fit peur à beaucoup de gens. Il parlait de la fin de la civilisation et du retour du barbarisme à cause de la surpopulation, de la pénurie des matières premières et de l'effondrement des forces connectées. La plupart des gens se sont énervés car ils avaient peur de faire face à - »
« Et c'est à moi que vous le dites, » marmonna Peter.
« - mais quelques personnes se sont mises à réfléchir. Les affirmations de l'auteur étaient indiscutables, mais ces gens ne voulaient pas assister à la fin de la civilisation. Alors, ils ont commencé à réfléchir à des alternatives. »
« Je l'ai fait aussi et on m'a détesté pour ça. Mes suggestions étaient radicales, mais je faisais face à une situation de crise. Mes plans n'auraient peut-être pas fonctionné, mais ça n'aurait pas pu être pire que ce que nous traversons maintenant. »
Honon haussa les épaules. « A qui le dites-vous. Quoiqu'il en soit, ces personnes ont senti la haine envers vous et ont décidé de travailler en secret. Elles ont informé certaines personnes très influentes, certaines très riches.
« Ça aide toujours. »
« Du coup, ils ont construit un vaisseau spatial - »
Peter en eut le souffle coupé. « Hé, une minute. Je crois que j'ai raté un épisode. C'est quoi cette histoire de vaisseau spatial ? »
« Réfléchissez. Utilisez votre perspicacité. S'il n'y a plus de ressources sur Terre, la civilisation aurait de meilleures chances ailleurs. Où peut-on aller ? Aucune autre planète de notre système solaire est capable d'accueillir une colonie sans technologie pour la maintenir en vie. Cela nous laisse les étoiles, notamment Epsilon Eridani. »
Peter s'apprêta à dire quelque chose lorsqu'une petite fille frappa à la porte du véhicule. Elle avait les cheveux foncés et ne devait pas avoir plus de huit ou neuf ans. « Monsieur Honon, » dit-elle, « J'apporte le dîner pour vous et l'autre monsieur. »
« Merci, Mary. » Honon passa le bras à travers sa vitre et attrapa deux bols.
« Attention, » dit-il à Peter en lui tendant l'un des bols. « C'est chaud. » La petite fille retourna d'où elle était venue.
Le liquide contenu dans les bols s’apparentait à un mélange de soupe et de ragoût. Il y avait des pommes de terre, des petits pois, des haricots, des carottes, des pousses de soja et même de petits morceaux de poulet. C’était presque un vrai buffet, compte tenu des circonstances. L’estomac de Peter criait famine car il n’avait rien avalé depuis son maigre petit-déjeuner de ce matin. Il accepta la cuillère tendue par Honon et prit une bouchée, savourant le mélange de saveurs. « Vous mangez bien », déclara-t-il.
« Merci. Comme je l’ai dit, nous essayons de maintenir la civilisation en vie et l’un des aspects les plus agréables est la bonne nourriture. Nous faisons ce que nous pouvons pendant qu’on voyage, mais c’est loin d’être un repas équilibré. »
« Certains tueraient pour ceci. »
Honon soupira. « Oui, je sais. Ils ont déjà tenté plusieurs fois. Voilà pourquoi on utilise des véhicules blindés. De nos jours, voyager ne se fait pas sur un coup de tête. »
Les deux hommes mangèrent en silence pendant un moment, réalisant que leur repas était un véritable trésor dans ce monde où les ressources manquaient. Peter termina en premier et s’adossa à son siège, content.
« Merci beaucoup. C’était le meilleur repas que j’ai eu depuis des semaines. »
« Vous en voulez encore ? Je peux demander à ce qu’on vous resserve. »
« Je ne voudrais pas profiter de vos réserves… »
« Tout ira bien pendant un temps. L’arrière du deuxième camion est rempli de nourriture. »
Peter était très tenté, mais il décida de se retenir. « Je ne veux pas m’habituer à une telle vie. », déclara-t-il. « La situation peut vite changer. »
Honon hocha la tête. « C’est vrai, mais ça ne m’empêche pas de bien vivre quand je peux. Quand je menais mon troupeau, j’ai appris qu’on survivait pendant les temps difficiles et qu’on se rattrapait quand ça allait mieux. »
« Vous étiez berger, alors ? »
« J’ai été beaucoup de choses à un moment ou à un autre. Bûcheron, chauffeur de camion, garde forestier, aide agricole, couvreur, plongeur. J’aime le changement. »
« Et maintenant, vous menez un cortège. »
« Ouaip. Vous voyez, selon moi, il faut toujours avancer vers quelque chose. Voyager ne suffit pas. Il faut avoir un objectif. »
« Et votre objectif, c’est l’espace ?
« Pas tout de suite. D’abord, il faut emmener ce groupe au Monastère. »
« Au quoi ? »
« C’est comme ça qu’on appelle notre petite colonie. Les monastères ont gardé le savoir pendant les premières périodes sombres. Nous avons donc décidé d’appeler notre base comme ça. Cela n’a aucune signification religieuse, je vous assure. Nous sommes tous plutôt tolérants. Il est déjà assez difficile de survivre de nos jours sans devoir faire face à de vieux préjudices. »
« Cela n’arrête pas la plupart des gens. L’intolérance semble avoir atteint son plus haut point », dit Peter avec amertume.
Honon haussa les épaules. « Je me fiche s’ils s’entretuent. De mon point de vue, on ne peut évoluer qu’en se débarrassant des intolérants. »
« Où se trouve ce Monastère ? »
« Oh, il est quelque part. » Honon agita la main vers l’est. « Je ne peux pas vous en dire plus, j’en ai bien peur. C’est un secret et pour de bonnes raisons. Nous vivons trop bien au goût de la plupart des gens. S’ils savaient où on se trouve, ils viendraient nous anéantir. Voilà pourquoi je ne peux pas dire aux gens où se rend la caravane. Si on est séparé, ils ne pourront le dire à personne. »
« Mais si vous projetez une colonie interstellaire, vous devez avoir beaucoup de gens. »
« Près de cinq mille, aux dernières nouvelles. »
Peter siffla. « Mais il est impossible de cacher autant de gens. »
« On y arrive, » Honon sourit.
« Mais faire partir autant de gens de la Terre serait un énorme problème en soi. Comment comptez-vous faire ? »
« Pour commencer, tout le monde n'ira pas. Certains sont attachés au vieux monde et nous aimerions essayer de le réhabiliter. Seuls trois mille feront le voyage. »
« Mais les besoins en carburant… »
« L’année dernière, la presse est passée à côté du programme spatial. Elle était occupée avec les guerres, les pénuries et le reste. La propulsion nucléaire permet de soulever un gros poids à moindre coût. Cela n’a pas été testé sur le terrain, mais les expériences sont très prometteuses. »
« Je ne prétends pas être ingénieur astronautique, mais je me souviens avoir vu un spectacle au planétarium. On y disait qu’il faudrait des milliers d’années pour atteindre l’étoile la plus proche. Les colons ne vivront pas aussi longtemps et la nourriture pour trois mille personnes remplirait plusieurs vaisseaux. »
« Ces chiffres se basaient sur une vélocité constante. Le propulseur nucléaire nous donnera une accélération constante – un dix millième de « G » pour être exact. Je sais qu’on ne dirait pas grand-chose, mais l’addition est correcte. Selon les dernières estimations, on peut faire le voyage en seulement six cent cinquante ans. »
« Mais même… »
« Souvenez-vous de ce que j’ai dit tout à l’heure, concernant la cryogénisation. Les colons seront cryogénisés avant le départ, sauf l’équipage du vaisseau. Ils se réveilleront uniquement au moment de l’atterrissage sur notre nouvelle planète. Cela économisera des vivres et de la place puisque nous n’aurons pas assez de place pour que toutes ces personnes puissent se déplacer. »
Peter ne dit rien l'espace de quelques instants, prenant en considération les différentes possibilités. « Vous êtes soit fou », dit-il, « soit le plus grand rêveur que je connaisse. »
« Un peu des deux, j’espère. Nous vivons à une époque très saine, sans rêves. Et voyez le bordel. Il n’y a pas plus sain que d’essayer de rester en vie. Tout le monde essaie de le faire, dehors. Ils le font du matin au soir. Ils n’ont pas le temps de rêver. Résultat, ils vivent au précipice de la survie et ça empire. En ce qui me concerne, je m’obstine à regarder vers les étoiles et à me demander si les choses pourraient être meilleures. Un fantasme est peut-être un peu fou, mais aucune créature intelligente ne peut survivre longtemps sans ça. »
« De plus, » ajouta-t-il en pointant un doigt accusateur vers Peter, « vous critiquez, mais ne croyez pas que je ne vois pas au-delà de ce masque de cynisme que vous portez tel un tragédien grec. Mark Twain, lorsqu’il fut accusé d’être un pessimiste, a réalisé qu’il était un optimiste en fait. Un optimiste qui n’est jamais arrivé. Si vous n’idéalisez pas, si vous ne voyez pas le monde tel qu’il devrait être, vous n’auriez jamais pu mettre toute votre colère et votre rage dans votre livre. »
« Vraiment ? » demanda Peter en haussant un sourcil, amusé. Beaucoup de gens avaient essayé une évaluation psychologique à travers son livre, au succès mitigé.
« Un cynique n'est qu'un optimiste frustré. Il faut des idéaux pour pouvoir être déçu si on ne les atteint pas. Vous, Peter Stone, êtes un créateur d'utopies sans bonne réserve de bois. »
« Voilà pourquoi vous vouliez que je vienne. Parce que je suis un loseur ici et vous voulez me donner une autre chance ? Excusez mon cynisme, mais je n'y crois pas. »
Honon secoua la tête. « Pas du tout. Je veux donner une autre chance à l'Humanité et je pense que vous pourriez être utile. Vous réfléchissez aux phénomènes sociaux. Vous voyez des alternatives là où les autres ne les voient pas et vous n'avez pas peur d'en parler ouvertement. Nous aurons besoin de bonnes alternatives et de critiques sociales si nous voulons y arriver. Voilà les règles et la description du poste. Je vais avoir besoin d'une réponse, d'un engagement de votre part maintenant. Car je ne reviendrai plus par ici. Vous voulez le travail ? »
Peter n'hésita même pas. « Le salaire est un peu médiocre, mais il semble y avoir de bons avantages. Si vous voulez partager une partie de votre rêve avec moi, j'accepterai. »

CHAPITRE 3
Ces dernières années, des milliards de dollars ont été dépensés pour l'amélioration des forces de l'ordre. Pourtant, le taux de criminalité n'a cessé d'augmenter et beaucoup d'Américains sont inquiets. Parviendra-t-on à reprendre le contrôle un jour ?
Patrick V. Murphy, ancien fonctionnaire de police à Washington et New York a déclaré ceci : « Nous devons voir les faits en face. Nos villes sont trop instables. Tant qu'il y aura du chômage, du sous-emploi, des foyers détruits, de l'alcoolisme, de la drogue et des problèmes de santé mentale, le crime continuera à sévir. »

U.S. News & World Report
10 juin 1974

* * *

Beaucoup de gens ont recours au crime pour pouvoir supporter cette société dont les complexités ont dépassé leurs propres limites. Dans une ultime tentative de préservation, je prédis un dernier spasme énorme d'ordre public que notre culture traversera. Tout ce qui différera de la norme sera sujet à toutes sortes de répression en une tentative désespérée de garder la tête hors de l'eau.
La vraie tragédie, toutefois, seront les répercussions qu'aura la police sur la société d'après Chute. La répression restera, telle la jambe d'une grenouille qui continue à bouger après la mort de cette grenouille...

Peter Stone
La Chute du Monde

* * *

Peter passa la nuit dans le véhicule blindé avec Honon. Ils parlèrent pendant un moment encore, comparant leurs expériences de voyages à travers le pays. Peter découvrit que Honon avait traversé le pays régulièrement ces quatre dernières années, guidant ces caravanes. L'image qu'il décrivit n'avait rien de joyeux. Temps difficiles, famine, conflits étaient omniprésents aux États-Unis. La maladie n'avait pas encore fait son apparition, mais les conditions de vie dans les villes devenaient telles que la maladie commencerait à se répandre par manque d'hygiène.
« D'une certaine façon », déclara Honon, « c'est bien que la Chute touche le monde entier. Si les guérillas juives n'avaient pas commencé à faire la guerre en Russie il y a cinq ans, les Russes auraient pu profiter de notre faiblesse et nous envahir. Mais avec les Juifs dans le pays, les Chinois à leur porte et la lente disparition de leurs ressources, ils se portent encore plus mal que nous. »
Au bout d'un moment, la douleur que ressentait Peter au bras et la fatigue accumulée ces derniers jours eurent raison de lui. Il s'allongea contre le siège en cuir et passa sa meilleure nuit depuis longtemps.
Honon le réveilla peu après le lever du soleil en lui secouant l'épaule valide. « Debout ! » dit-il, enjoué. « C'est l'heure du petit-déjeuner et l'heure de rencontrer vos compagnons de voyage. »
Peter sortit du véhicule et put contempler la caravane entière pour la première fois. Les deux premiers véhicules étaient des camions blindés. Après l'image qu'Honon avait décrite concernant la situation à travers le pays, Peter était d'accord. La caravane devait être préparée à toute éventualité. Un grand camping-car se trouvait juste derrière. Un groupe important de gens était rassemblé autour. Derrière le camping-car se trouvait un van bleu et blanc, Volkswagen, ensuite suivirent trois autres voitures, toutes plus petites. Ça doit donner une parade intéressante, pensa Peter.
Peter sentait le regard des autres membres de la caravane lorsque Honon l'emmena vers le camping-car. Ils avaient sûrement entendu parler de leur nouveau compagnon. Il se demanda combien d'entre eux le haïssaient déjà.
« Tout le monde, venez par ici », appela Honon et les petites conversations privées cessèrent. « J'aimerais vous présenter notre dernière recrue, Peter Stone. Nous lui devons notre gratitude, je pense. Car nous avons pris les devants grâce à son livre. Sans lui, il n'y aurait peut-être pas de Monastère ni de projets pour le vaisseau spatial. N'oubliez pas de lui témoigner toute notre gratitude. »
Peter fut surpris par cette présentation et fut encore plus surpris en voyant les gens s'exécuter. Ils étaient d'abord hésitants, peu sûrs d'eux, puis ils s'avancèrent en petits groupes pour le saluer et l'accueillir au sein de leur caravane. Hommes et femmes s'approchèrent de lui pour lui serrer la main et les enfants lui sourirent timidement.
« Désolé, je ne peux pas rester et vous présenter à tout le monde », déclara Honon. « Je dois prendre un rapide petit-déjeuner et aller voir si je peux recruter un cordonnier. »
« Un cordonnier ? »
« Oui, un homme bien que quelqu'un m'a recommandé au Monastère. Il vit au centre de L.A. » Il vit l'incompréhension dans le regard de Peter et poursuivit son explication. « J'imagine que si vous rassembliez une colonie, vous choisiriez les personnes les plus intelligentes que vous pouviez trouver. Mais je vous le dis tout de suite, ça ne marcherait pas. Il faut des têtes d'ampoule, certes, mais vous ne pouvez pas construire un monde avec uniquement des docteurs et des physiciens nucléaires. Si la plomberie saute, ils auraient des problèmes. Je dois recruter des gens qui pourraient être utiles à une colonie. Des gens déjà formés à produire ce dont on a besoin. Là où on va, il n'y aura pas d'usines pour fabriquer vos vêtements. Vous aurez besoin d'artisans pour vous faire de bonnes chaussures. Les gens faisant partie de ce voyage viennent de tous horizons, mais nous essayons de sauver l'Humanité et l'Humanité elle-même se compose de personnes de tous horizons. Pensez-y. »
Honon entra dans le camping-car et en ressortit avec une gamelle, deux gâteaux de blé et des fruits séchés. « On se voit plus tard », dit-il à Peter. « En attendant, apprenez à connaître tout le monde. Je pense que vous trouverez le groupe agréable. » Il partit vers le premier véhicule blindé, en sortit une moto et retourna en ville.
Alors que Peter fit la queue pour le petit-déjeuner, des membres vinrent se présenter à lui. Il fit la connaissance de Dominic et de Gina Gianelli d'Oakland, un couple dans la trentaine. Dom, comme l'homme se faisait appeler, était couvreur et « fan de football. Mais on dirait qu'il n'y aura pas de matches pendant un moment. » Peter ne pouvait qu'acquiescer. Les Gianelli avaient cinq enfants entre deux et dix ans. Même si on les lui avait tous présentés, il avait du mal à retenir leurs noms, à l'exception de Mary, la fillette de huit ans qui lui avait apporté à manger, la veille.
Il rencontra Bill et Patty Lavochek de San Luis Obispo. Les Lavochek avaient la vingtaine et étaient mariés depuis quatre mois. Ils voyaient tout ça comme une aventure et une bonne occasion de commencer une nouvelle vie. Bill, machiniste, était sûr que ses talents seraient très demandés au Monastère et dans le nouveau monde.
Peter rencontra aussi Harvey et Willa Parks. Harv était plombier à San Francisco et avait la trentaine. Il avait des manières assez rudes, mais il était très gentil. Willa avait environ dix ans de moins que lui et faisait ce qu'on lui demandait de faire sans se plaindre. Ils avaient deux enfants, une fille de sept ans et un garçon de quatre ans.
Juste avant que Peter n'atteigne le bout de la file, le médecin, Sarah Finkelstein, s'approcha de lui pour lui demander comment allait son bras. Il lui répondit qu'il était un peu raide, mais qu'il savait s'en servir. Elle lui demanda de la prévenir si jamais il avait d'autres problèmes.
Un couple japonais servait le repas. Il s'agissait de Charlie et Helen Itsobu, tous deux la trentaine. Charlie avait été cuisinier en chef au restaurant japonais préféré de Peter à San Francisco. Peter réalisa que le jeune homme devait être très doué car à son âge, on ne montait que rarement aussi vite en cuisine. Il le complimenta et Charlie lui sourit en s'excusant de la médiocrité de ce repas. Il donna un gâteau de blé supplémentaire à Peter en lui faisant un clin d’œil.
Alors que Peter s'éloignait du camping-car, les Gianelli lui firent signe, l'invitant à se joindre à eux pour le repas. Peter accepta avec plaisir. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas mangé en bonne compagnie et il se sentait grisé par toute cette camaraderie. Kudjo lui fit une tape dans le dos lorsqu'il s'assit, puis il prit une moto et s'en alla. « Où va-t-il ? » demanda Peter.
« Oh, il est notre éclaireur » répondit Dom Gianelli. « Il part devant et vérifie que la route est sûre. C'est ce qu'il faisait quand il vous a trouvé hier. »
Peter hocha la tête. « Ça tombe sous le sens. »
« C'est un homme bien, Kudjo. Il aurait fait un excellent joueur de foot, je parie. Un receveur naturel, à en juger son apparence. »
« Je peux me joindre à vous ? » demanda une voix féminine. « Je ne peux pas rater l'occasion de rencontrer un célibataire potable. »
« Bien sûr. » Gina Gianelli sourit.
La fille qui prit place à côté de Peter était petite et un peu trapue avec des cheveux bruns et de grands yeux de chiot. Mais son trait le plus caractéristique était sans doute son nez, tellement grand qu'il couvrait une bonne partie de son visage. « Je suis Marcia Konigsburg, vingt-quatre ans et pas mariée. Non pas que je vous considère comme un futur mari, mais autant le dire tout de suite. Je crée des vêtements pour des boutiques et je fais aussi des costumes pour le théâtre. Je suppose que c'est pour ça que Honon m'a demandé de venir. Peu importe où on atterrira, il faudra quelqu'un pour confectionner des vêtements. »
Peter l'appréciait déjà. Elle était sympathique et avait un certain charme. « J'ai lu votre livre, vous savez. » poursuivit-elle.
« Alors, c'est vous. »
« Hé, vous êtes drôle aussi. Ouais, j'ai vraiment été impressionnée. J'étais en deuxième année de fac et je suppose qu'à peu près tout m'impressionnait. David Hume, Aleister Crowley et vous. Vous étiez mes préférés.
« Nous formons un étrange trio. »
« Si ça peut vous consoler, mes amis m'ont dit que je n'avais pas de goût. Voilà le genre de gens que je fréquente. Ils sont tous fous. »
Peter eut soudain une étrange sensation dans la nuque, comme si on l'observait. Il se retourna et aperçut une fille qui l'observait depuis l'une des voitures. Elle était jeune, mince et blonde, arborant un air presque angélique. Lorsqu'il se tourna pour la regarder, elle détourna le regard, feignant de ne pas le voir. Il haussa les épaules et reporta son attention sur la conversation.
Marcia n'avait même pas remarqué son inattention et était en train de raconter comment elle avait vécu la chute du système éducatif.
« Et c'était exactement comme vous l'aviez dit. Les cours avaient de moins en moins de rapport avec la réalité car la réalité leur échappait. » Ses mots semblaient presque tout droit sortis du livre, elle devait l'avoir appris par cœur.
Dom Gianelli fit signe à un homme grand, portant une chemise blanche et un pantalon noir. « Père Tagon », appela-t-il. « Joignez-vous donc à nous ! »
L'homme en question s'exécuta. « Attendez d'avoir rencontré ce gars », dit Dom à Peter. « Il pourrait provoquer quelques discussions. »
Le nouveau venu était un homme grand et mince, la trentaine, avec un nez d'aigle, des yeux bruns, un front haut et des cheveux bruns. « Salut », dit-il en se penchant vers Peter pour lui serrer la main. « Je suis Jason Tagon. »
« Dom vous a appelé « Père » ? »
« Il aurait aussi pu m'appeler « Docteur ». J'ai un doctorat en astronomie. Mais oui, je suis prêtre. Les titres n'ont plus grande importance de nos jours, alors je préfère qu'on m'appelle Jason. »
Peter hocha la tête et rangea ce fait dans un coin de sa mémoire qui commençait à être surchargée avec tous ces nouveaux visages et noms. « Dom a mentionné des discussions ? »
« Il y est allé un peu fort. Je ne peux pas contredire vos prédictions étant donné qu'elles se sont réalisées. C'est votre attitude qui me dérange. »
« Concernant l’Église Catholique ? »
Jason sourit. « Ce n'est qu'une petite partie. Vous avez dit – et je vais essayer de citer - 'l’Église Catholique en a fait davantage que n'importe quelle organisation de l'Histoire pour retarder le progrès humain' ».
« J'espère que vous ne l'avez pas pris de façon trop personnelle. Le fait est que l’Église Catholique existe plus longtemps que n'importe quelle organisation de l'Histoire. Toutes les organisations sont devenues répressives dans une certaine mesure. Elles dépassent un certain point de leur existence où leur fonction devient celle de l'auto-préservation plutôt que celle de garder son but d'origine. Je m'exprimais contre la bureaucratie, non contre les Catholiques en tant qu'individus. »
« Je sais. Mais les Catholiques sont élevés en croyant que l’Église ne peut pas faire de mal. Mais ce n'était pas toute mon objection. En tant que porte-parole de Dieu, j'ai eu l'impression que vous l'avez omis de vos calculs. »
« En tant qu'agnostique », répondit Peter, « je ne pouvais m'empêcher de croire que le surnaturel était superflu dans mes calculs. Je me suis surtout penché sur l'écologie sociale. Les lois ont été créées par Dieu – s'Il existe – il y a longtemps et je ne pouvais prévoir des changements dans ces lois une fois que tout avait commencé. Je me suis surtout préoccupé des êtres humains. »
« Et vous avez ignoré la possibilité d'une intervention divine. »
« Disons que je n'aurais pas été contre, mais je n'y comptais pas. »
« Qu'en est-il de la tentative de colonisation interstellaire ? »
« Si vous essayez de dire qu'il s'agit d'une intervention divine, je ne pourrai pas le contredire. Mais je vous mets au défi de prouver que ce n'était pas uniquement le travail de quelques hommes ingénieux. »
« Touché », Jason sourit.
Peter eut une nouvelle fois l'impression d'être observé. Il se retourna et vit la fille blonde le fixer à quelques pas de là. « C'est qui ? » demanda-t-il aux gens autour de lui.
« C'est Risa Svenson » répondit Marcia. « On l'a recueillie à Monterey. C'est une fille plutôt étrange si vous voulez mon avis. »
« Étrange ? Dans quelle mesure ? »
« En gros, elle est juste timide » expliqua le prêtre. « Et puis, elle est jeune. Cela l'incite à se tenir à l'écart des autres. C'est quelqu'un de très gentil. »
« J'aimerais aller lui parler un peu. Merci d'avoir partagé ce moment avec moi. Jason, j'aimerais poursuivre cette discussion plus tard. »
Il se leva et s'avança vers la jeune fille qui faisait encore mine de ne pas le voir.
« Excuse-moi, mais pourquoi tu me fixes ? »
Elle leva les yeux vers lui, surprise. « Je ne... »
« Si, tu me fixais. Ça ne me dérange pas vraiment, mais j'aimerais savoir pourquoi. »
Elle ouvrit la bouche pour sortir une excuse, la referma, puis déclara. « Vous étiez tellement célèbre et je voulais juste vous regarder de plus près. C'est mal ? »
« Non. En fait, je suis plutôt soulagé de voir que je ne ressemble pas au monstre hideux que tu imaginais. »
A en juger son expression, Peter savait qu'il avait vu juste. « Je ne pensais pas que vous étiez un monstre », dit-elle.
« Bien sûr que non. »
« Mais j'ai entendu tellement de mauvaises choses sur vous. »
« Tu as lu mon livre ? »
« Non, j'étais trop petite. Mais j'ai vu une émission sur ça. Je n'ai pas aimé, c'était déprimant et pessimiste. »
« C'était déprimant et pessimiste. Je ne l'aimais pas non plus. Mais que peut-on faire contre la vérité ? Si on la cache dans un coin, elle finira par ressurgir et te sauter au visage. »
« C'est....Je ne sais pas. Je veux croire qu'il y a de l'espoir pour le monde, quelque part. Votre livre a fait croire aux gens qu'il n'y en avait pas. »
« La situation était visible pour tous. J'étais juste celui qui a attiré l'attention dessus. Mais ça n'a rien changé. Les gens ont fermé les yeux et piétiné le futur. J'ai seulement énoncé des faits. »
« Les faits ne suffisent pas », dit la fille. « Il faut des rêves aussi. »
« Quel âge as-tu ? »
La fille le regarda, sur la défensive. « Dix-neuf ans, pourquoi ? »
« Quand j'avais dix-neuf ans, je venais d'obtenir ma licence en sociologie. Les gens me considéraient comme un genre de génie et j'ai participé à un programme universitaire accéléré. J'avais des rêves à l'époque, de beaux rêves. J'allais remédier à tous les problèmes du monde, arranger les choses pour qu'on puisse vivre en paix. » Il haussa les épaules. « Ensuite, quelque chose s'est produit. Peut-être que j'ai juste grandi, je ne sais pas. Mais en quelques années seulement, tous mes rêves sont devenus des cauchemars. Le monde courait joyeusement à sa perte et personne ne faisait rien pour l'arrêter. J'ai essayé de crier, j'ai essayé de freiner tout ça, mais on m'a ignoré. Est-ce étonnant que je me sois senti désespéré ? » Il se rendit compte qu'il avait les larmes aux yeux. Il ne manquerait plus que j'éclate en sanglots devant une parfaite inconnue, pensa-t-il tout en se demandant pourquoi elle le touchait au point d'avoir envie de pleurer.
A sa grande surprise, la fille se radoucit. « Je suis désolée », dit-elle en lui touchant gentiment le bras. « Je ne savais pas. C'est triste de voir tous ses espoirs anéantis de la sorte. »

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