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La Sacrifiée Indécise
Ines Johnson
Après des années de maltraitance, elle croyait n’avoir aucune valeur. Mais lorsqu’elle est sacrifiée à un dragon, elle devient son trésor.
Né dans la violence, Béryl est le plus grand et le plus musclé des six frères méta-dragons. Sa bête aime une bonne bagarre et il a reçu le surnom de Hulk, d’après ses héros, l’Incroyable Hulk et Hulk Hogan. Quand son dernier combat dérape et que son dragon manque de tuer un autre métamorphe, Béryl sait que la seule chose qui puisse dompter sa bête, c’est une sacrifiée. Cependant, quand l’humaine destinée à être sa compagne arrive, elle est petite et craintive et recule à son contact.
Avec une mère prostituée et un petit ami proxénète, Poppy connait beaucoup trop les tendances violentes du sexe opposé. Les taches disgracieuses sur sa peau la rendent inadaptée pour travailler sur le trottoir. Son manque de compétence en cuisine la disqualifie pour être une déesse du foyer. Alors quand elle est sacrifiée à un dragon cracheur de feu, elle est certaine que c’est pour être son en-cas du soir. Bien que le toucher délicat de cet homme imposant éveille en elle un désir qu’elle n’a jamais ressenti auparavant, ses manières frustres aggravent les blessures qu’elle garde secrètes.
Béryl prend conscience qu’il ne peut pas continuer à se bagarrer s’il veut gagner la confiance de sa timide compagne. Il est disposé à être patient, mais avec chaque jour qui passe sans qu’elle soit revendiquée, son dragon devient ingérable et les autres métamorphes deviennent plus menaçants. Pour accepter la revendication de Béryl, Poppy devra surmonter son passé et apprendre à s’aimer, chose qu’elle n’est pas sûre de pouvoir faire – même pour l’amour de son gentil géant.
Si vous aimez les mâles alphas métamorphes, les âmes sœurs, et les histoires d’amour passionnées avec une touche de nostalgie des années 80, alors vous ne manquerez pas la séries Les Derniers Dragons.


LA SACRIFIÉE INDÉCISE
Cet ouvrage est une œuvre de fiction. Tous les personnages, lieux, et événements décrits dans cet ouvrage sont fictifs ou utilisés de manière fictive.
Toute reproduction ou transmission de cet ouvrage, en tout ou en partie, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, est interdite, excepté pour les distributeurs agréés, ou avec la permission écrite de l’auteur.
Copyright © 2019, Ines Johnson.
Tous droits réservés.
Première édition aux États-Unis : octobre 2019
Couverture : Jacqueline Sweet Designs
Titre original : The Dragon’s Ambivalent Sacrifice
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Ingrao

TABLE DES MATIÈRES
Chapitre 1 (#u270316be-b815-547d-b636-6284d6134d51)
Chapitre 2 (#u025c6856-e31c-56f2-874f-65bd70c167a8)
Chapitre 3 (#ue86bcf34-d42c-5224-8622-e3c042865249)
Chapitre 4 (#u05a6bc3f-461d-5235-aa26-8a001d2a6e29)
Chapitre 5 (#ub4f1f48d-7dd1-5249-addb-261d53cd496d)
Chapitre 6 (#u03ead6be-310b-50d2-a133-7bd150d49bb8)
Chapitre 7 (#ucec89085-ad67-5b86-8329-94543de6d9c6)
Chapitre 8 (#ud182380e-6646-5c33-a4ff-7973faa501d7)
Chapitre 9 (#ua7307034-b05c-5a7e-8baa-a20b855f390b)
Chapitre 10 (#uf5d74414-afd8-594d-a63d-eb3dc3912912)
Chapitre 11 (#uc8717b1f-6a59-5ebd-b7e5-532a067fb941)
Chapitre 12 (#uf2be2489-740c-5a46-990b-c6bf480c95a3)
Chapitre 13 (#u258480ff-4447-536e-b45f-ec18a2453a8b)
Chapitre 14 (#u5f2aa8f4-6158-5104-b9d8-732a2abe0322)
Chapitre 15 (#u12ab288a-f514-5c62-a687-605569e809bf)
Chapitre 16 (#ua0a38d84-0672-526b-8e2d-257c0fd0e44a)
Chapitre 17 (#u65e6a5a8-c6d1-5053-bd8c-975f756b3a68)
Chapitre 18 (#ue460831f-97d7-58ea-8aae-92cc42cda1b8)
Chapitre 19 (#ud6cc0c1d-8863-579f-add4-7a2af4b527ba)
Chapitre 20 (#u7b012ff2-5c4e-541c-bb43-d59e4cf9e32c)
Chapitre 21 (#ue948ef6e-9926-5f97-853c-62b89d7a21b3)
Chapitre 22 (#u74798f89-a3a5-5bdf-8a53-9fc58f8882da)
Chapitre 23 (#u655cd9c4-1c97-55fd-895a-b351a55ee050)
Chapitre 24 (#u06aa66f4-92ec-5ee5-a439-3a98e26e9f23)
Chapitre 25 (#u453c97f8-afe6-59d1-aa35-21ed9af67f2e)
Chapitre 26 (#u304a17c6-42e1-5cf1-8447-ef7b6619a0f9)
Épilogue (#uccd3d5f8-a5f3-5848-9d87-fc7bb09743c1)

CHAPITRE 1
Clac. Crac. Boum.
Le crâne de Béryl bascula violemment en arrière, touchant pratiquement l’espace entre ses omoplates. Sa pomme d’Adam étira l’arche de son cou comme si elle allait en transpercer la peau. La violence du recul enfonça la lèvre de Béryl sur ses incisives. Un grognement s’échappa de sa gorge.
Ce n’était pas un grognement de douleur. Béryl lécha le sang de sa lèvre fendue. Sa bouche s’étira en un sourire, élargissant la coupure et rendant la douleur plus piquante.
Il marcha avec arrogance vers son adversaire. Cette brute faisait la même taille que Béryl et était tout aussi costaud. Le torse massif de Léander était recouvert d’un tapis de duvet blond qui frisait au contact des gouttes de sueur salée s’infiltrant dans ses boucles. Ses énormes pattes avaient presque la même taille que la tête de Béryl. Ces armes se terminaient par des griffes.
Pas de problème. Béryl aussi avait des griffes, et elles étaient tout aussi acérées. La fourrure dorée heurta les écailles vertes lorsque le lion et le dragon entrèrent violemment en contact sur le ring.
Béryl repoussa le lion métamorphe dans le coin. Il l’avait acculé. La foule rassemblée cria des encouragements. Béryl se retourna, levant les bras en l’air pour accepter les acclamations.
La Bérylmania battait son plein dans la foule, ce soir. S’il avait porté un t-shirt jaune, il l’aurait arraché de son torse. Mais le jaune n’était pas sa vraie couleur. En haut, dans la foule, il y avait quelques bandanas vert émeraude arborant son nom écrit en lettres dorées. Les fées agitaient leurs poings en l’air et scandaient son nom et son titre.
Béryl, le Champion poids lourd du Voile.
Dans son coin, son frère Ilia criait des instructions comme, « Vise son genou ! » ou « Ne lui tourne pas le dos ! » ou « Fais attention, ne sois pas trop sûr de toi ! » Que Béryl n’écoutait absolument pas. C’était lui le champion, pas Ilia qui n’avait pas gagné son match contre un méta-loup un peu plus tôt.
Venant de derrière, Béryl sentit une entaille lacérer ses omoplates. Puis un coup lui fut asséné sur le flanc. Il se plia en deux et reçut un rapide coup de pied au visage.
Il vit rouge, puis des étoiles, puis tout fut noir.
Clignant rapidement des yeux, Béryl se remit péniblement sur ses pieds. Il vit deux Ilia secouer la tête, dans le coin. Il vit deux Léander arriver sur lui depuis le coin opposé. Il cligna encore des paupières, et les deux lions se réunirent en un seul féroce prédateur fonçant sur sa proie.
Stupide lionceau. Ne le savait-il pas ? Les dragons étaient au sommet de la chaîne alimentaire dans ces territoires au-delà du Voile. Et Béryl était le plus grand, le plus méchant, le plus féroce dragon de son clan. Le meilleur combattant de tout le Voile. C’était marqué sur sa ceinture de champion tape-à-l’œil.
Ne quittant pas son adversaire des yeux cette fois-ci, Béryl s’accroupit. S’enfonçant sur ses jambes, il attendit l’assaut. Il n’était pas connu pour sa patience ni pour sa ruse, seulement pour sa force brute. Quand il s’agissait de combattre, la stratégie jaillissait tout naturellement dans sa grosse tête d’imbécile.
Quand Léander ne fut plus qu’à deux pas de lui, Béryl déploya les ailes sur son dos et s’élança dans les airs. Les cheveux parfaitement bouclés du lion se soulevèrent, ébouriffés par les puissantes ailes de Béryl lorsqu’elles le transportèrent au-dessus du mâle, puis derrière lui. Béryl donna un rapide coup de pied dans le sacrum de Léander. Le lion rugit en tombant à genoux. À une vitesse reptilienne, Béryl agrippa Léander autour du cou et le maintint dans une clé de soumission. Les superprédateurs n’aimaient pas se laisser intimider. La raison du plus fort était un proverbe qui trouvait son origine chez les métamorphes, pas chez les humains.
Les fées, trolls, et autres métamorphes qui s’étaient rassemblés dans les entrailles du God’s Teet rugirent leur approbation. Tout en haut, dans une section spéciale, se trouvaient les Valkyries. Les dragons étaient peut-être au sommet de la chaîne alimentaire, mais les Valkyries tenaient cette chaîne dans leurs poings manucurés. Ces femmes habillées de cuir étaient les gardiennes de la paix de ce ramassis hétéroclite de créatures contre nature. Contre nature parce que tous les êtres de ce royaume étaient issus d’une fabrication, et non pas d’une évolution comme les plantes et les animaux du monde des humains.
Une nouvelle fois, l’attention de Béryl étant distraite, Léander échappa à sa prise. Le lion rentra le menton et roula du creux du coude de Béryl comme ils avaient vu Hulk Hogan le faire avec André le Géant. Béryl savait que le lutteur préféré de tous les temps de Léander était l’imposant géant. Ils avaient passé suffisamment de temps dans le repaire de Béryl à regarder le match Wrestlemania III. Mais le lion ne se souvenait-il pas de la façon dont le match se terminait ? Parce que sinon, il allait avoir une piqûre de rappel.
— On va s’affronter comme Dieu l’a voulu ; de façon sportive. Sans ruses. Sans armes. Le talent contre le talent.
Béryl leva les yeux au ciel en entendant Léander citer la réplique de son film préféré. La patte géante du lion frappa, touchant l’œil de Béryl. Le dragon de Béryl fut fou de joie. La bête était impatiente de voir la nouvelle cicatrice. Il aimait le sang, il avait besoin de la violence. C’était la seule chose qui calmait sa bête intérieure. Pas la seule chose à y parvenir. Juste le seul moyen à sa disposition.
Béryl combattait ses frères tous les jours. C’était nécessaire pour leurs dragons qui, jour après jour, devenaient plus animaux qu’humains. Combattre leur donnait un semblant d’équilibre. Mais la jauge penchait en leur défaveur. Et pas juste pour les dragons. L’équilibre était précaire pour tous les métamorphes mâles du royaume.
Béryl en avait fini de jouer avec le lion. Il dansa autour de son ami et rival, léger sur ses pieds, bougeant les jambes rapidement. Il était toujours élégant quand il se battait. Il aimait présenter un beau spectacle à tous ceux qui y assistaient.
Les femmes fées du public poussèrent un soupir audible par-dessus le craquement des os et l’écrasement des chairs. L’air était saturé du parfum sucré de leur désir. Levant les yeux, Béryl vit les fées le regarder avec admiration. Les créatures florales étaient toutes extrêmement souples, avec leurs membres semblables à des lianes. Il aurait le choix parmi les fleurs, ce soir, mais son regard revenait sans cesse vers les Valkyries. Les chasseresses assoiffées de sang étaient plus intéressées par leur bière que par le combat. Les Valkyries ne s’inclinaient devant personne. Mais elles avaient tout de même une faiblesse.
— T’as fini de flirter ? dit Léander. Ou tu veux que je quitte le ring pour que tu puisses prendre ces fleurs au corps à corps ?
— Il y a d’autres choses dont tu devrais t’inquiéter, frérot, dit Béryl. Qu’est-ce que tu feras quand Bérylmania viendra pour toi ?
Léander leva les yeux au ciel et chargea. Il sauta dans les airs avec deux pieds, comme un homme, et atterrit à quatre pattes comme un lion gigantesque. Ses pattes puissantes tambourinèrent sur le sol du ring, faisant trembler tout l’endroit de sa férocité. Il ouvrit la bouche, ses canines dégoulinantes, et rugit. L’atmosphère tout autour s’agita comme au début d’une tempête.
Le dragon avait poussé contre la peau de Béryl toute la soirée. Enfin, Béryl laissa la bête prendre possession de son corps. C’était la seule manière de le satisfaire, ce soir. Et puis, ce n’était pas comme s’il pouvait encore beaucoup contrôler ses métamorphoses. Si le dragon voulait sortir, il le ferait.
Les griffes de Béryl raclèrent le sol lorsqu’il atterrit. Les deux animaux s’affrontèrent au centre du ring. Léander infligea encore quelques petits coups bien placés avant que Béryl ne lui entoure le corps de ses griffes. Il souleva l’énorme lion dans les airs et le projeta en un body-slam, exactement comme il avait vu son héros, Hulk Hogan, le faire à André le Géant dans leur match final.
L’impact secoua l’établissement. Une vague de créatures sautèrent hors de leurs sièges, puis bondirent sur leurs pieds, rugissant leurs acclamations. Une fois Léander sur le dos, Béryl fut capable de le bloquer avec une autre prise de soumission. Cette prise suffit car, contrairement à l’homme qui pouvait facilement être distrait, le dragon n’avait qu’un seul objectif.
La douleur.
Infliger de la douleur était la seule chose qui mettait la bête au pas. Alors il resserra son étreinte autour de la crinière de Léander.
La tête du lion était trop grosse. Il ne pouvait pas baisser le menton et s’échapper, cette fois. La seule option de Léander était de taper de la main pour abandonner. Après de longs moments pris au piège dans l’étreinte du dragon, les griffes de Léander vinrent tapoter le bras de Béryl.
Il avait réussi. Il avait sauvegardé son titre. Le combat était terminé. Alors pourquoi Ilia criait-il toujours des instructions depuis le coin ?
Béryl ignora son frère et savoura sa victoire. Beaucoup de métamorphes mâles avaient combattu dans ces matches en cage au fil des semaines. Personne n’avait surpassé Béryl. Ni les ours, ni les loups. Ni son frère. Et à présent, le puissant Léander, Roi des Animaux, était vaincu.
Béryl baissa les yeux vers Léander. Ses lèvres étaient bleues. Ses yeux lui ressortaient des orbites.
Oh, merde. Il le tenait toujours dans une prise d’étranglement. Il fallait qu’il le lâche. Seulement, son dragon ne cédait pas.
Béryl essaya de desserrer la prise de la bête, mais le dragon était trop puissant. Il voulait le sang du lion.
Béryl regarda au fond des yeux du lion tandis que la vie les quittait lentement. Il y avait de la reconnaissance, là. C’était Léander. Son ami. Ils jouaient à se battre quand ils n’étaient encore tous les deux que des bébés. Ils partageaient une passion pour l’haltérophilie et la musculation, essayant de voir qui aurait le plus de muscles.
Les muscles de Léander étaient tendus à présent que son souffle quittait son corps. Le lion n’avait même pas eu envie de ce combat. Béryl l’avait provoqué de la seule manière qu’il connaisse. Léander avait un secret ; un secret qu’il n’avait confié qu’à lui. Et Béryl avait menacé de le révéler à tout le royaume si Léander ne le rejoignait pas sur le ring.
À l’intérieur de lui-même, Béryl luttait pour un combat perdu d’avance. Son dragon goûtait le sang dans l’air, et il en voulait davantage. Était-ce la fin ? Était-ce son dernier instant en tant qu’homme alors que le dragon prenait complètement le contrôle de son corps comme son frère Rhyol l’avait fait ?
Peut-être bien, parce que, d’une façon ou d’une autre, Béryl volait dans les airs sans se souvenir d’avoir décollé.
Les ailes de Béryl se déployèrent et attrapèrent le courant avant d’atterrir. Son dragon se retourna, prêt à faire face à l’ennemi suivant. Et il s’arrêta net.
Une femme blonde, plus petite que le lion, mais avec un regard féroce, se mettait en garde face à lui. Elle se tenait au-dessus du lion métamorphe inconscient. Bien qu’elle soit l’arbitre du match, son visage rond et ses hautes pommettes trahissaient son lien avec le mâle avachi sur le tapis.
Instantanément, la bête de Béryl laissa place à l’homme. Il se retrouva au centre du ring, nu comme un ver, sa bête ayant déchiré ses vêtements lors de la métamorphose. Béryl baissa la tête de honte, ne croisant pas le regard de la femme.
— Mes excuses, lionne.
— Contrôle ta bête, gronda Léona, ou tu ne seras plus invité à venir jouer avec mes garçons.
— Oui, m’dame.
Les matches avaient été l’idée de Léona. C’était elle qui avait approché Béryl. Il ne s’était pas demandé pourquoi la mère de six lions mâles avait organisé les matches. Ça avait semblé évident ; elle était la mère de six lions mâles. Elle avait besoin d’un moyen de libérer leur agressivité qui ne causerait pas davantage de dégâts dans son repaire.
Léona se retourna vers son fils. Elle n’examina pas ses blessures ni ne l’aida à se relever comme une mère normale le ferait. Parce que c’était une lionne. Quand elle vit que son aîné respirait toujours, elle se tourna vers la foule et annonça que Béryl était le vainqueur.
La foule scanda son nom. Lors de ses combats précédents, cela avait représenté le temps fort du match d’entendre des applaudissements pour ce qui lui venait naturellement. Mais avec ce match-ci, il avait l’impression d’avoir perdu le concours.
Il avait perdu quelque chose. Il s’était perdu lui-même. Il n’avait aucune prise sur son animal. Si Léona n’était pas intervenue, Béryl n’était pas certain qu’il aurait regagné le contrôle. Il aurait pu tuer Léander. Alors qu’en fait, Béryl aimait bien ce joli garçon, énorme et poilu. Plus qu’il aimait son propre frère.
— C’était un très mauvais esprit sportif, dit Ilia lorsque Béryl descendit du ring. Tu aurais dû viser ses genoux à la place—
— Ferme-là.
Béryl donna une bourrade à son frère.
Ilia, qui était trente centimètres plus petit et pesait dix kilos de moins que Béryl, retomba dans une foule de fées. Les fleurs le rattrapèrent dans leur étreinte végétale. Les yeux bruns d’Ilia furent traversés d’un éclair de jade, son dragon se manifestant en réponse à l’attaque de Béryl.
Béryl ressentit un pincement de remords, mais il le piétina rapidement. Ilia avait l’habitude de ce genre de traitement, étant l’avorton de la portée. Et Béryl n’avait pas le temps de s’excuser. Il y avait des choses plus importantes dont il devait s’occuper.
Il se fraya un chemin dans la foule enthousiaste. Sans se préoccuper de couvrir sa virilité en cours de route.
— Laisse-moi guérir ces blessures, dit une fée.
Elle s’appelait Dahlia.
Il l’avait eue plusieurs fois. Son doux parfum l’attirait d’habitude, mais il était amer, ce soir. Il n’avait pas cédé aux fées depuis un bon moment, à présent, pas depuis qu’il savait qu’il y avait une chance.
Béryl s’écarta de Dahlia et poursuivit son chemin vers les Valkyries qui partaient.
— Siggy ? Hilda ? Aucune nouvelle en provenance de l’autre côté du Voile ?
Hilda se tourna vers lui, ses tresses voletant avec son mouvement. Son épée se leva et décrivit un arc jusqu’à la gorge de Béryl. Il déglutit. La lame accrocha sa pomme d’Adam.
— Pour qui me prends-tu ? dit Hilda en retroussant les lèvres tout en toisant Béryl. Le Journal de 20h ?
Béryl leva les mains en signe d’apaisement.
— Mes excuses. Je demandais simplement si vous aviez des nouvelles de Morrigan.
— Morri n’est pas revenue de sa chasse, dit Siggy.
Son regard fixait sans vergogne les bijoux de famille de Béryl.
Quelques semaines plus tôt, Corin, le frère de Béryl, avait conclu un accord avec les Valkyries pour qu’elles leur ramènent des sacrifiées en échange de pierres précieuses. Béryl avait pris Morrigan à part et lui avait offert son poids en émeraudes si elle lui ramenait sa première prise. Mais il n’avait plus vu un cheveu de la Valkyrie depuis.
— Je double le prix si vous la rejoignez dans sa chasse.
Béryl laissa le dragon remonter à la surface. Ses yeux étincelèrent d’un vert émeraude.
Les regards des Valkyries eurent un éclair doré de convoitise. C’était l’unique faiblesse des farouches guerrières. Elles aimaient les pierres précieuses. Elles aimaient la plupart des choses scintillantes. Les dragons extrayaient les joyaux de leurs mines et étaient réputés pour couver leurs trésors. Mais les dragons chérissaient leurs sacrifiées plus que les joyaux de leur montagne.
— Nous ne travaillons pas pour toi, dit Hilda dont la voix avait perdu son ton mordant. Nous ne sommes pas ici pour faire apparaître ton plan cul personnel.
Ce n’était pas un plan cul. C’était une bouée de sauvetage. Une sacrifiée, une femme toute à lui, à protéger, à chérir et à qui donner du plaisir, était la seule chose qui calmerait sa bête de façon permanente et la garderait en laisse. Si Béryl n’obtenait pas de sacrifiée rapidement, son dragon prendrait le contrôle du corps qu’ils partageaient, et l’homme serait coincé à l’intérieur. Sinon, Béryl devrait continuer à combattre lors de ces matches en cage pour garder un semblant de contrôle. Si ce soir avait prouvé quelque chose, c’est qu’avec son contrôle qui diminuait, au cours du prochain match, quelqu’un mourrait.

CHAPITRE 2
— Vous êtes fatiguée de votre train-train quotidien ?
Poppy Maddow releva la tête de sa planche à repasser. Sur l’écran carré de la télévision, une jeune femme blonde au sourire joyeux haussa le sourcil d’un air conspirateur. La jeune femme regardait Poppy en simple définition sur l’écran douze pouces, mais Poppy eut l’impression qu’elle pouvait voir ses désirs les plus profonds.
— Nous vivons sur une belle planète avec de magnifiques paysages, des vues à couper le souffle, et des paradis tropicaux.
Poppy jeta un coup d’œil par la fenêtre de la caravane. Il n’y avait pas grand-chose à voir. À part des arbres nus, des voitures rouillées posées sur des blocs, des tas débordants d’ordures, et une décharge qui était autrefois un étang boueux.
— Alors venez avec moi et évadez-vous dans un univers de montagnes pittoresques, de mers émeraude et de cités médiévales.
Sur l’écran douze pouces, la caméra dévoila une vue aérienne d’eaux vertes, mais pas du vert des eaux usées de l’arrière-cour de Poppy. Elle pouvait voir dans les profondeurs de la mer, à la télévision. À l’inverse de la forêt aride derrière chez elle, des feuilles d’un vert luxuriant couronnaient chaque arbre. Le brun qui recouvrait le paysage, dans l’émission télévisée, était du sable et non la poussière et la crasse de la pauvreté.
Poppy se pencha en avant, les yeux écarquillés, le cœur battant, les pieds mourant d’envie de s’enfuir vers cette merveille.
— Où est mon putain de pantalon ?
Poppy ne sursauta pas en entendant le braillement rauque. On lui avait crié dessus toute sa vie. C’était normal, pour elle, que Bruce élève la voix.
Elle ouvrit la bouche pour lui dire qu’elle était en train de repasser le pantalon qu’il cherchait. Au lieu de cela, elle s’étrangla, et aucun mot ne sortit de sa bouche. En baissant les yeux, elle vit qu’il y avait une tache noire sur la jambe droite du pantalon. Quand elle avait été captivée par la destination touristique exotique, elle avait oublié le fer à repasser, et il avait brûlé une partie du meilleur pantalon de Bruce.
Merde. Elle allait s’en prendre une.
Poppy se précipita pour cacher la preuve. Malheureusement, il n’y avait pas beaucoup de place dans la caravane. Chaque pièce faisait double emploi. La cuisine était aussi la salle à manger. Chaque placard était rempli à ras bord de pots en verre, de casseroles, de tubes et autres outils et ustensiles nécessaires à la fabrication de la drogue abrutissante qui maintenait un toit métallique au-dessus de leurs têtes. Alors, elle ne pouvait pas fourrer le pantalon là-dedans.
La seule option était de fourrer le pantalon sous sa robe d’été. C’était un endroit où Bruce ne regarderait pas. Il lui écarterait bien les cuisses au milieu de la journée s’il n’avait pas tiré son coup avec une de ses michetonneuses pendant la nuit, mais il ne lèverait jamais les yeux sur elle pendant qu’il le faisait.
— Tu m’as entendu, espèce de pétasse moche ? dit Bruce en tournant l’angle de la chambre à coucher qui faisait aussi office de salon.
Il portait un caleçon moulant et miteux, sa bedaine débordant par-dessus. Son torse velu était nu. Il y avait un trou à l’orteil de l’une de ses chaussettes bleues. Mais c’était ses chaussettes des grandes occasions. Visiblement, il devait aller quelque part d’important, et il avait besoin de ce jean, sa meilleure tenue.
Merde, merde.
— Tu as regardé dans le panier à linge ? demanda innocemment Poppy.
Elle tapota son ventre, essayant d’avoir l’air naturel et non pas l’air d’être enceinte. Une chose sur laquelle elle ne faisait jamais l’impasse malgré ses maigres revenus, c’était la contraception. Elle se rendait à la clinique voisine tous les mois, avec une régularité de métronome, pour sa pilule. Elle n’avait pas envie de faire naître un bébé dans cette misérable vie dont elle voulait elle-même s’échapper.
— Tu devais faire la lessive, dit Bruce en fonçant vers elle tandis que ses pas secouaient la caravane sur sa base. Je ne peux pas mettre ton cul répugnant sur le trottoir pour gagner quelque chose. Tu es allergique aux putains de produits chimiques pour fabriquer mon produit. Tu sers à quoi si tu ne peux même pas faire le putain de ménage, salope ?
Il la poussa, mais il n’y avait pas vraiment de place où elle puisse aller dans l’espace confiné. Son dos cogna la cuisinière, et elle glissa le long de sa surface. Le pantalon s’échappa de sous sa robe.
— C’est quoi, ce bordel ?
Il lui arracha le pantalon avant qu’elle puisse à nouveau le cacher. Le dos de la main de Bruce entra en contact avec le côté du visage de Poppy avant qu’elle ne puisse lui faire des excuses ou s’écarter de son chemin.
— Putain de connasse bonne à rien. Ce pantalon, c’est une vraie imitation de Gucci. Je l’ai payé cinquante balles.
Deux ou trois mois auparavant, elle avait brûlé le steak qu’il avait volé dans la cuisine d’un restaurant. Il y en avait eu pour vingt-cinq dollars de viande. Il l’avait frappée une fois pour ça. Cinquante balles, c’était une fortune. Poppy leva les bras, attendant le second coup.
— Couvre-toi, aboya Bruce.
Il tira sur sa robe pour la faire descendre, mais le tissu usé ne s’étendait pas assez pour couvrir la laideur de ses jambes. Il se détourna d’elle. Les taches sur ses membres étaient une des raisons pour lesquelles il ne la regardait pas quand il la sautait au milieu de la journée.
— Tu sais ce que je devrais faire ? dit-il, toujours accroupi au-dessus d’elle. Je devrais balancer ton cul derrière un glory hole. Personne n’aurait à regarder ce cul répugnant, alors.
Son haleine était chargée des relents de la chatte d’une autre femme. Ses ongles étaient noirs de la crasse de son boulot de nuit comme proxénète local du parc de caravanes. Les veines de ses biceps étaient pleines de cicatrices dues à l’abus de son produit.
Poppy releva les genoux pour couvrir les taches sensibles de ses jambes. La décoloration faisait ressembler sa peau nue à celle d’une lépreuse. C’est comme ça qu’on l’avait appelée à l’école primaire, quand les taches avaient commencé à apparaître. Les docteurs avaient tous dit qu’elle n’avait pas cette maladie. Ils étaient incapables d’expliquer ce qui n’allait pas chez elle.
Sa mère avait eu les mêmes problèmes de peau. Ça ne l’avait pas empêchée de faire le trottoir. C’était l’un des rares boulots disponibles ici, dans ce trou paumé de Knudsen. C’était soit travailler à genoux pour faire le ménage, soit travailler sur le dos pour faire des passes.
Kellyanne avait été déterminée à ce que sa petite fille ne travaille jamais sur le dos. Mais Poppy avait fini par avoir le pire des deux mondes. Elle commençait ses journées à genoux, en nettoyant la porcherie de Bruce et en faisant la lessive pour ses michetonneuses qui faisaient le trottoir. Puis elle se couchait sur le côté, la nuit, en espérant qu’il ne rentrerait pas à la maison pour la mettre sur le dos.
Sa vie n’était pas si mal. D’autres filles vivaient bien pire. Elle pouvait passer ses journées seules tandis que les autres femmes se rassemblaient aux abords du terrain de camping pour attendre les passants. Elle avait récupéré la TV qui recevait les chaînes publiques, y compris les émissions de voyage comme Globe Trekker où elle pouvait voir le monde. Et il y avait même une chaîne qui diffusait de vieilles séries comme K-2000, L’Incroyable Hulk et La Belle et la Bête, mais en espagnol.
Non, sa vie n’était pas mal du tout. Oui, elle se faisait frapper de temps en temps. Parfois même, elle le méritait. Comme maintenant. Elle n’avait pas fait attention et avait ruiné le meilleur pantalon de Bruce.
— Je crois que je peux arranger ça, dit-elle à travers la douleur cinglante de sa mâchoire. Il me faut juste un peu de vinaigre. Laisse-moi essayer.
Il lui jeta un regard noir pendant encore une minute entière avant de se reculer. Il ne lui tendit pas la main. Elle se remit précipitamment sur ses pieds, s’assurant de garder ses taches dissimulées à sa vue pour ne pas le mettre plus en colère.
Poppy fouilla les placards à la recherche de vinaigre. Elle trouva la bouteille juste au moment où la lessive suivante se terminait avec un petit ding. Elle s’occupa d’abord du pantalon de Bruce, tamponnant l’acide sur la marque de brûlure. Dieu merci, elle avait l’air de partir. Elle ne recevrait peut-être pas cette deuxième gifle, après tout. La journée s’annonçait déjà meilleure.
Elle étendit le pantalon sur le côté pour le laisser sécher et partit s’occuper de la lessive. Poppy sortit de la machine un mélange de strings et de mini-jupes qui auraient pu faire office de bandanas. Sa main s’immobilisa sur une pièce de sous-vêtement.
La culotte n’était pas une taille dame. L’étiquette indiquait la taille par âges. C’était celle d’une enfant. Âge : de six à douze ans. Le coton blanc était décoré de nounours qui se faisaient un câlin. Sur l’entrejambe, il y avait des traces de sang décolorées.
La bretelle de la robe de Poppy tomba de son épaule quand elle se redressa. Elle ne remit pas la bretelle en place pour couvrir les taches de ses bras. Plus que tout, elle avait envie d’arracher sa robe. Le fin coton ressemblait soudain à du papier de verre sur sa peau sensible et couverte de maladie.
— Qu’est-ce que tu fous ? Il faut que je me casse. T’es aussi stupide que t’es moche ?
Elle n’était pas sûre de la manière dont le couteau de boucher avait atterri dans sa paume. Quand la main de Bruce s’abattit sur son épaule, elle se retourna et lui porta un coup avec le couteau.
Les yeux de Bruce s’écarquillèrent sous le choc. Sa main vint couvrir sa joue. Du sang dégoulina entre ses doigts.
— Tu as dit que tu ne toucherais jamais une enfant, dit Poppy d’une petite voix qui luttait pour sortir de sa gorge.
Elle tenait le couteau dans une main et la culotte d’enfant dans l’autre.
Les yeux de Bruce s’éclaircirent et se remplirent de colère.
— Cette petite pute m’a supplié de lui donner du boulot. Elle en avait envie. Et maintenant, tu vas t’en ramasser une.
Il avança vers elle. Poppy donna un nouveau coup de couteau. Mais Bruce avait bien plus l’habitude qu’elle d’infliger de la violence. Il se saisit de sa main, lui enlevant le couteau. Tout ce qui lui restait comme armure, c’était la petite culotte souillée de la petite fille de quelqu’un.
C’était seulement la deuxième fois de sa vie qu’elle envisageait de se défendre. La première fois, elle portait encore une petite culotte taille huit ans, avec des licornes et des arcs-en-ciel. On la lui avait arrachée du corps, mais avant que la moindre goutte de sang n’ait pu être versée, son ange gardien était venue à son secours.
Les yeux de Poppy s’emplirent de larmes, comme ils le faisaient chaque fois qu’elle pensait à sa maman. Kellyanne était morte depuis longtemps maintenant. Il n’y avait personne pour venir à son secours. Pas dans cette vie. La mort ne pouvait pas être pire. Au moins, elle quitterait ce parc de caravanes et verrait quelque chose d’autre par la fenêtre.
Elle tourna la tête vers la fenêtre, se préparant à encaisser le poing de Bruce. Une minute… Est-ce qu’il l’avait déjà frappée ? Ou y avait-il quelque chose à la fenêtre ?
Ce n’était pas seulement une nouvelle vue, mais une nouvelle personne. La femme assise sur le rebord portait bien trop de vêtements pour être considérée comme une prostituée. Le corset qu’elle portait serait un vêtement très apprécié par une tapineuse. Les bottes aussi. Mais personne dans ce parc ne pouvait s’offrir, ou ne voudrait s’embêter avec, un pantalon moulant en cuir qui prendrait de précieuses minutes à enfiler avant qu’un client puisse jouir. Et le pantalon devait être lavé à sec. Non, qui que soit cette femme, elle n’était pas ici pour tapiner.
La femme bien habillée s’éclaircit la gorge juste au moment où Bruce levait le couteau pour frapper. Du coin de l’œil, Poppy vit Bruce se tourner vers la fenêtre. Il resta bouche bée quand il vit qui était là.
— Je te dirais bien de t’en prendre à quelqu’un de ta taille…, dit la femme en baissant les yeux et en fixant le membre de Bruce dans son slip kangourou. Mais ce serait injuste de ma part.
— Vous êtes qui, bordel ?
Bruce pointa le couteau vers elle, ne s’inquiétant plus du décès imminent de Poppy. Pourquoi s’en serait-il inquiété ? Elle n’irait nulle part pour l’instant.
La femme sauta en bas de la fenêtre, l’impact de ses bottes secouant la caravane plus que les pas de Bruce.
— Je suis… ton chauffeur.
Un sourire satisfait et hésitant souleva un coin de la bouche de Bruce.
— Ah, ouais ? Où est-ce qu’on va, bébé ?
La femme tira une longue épée luisante de derrière son dos. La lame était plus de cinq fois plus longue que le couteau dans la main de Bruce.
— Tout droit après l’Enfer jusqu’à un endroit bien, bien pire. Et, petit veinard, on dirait que tu es parfaitement habillé pour l’occasion.
Bruce ouvrit la bouche pour répondre. Un gargouillis sortit de sa gorge, parce que la femme lui avait taillé un trou béant en travers du cou. Du sang s’écoula d’où les mots étaient censés sortir. Le corps de Bruce tomba sur le sol avec un écœurant bruit sourd.
Poppy resta figée. Son corps était même trop effrayé pour trembler de peur. Quand elle releva les yeux, la femme l’examinait du regard. Pas son visage, sa main.
La femme leva une main, celle qui ne tenait pas l’épée, et fit un signe signifiant viens ici à Poppy. Sa peur de la violence l’avait bien dressée. Sans hésitation, Poppy fit ce qu’on lui demandait. Ses pas étaient lents et raides, mais elle parcourut la courte distance les séparant pour se tenir devant la femme.
La femme tendit le bras et prit la culotte d’enfant des mains de Poppy.
— Celui-ci a été sur mon radar pendant une minute, mais son dernier geste a signé son arrêt de mort.
Elle utilisa la culotte pour essuyer le sang de Bruce de sa lame, recouvrant les nounours câlins avec l’essence de sa défunte vie. Ça semblait juste. Sa mort pour une innocence perdue.
— On dirait que c’était la goutte d’eau pour toi aussi.
Les yeux de la femme étincelèrent brillamment, comme des étoiles, lorsqu’ils passèrent du couteau de boucher abandonné à Poppy.
La seule réponse que Poppy put lui donner fut de déglutir. Il y avait eu une assistante sociale qui s’était arrêtée à la caravane, une fois, habillée d’une robe boutonnée jusqu’en haut et de chaussures reluisantes. Bruce avait mis une bonne trempe à Poppy la nuit précédente. Le regard de l’assistante sociale était resté figé sur ces traces de coup. Quand Poppy avait refusé de partir avec elle, l’assistante sociale lui avait demandé pourquoi elle restait. Poppy avait laissé la porte-moustiquaire grinçante claquer au nez de cette femme.
Elle avait vu quelques dramatisations filmées de femmes échappant à leurs maris en plein milieu de la nuit avec un mascara impeccable et des lèvres brillantes de gloss. Elle avait même vu assez de talk-shows de l’après-midi parlant de violences conjugales où l’animateur bien intentionné offrait des services en espèces et une porte de sortie. Rien de tout cela n’était le monde réel.
En voyant Bruce étendu mort sur le sol, Poppy ne ressentit aucun remords pour lui. Mais elle commença à s’inquiéter pour elle-même. Elle n’avait pas d’instruction, pas de talent. Elle n’avait même pas un joli visage. Comment allait-elle gagner sa vie, à présent ?
Poppy se passa la main dans les cheveux. Ses doigts exécutèrent ce geste en tremblant. Le regard de la femme se rétrécit en suivant ses mouvements. Avec la rapidité de l’éclair, elle tendit la main et baissa le haut de la robe de Poppy.
Poppy eut un hoquet de surprise. Un réflexe lui dicta de se couvrir. L’autopréservation lui fit refermer les doigts en poings immobiles.
— Des cheveux roux et des écailles ? C’est mon jour de chance ou quoi ?
Poppy se tortilla pour se libérer de sa poigne. Un sourire malicieux s’étendit sur le visage de la femme. Poppy connaissait ce regard. C’était un regard de prédateur.
— Tu vas me rapporter un beau paquet de joyaux.
Poppy se retourna pour s’enfuir. Mais elle reçut un coup sourd à l’arrière de la nuque. Et tout devint noir.

CHAPITRE 3
Le bruit du métal rencontrant le métal résonna dans la grotte souterraine. Béryl avait entendu dire que les humains mâles avaient des tanières ; une petite pièce où ils pouvaient se retirer loin des femmes. Il ne comprenait pas pourquoi un homme aurait envie de se retirer loin de sa femme. Si lui-même avait une femme, il la laisserait entrer dans sa tanière chaque fois qu’elle en aurait envie. Il lui construirait une tanière à elle et s’assoirait dans l’entrée en espérant qu’il serait le bienvenu dans son sanctuaire.
Il avait une vraie tanière à l’intérieur du château qu’il partageait avec ses frères. Beaucoup de pièces étaient des cavernes, à l’extérieur des vraies cavernes d’où les frères extrayaient chacun leurs joyaux et où ils amassaient leurs trésors.
Sauf Corin, qui avait donné son trésor en échange de sa sacrifiée. Béryl aurait fait la même chose. Sa nouvelle sœur valait chaque pierre précieuse, et bientôt Chryssie agrandirait encore leur famille. Deux dragonneaux grandissaient dans son ventre.
Il y avait un inconvénient au fait que Corin et Chryssie soient un couple. Ces deux-là étaient une des raisons pour lesquelles Béryl était actuellement dans sa tanière. Ils s’en donnaient à cœur joie, comme des lapins, sans arrêt.
— Si vous pouvez surmonter cette période douloureuse, vous pourrez devenir un champion, dit la voix mâle à l’accent prononcé. Si vous ne pouvez pas, oubliez.
Béryl baissa le volume du film à la télévision. C’était la seule chose qui sortait de la bouche de l’Autrichien avec laquelle il était d’accord. Il mit la cassette VHS sur avance rapide pour passer les parties avec Arnold Schwarzenegger et voir son héros, Lou Ferrigno. Dans le film, le titre de Monsieur Olympia aurait dû revenir à Ferrigno. Il était tellement meilleur, tellement plus grand que l’Autrichien.
À part se battre, soulever de la fonte était la seule chose qui apaisait le dragon de Béryl. À une époque, Béryl pouvait se contenter de se taper des fées. Mais les femmes-fleurs ne l’intéressaient plus, depuis un moment. Il voulait une femme en chair et en os. Une femme qui pourrait être à lui. Une femme dans laquelle son dragon pourrait planter les dents et la revendiquer.
Cela faisait des semaines que Morrigan avait accepté de lui trouver une sacrifiée. Il ne savait pas combien de temps encore il pourrait tenir.
— Est-ce que tu as pris mon maillot de bain Terminator ?
Les haltères firent à nouveau un bruit métallique quand Béryl les laissa tomber sur le sol. Au-dessus de lui se tenait un mâle avec des yeux sombres étincelants. Comme toujours, l’avorton de la portée était prêt à déclencher une bagarre pour affirmer sa dominance.
— Pourquoi est-ce que je toucherais à tes sous-vêtements, Ilia ? dit Béryl en haussant les épaules et en prenant un Coca-Cola du réfrigérateur que Morrigan avait rapporté quelque temps auparavant. Ils ne pourraient jamais contenir ce que je trimballe.
— De nous trois, c’est peut-être toi qui as eu la plus grande, mais c’est moi qui ai eu la plus grosse, aucun doute, se moqua Ilia.
Béryl savait qu’il ne devrait pas se lancer dans cette dispute stupide. Comme lui, Ilia cherchait seulement une raison d’en venir aux mains. Aucun de leurs dragons n’avait mieux à faire.
Béryl venait de soulever quatre cent cinquante kilos d’haltères. Son cœur pompait toujours et était surmené après son combat d’hier. Cela pourrait l’apaiser de frapper son frère au visage pendant quelques minutes. Le seul problème, c’était qu’il n’était pas certain d’avoir suffisamment de contrôle sur sa bête pour ne pas réellement tuer Ilia.
— Tu es juste fâché qu’Arnold ait gagné le titre, chantonna Ilia. Tu sais que Terminator pourrait battre Hulk quand il veut.
Et voilà comment son contrôle lui échappa. Béryl se releva. Il n’en fallait pas beaucoup pour que les dragons se battent. Ces mots-là étaient une sérieuse provocation. Tout le monde savait que Hulk était plus fort que ce bellâtre taiseux en métal.
Béryl se métamorphosa presque en faisant face à son frère, mais il se retint. Il portait un t-shirt Gold’s Gym. La Valkyrie avait dit que ce type de vêtement était de plus en plus difficile à trouver de l’autre côté du Voile. Il ne voulait pas détruire celui-ci. C’était son préféré.
— Peu importe, dit Béryl. Si tu veux soutenir le méchant qui remonte le temps pour détruire toute l’humanité, alors vas-y. Hulk se bat pour les opprimés.
— Même pas vrai, répliqua Ilia. Banner ne peut pas contrôler le monstre en lui. Mais Terminator est tout en contrôle.
— Ah, ouais ? Si Terminator est un tel héros, alors pourquoi meurt-il dans une cuve en feu pour ne jamais revenir ?
Ilia ne pouvait rien répliquer à ça. Hulk était peut-être hors de contrôle, mais il était toujours du côté du bien. Et Terminator n’avait eu qu’un seul film, et il mourait à la fin. Banner n’arrêtait pas de faire des efforts pour garder son monstre sous contrôle. Ils n’avaient pas vu la fin de la série, mais Béryl était certain que l’homme vert et l’humain devaient parvenir à être en harmonie un jour. C’étaient des héros. C’était ce que les héros faisaient.
Béryl passa en trombe devant son frère. Mais sa bête continuait à tourner en rond dans ses entrailles. Il devrait peut-être aller trouver une fée pour soulager un peu la pression dans ses reins. Qui savait quand Morrigan reviendrait avec une sacrifiée. Et même si elle le faisait, il devrait probablement combattre ses autres frères pour elle.
Enfin, juste Ilia. Elek n’avait aucune envie d’avoir une compagne. Rhyol ne pourrait rien faire avec une compagne, même s’il essayait, puisqu’il était coincé sous forme de dragon depuis des années.
Alors, ce serait juste lui et Ilia. Ilia cherchait la moindre raison de se battre. L’avorton de leur portée essayait toujours de prouver sa valeur dans une famille de mâles plus grands.
Béryl aperçut Elek tandis que l’homme taciturne rentrait et sortait des ombres du château. Il allait probablement rendre visite à sa mère. Miyaoaxochitl n’avait plus eu la moindre réaction depuis qu’elle avait donné naissance à Elek et perdu le frère de celui-ci.
Corin et Chryssie étaient dans leurs chambres au-dessus. Kimber était dans les mines. Sa compagne, Cardi, qui n’avait pas encore atteint l’âge d’être revendiquée, était probablement dans la salle de jeu en train de jouer à un jeu vidéo ; un des jeux de combat où elle pouvait utiliser une arme pour décapiter des hommes à coups d’explosifs.
Béryl crut avoir vu Rhyol voler par la fenêtre. Mais non, ce n’étaient pas les écailles bleues de son frère. Ce dragon avait des écailles brunes. Seuls les dragons de sang pur avaient des écailles brunes.
Béryl reconnut le dragon. Il appartenait à la Valkyrie, Morrigan. Elle était là.
Avec Ilia en bas dans la tanière, Béryl arriverait à la sacrifiée en premier. Il pourrait la marquer, et elle serait à lui sans combat. Il fonça jusqu’à la porte de derrière, juste à temps pour voir la Valkyrie atterrir.
— Où est-elle ? demanda Béryl.
— On se calme, l’écailleux, dit Morrigan en sautant du dos du dragon. J’ai beaucoup de choses à décharger.
— Tu l’as ? Tu as ma sacrifiée ?
— Pour Cardi, j’ai la collection de films de John Hugues avec des adolescentes rousses en pleine crise qui courent après les garçons. Ou alors, attends ? Est-ce qu’il n’y a qu’une seule fille ? La même à chaque fois ? Je ne sais pas. Tous les humains se ressemblent. Pour Corin, j’ai sa machine à ultrasons pour qu’il puisse espionner ses dragonneaux, ce qui montre tout de suite quel genre de père il sera. Et tu voulais le nouveau Donkey Kong—
— Assez, gronda Béryl.
Les yeux de la Valkyrie étincelèrent d’une lueur dangereuse.
Béryl baissa la tête. Les dragons étaient peut-être au sommet de la chaîne alimentaire dans le Voile. Il pouvait rugir sur ses frères. Il pouvait étrangler un lion. Mais il ne survivrait pas au courroux ou à l’épée d’une Valkyrie. Les filles de la Déesse étaient bien au-delà de la chaîne alimentaire.
Tout là-haut, Béryl vit les écailles bleues de Rhyol scintiller sous la lune. Son frère planait, en les observant. À une fenêtre, il vit Elek regarder vers le bas, ses yeux d’ambre rougeoyant dans la nuit. Rhyol et Elek se joindraient au combat si c’était nécessaire. Et ils périraient tous les deux.
— S’il te plaît, dit Béryl.
Il était désespéré. Il avait déjà assez de mal à contenir sa bête comme cela. Celle-ci avait l’intention d’arracher la tête de la Valkyrie, quelque chose qui scellerait à la fois le sort de l’homme et de la bête.
Morrigan fit tranquillement le tour de son dragon. Il y avait deux sacoches de taille humaine sur son dos. Béryl sentit l’odeur du sang émaner du premier. Ce devait être la capture de Morrigan pour le Valhalla. Les Valkyries ne tuaient habituellement pas leurs proies avant de les amener derrière le Voile. Béryl se demanda brièvement ce qui avait suscité tant de colère qu’elle avait tué l’homme plus tôt.
Mais ce triste sac fut instantanément oublié en faveur du second. Le regard de Béryl se posa sur la sacoche que la Valkyrie retirait. Morrigan la souleva sans aucun effort.
Béryl sentait le parfum délectable qui s’en dégageait. Cela sentait comme quelque chose de doux, mais qui ne provenait pas de la nature. Il y avait aussi une odeur acide qui lui rappela celle des potions dans le laboratoire de Corin. En dessous de tout cela, il y avait le parfum de quelque chose de léger, comme une brise au-dessus d’une petite étendue d’eau. Il tendit la main vers le sac.
Morrigan le reprit d’un coup sec.
— Han han han. Paie d’abord.
Béryl serra les dents.
— Suis-moi, dit-il.
Il guida la Valkyrie jusqu’à l’entrée des mines. Il longea les mines de rubis de Corin et celles de diamants de Kimber. Il entra dans ses propres mines où les émeraudes étaient enterrées sous la roche.
— Prends ce que tu veux, dit-il à la Valkyrie.
Les yeux de celle-ci étincelèrent à nouveau, mais d’une lueur d’avidité plutôt que de colère, cette fois. Elle lui tendit la sacoche et partit faire son shopping.
Pendant un instant, Béryl se contenta de tenir le sac dans ses bras. Elle ne pesait rien, mais elle était lourde d’importance. Lentement, il retira l’épaisseur de tissu pour dévoiler un visage rond. De douces boucles rousses encadraient son visage. Un petit nez en bouton séparait ses traits en deux moitiés parfaitement symétriques. Ses lèvres étaient petites, pleines et en forme de cœur.
— Il y a du feu de dragon dans ses veines ? demanda Béryl.
Comme si cela avait de l’importance. Le colis dans ses bras était à lui, et il allait la garder, qu’elle puisse lui donner des dragonneaux ou pas. Si elle n’avait pas de feu en elle et ne pouvait pas avoir de dragonneaux, il pourrait toujours l’enlacer et la protéger. Son dragon n’avait pas besoin du contact physique pour être rassasié. Il avait juste besoin d’un but. Et elle était ce but.
— Elle a du feu dans les veines.
Béryl sentit le soulagement le parcourir. Les pensées qu’il venait d’avoir un instant plus tôt s’envolèrent de son esprit. Elle était belle, et il avait physiquement envie d’elle. Avec la confirmation de son sang de feu, les reins de Béryl brûlèrent de la prendre là, tout de suite.
— Et encore mieux, dit Morrigan. Regarde de plus près, elle a des écailles.
Berçant sa récompense dans ses bras, Béryl fit glisser le tissu de ses épaules délicates. Il eut un hoquet de surprise devant ce qu’il avait sous les yeux. Sur sa peau pâle, il y avait des taches dorées. Elles étaient douces au toucher, mais il sut instantanément ce qu’elles étaient.
— Comment s’appelle-t-elle ? demanda-t-il.
— Je n’ai pas demandé. Protège tes parties, cela dit. Elle allait castrer ma cible avant que je puisse le réclamer.
Béryl sourit à cette déclaration. Son humaine avait du tempérament, tout comme Cardi et Chryssie. Elle était parfaite. Il découvrit le reste de son corps et commença le rituel du ligotage.

CHAPITRE 4
Elle était assurément morte.
Comment en était-elle certaine ? Parce qu’on était en train de la câliner. Les câlins ne se produisaient qu’avec les mamans, dans le monde réel, et sa maman était morte.
Depuis qu’elle était petite, Poppy avait vu beaucoup de mamans mettre des claques à leurs enfants, ou les faire aller dans la direction qu’elles voulaient en utilisant la force, ou les pousser ou les pincer pour les faire tenir tranquilles. Mais Poppy avait eu de la chance. Sa maman lui faisait des câlins le soir, de temps en temps. Mais seulement quand le lit de sa maman n’était pas occupé par un client.
C’était dans ces moments-là que Poppy se sentait en sécurité. C’était dans ces moments-là que Poppy ne désirait pas s’envoler dans un monde imaginaire vu à la télévision.
Quand elle était dans les bras de sa mère, le monde cessait d’être un endroit dangereux où la nourriture était peu abondante, où les voix hurlaient toujours, et où les hommes regardaient les petites filles comme de délicieux goûters.
Cela avait été l’après-midi, quand Poppy s’était allongée dans le lit de sa mère et avait sommeillé. L’école avait fini plus tôt, et elle était rentrée pour trouver la caravane déserte. Quand des bras étaient venus l’entourer, ils n’avaient pas paru chaleureux. Ils avaient été pleins de sueur et avaient pué le relent d’homme mal lavé.
Non.
Les yeux de Poppy étaient fermés, dans le présent. Elle les ferma encore plus fort. Elle refusait de penser à cela. Elle était en sécurité, morte, et enfin de retour dans les bras de sa mère.
Sa mère s’était occupée de l’homme puant qui avait mis ses mains dégueulasses dans la culotte propre de Poppy. Il y avait eu du sang sur le lit, mais ça n’avait pas été celui de Poppy. Et puis sa mère avait pris Poppy dans ses bras pour une étreinte chaleureuse.
C’était la dernière qu’elle avait reçue.
Jusqu’à maintenant.
Poppy avait toujours su que la mort n’était pas quelque chose à craindre. À présent, elle était de nouveau avec sa maman. Elle recevrait de chaleureux câlins pour l’éternité.
C’était juste que… Est-ce que les câlins de sa mère avaient toujours été aussi serrés ? Elle avait eu l’habitude de pouvoir tourner le buste pour poser la tête contre le cœur battant de sa mère. Elle n’y parvenait pas, à cet instant.
Les bras de sa maman avaient toujours été fins. Mais pas aussi fins qu’un morceau de corde. Et puis, sa maman avait deux bras, et ils n’étaient pas si longs. Mais Dieu sait comment, ils étaient enroulés autour de ses bras, de son ventre et de ses jambes.
Quelque chose clochait. Poppy baissa la tête pour soulager la nausée qui menaçait. Elle pouvait toucher sa poitrine de son menton, mais son ventre se serra. Elle ouvrit les yeux et vit qu’elle était bien dans une étreinte. Des cordes l’entouraient, pas les bras pâles, couverts de traces de piqûres et de bleus, de sa mère.
Pendant un instant, elle ne put que regarder et admirer l’œuvre artisanale réalisée avec les cordes. Elles parcouraient tout son corps en un motif complexe. Elle avait l’air d’avoir été emballée comme un présent. Elle attendit que la peur plante ses griffes en elle, que le besoin de s’échapper la submerge.
Rien ne vint. Elle ne put empêcher un sentiment de paix de l’envahir, à être ainsi attachée. Elle se sentait en sûreté, en sécurité.
Génial. Donc, elle avait perdu l’esprit autant que la liberté en mourant.
C’était toujours mieux que d’être dans ce trou à rats avec Bruce. Ça ne pouvait vraiment pas être pire, d’être esclave de cet ange de la mort. Au moins Poppy n’aurait pas à s’allonger sur le dos pour gagner sa vie.
Ou, du moins, elle l’espérait. Est-ce que les anges étaient lesbiennes ? Avaient-elles des relations sexuelles ? Elles devaient en avoir, pour faire des bébés anges.
Elle avait envisagé le lesbianisme quand elle était adolescente, après sa première expérience sexuelle avec un garçon. Elle avait rejeté cette idée, un peu plus tard, quand Joanna Wilcox, la reine de la promo et la plus méchante des filles à arpenter ces couloirs, avait fait son coming-out. Quel était l’avantage de changer de camp si les brutes existaient dans chaque type de sexualité ?
Rapports sexuels ou pas rapports sexuels, il y avait un problème beaucoup plus grave avec cette nouvelle captivité. Ses taches étaient visibles. Les cordes remontaient sa robe sur ses cuisses. Être ligotée était une chose. Bruce l’avait attachée auparavant. Il l’avait même enfermée dans un placard, une fois, pour lui avoir apporté la mauvaise marque de bière. Mais être découverte comme cela, ça n’allait pas.
Poppy se tortilla. Elle bougea les hanches de droite à gauche, essayant d’attraper l’ourlet de sa robe dans ses mains. Si elle pouvait juste tirer un peu dessus, elle pourrait recouvrir la plus grosse tache sur sa cuisse droite.
— Stop, dit une voix grave. Tu vas te blesser.
Poppy fit ce qu’on lui dit. En partie à cause de l’autorité dans la voix de l’homme ; elle avait été conditionnée à l’obéissance depuis son plus jeune âge. Mais en grande partie parce que la voix était celle d’un homme. Il semblerait qu’elle allait travailler sur le dos à nouveau, après tout. Et avec un homme qui aimait ses victimes impuissantes et ligotées.
— Je sens l’odeur de la peur sur toi, petite.
Petite ? Si c’était son idée d’une insulte, elle avait entendu pire. Prostituée Pustuleuse, Tigrou de Camping, Dalmatien Dégueulasse. Elle avait survécu à celles-là, elle pourrait vivre avec Petite. Mais que voulait-il dire par il sentait l’odeur de la peur ?
— Rien ni personne n’osera te faire de mal, ici.
Avec les cordes qui appuyaient contre sa peau, Poppy en doutait. Mais elle savait qu’il valait mieux ne pas contredire un homme. Cela ne menait à rien, à part à de la douleur. Cela dit, elle était toujours découverte, et son embarras poussa les mots hors de sa gorge.
— Je vous en prie, Monsieur, je n’aime pas être découverte.
— Découverte ?
Il semblait avoir hérité de la voix d’un ours. Elle était bien trop grave pour appartenir à un homme. Puis il bougea, et la pièce s’emplit de lumière.
Poppy avait cru qu’elle était dans l’obscurité. Ses yeux avaient simplement eu besoin de temps pour s’adapter. Quand ils le firent, elle se laissa complètement aller dans les cordes. Ses taches exposées furent oubliées.
Elle n’était pas dans une pièce. Elle était à l’extérieur. Ou plutôt, à l’intérieur de quelque chose qui était à l’extérieur. Il y avait un parfum de terre fraîche dans l’air, ainsi que la fraîcheur humide qui émane de la proximité d’une étendue d’eau la nuit. Il y avait des roches tout autour d’elle. Elle devait être dans une caverne. Les joyaux verts qui scintillaient dans la roche renforcèrent cette idée. Elle était dans une mine d’émeraudes.
L’homme qui lui avait parlé entra dans son champ de vision. Il la dominait de toute sa hauteur, bloquant la lumière verte. Le vert provenait maintenant de ses yeux comme s’ils étaient faits d’émeraude. Son visage était cruellement beau, tout en angles acérés et en ossature ciselée. Il était bâti comme un catcheur, mais il ressemblait à un mannequin ; un mannequin fitness pour un magazine de bodybuilding. Ses muscles saillants étaient à l’étroit dans un t-shirt jaune Gold’s Gym, porté par-dessus un short de sport gris qui ne laissait rien à l’imagination.
Une main massive se leva vers le visage de Poppy. Elle se prépara à recevoir sa première punition. Au lieu de cela, une main chaude effleura le côté de son visage. La gentillesse de ce geste secoua quelque chose en elle. Jamais un homme ne l’avait touchée avec le moindre semblant de précaution. Est-ce que les choses fonctionnaient à l’envers dans la mort ?
— Tu as froid, petite ?
— Je…
Elle n’était pas sûre de savoir comment répondre.
Poppy ne comprenait pas la question. Cela n’avait rien à voir avec lui ou ses besoins à lui. Il semblait que la question était centrée sur elle. Est-ce qu’il l’interrogeait sur son bien-être à elle ? Sur son confort ?
Toutes les autres questions la concernant avaient été du genre Tu es complètement stupide ? Ou Est-ce que tu es tombée sur la tête ? Ou Où est mon dîner ?
Le grand type fit passer son t-shirt par-dessus sa tête. Poppy put admirer la vue de muscles après muscles. Il laissa tomber son t-shirt sur elle, l’enveloppant de chaleur et de son odeur. Il transpirait, mais c’était très loin de sentir mauvais. Il sentait l’air frais et la chaleur douce et l’homme. Son t-shirt recouvrit Poppy depuis les épaules jusqu’aux orteils. Ses taches ainsi emballées, elle se détendit et respira davantage de son parfum.
— Dis-moi ton nom ? demanda-t-il tandis qu’elle resserrait les bords du t-shirt autour d’elle comme si c’était une couverture.
— Poppy.
— Pop pie.
— C’est Pénélope. Mais tout le monde m’appelle Poppy.
Un grondement sortit de sa gorge, puis il prononça son nom. Encore et encore, comme si c’était une mélodie. Poppy gardait les yeux fixés sur sa bouche tandis qu’il formait son nom.
— Je m’appelle Béryl.
— Bonjour, Béryl.
— Bonjour, Poppy.
Elle lui sourit en retour.
— Béryl, je suis désolée de poser la question, mais est-ce qu’il y a une raison pour laquelle vous m’avez attachée ?
— Tu es attachée pour te protéger, dit-il.
— Me protéger ? De quoi ?
— De moi.
Toute la chaleur quitta le ventre de Poppy et s’évacua par ses doigts et ses orteils.
— Vous allez me faire mal ?
— Jamais.
Il parla avec tant de conviction qu’elle le crut.
— Tu m’as été offerte en sacrifice, dit-il. Je passerai le reste de ma vie à assurer ton confort et ton plaisir.
Une nouvelle fois, ses mots n’avaient aucun sens. Sacrifice ? Le reste de sa vie ? Son confort et son plaisir ?
— Tu n’as plus à t’inquiéter de rien. Je m’occuperai de tout pour toi.
Euh… non. Ça ne voulait toujours rien dire.
— Mais avant que ça se produise, je dois te marquer.
— Me marquer ?
— Ça va faire mal. Mais seulement pendant une seconde. Ensuite, je te promets uniquement du plaisir pour le restant de tes jours.
Les yeux de Poppy étaient braqués sur les lèvres et les dents de l’homme s’approchant plus près d’elle. Elle se retrouva à courber le cou vers lui. Une seconde avant qu’il ne sévisse, un bruit sourd et fort retentit derrière lui, et un autre homme obscurcit l’entrée.
— Arrête, gronda le nouveau venu. Je te défie pour elle.
— Elle est à moi, rugit Béryl.
Il y eut une explosion tonitruante lorsque l’homme aux yeux verts et la silhouette obscure se percutèrent. La voix de Poppy resta coincée dans sa gorge. Son corps ligoté se crispa. Elle ne pouvait rien faire excepté regarder la violence qui se déchaînait sous ses yeux.

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