Читать онлайн книгу «Il Suffira DUn Duc» автора Bianca Blythe

Il Suffira D'Un Duc
Bianca Blythe
Elle doit se marier… Et il va lui trouver un époux. Une amusante comédie historique.

Quand la mère de Margaret Carberry la force à l’accompagner à l’étage lors d’un bal, Margaret ne s’imagine pas que ce soit pour l’attacher sur un lit et fermer la porte à double tour. Hélas, la mère de Margaret a pris l’initiative de déclarer la réputation de sa fille compromise – que Margaret ait envie ou non de recourir à de telles stratégies pour piéger un futur mari.
Jasper Tierney, duc de Jevington, est surpris de tomber nez-à-nez avec une jeune femme à moitié dévêtue étendue sur son lit. Il est encore plus stupéfait de découvrir son identité. Margaret Carberry a la réputation d’être une incorrigible collet monté, pas une séductrice, quelle que soit la façon dont sa peau nue sur sa literie tente Jasper. Quand Margaret déclare ne pas vouloir accepter les manœuvres de sa mère et souhaiter trouver un mari par elle-même, Jasper promet de lui apporter son aide, de peur que la mère de Margaret ne concocte une autre méthode pour la placer dans une situation compromettante. Jasper est certain d’une chose : il n’a aucune envie de se marier.
Tandis que Jasper travaille à unir Margaret à un duc de ses amis, la perspective d’un mariage forcé avec elle perd de son ignominie initiale. Peut-être a-t-il manqué l’occasion de trouver le bonheur ?



Table des Matières
IL SUFFIRA D’UN DUC (#u03a117cc-24cb-53f9-889d-78a06032753c)
Chapitre Un (#ufe427c6a-890e-5659-b33c-90d07b50dae0)
Chapitre Deux (#uf161c2d6-0273-5a84-84fe-d1d381524ae6)
Chapitre Trois (#uc5cfdf24-86da-5887-8c2a-40c9fb7bc619)
Chapitre Quatre (#u565faeef-b74b-55ff-a64c-0dff91c4b008)
Chapitre Cinq (#u0486d7f3-b151-511a-8d5c-26b678fe1c7d)
Chapitre Six (#u3a03a91c-fde8-597a-beef-ebf855106777)
Chapitre Sept (#u49d34577-4a17-5fab-b2e5-c798eca41ca7)
Chapitre Huit (#u7342995d-fcfd-59d9-a25c-cd52a1e57adb)
Chapitre Neuf (#u7c9dab1f-d40d-5fa6-b26b-de1c17655f56)
Chapitre Dix (#uff2360fe-3a00-5855-9319-96512d677d87)
Chapitre Onze (#u653b73cd-97cc-5eb9-bbdd-cc46cbf8c72b)
Chapitre Douze (#u3364f65f-a1e9-5a0a-bcb0-d32c10153a7d)
Chapitre Treize (#uaa3007ad-5576-5f6a-8d3c-ca7560bb75e7)
Chapitre Quatorze (#u8d8e8cd2-5f19-51a2-94b3-d2575789ebba)
Chapitre Quinze (#ub46cd389-cd30-50ec-9a52-5a153ba0c820)
Chapitre Seize (#uc6bd9cbc-9f2b-5cc4-ac83-50f5130468de)
Chapitre Dix-sept (#ubdbf7719-171d-5091-a5cc-0127ebf57245)
Chapitre Dix-huit (#u47389280-8285-5bf5-9737-d8d5d878e349)
Chapitre Dix-neuf (#ue090d129-b3c6-5f5c-9e85-06ba559cc9b2)
Chapitre Vingt (#u18b77e7f-b4bf-5b7b-ade0-acb70ed9286d)
Chapitre Vingt-et-un (#u4824409f-531c-5da4-8e41-60d7db4c6c8e)
Chapitre Vingt-deux (#uc72cd45e-f9d3-5e4f-9dba-689f656d27db)
Chapitre Vingt-trois (#u05621f96-f300-5d1b-92b7-82fe98b6164a)
Chapitre Vingt-quatre (#u92324e68-67d0-5d7a-88cf-58f2cb71fa90)
Chapitre vingt-cinq (#ueb3bf200-8388-599d-8893-9daa823247d6)
Chapitre Vingt-six (#u521bf65e-1d3f-54fa-b69a-b17d295dd6ca)
Chapitre Vingt-sept (#u017d711c-70ca-59a7-93c5-34ce4ae5be8a)
Chapitre vingt-huit (#uf5b3eef8-9d64-5ae5-8052-657f72ea22e6)
Épilogue (#u9406615e-0e80-5510-9149-ac3eef34cf18)
À propos de l’auteure (#u9b1694bc-3233-56aa-b18d-390272d72c41)




IL SUFFIRA D’UN DUC


Elle doit se marier… Et il va lui trouver un époux.
Quand la mère de Margaret Carberry la force à l’accompagner à l’étage lors d’un bal, Margaret ne s’imagine pas que ce soit pour l’attacher sur un lit et fermer la porte à double tour. Hélas, la mère de Margaret a pris l’initiative de déclarer la réputation de sa fille compromise – que Margaret ait envie ou non de recourir à de telles stratégies pour piéger un futur mari.
Jasper Tierney, duc de Jevington, est surpris de tomber nez-à-nez avec une jeune femme à moitié dévêtue étendue sur son lit. Il est encore plus stupéfait de découvrir son identité. Margaret Carberry a la réputation d’être incorrigiblement réservée, pas d’être une séductrice, peu importe combien sa peau nue sur la literie paraît tentante. Quand Margaret déclare ne pas vouloir accepter les manœuvres de sa mère et souhaiter trouver un mari par elle-même, Jasper promet de lui apporter son aide, de peur que la mère de Margaret ne concocte un autre plan pour la placer dans une situation compromettante. Jasper est certain d’une chose : il n’a aucune envie de se marier.
Tandis que Jasper travaille à unir Margaret à un duc de ses amis, la perspective d’un mariage forcé avec elle perd de son ignominie initiale. Peut-être a-t-il manqué l’occasion de trouver le bonheur ?
This is a work of fiction. Similarities to real people, places, or events are entirely coincidental.
IL SUFFIRA D’UN DUC
Copyright © 2020 Bianca Blythe.
Written by Bianca Blythe.
Translated by Sabine Ingrao.
Published by Tektime.




Chapitre Un


––––––––


JUIN 1820
Londres
La première règle pour faire tapisserie était de se procurer un excellent siège.
Margaret Carberry, fille du magnat écossais du même nom et parente d’absolument aucun aristocrate, n’était plus une novice dans l’art de participer aux bals : sa mère acceptait chaque invitation.
Margaret se dirigeait d’un bon pas vers la partie la plus calme de la salle, le plus loin possible des musiciens et des danseurs, exactement comme elle le faisait à chaque bal. Juliette et Geneviève seraient là, et elle se fraya un chemin parmi la foule des invités avec expertise. Les femmes portaient de fines robes de bal blanches ornées de rubans pastel et garnies de dentelle, une tentative indéniable de contrecarrer la chaleur estivale. Les hommes arboraient des sourires contraints, visiblement mal à l’aise avec leurs cravates savamment nouées, leurs gilets aux couleurs chatoyantes et leurs redingotes un peu étroites, cette dernière étroitesse étant le résultat d’une saison de festins.
La deuxième règle pour faire tapisserie était de n’interagir avec personne. Margaret n’avait pas besoin de voir l’expression des invités changer quand ils s’inquiétaient de devoir lui faire la conversation. Bien que l’échelon supérieur de la bonne société ne soit pas enclin à la timidité, peu désiraient être vu en conversation avec elle.
Les mamans entremetteuses et les fiers papas ne s’interrogeaient plus sur le bien-fondé de trainer leurs deuxièmes et troisièmes fils pour faire sa connaissance, et Margaret ne se sentait plus embarrassée de tenter de converser avec la haute société : après tout, les résultats demeuraient identiques. Les premières notes chantantes de son accent écossais rencontraient la désapprobation de la crème de la crème, et quand ils établissaient l’identité de son père, ils s’excusaient avec empressement. Même ceux possédant des dettes considérables jugeaient préférable de supporter des rencontres embarrassantes avec leur tailleur et de sabrer dans le nombre de leurs domestiques que de mettre en danger leur respectabilité.
La haute société jugeait suspecte la présence de Margaret aux occasionnelles festivités, voyant en elle un indésirable nivellement par le bas de la société, évoquant des idéaux probablement partagés par les paysans armés de fourches qui avaient un jour peuplé l’autre côté de la Manche. Le père de Margaret avait beau être plus fortuné que beaucoup d’entre eux réunis, elle-même avait beau avoir fréquenté les mêmes finishing schools que les autres filles de la haute société, cela ne signifiait pas qu’elle en faisait partie.
Margaret se trouverait tout simplement un bon siège, puis discuterait avec ses chères amies. Même Maman ne s’attendrait pas à ce qu’elle trouve un mari au dernier bal de la saison. Margaret sourit, alors que lors de sa première participation à un bal, ses joues avaient été douloureuses à force de feindre le ravissement. À présent, elle appréciait presque de se rendre à ces soirées mondaines.
La foule s’épaissit, et Margaret posa une main sur son turban pour entraver tout instinct que les plumes qui le décoraient pourraient avoir de prendre leur envol. La seule chose pire que de porter une monstruosité emplumée serait de porter une monstruosité déplumée.
Aucune importance.
C’était la dernière réception de la saison : c’était presque terminé.
Margaret n’avait peut-être pas trouvé de mari, mais elle ne serait pas la première femme à ne pas être fiancée après une seule saison. En outre, Papa n’était pas exactement appauvri. Maman conviendrait peut-être qu’elle n’avait nul besoin d’une seconde saison, et qu’elle pourrait tout simplement se trouver un cottage dans le Dorset et vivre heureuse, confortablement installée avec ses volumes scientifiques préférés.
Les violons murmuraient plaisamment. Le corps de Margaret s’allégea, et elle accéléra le pas.
Soudain, quelque chose de mouillé ruissela le long de sa robe, et une immanquable odeur d’alcool envahit ses narines. Elle fronça les sourcils, mais elle n’avait pas rêvé – un liquide glacé lui coulait bien le long du dos.
Sapristi !
Une flûte de champagne se brisa sous son pied sur le parquet en pin ciré du duc de Jevington, gâchant le dessin élaboré à la craie, et Margaret réprima un cri. Qu’avait-elle fait ? De toute évidence, la récente expérience de Margaret en matière de bals ne l’avait pas préparée à éviter de renverser des verres. Du liquide s’écoula à travers la robe de Margaret.
Double sapristi.
Elle tâtonna dans son dos avec hésitation et baissa les yeux sur les éclats de verre brisé, décorés avec un motif doré complexe.
Eh bien, le motif était à présent moins élaboré.
Quelques dames plus âgées lancèrent à Margaret des regards horrifiés, ouvrant la bouche et fronçant les sourcils avec un mépris inhabituel pour l’éventuelle formation de rides.
Un valet de pied se précipita, un mouchoir blanc serré dans la main. Il plongea au sol pour rassembler les éclats de verre.
Certaines débutantes tournèrent le buste vers toute cette agitation et sourirent d’un air suffisant. Leurs manches bouffantes demeuraient sans la moindre tâche due au contact inopiné avec un liquide, et leur tissu recouvert de broderies dégageait un parfum de perfection non-alcoolisée.
Le ventre de Margaret se tordit. Ce bal était supposé être agréable. Et elle venait de tout gâcher.
Quelqu’un agrippa le coude de Margaret, et lorsqu’elle se retourna, elle vit sa propre mère.
— J’ai vu ce qui s’est passé, dit Maman d’un ton brusque. Comme c’était maladroit de votre part. Je suis accourue aussitôt.
— Je-Je suis désolée, bégaya Margaret, prise de court par l’apparition impromptue de sa mère. Je ne sais pas comment…
Maman agita la main d’une manière désinvolte peu habituelle chez elle.
— Cela n’a aucune importance, ma chère.
Margaret en resta bouche bée. La plupart des choses étaient d’une importance capitale pour Maman. Faire une bonne impression au duc de Jevington se classait probablement en tête des désirs de Maman. C’était le bal du duc, et il ne s’éprendrait très probablement pas d’une femme qui avait transformé son parquet ciré et étincelant en zone dangereuse.
Le duc ne se serait évidemment pas épris d’elle, même si Margaret n’avait pas accidentellement renversé un verre de champagne. Même d’autres jeunes femmes faisant tapisserie jugeaient Margaret sans intérêt. Aucun duc ne désirait avoir une duchesse qui bafouillait quand elle parlait et dont les joues rougissaient à intervalles réguliers. La capacité de Margaret à énoncer des faits scientifiques avec le même enthousiasme que d’autres mettaient à vanter leurs vagues relations avec la noblesse, était une piètre consolation.
— Il faut vous sécher.
Maman passa le bras de Margaret sous le sien, comme si elle craignait que Margaret ne décide de gambader vers les autres danseurs pour entamer un quadrille dans sa tenue dégoulinante.
Elles progressèrent lentement vers la sortie, comme un plus grand nombre de gens affluaient vers la salle. Certaines personnes regardèrent Margaret avec curiosité, se demandant peut-être pourquoi elle avait décidé qu’une musique agréable, la danse et la nourriture étaient des expériences à délaisser, plutôt qu’à savourer. D’autres étaient occupés à lever la tête vers les merveilles peintes au plafond, comprenant des chérubins et des cieux céruléens, même si on ne voyait fréquemment ni les uns ni les autres au-dessus de Grosvenore Square.
Enfin, Margaret et sa mère purent franchir les solides portes en bois sculpté et se retrouvèrent sur l’étincelant carrelage noir et blanc du vestibule du duc. Margaret se dirigea vers le vestiaire. Partir en avance était embarrassant, mais au moins elles n’avaient pas aperçu le duc : cela devait être considéré comme une victoire. Le moment manquait de gloire, mais Margaret releva tout de même le menton. De l’alcool lui dégoulina le long du dos, et elle frissonna.
Maman tira sur la manche de Margaret.
— Allons à l’étage.
— À l’étage ? dit Margaret d’une voix tremblante. M-Mais.
Margaret s’arrêta. Les invités ne s’aventuraient pas dans les étages. Elle se sentit ridicule de devoir rappeler les règles de l’étiquette à sa mère. Après tout, c’était sa mère qui les lui avait enseignées.
Maman laissa échapper un petit gloussement, et Maman ne gloussait jamais.
Margaret la regarda d’un air soupçonneux. Sa mère agissait de façon très étrange. Margaret avait souvent souhaité que sa mère soit moins stricte et catégorique, mais elle ne s’était certainement pas attendue à voir Maman se transformer en une femme qui batifole dans la résidence du duc.
— Ne soyez pas aussi collet monté, ma chère, dit Maman. Si je dis que c’est convenable, ça l’est.
Maman avait toujours été l’incarnation de la bienséance, auparavant.
Margaret hésita, mais sa mère la tira d’un coup sec vers un escalier imposant. Un frisson, à ne pas mettre uniquement sur le compte du champagne renversé, descendit furtivement le long de la colonne vertébrale de Margaret.
— Nous ne devrions pas aller là, dit Margaret. Ce sont les appartements du duc.
— Balivernes, chuchota Maman. Vous ne pouvez pas garder du champagne sur votre robe. C’est inconvenant. En outre, le duc est dans la salle de bal.
Les yeux de Maman pétillèrent, et ses lèvres restèrent recourbées d’une façon plus communément aperçue chez les gens assistant à un opéra-comique. Elle entreprit l’ascension des marches de marbre avec détermination, balayant l’ourlet de sa robe contre la balustrade avec une telle force que certains des rubans qui s’y trouvaient cousus se dénouèrent. Visiblement, la femme de chambre de Maman n’avait pas été préparée à l’énergie de Maman.
Margaret frémit à l’idée de ce que Maman pourrait faire à l’étage, où elle risquait de céder à l’envie de fureter partout. Maman pouvait difficilement errer seule dans les recoins privés de la résidence.
Margaret jeta un coup d’œil en direction du majordome. Heureusement, il était occupé à surveiller la porte – pas ce qui se passait à l’intérieur de la résidence. Margaret soupira et suivit sa mère, glissant une main gantée de dentelle sur la rampe. Dans des cadres dorés, des peintures de différents paysages magnifiques, vraisemblablement les immenses terres du duc, garnissaient les escaliers. Tout était superbe, même s’il était peu probable que des amateurs d’art ne se hissent en haut des marches pour détailler les peintures. S’il y avait d’autres peintures dans la résidence, elles devaient être encore plus exceptionnelles.
Le pallier non-éclairé sembla un peu inquiétant, mais une bonne s’approcha bientôt d’elles en tenant une lanterne. Margaret se recroquevilla. Elles étaient découvertes.
Sapristi.
Margaret se dandina, se préparant à affronter un regard glacé et un mot sévère, comme ceux adressés à ses camarades de classe à leur finishing school, mais qui n’avaient jamais été dirigés vers elle. Margaret obéissait aux règles, même celles qui n’étaient pas écrites. Elle était suffisamment maligne pour ne pas errer dans les étages, même si le duc ne se promenait pas en ce moment dans les couloirs sombres.
La bonne allait leur dire de partir d’une minute à l’autre. Mais à la place, la bonne hocha la tête à l’adresse de Maman.
— Par ici.
Margaret cligna des paupières. La bonne avait-elle assisté à l’incident et était-elle montée par un autre escalier ? Mais les bonnes n’étaient généralement pas présentes lors des bals. Peut-être un valet l’avait-il informée ? Margaret fronça les sourcils.
La bonne avançait d’un bon pas, passant devant des buffets et des vases démesurés en porcelaine bleu et blanc qui avaient l’air somptueux même dans cette pauvre lumière, et Maman et Margaret se dépêchèrent après elle. Leurs pieds s’enfoncèrent dans des tapis luxueux qui assourdissaient leurs pas, mais l’étrange silence n’apaisait pas le cœur battant toujours plus vite de Margaret. Un sourire béat rayonnait sur les lèvres de Maman, alors que d’ordinaire elle aurait marmonné que la démarche rapide de la bonne n’était pas nécessaire.
Enfin, la bonne s’arrêta devant une porte.
— C’est ici.
— Merci, dit Maman en pressant quelque chose dans les mains de la bonne. J’ai bien peur d’avoir besoin de votre aide.
La bonne hocha gravement la tête.
— Bien sûr. Elle est plutôt grande.
L’instant d’après, la bonne saisissait les poignets de Margaret et la trainait à l’intérieur de la pièce.
— Que faites-vous ? s’écria Margaret en luttant contre la solide prise de la bonne.
Margaret était en pleine confusion. Les bonnes n’étaient pas supposées tirer quelqu’un dans les chambres. Personne n’était supposé faire cela.
— Maman ? plaida Margaret.
Des mains poussèrent Margaret. Des mains qui n’appartenaient pas à la bonne. Les deux mains de la bonne étaient refermées autour des poignets de Margaret, comme des menottes de fortune. Le parfum de lavande préféré de sa mère qui flotta autour de Margaret, ne laissa aucune équivoque : Maman la forçait à entrer dans la pièce. Maman n’était pas encline à faire des câlins, et pourtant, à présent, elle poussait le dos de Margaret.
— Le lit est sur la droite, dit la bonne d’un ton professionnel, comme si elle expliquait la disposition de la chambre à une nouvelle invitée qui était entrée de manière normale, avec une invitation.
— S’il vous plaît, relâchez-moi, dit Margaret de sa voix la plus autoritaire. Que se passe-t-il, au juste ?
— Je garantis votre paix et votre bonheur futurs, dit Maman avec un petit cri de joie. N’est-ce pas merveilleux ?
Margaret sentit son cœur s’alourdir.
Une idée lui vint.
Une idée abominable, atroce et alarmante.
— À qui appartient cette chambre ?
La voix de Margaret tremblota, peinant dans une gorge soudainement sèche, comme si elle venait d’entrer au Sahara, et pas dans une chambre somptueuse située dans la très humide et moite Angleterre.
— Celle du duc de Jevington, déclara Maman. Votre futur mari.
Juste ciel.
Margaret ferma les yeux avec force. Malheureusement, quand elle les rouvrit, le monde demeurait le même qu’auparavant.
— Vous plaisantez, dit Margaret. Vous devez être en train de plaisanter.
Maman n’avait peut-être jamais fait de plaisanterie auparavant, et elle avait peut-être enrôlé cette étrange bonne pour l’assister dans sa blague, mais cela ne signifiait pas qu’elle n’était pas en train de plaisanter.
Sûrement pas.
Maman n’allait pas réellement mettre en scène une situation compromettante, n’est-ce pas ?
— Le duc m’a peut-être invitée à sa résidence, mais cela ne veut pas dire qu’il désire me trouver installée dans son lit, dit Margaret.
Maman éclata de rire et referma la porte. La bonne posa la lanterne sur la table avec un bruit métallique. La lumière dorée illumina un plafond à caissons. L’atmosphère embaumait le cèdre et le citron, une odeur masculine bien différente de la senteur de lavande de la chambre de Margaret.
Une rosette tomba de sa robe sur le tapis visiblement coûteux juste en-dessous. Non pas que le duc doive en connaitre le coût. Le père de Margaret gagnait de l’argent, mais un noble conservait le sien, et personne n’était plus noble que le duc de Jevington. Ses ancêtres avaient probablement fait rapporter le tapis depuis l’Empire ottoman à dos d’ânes par-delà les Alpes durant les croisades.
Sapristi.
Le cœur de certaines femmes devait battre plus fort à l’idée d’être la femme du duc de Jevington. Contrairement à la plupart des ducs, il était en âge de se marier ; cependant, contrairement à la plupart des ducs, il n’était pas marié.
Maman souhaitait sans aucun doute changer ce fait précis.
Le physique séduisant du duc était de notoriété publique, suscitant chez les grands-mères potentielles d’agréables visions de bébés aux visages symétriques, quand elles n’étaient pas en train de penser aux vastes domaines de cet homme et à ses caisses convenablement remplies d’argent. Le duc avait réussi à ne pas se laisser attraper, en dépit d’une résidence à Mayfair lui donnant un accès aisé aux mères marieuses et à leurs filles débutantes désespérées.
En outre, le duc de Jevington n’autoriserait personne à le compromettre. Elle l’avait déjà rencontré auparavant : c’était le meilleur ami du mari de son amie, Lady Metcalfe. Elle avait passé deux très inconfortables semaines en présence du duc lors d’une partie de campagne. Ils n’avaient même pas réellement eu la moindre conversation, mais assurément, si le duc avait dû, pour quelque étrange raison, déclarer sa passion pour elle, il aurait eu amplement l’occasion de le faire alors.
Il accueillerait probablement le scandale avec plaisir même si la mère de Margaret faisait entrer la totalité des invités de la salle de bal pour admirer bouche bée Margaret sur le lit. C’était le genre de situation qui pouvait assurer à un homme une place de choix sur la liste convoitée des Séducteurs à Adorer que Mariages pour Jeunes Filles Sages publiait chaque année.
Margaret s’arcbouta contre l’emprise de la bonne, mais celle-ci n’avait rien perdu de sa fermeté.
La bonne ricana, mais Margaret résista à l’envie de pleurer.
Tout se passerait bien.
Il le fallait.
Elle convaincrait sa mère et la bonne de la relâcher, ramasserait sa rosette sur le sol, et si le duc remarquait une odeur de champagne en entrant dans sa chambre ce soir, il l’attribuerait à un agréable souvenir des festivités.
Margaret n’allait pas accepter de devenir la risée de la haute société.
Pas à nouveau.
Margaret releva le menton.
— J’exige de partir.
Maman la fixa du regard un instant. Ses sourcils et sa lèvre inférieure partirent dans des directions opposées, comme s’ils désiraient se séparer.
Margaret refusa de trembler.
Puis Maman partit d’un rire juvénile.
— Vous n’allez rien exiger, dit-elle en se tournant vers la bonne. Où sont les entraves ?
Entraves ?
Margaret leva brusquement les sourcils.
La bonne retira un long ruban de la poche de son tablier. Le ruban avait l’air affreusement solide, et Margaret recula. Sa mère resserra son étreinte sur Margaret.
— Vous ne pouvez pas m’attacher, dit vivement Margaret. En outre, personne ne croira qu’il m’ait compromise. Votre plan ne marchera pas.
La bonne eut un sourire narquois. Elle était plus que probablement consciente de l’absurdité de ce plan. Combien d’argent exactement Maman lui avait-elle promis ?
— Ma chère enfant, dit Maman. Je suis très heureuse que votre innocence soit encore intacte, mais je vous assure que les gens croiront que vous avez été compromise s’ils vous découvrent attachée.
Maman força Margaret à s’allonger sur le lit à baldaquin et s’assit sur ses jambes. Margaret se débattit, mais Maman était lourde, et la bonne attacha un poignet de Margaret à chaque montant du lit. Des tentures couleur saphir en descendait majestueusement, enveloppant Margaret de leur somptuosité. Le lit serait considéré comme luxueux dans la plupart des circonstances, mais Margaret frissonna lorsque sa peau s’appuya contre la couverture du duc. Elle ne devrait pas être ici. Sans aucun doute, d’autres rosettes cousues sur sa robe étaient-elles en train de se dénouer.
— Dois-je lui lier les chevilles, demanda la bonne.
— Quoi ?
Margaret gigota sur le lit, essayant de se libérer.
— On ne dit pas ‘quoi’, ma chère, dit Maman par automatisme. J’ai appris que c’était assez grossier. ‘Excusez-moi’ est de loin préférable. Il y a un nombre supplémentaire de syllabes, mais le but est toujours la politesse.
— La courtoisie n’est pas mon souci actuel, souffla Margaret.
Une mèche de cheveux s’échappa de sa coiffure.
Et puis une autre.
Et puis une autre.
Margaret aurait aimé être un pirate pour avoir un large éventail de jurons à proférer.
— Lorsque le duc reviendra dans sa chambre, dit Maman. Il vous découvrira.
— Et il saura qu’il ne m’a pas mise là.
— Cela n’a aucune d’importance. Vous serez découverts ensemble. Un témoin m’accompagnera. Je serai bouleversée.
Maman joignit les mains, et ses lèvres tremblèrent. Puis elle eut un sourire radieux, comme si elle se réjouissait de ses talents d’actrice.
Margaret la regarda fixement.
— Il y a un bon moment que vous avez réfléchi à tout ceci.
— J’en ai rêvé toute éveillée. Et à présent, grâce à de généreux paiements, cela se réalisera, dit Maman en lançant un regard reconnaissant vers la bonne et en applaudissant. Oh, pensez au mariage que nous allons organiser pour vous. Toute la société y assistera.
— Parce qu’ils auront peine à croire que le duc et moi nous mariions jamais.
— Votre impopularité ne sera plus qu’un lointain souvenir, dit Maman d’une voix débordant de confiance.
Margaret fronça les sourcils.
Maman était impossible. Depuis que Papa les avaient rendus riches, Maman avait voulu marier Margaret à un excellent parti. Malheureusement, il semblait plus facile que Papa invente quelque chose et, à partir de cela, crée une entreprise toute entière, que pour Maman de piéger un beau-fils possédant un titre. Clairement, Maman ne devrait pas viser un duc. Même les plus expérimentées des mères marieuses devaient hésiter devant cet objectif.
— Vous perdrez votre poste si vous faites cela, dit Margaret à la bonne. Je le raconterai au duc.
— Son futur est assuré, dit Maman avec précipitation en hochant la tête vers la bonne. Notre résidence peut toujours être plus étincelante.
La mère de Margaret ouvrit son réticule en brocart de velours et en sortit un pot. Maman enleva le couvercle et une senteur florale agréable se diffusa dans la pièce.
— Ce parfum ne me calmera pas, dit Margaret.
— Très chère, ce ne sont pas de vos émotions dont je me soucie.
Maman voleta dans la pièce, passant du lit à baldaquin à la méridienne.
Elle répandit quelque chose en chantonnant.
Margaret écarquilla les yeux.
— Êtes-vous en train de répandre des pétales de rose ?
— Je pensais que c’était évident, dit Maman. Mieux vaut rendre cela romantique, ma chère.
C’était insensé.
Margaret lutta contre la tentation de hurler. Selon toute vraisemblance, cela lui vaudrait uniquement d’être bâillonnée. En outre, cet étage était désert, et le bruit des festivités avait pratiquement causé des vibrations.
Elle pourrait peut-être retirer ces liens. C’était peu probable, mais pour l’instant, c’était son seul espoir.
— Vous souhaitez qu’elle garde ses vêtements ? demanda la bonne.
— La réponse est oui. De toute évidence, s’exclama Margaret.
— Une déchirure suffira, dit Maman.
— Bien sûr.
La bonne déchira le corsage de la robe de bal de Margaret avec efficacité.
— Vous n’êtes pas obligée de faire cela, Maman, supplia Margaret. Ce plan ne marchera pas. Ce n’est pas le bon moyen pour me marier. Et nous pourrions simplement partir. Personne ne le saura. Et je ferai davantage d’efforts – je le promets.
Maman pinça les lèvres, puis marcha d’un pas décidé vers Margaret.
Margaret reprit espoir.
Maman allait peut-être vraiment la libérer. Peut-être que tout se passerait bien.
Au lieu de cela, Maman retira les épingles des cheveux de Margaret. Elle retira un peigne de son réticule et lui lissa les cheveux.
Ses yeux s’éclairèrent, et elle pinça les joues de Margaret.
— Beaucoup mieux. Vous avez l’air très indécente, comme si l’on venait de vous ravir.
Puis Maman se retourna et sortit de la pièce avec la bonne.
Margaret fut seule.
Elle avait toujours su que Maman était enthousiaste à l’idée de la marier, mais elle n’avait pas réalisé qu’elle se résoudrait à cela. N’aurait-elle pas dû s’y attendre ? Maman n’avait-elle pas soudoyé quelqu’un pour l’assister quand le marquis de Metcalfe avait ouvertement cherché une épouse ?
La gorge de Margaret se teinta de nausée.
Si seulement elle avait travaillé plus dur afin de trouver un mari cette saison. La prochaine fois que quelqu’un de même vaguement convenable montrerait le moindre intérêt pour elle, Margaret jurait de l’épouser.
Elle n’aurait probablement même pas ma chance de le faire. Margaret serait perdue une fois qu’elle serait découverte dans le lit du duc.
Son cœur trembla, et elle étudia son nouvel environnement.
Du tissu vert foncé habillait les murs, comme s’il avait été choisi pour s’assortir avec l’habit de chasse du duc. De lourds meubles des siècles passés garnissaient la pièce. Des bustes royaux d’empereurs romains étaient perchés sur la table. Clairement, la personne qui les y avait placés n’avait pas prévu que des femmes puissent être trainées dans cette pièce par leurs mères marieuses.
En matière de literie, celui-ci surpassait les autres par sa somptuosité. Les coussins possédaient une plaisante densité de plumes, et le cordage du sommier ne s’affaissait pas de façon intolérable. La courtepointe était confortablement moelleuse, et aucune brise de soufflait à travers la fenêtre. Le duc avait le bon nombre d’oreillers, et sa literie était convenablement douce. Aucun doute, les nuages pourraient en prendre exemple.
Mais en dépit de la texture soyeuse, le cœur de Margaret tambourinait toujours, comme si elle était une criminelle en fuite, et pas allongée sur l’un des lits les plus luxueux de Grande-Bretagne.
Margaret méprisait la danse, mais elle n’avait que peu d’envie de passer toute la durée du bal ici. Elle songea avec envie à la nourriture alignée sur la table de banquet. Geneviève et Juliette se demanderaient probablement où elle était.
À un moment donné, le duc de Jevington entrerait dans la pièce, et tout se passerait horriblement.
Margaret continua à tirer sur ses liens.
Malheureusement, ils ne montrèrent aucun signe de faiblesse.




Chapitre Deux


Jasper Tierney, duc de Jevington, n’avait jamais estimé qu’il excellait à grand-chose. Ses aptitudes sportives étaient acceptables, même s’il n’ait jamais compris l’intérêt de risquer de se briser la nuque pour plonger après une balle en jouant au rugby. Ses compétences scolaires étaient pires. Harrow n’incluait aucun cours qui décernait de bonnes notes pour l’aptitude de quelqu’un à faire rire ses camarades de classe, et Jasper manquait d’enthousiasme, à parts égales, pour décliner les mots latins et diviser les fractions.
Mais Jasper s’était trompé : il excellait à organiser des réjouissances.
Les réceptions de Jasper étaient réputées, et il se tenait sur la mezzanine tandis que ses invités dansaient et plaisantaient, buvaient et se réjouissaient. Des valets de pied transportaient des plats en argent d’une main, sans se démonter face aux hommes et aux femmes qui affluaient autour d’eux. Une musique enjouée flottait dans la salle de bal, et les gens se balançaient joyeusement, formant les figures complexes habituelles avec gaieté.
Un an auparavant, Jasper les aurait rejoints, mais à présent, observer lui suffisait. L’organisation d’une réception était épuisante, et le souvenir qu’il garderait de cet événement ne serait pas rehaussé par un mal de tête dû au brandy.
Il tambourina les doigts contre la rampe de la mezzanine. Quelques jeunes femmes levèrent la tête vers lui, les cils papillonnants, et donnèrent des coups de coude à leurs voisines. Des diamants et des rubis scintillaient à leur gorge et leurs boucles savamment coiffées demeuraient impeccables. Jasper leur envoya son grand sourire coutumier. Il ne dut pas attendre longtemps avant qu’elles ouvrent leurs éventails. Ce rituel lui avait paru plus intéressant quand il était nouveau à Londres. Normalement, il descendrait et ferait leur connaissance, ou, comme dans la plupart des cas maintenant, la referait, mais un ennui étrange enlisait ses actions coutumières.
Cependant, il ne pouvait rester sur la mezzanine toute la nuit. Il descendit les escaliers et se mêla à la foule.
L’un de ses valets de pied s’approcha de lui.
— J’ai un message pour vous, Votre Grâce.
Les bals n’étaient pas l’endroit habituel pour recevoir de la correspondance, mais Jasper tendit la main.
Les épaules du valet se détendirent, et il se dépêcha de partir.
Jasper lut le message. Il ne reconnut pas l’écriture et se dirigea d’un bon pas vers le valet, le rejoignant rapidement.
— Il me faut aller dans ma chambre ?
— Je – euh – suppose, dit le domestique en détournant les yeux.
— Qui vous a donné ceci ?
— Est-ce important ?
La voix du valet tremblait, et il se recroquevilla avec un curieux air de culpabilité.
Jasper soupira. Le valet était nouveau, et même si Jasper s’évertuait à ne pas intimider son personnel, son titre rendait le processus difficile.
— Ne vous inquiétez pas, le rassura Jasper.
Sa curiosité était, après tout, bel et bien piquée. Une veuve avait-elle arrangé un tête-à-tête ? Plus probablement, un de ses amis avait envie de vanter les charmes de l’une des jeunes femmes présentes et d’établir une stratégie pour pouvoir gagner son cœur.
Jasper se balada à travers la salle, parcourant la foule de fêtards. D’anciens camarades d’école lui assénèrent une tape dans le dos, souriant joyeusement, comme s’ils ne parvenaient toujours pas à croire qu’ils avaient atteint un âge auquel ils pouvaient boire et danser avec grand plaisir ; un monde dans lequel l’arithmétique et les leçons de géographie n’existaient plus et où personne ne viendrait leur donner des coups de bâtons à cause de déclinaisons latines erronées. Des débutantes se mirent à glousser lorsqu’elles le virent, rejetant leurs cheveux de façon à ce que leurs anglaises, bouclées avec soin, captent la lumière.
Enfin, il quitta la salle de bal, et Jasper frissonna.
De toute évidence, la température était retombée.
De toute évidence, il ne frissonnait pas à cause de quelque prémonition, même s’il se demandait effectivement pourquoi il avait été convoqué dans sa chambre à coucher.
Il fit un signe de tête au majordome, puis grimpa les escaliers. Le bruit de la musique fut assourdi, mais lorsqu’il entra dans le couloir sombre, le porte de la salle de bal claqua en bas. Apparemment, il n’était pas le seul à abandonner les festivités, même s’il était encore tôt. Jasper foula les tapis orientaux familiers, passa devant le buffet aux pieds dorés familier jusqu’à ce qu’il parvienne à sa chambre.
Tout ceci est ridicule.
Il aurait dû ignorer le message. Cependant, il pouvait aussi bien enquêter.
Jasper ouvrit la porte et cligna des yeux dans la faible lumière. Un parfum de rose flottait dans la pièce. Derrière lui, des bruits de pas résonnèrent, et des voix, soprano et baryton, chuchotèrent.
En d’autres circonstances, il aurait ri intérieurement, se demandant si ces deux personnes cherchaient une chambre libre dans laquelle ils pourraient s’adonner à une étreinte illicite. Ce ne serait pas la première fois que des gens cédaient à la passion lors de l’une de ses réceptions. Jasper excellait à créer une atmosphère plaisante qui inspirerait les poursuites amoureuses.
— À l’aide, appela une femme.
Jasper fut interloqué.
Ce n’était pas Shoreditch, tout de même.
Personne ne devrait requérir assistance en sa demeure.
— Vite, ajouta la femme.
Jasper se tourna vers la voix.
Le son provenait de son lit.
— À l’aide ! répéta la voix.
Jasper était peut-être confus, mais il n’en restait pas moins un gentleman. Il s’approcha d’elle en vitesse.
D’ordinaire, si une femme l’appelait depuis son lit, c’était pour qu’il la touche ici et là et sans tarder. En dépit du ton insistant de cette femme, et la ressemblance avec certaines frasques nocturnes passées, Jasper douta que c’était ce que cette femme désirait.
Après tout, il ne reconnaissait pas sa voix.
Il saisit une bougie et craqua une allumette, projetant une lueur vers le lit.
Il y avait effectivement une jeune femme dans son lit. Elle était allongée à demi dévêtue. Des mèches sombres s’étalaient sur ses épaules.
Cette vue n’était pas totalement inhabituelle, même s’il avait diminué ces cas de figure depuis que son ami Hugh s’était marié.
Mais les mains de cette femme étaient attachées aux montants de son lit.
Etrange.
Il cligna des paupières.
Cette jeune femme ressemblait à Miss Margaret Carberry.
Très étrange.
De toutes les femmes qu’il aurait pu trouver dans son lit, il ne serait jamais attendu à Miss Carberry. Il avait fait sa connaissance lors d’une partie de campagne, et il avait le souvenir d’une jeune femme réservée et rigide, une de celles qui trouvaient intimidante la seule perspective d’avoir une conversation, et qui avaient encore à apprendre les règles pas-très-difficiles du bavardage.
Mais à ce moment-là, elle avait été très convenablement habillée. Contrairement à ses compagnes, elle n’avait montré aucun enthousiasme à converser avec lui. Elle n’avait pas battu des cils. En fait, elle avait plutôt semblé très enthousiaste à l’idée de se fondre dans le décor.
Mais Miss Carberry était assurément très visible, à présent.
Une immanquable odeur de champagne flotta vers lui, et de longs cheveux bouclés encadraient le visage de Miss Carberry de manière séduisante. Elle était vêtue d’une robe jaune, mais l’attention de Jasper fut attirée par une profonde déchirure dans son corsage qui révélait une peau délicieuse.
— Miss Carberry ?
— Détachez-moi, s’il vous plaît, ordonna-t-elle.
Il se força à détacher son regard d’elle et chassa l’image de sa poitrine ronde, peu importe combien elle était attirante.
Pourquoi était-elle ici ? Miss Carberry avait toujours semblé pragmatique. Si elle essayait de le séduire, elle ne serait pas si pressée de quitter le lit.
Il se creusa les méninges. Une idée horrible lui vint à l’esprit.
— Quelqu’un vous a-t-il fait du mal ?
Il passa d’une jambe sur l’autre, peu désireux d’envisager que l’un de ses invités pour avoir agi avec une telle bassesse.
— Parce que si vous me donnez son nom, je vous assure que je ferai en sorte de—
— Non, dit-elle précipitamment. Rien de ce genre.
Il fut à nouveau interloqué.
— Ce n’est pas le moment des explications, dit-elle.
Jasper aimait peut-être bavarder, mais il savait reconnaître quand sa conversation n’était pas la bienvenue. Il se hâta vers le lit, retira un couteau d’un tiroir à son chevet, et la délivra rapidement.
— Merci.
Elle sauta en bas du lit à baldaquin et atterrit dans une pile de pétales de roses. Elle avait les cheveux défaits, et de lourdes boucles s’échappaient de son chignon.
Elle ne battit pas des cils dans sa direction. Au lieu de cela, elle lança des regards frénétiques dans la pièce.
— Que signifie tout ceci ? exigea une voix d’homme inconnue.
Miss Carberry se baissa rapidement, et son ample poitrine tressauta. Jasper eut soudain le gorge sèche, et il fit le vœu de ne pas songer à ces globes rebondis.
— Oh, je vous en prie, venez ! clamait une voix de femme. Dépêchez-vous ! Ma fille est ici. Seule avec le duc.
— Bonté divine, dit l’homme. En êtes-vous sûre ?
— Naturellement !
Jasper tourna brusquement la tête sur le côté.
De quoi ces gens parlaient-ils ? Miss Carberry avançait à quatre pattes sur le tapis comme si elle était une espionne française. Des pétales de rose collées dans les cheveux.
Bon sang, il n’y avait aucune raison pour que des pétales de roses se trouvent sur le sol.
Miss Carberry n’avait pas simplement été attachée sur le lit – sa robe avait été déchirée.
Comme si je l’avais déchirée en abusant d’elle.
Les poings de Jasper se refermèrent étroitement.
Enfer et damnation.
C’était en train de se produire : la chose que tous les aristocrates redoutaient. Il était victime d’un coup monté destiné à le faire apparaître comme ayant compromis une jeune femme.
Jasper avait rencontré la mère de Miss Carberry. Elle avait poussé Miss Carberry vers son ami Hugh, le marquis de Metcalfe. À présent que le marquis était marié, Mrs Carberry avait peut-être décidé de reporter son attention sur Jasper.
Double enfer et damnation.
— Ils ne peuvent pas me trouver ici, chuchota Miss Carberry avant de courir vers la fenêtre.
— Que faites-vous ? demanda Jasper.
Un homme n’était pas supposé trouver normal de découvrir des filles attachées dans son lit. C’était le genre de choses qui rendrait n’importe quel homme – même le plus expérimenté et raffiné – désireux de poser quelques questions.
Questions auxquelles Miss Carberry ne paraissait pas être d’humeur à répondre.
— Ils arrivent, dit Miss Carberry en se précipitant derrière le rideau.
La porte s’ouvrit, et Jasper détourna la tête.
Deux personnes firent irruption : une version plus sévère et plus âgée de la jeune femme qu’il venait de voir, en qui il reconnut Mrs Carberry, et un autre homme, portant un col blanc.
Bon sang.
La mère de cette fille avait trainé un membre du clergé avec elle : un évêque. La parole d’un homme qui se pliait aux règles morales et éthiques, ou d’un homme qui, à tout le moins, préconisait que les autres se plient aux règles morales et étiques, serait prise au sérieux. Personne n’aimait contredire les évêques, pas si l’on ne prenait pas un plaisir particulier aux flammes éternelles, avec pour seules distractions les cris des malheureux résidents et des créatures ornées de cornes brandissant des fourches.
— Elle est ici !
Mrs Carberry fit un geste théâtral de la main en direction du lit à baldaquin. Ses bracelets cliquetèrent, et sa voix résonna avec une étrange note de triomphe. Ce son ne contenait pas l’angoisse que Jasper imaginait que devait ressentir une personne croyant que sa fille avait réellement été compromise.
Non, la voix de Mrs Carberry était, sans équivoque, pleine de satisfaction.
Et à présent, sa fille en était réduite à se blottir à l’extérieur de la fenêtre de Jasper.
Il n’avait pas eu une haute opinion de Mrs Carberry quand il l’avait rencontrée auparavant. Il révisa instantanément son jugement et la plaça dans la colonne des négatifs, juste un cran au-dessus de soldats français en train de charger.
— De quoi parlez-vous donc ? demanda Jasper du ton glacial qu’il préférait ne jamais employer, favorisant une approche des autres plus chaleureuse. Ceci, cependant, était un instant méritant une attitude hautaine toute aristocratique.
Mrs Carberry ouvrit grand les yeux, puis son visage pâlit.
— Vous êtes dans mes appartements, dit Jasper. Et je ne vous ai pas invités.
— Euh – oui, dit Mrs Carberry en gardant son regard fixé sur le lit.
— Cette femme dit qu’une jeune demoiselle est retenue ici contre con gré, dit l’évêque avec hésitation
— Elle fait erreur, monseigneur, dit Jasper Je suis seul. Elle a peut-être succombé à quelque rêverie. Malgré son nom, il n’est pas nécessaire d’être endormi pour en faire l’expérience.
— Je n’ai pas imaginé ce désastre, souffla Mrs Carberry.
L’évêque la regarda d’un air dubitatif. Il plissa son ample front débarrassé du fardeau d’une chevelure.
— C’est très étrange. Très étrange, en vérité.
— Une observation louable, dit Jasper. Très astucieuse. Mais après tout, la vie n’est-elle pas remplie d’étrangeté ?
Un air renfrogné envahit le visage de l’évêque.
— Votre Grâce, je préfère voir le monde comme étant merveilleux, rempli des manifestations de Notre Seigneur.
— Tout à fait, tout à fait, dit rapidement Jasper.
Commencer une discussion théologique alors qu’un bal parfaitement agréable se déroulait au rez-de-chaussée, sans parler de la jeune femme dissimulée de l’autre côté de ses tentures, n’était pas parmi les désirs immédiats de Jasper. À cet instant précis, la seule chose qu’il désirait était un verre généreusement servi.
— De telles méprises peuvent se produire, dit Jasper avec dignité malgré que ce fait précis ne lui soit jamais arrivé avant, et que cela ne paraissait pas du tout involontaire. Il se dirigea vers la porte.
— À présent, redescendons. Je vous assure que le bal est plus intéressant.
L’évêque le suivit docilement, mais Mrs Carberry s’arrêta.
Le cœur de Jasper sombra.
Une femme disposée à attacher sa fille au lit d’un duc n’allait vraisemblablement pas se laisser démonter pas l’absence temporaire de la fille en question.
— Mais elle était ici ! insista Mrs Carberry. Regardez. Le lit est… froissé !
— J’espère que vous n’insultez pas le travail de ma femme de chambre ? demanda Jasper.
— Balivernes, dit Mrs Carberry. Je la complimentais. Je doute qu’elle ait laissé une telle empreinte.
— Cela ressemble bien à un compliment, Votre Grâce, dit gaiement l’évêque.
— Je pense m’être assis sur le lit, dit Jasper.
— Vous pensez ? demanda l’évêque.
— Je suis tout à fait certain, corrigea Jasper. Absolument certain.
L’évêque ne paraissait pas conscient du fait que ‘absolument’ était un mot dénotant l’assurance, parce que le front de l’évêque se plissa à nouveau.
— Vous ne désiriez pas assister à votre propre bal ?
— Je venais d’arriver, dit Jasper. En outre, pourquoi festoyer lorsqu’on peut contempler les miracles de la vie ?
— Tout à fait juste, dit l’évêque. Vous êtes un homme sage, Votre Grâce.
— C’est un homme dissimulant ma fille, s’exclama Mrs Carberry. Margaret ! Margaret ! Où êtes-vous ?
Pendant un instant, Jasper pensa que Miss Carberry pourrait passer la tête de derrière la tenture, mais aucun bruit ne parvint depuis la fenêtre.
— Elle n’est pas là, dit Jasper. Visiblement.
— Nous devrions vraiment partir, conseilla vivement l’évêque à sa compagne. S’attarder dans les appartements privés du duc est inconvenant.
— Je refuse de recevoir des leçons de bienséance de la part d’un évêque, renifla Mrs Carberry. Il doit l’avoir cachée quelque part.
— Je ne cache pas de femmes dans ma chambre, dit Jasper avec raideur.
— Elle est peut-être dans votre garde-robe, dit Mrs Carberry.
— Une suggestion abominable, dit l’évêque. Je vous en prie, ne vous mettez pas dans l’embarras. Nous ne voudrions pas que le duc ait une piètre opinion de vous.
Mrs Carberry hésita, réfléchissant, nul doute, aux conséquences de s’attarder, mais finalement, elle secoua fermement la tête.
Le cœur de Jasper sombra.
Mrs Carberry pensait peut-être qu’elle avait déjà compromis sa place sur la liste des invités pour les prochaines festivités. Si elle trouvait sa fille, cela lui assurerait un statut plus élevé.
— Néanmoins, je vais regarder.
Mrs Carberry marcha d’un pas déterminé vers la garde-robe, l’ouvrit, contempla les rangées de redingotes et de pantalons, et la referma rapidement.
— Pas ici.
— Précisément, dit Jasper. Je ne causerais pas de tort à votre fille.
Mrs Carberry renifla et abaissa la tête sous le lit. Son visage s’était empourpré, adoptant une certaine ressemblance avec une fraise, mais elle continua à fouiller la pièce.
Jasper admirait presque sa résolution.
— Elle se cache peut-être derrière les tentures !
Mrs Carberry se dirigea d’un pas déterminé vers la fenêtre.
— N-Non, dit Jasper.
Si Mrs Carberry la découvrait, ce qu’elle ferait certainement, l’évêque deviendrait soupçonneux. Il annoncerait sans aucun doute le besoin immédiat pour Jasper de publier les bans. Avec la chance actuelle de Jasper, l’évêque verrait l’archevêque de Canterbury le lendemain et commencerait les arrangements pour une dérogation spéciale.
— Ce n’est pas nécessaire, s’écria Jasper.
— Au contraire, c’est tout à fait nécessaire, répondit Mrs Carberry.
Bien que la chambre de Jasper soit de dimensions généreuses, et bien que les jambes de Mrs Carberry soient plutôt courtes, il ne fallut pas longtemps à Mrs Carberry pour atteindre la fenêtre.
— Je préférerais que vous ne regardiez pas, dit Jasper.
Mrs Carberry pinça les lèvres en une fine ligne, et elle tira la tenture.
Aucune jeune femme n’était derrière.
Jasper resta bouche bée. Miss Carberry aurait dû se tenir juste à l’extérieur. Aucun escalier ne descendait du balcon.
Où diable avait-elle bien pu passer ?




Chapitre Trois


Une bourrasque frappa Margaret. Le vent, qui avait semblé insignifiant lorsque Margaret avait fait la file au dehors, se classant plus bas dans l’irritation que l’incessant crachin, était à présent impossible à ignorer. Si seulement le duc avait décidé de briser la tradition et d’avoir une chambre au rez-de-chaussée. Margaret avait su qu’elle n’aurait pas dû sortir par la fenêtre, même avant d’avoir vu la façon exacte dont les sourcils majestueux du duc avaient bondi vers ses cheveux élégamment ébouriffés.
On ne sortait pas des chambres à coucher par les fenêtres.
Cela dit, on ne devrait pas non plus être ligoté aux montants des lits.
Curieusement, les actes de Margaret avaient semblé indiqués, mais elle fut envahie par une gratitude nouvelle pour l’usage des escaliers et les raisons de leur incontestable popularité. L’escalade de façades n’était pas une activité courante, même pour les sportifs.
Margaret n’était pas sportive. Courir ne faisait qu’irriter sa généreuse poitrine, et s’adonner à d’autres exercices, qui consistaient à plier et contorsionner son corps dans d’étranges positions, la faisait se sentir ridicule.
Et pourtant, elle se tenait là, sur un balcon étroit.
Elle regarda en bas. Les invités ne faisaient plus la file à l’extérieur de la résidence. La dernière chose dont Margaret avait besoin était que quelqu’un la remarque et crie « Au voleur ». Ou, encore pire, que quelqu’un la reconnaisse. Il n’y avait aucune explication possible pour justifier qu’une débutante soit sur le balcon menant à la chambre à coucher d’un duc. Après tout, aucun chaperon n’était à ses côtés. Pas même Grand-mère Agatha, qu’elle parvenait habituellement à inciter à l’accompagner pour des visites qui présentaient moins d’intérêt pour sa propre mère.
Margaret évalua la situation. Le problème d’être cramponnée à un balcon était l’air à présent frisquet. Des rafales de vent la frappaient continuellement, emportant sa robe couleur canari comme si elles étaient ravies d’avoir autant de tissu avec lequel jouer. Même si le vent décidait d’être moins actif, l’air glacial resterait tout de même piquant.
En-dessous d’elle, des calèches passaient, déposant parfois des passagers, ou emportant parfois ceux qui se contentaient de faire une brève apparition avant une longue nuit à errer de réception en réception.
La pluie éclaboussait Margaret, glissant le long de ses doigts. Elle avait déjà détruit ses gants de dentelle en essayant de rompre ses liens.
Margaret était contente de ne pas voir l’expression du duc – mais même si elle ne voyait pas son visage, elle savait qu’il devait être horrifié.
Margaret remua les jambes. Des voix résonnèrent en dessous, et elle se tapit contre le balcon, souhaitant que l’architecte ait conçu la façade avec moins d’enthousiasme pour les colonnes. Personne n’avait à ce point besoin d’un bâtiment ressemblant à un temple grec quand – même en Grèce – les gens avaient arrêté d’adorer leurs dieux des siècles auparavant.
La voix de sa mère retentit. Elle allait fouiller le balcon.
Le cœur de Margaret s’affola, se précipitant de-ci de-là, sans se préoccuper des autres vaisseaux sanguins du corps. Respirer devint de plus en plus difficile.
Elle devait se cacher.
Tout de suite.
Malheureusement, les balcons faisaient d’horribles cachettes.
Une idée lui vint. Margaret grimpa hâtivement par-dessus le rebord du balcon et plaça ses pieds sur le petit côté de la brique sur sa gauche.
Cela marchait, et Margaret rayonna. D’autres femmes auraient peut-être craint le manque de stabilité, mais Margaret avait réussi. Elle s’accrocha à la balustrade en fer du balcon, et maintenant, si sa mère ouvrait la porte – quand sa mère ouvrirait la porte – Margaret serait cachée.
C’était parfait.
La pluie continua à dégouliner sur son visage et ses mains ; elle continua à mouiller sa robe, mais cela n’avait pas d’importance. Une demi-heure plus tôt, elle avait été certaine qu’elle serait forcée d’épouser le duc. Et, bien que l’homme n’ait montré aucun signe de cruauté, elle n’avait aucun désir d’épouser un homme obligé de devenir son mari. Il saurait toujours qu’il était un duc, et qu’elle n’était qu’une jeune fille réservée introduite dans le beau monde par la seule force de la soudaine abondance d’argent de son père.
— Ohé ! Là-haut ! cria un homme.
Margaret se figea. Sa robe n’avait aucune chance de se fondre dans le mur de briques, et elle maudit le fait que le duc de Jevington n’ait pas manies excentriques qui l’auraient incité à ordonner que les briques soient peintes d’une couleur assortie au soleil. Au lieu de cela, la maison ressemblait à toutes les autres résidences de la rue. Seule la composition exacte des colonnes et des fioritures différait.
— Descendez, jeune fille. C’est dangereux, là-haut ! cria l’homme.
Oh, bon sang.
Le vent souffla en rafale, mais échoua à emporter la voix de l’homme. La mère de Margaret allait fouiller le balcon d’un instant à l’autre, et cet instant arriverait plus tôt que prévu si cet homme continuait à faire étalage des capacités de son diaphragme.
Margaret jeta un regard vers le bas. Il était facile à repérer. Il portait une cape et un haut-de-forme, la livrée habituelle des cochers.
Margaret tourna le buste de manière peu élégante vers l’homme, même si se retourner quand on devait garder le pied sur le bord d’une brique au-dessus d’une fenêtre et garder les mains agrippées à la balustrade d’un balcon, comptait parmi les choses les plus stupides à faire. Si seulement Margaret avait accordé plus d’intérêt à la pratique sportive. Elle s’était toujours moquée des femmes qui estimaient ces manœuvres comme étant le sommet de leur journée, leur préférant les joies de la mémorisation de nouveaux faits scientifiques.
Margaret posa un doigt sur ses lèvres, espérant que l’homme se tairait.
— Attention, ma petite dame ! brailla-t-il.
Elle répéta son geste.
— Vous avez vu cette jeune femme ? cria l’homme en tournant la tête.
Margaret grimaça d’embarras.
L’homme n’était pas la seule personne à l’extérieur. Aucun doute, dans quelques minutes, il aurait ameuté tous les cochers pour la regarder. Pire, il pourrait attirer l’attention du majordome se tenant à l’entrée, pour la regarder.
— Silence ! articula-t-elle silencieusement.
La porte du balcon s’ouvrit, et Margaret se figea. Puis la porte fut refermée d’un claquement, avant que l’homme ne puisse à nouveau crier, et le soulagement envahit Margaret.
Elle était sauvée.
Elle essaya d’ajuster sa position, pour qu’elle puisse remonter sur le balcon et attendre jusqu’à ce que sa mère ait quitté la chambre du duc. Une bourrasque de vent la renversa presque, semblant désireuse d’agrandir la déchirure de sa robe pour augmenter son indécence.
Les doigts de Margaret glissèrent. Elle lutta pour conserver sa prise, mais de la pluie tomba encore, enveloppant sa main de liquide glacé.
Le cœur de Margaret tressauta d’incertitude, mais elle serra les dents.
Je peux y arriver.
Je dois y arriver.
Margaret se concentra pour raffermir sa prise autour de la balustrade, ne se préoccupant pas de savoir si elle avait l’air ridicule depuis la rue.
Elle ne pouvait pas lâcher.
Lâcher signifiait probablement des blessures.
Lâcher signifiait probablement la mort.
— Accrochez-vous, ma petite, cria l’homme. Ne tombez pas. Vous n’avez pas envie de vous tuer.
Les braillements de l’homme n’étaient pas rassurants.
— Cette fille va mourir, dit-il d’une voix sonore. Ici, à Grosvenor Square. Imaginez un peu. Ça ne vaut pas le coup d’être une voleuse, ça non.
Le cœur de Margaret bondit dans sa poitrine, et la pluie froide continua à l’arroser. Des gouttes se glissèrent sous son col, dégoulinant dans son dos avec plus de force que le champagne n’avait réussi à montrer.
Margaret claqua des dents, mais elle tint bon.
D’autres voix se firent entendre en-dessous d’elle, les roues d’une calèche grincèrent sourdement, et un cheval hennit, mais Margaret tint bon.
Le processus restait difficile. L’épuisement montait en elle, et une douleur lui parcourut le bras. Le vent souffla en rafale dans sa direction, fouettant des boucles de cheveux sur ses yeux.
Ses doigts glissèrent.
Sapristi.
Margaret dégringola.
Elle agita les mains en l’air, essayant de se raccrocher à quelque chose, n’importe quoi.
Ses boucles furent balayées hors de ses yeux, mais tout ce qu’elle vit fut de la grisaille.
Elle battit des bras vers le haut, comme s’il pouvait y avoir quelque chose à agripper, mais il n’y avait rien : c’était la fin.
Margaret s’écrasa.
Elle rebondit.
Rebondir n’était pas le résultat auquel elle s’était attendue. Elle roula, puis tomba encore, atterrissant cette fois sur les pavés.
Elle était vivante. C’était un état qu’elle avait pris pour acquis, mais qu’à présent, elle appréciait beaucoup.
De gouttes de pluie froides continuaient à atterrir sur elle, son corps était douloureux, et sa robe était maintenant à la fois déchirée et boueuse, mais cela n’avait pas d’importance.
Je suis vivante.
Elle soupira.
Avec délice.
— Mademoiselle ?
Le majordome a l’air sévère de tout à l’heure descendit prestement d’une calèche, suivit par le cocher bavard qui était sur le trottoir.
Margaret se releva péniblement des pavés. Son turban à plumes avait atterri dans une flaque de boue, et une plume avait été délogée de son perchoir. Bien que Margaret ait souhaité avoir une excuse pour ne pas le porter, la vision de son turban abimé manquait de la satisfaction qu’elle avait imaginée.
Le majordome l’examina avec la vigueur d’un homme habitué à chercher la moindre tâche en polissant l’argenterie.
— Vous allez bien ?
— Oui.
Elle allait bien. Elle était debout, et ses mains fonctionnaient.
Margaret observa la calèche. De toute évidence, elle avait atterri sur le toit de la calèche et cela lui avait sauvé la vie.
— Vous l’avez déplacée pour moi ?
Le majordome hocha la tête.
— Après que cet homme m’ait alerté, j’ai envisagé de rentrer et de vous atteindre par le balcon, mais j’ai pensé que ceci serait plus rapide.
— Merci, dit-elle.
— Vous auriez pu détruire cette calèche, aboya le cocher. Bien content que ce ne soit pas la mienne.
Il dirigea un regard sévère vers le majordome avant de reprendre.
— Les calèches coûtent cher.
— J-Je n’avait pas l’intention de tomber, bégaya Margaret.
Le cocher fronça ses épais sourcils et lui lança un regard noir.
Il se tourna vers le majordome.
— Dois-je aller chercher un vigile ? Elle était peut-être en train de cambrioler ! Une robe terriblement élégante, pour une vagabonde. Très suspect.
Le majordome lui adressa un sourire aimable.
— Je pense que c’est une invitée, Monsieur.
— Une invitée ? dit le cocher dont les yeux s’écarquillèrent. Vous en êtes certain ?
— Il est difficile d’oublier une robe de cette nuance de jaune. Il en va de même pour ce turban.
Le majordome dirigea son regard avec gravité vers la flaque et son contenu détruit.
Les hommes continuèrent à parler, mais Margaret ne pouvait plus écouter. Elle devait partir.
Même les plus excentriques n’étaient pas supposées escalader l’extérieur des balcons ducaux. Margaret n’avait pas survécu pour être réprimandée davantage. Son statut dans le beau monde était déjà suffisamment bas. Elle n’avait certainement pas besoin de rumeurs disant qu’elle était une cambrioleuse. Elle ne pouvait pas rester là, mais elle ne pouvait pas retourner au bal avec une robe déchirée et boueuse non plus.
Des cochers lui jetèrent des regards curieux depuis leurs calèches, certains passant la tête sous la petite pluie fine.
Si seulement son propre cocher attendait là. Malheureusement, il ne passerait les prendre qu’à minuit. Le ciel était peut-être sombre, mais elle doutait qu’il soit déjà proche de cette heure, et Margaret n’avait aucun désir de l’attendre.
— Voulez-vous entrer à l’intérieur ? demanda le majordome.
Margaret hésita.
Ne pas rester sous la pluie était tentant. Elle ne devrait pas rester ici et continuer à converser avec des cochers déconcertés. Un invité pourrait sortir de la résidence à tout moment. La présence de Margaret serait impossible à ne pas remarquer, et la réputation de Margaret deviendrait encore plus discutable.
Margaret n’avait peut-être pas été découverte au lit avec le duc, mais se retrouver seule, dans la rue, dans une robe déchirée et chiffonnée, n’était pas une franche amélioration.
Et pourtant…
Même si elle ne pouvait absolument pas s’attarder au dehors, elle ne pouvait pas s’aventurer à l’intérieur. Il était évident qu’elle rencontrait plus de membres de la haute société à l’intérieur.
Elle ferma très fort les yeux.
Sa mère avait réussi à ruiner sa réputation après tout, et tout ce que Margaret avait accompli, c’était de s’assurer que le duc de Jevington ne soit impliqué dans aucun scandale.
Elle fronça les sourcils.
Elle était à Grosvenor Square.
Daisy vivait à proximité.
Margaret pouvait lui rendre visite, puisque Daisy ne serait pas au bal.
— Vous devriez vraiment rentrer à l’intérieur, dit gentiment le majordome.
— Je devrais l’embarquer pour voir si c’est pas une criminelle, dit le cocher. C’est pas bon signe quand une femme cambriole une maison dans un beau quartier comme ça.
— Je n’allais pas cambrioler, protesta Margaret.
— Alors qu’est-ce que vous alliez faire ? demanda le cocher. Ça m’a tout l’air d’être ce que vous alliez faire, même si vous aviez une invitation.
Margaret le fixa du regard.
Le majordome et le cocher la dévisagèrent en retour.
D’accord.
Margaret remua les jambes.
— Ça doit être une professionnelle, en plus, songea le cocher. Parce que je ne l’ai même pas remarquée en train de grimper.
Ce n’était plus le moment de réfléchir davantage, peu importe combien le processus de la réflexion était précieux en temps normal. Margaret partit en courant.
Elle souleva ses jupes pour éviter de marcher sur leur ourlet et se précipita dans la rue. Elle évita de regarder les calèches, comme si ne pas croiser les yeux des cochers signifiait qu’ils ne remarqueraient pas une bourrasque jaune canari avec des boucles brunes.
Elle s’enfuit de Grosvenore Square, puis tourna dans une rue adjacente, puis une autre. Trop tard, elle prit conscience qu’elle n’avait même pas un réticule et n’avait d’argent pour un fiacre.
Elle serra les dents.
Elle ne cherchait pas un fiacre – pas encore.
Elle cherchait Daisy.
Enfin, elle arriva à la résidence de son amie.
Elle envisagea d’escalader jusqu’à la fenêtre de son amie. Mais contrairement aux héroïnes des romans de Loretta Van Lochen, elle ne sentait pas en mesure d’escalader l’immeuble. Même le balcon du duc s’était révélé dangereux.
En outre, Daisy était sensée et n’aurait probablement pas laissé sa fenêtre ouverte. Cette partie de Mayfair était peut-être agréable, mais cela restait Londres, et de nombreuses personnes en manque d’argent était au courant de la richesse de ce quartier.
Margaret lissa sa robe, consciente que de la boue formait des croûtes en divers endroits. Lisser sa robe n’était en rien comparable à laver sa robe, la sécher et la repasser, mais cela devrait suffire.
Elle saisit le heurtoir, le frappa et après un certain temps, le majordome ouvrit la porte.
S’il était indigné d’avoir été interrompu dans ses projets de repos nocturne, il ne l’exprima pas à haute voix. Par contre, il ouvrit grand les yeux et fit la moue.
— Je suis vraiment désolée, dit vivement Margaret. Mais je désirais parler à Miss Holloway.
Le majordome se renfrogna, et elle frissonna sous son regard dur.
— Est-elle chez elle ? demanda Margaret d’une voix tremblante.
— Miss Holloway n’est pas encline à batifoler en ville à des heures indues de la nuit.
La voix du majordome retentit d’un ton autoritaire. Il excellait sans aucun doute à diriger les valets, apparaissant peut-être même dans leurs rêves après un incident particulièrement maladroit dans leur service.
Margaret frémit, comme s’il était un capitaine de navire qui venait d’annoncer que le mât du bateau s’était abîmé dans l’océan et que leur survie était incertaine.
— Puis-je la voir, cependant ?
Le majordome soupira, et son comportement assuré se teinta de perplexité.
— Ce n’est pas une heure normale pour les visites, jeune demoiselle.
Des coups sourds résonnèrent à l’étage, et Margaret fut soudain reconnaissante pour la puissance de la voix du majordome.
— Oh, Jameson, appela Daisy depuis la mezzanine. Vous n’avez pas besoin de prétendre être un chien de garde. Ce n’est que Miss Carberry.
— Vous n’avez pas vu son accoutrement, murmura Jameson, et ses lèvres se tordirent de cette façon particulière si commune aux gens qui avaient trouvé la répartie parfaite, et tentaient, pour des raisons de conservation d’emploi, de ne pas émettre leurs sarcasmes à haute voix.
Daisy agita la main à travers les barreaux de la rampe.
— Ne vous préoccupez pas de lui. Montez.
Margaret hocha la tête et se hâta de grimper les escaliers. Daisy resta bouche bée lorsque Margaret approcha. De toute évidence, elle venait de remarquer sa tenue.
— Je suppose que vous vouliez bavarder.
— Euh – oui.
Daisy tourna sa chaise et roula en direction de sa chambre. Margaret se hâta de la suivre.
— C’est aimable à vous de me rendre visite, dit Daisy.
Une horloge comtoise égrenait énergiquement son tic-tac.
— Je suis désolée pour l’heure tardive, dit Margaret.
— Balivernes, dit Daisy avec gaieté. J’étais simplement en train de lire. Bien que j’adore Raison et Sentiments, je ne m’inquiète plus de savoir si Edmund oubliera complètement Elinor, et la lecture ne recèle plus la même urgence.
Une porte s’ouvrit et Mrs Holloway passa la tête. Ses boucles blondes étaient recouvertes d’un bonnet de nuit, et ses sourcils blonds assortis s’élevèrent de surprise.
— Miss Carberry ?
La gorge de Margaret fut soudain sèche, mais elle parvint à s’abaisser en une révérence hâtive.
— Enchantée de vous voir.
— Bien sûr, dit Mrs Holloway dont le regard descendait vers la robe de Margaret. Il est assez tard.
— Je sais, dit Margaret d’un air désolé. Je crains que ce ne soit urgent.
Arriver chez une amie à une heure tardive était un manquement certain à l’étiquette, même si les tomes les plus épais dédiés à ce sujet échouaient à mettre explicitement en garde contre cette pratique. Leurs pages se consacraient à des avertissements sévèrement formulés contre les dommages irréparables qui s’ensuivraient après s’être laissé aller à un malencontreux faux-pas en prenant la mauvaise fourchette.
Non, Margaret était certaine qu’elle avait commis un grave manquement à la politesse.
Mrs Holloway l’examina prudemment.
— Votre mère sait-elle que vous êtes ici ?
Maman. Les doigts de Margaret s’agitèrent. Que faisait sa mère, en ce moment ? Continuait-elle ses recherches ? Margaret espéra qu’elle avait eu le bon sens de s’abstenir. La dernière chose dont elle avait besoin était que sa mère informe tout le monde au bal que Margaret était perdue, alors qu’elle n’avait aucune preuve et donc, qu’il ne pourrait jamais y avoir de mariage.
Non. Sa mère possédait un certain bon sens. Sa mère s’inquiétait peut-être, mais en vérité, Margaret refusait de se sentir coupable. Pas après ce qui était arrivé.
— Je prends ce long silence pour un non, dit Mrs Holloway.
Les joues de Margaret s’enflammèrent.
— Je vous assure qu’il y a réellement une affaire assez urgente dont j’aimerais discuter.
Mrs Holloway se dandina. Son inconfort était palpable, comme si elle avait atteint le sommet de la complexité en matière d’éducation d’enfant.
— Ne vous impliquez pas, Daisy.
— Maman ! grogna Daisy. Margaret ne participe tout de même pas à des activités illicites.
— J’imagine que ce serait inhabituel, dit finalement Mrs Holloway, le regard rivé à la robe de Margaret comme si elle prenait en considération le fait que l’apparence échevelée de Margaret soit aussi inhabituelle.
Bien que l’apparence de Margaret n’atteigne jamais une perfection irréprochable – ses boucles épaisses glissaient hors des épingles quel que soit le temps qu’elle passait à les arranger, et sa robe s’arrangeait toujours pour rester froissée en permanence – elle avait habituellement un air plus respectable.
Finalement, Mrs Holloway soupira.
— Soyez brève.
Daisy fit un grand sourire.
— Bien sûr.




Chapitre Quatre


— Vous tombez affreusement bien, déclara Daisy en roulant sa chaise vers sa chambre. Papa est à son club.
Les murs de la chambre de Daisy étaient peints d’une joyeuse couleur tangerine, et Margaret respira. Si sa robe n’avait pas été fichue, tout ceci paraîtrait presque normal.
La mère de Daisy ne permettrait pas à Margaret de rester longtemps. Margaret n’avait pas le luxe de postposer cette conversation, peu importe à quel point revivre cette expérience était déplaisant, et peu importe à quel point elle ne désirait pas lire de la pitié dans le regard de son amie.
Margaret était souvent prise en pitié. Davantage de pitié serait intolérable.
Daisy referma la porte d’une poussée, et ses yeux bleu vif étincelèrent.
— Dites-moi tout. Révélez vos secrets. Sortez vos squelettes du placard.
— Pas de squelette, s’écria Margaret.
— Dommage. Mes parents refusent de me laisser en avoir un vrai, et je n’aurai rien contre en avoir un métaphorique.
L’intérêt de Daisy pour la médecine était bien connu, mais Margaret frémit tout de même. Les squelettes pouvaient rester dans des cimetières bien entretenus, sous des pierres tombales tout aussi bien taillées et, lors d’occasions particulières, décorées avec une sélection de fleurs de bon goût.
Daisy pivota sa chaise roulante contre le mur.
— Vous venez du bal. Était-ce aussi horrible que vous l’imaginiez ?
Margaret pris place dans un fauteuil.
— Pire.
Daisy frissonna.
— Le côté agréable de notre amitié, c’est que vous ne me donnez jamais l’impression que je manque grand-chose. Maintenant, que s’est-il passé ? Avez-vous été confinée dans le coin enfumé à côté de la cheminée réservé à celles qui font tapisserie ?
— Pire.
Les yeux de Daisy s’écarquillèrent.
— Vous n’étiez pas en train de danser, tout ce temps, au moins ? Vous donnant en spectacle avec vos pas de danse inélégants ?
Margaret se redressa vivement.
— Comment savez-vous que mes pas de danse sont imparfaits ?
Daisy sourit d’un air narquois.
— Je vous ai vue marcher.
Margaret se renfrogna. Mais c’était vrai : elle était une piètre danseuse, peu importe combien ses professeurs la corrigeaient, peu importe avec quel enthousiasme ils la suppliaient de s’améliorer, et peu importe combien Margaret elle-même le désirait.
— Je ne dansais pas, dit Margaret, boudeuse, en croisant les bras.
— Mais vous avez bien assisté au bal ?
Daisy inspecta du regard la robe de Margaret, comme si elle se demandait si elle était tombée dans une flaque de boue et venait seulement de réussir à s’en extirper.
— Naturellement, dit Margaret en relevant le menton. De plus, Maman n’aurait jamais accepté de ne pas y assister.
Daisy resta silencieuse, son regard intelligent. C’était le moment de tout dévoiler, mais le cœur de Margaret se serra comme s’il désirait étouffer ses cordes vocales.
Finalement, Margaret soupira.
— Je n’étais pas près du feu, et je n’étais pas en train de danser. J’étais – euh – sur le lit du duc.
Daisy en resta bouche bée.
— Donc ce n’était pas inconfortable, continua Margaret avec un petit rire étrange. Le lit était douillet.
— Et vous étiez réellement dans son lit ? Pas dans une chambre d’ami ?
— Oh, le duc était présent également.
Daisy garda le silence, mais ses sourcils exprimèrent sa surprise.
— Enfin, il n’était pas présent tout le temps, expliqua Margaret. Ce serait inapproprié.
— Je suppose qu’il y a une limite à ce qui est inapproprié, dit Daisy faiblement.
— Précisément, acquiesça Margaret. Je n’avais pas choisi de me trouver sur son lit.
— Vous avait-il emportée et déposée là ? Un enfant naturel du duc va-t-il faire une apparition dans neuf mois ?
— Ne dites pas de bêtises. Il ne m’a pas touchée.
Daisy la regarda étrangement.
— Votre mère vous a-t-elle, à tout hasard, placée sur le lit ?
Margaret hocha misérablement la tête, et les yeux de Daisy s’emplirent de larmes.
Margaret détourna le regard.
— Elle a eu de l’aide.
— Mais elle a tout orchestré ?
— Oui, couina la voix de Margaret. Elle a amené un évêque pour nous ‘découvrir’.
— Elle avait l’intention d’accuser le duc de Jevington de vous avoir compromise ?
— Tout à fait.
— Et son plan n’a pas marché, dit gentiment Daisy.
— Précisément.
Daisy lui serra la main avec sympathie, puis se mit à pouffer de rire.
— Alors le duc vous a trouvée dans son lit ?
— Ce n’est pas drôle, dit Margaret.
— En êtes-vous sûre ?
Les yeux de Daisy brillèrent de malice, et Margaret sentit ses lèvres esquisser un sourire.
— Comment a-t-il réagi ? Vous a-t-il touchée ?
— Il m’a touché les poignets, mais c’était parce que je le lui avais demandé.
— Si j’étais seule avec lui, je lui demanderais de toucher bien plus que mes poignets, soupira Daisy.
Margaret ouvrit des yeux ronds, et les joues de Daisy rosirent.
— Il n’était pas question de plaisir, dit hâtivement Margaret. Naturellement !
— Naturellement, répéta Daisy d’un air dubitatif.
— J’étais attachée à son lit. De toute évidence, quand il est entré, j’ai dû lui demander de me détacher. Et le meilleur emplacement pour placer des liens a toujours été sur les poignets. Il paraît que cela rend difficile l’usage des mains.
— Les mains sont assez importantes, acquiesça Daisy.
— Oui. J’imagine que ce serait bien plus inconfortable s’ils commençaient à ligoter le torse des gens.
— Ah, la technique bovine.
Margaret lança à son amie un regard perplexe.
— Habituellement utilisée par les cow-boys à l’aide de quelque chose appelée un lasso, ajouta Daisy.
Pendant un moment, elles restèrent silencieuses, songeant aux excentricités très répandues dans les anciennes colonies britanniques. Un tout autre soir, Margaret aurait peut-être ajouté un commentaire sur le dégoût passionné des américains pour le thé, mais ce n’était pas le moment de bavarder, même pour des bavardages d’un genre indubitablement intéressant.
— Je suis passée par la fenêtre et me suis enfuie, dit Margaret. Elle est probablement contrariée.
— Elle est probablement scandalisée. La plupart des femmes seraient restées là. Vous auriez pu rafler un duc.
— Personne n’aurait cru qu’il était en train de me compromettre, de toute façon, soupira Margaret.
— Je ne crois pas que ce soit vrai.
— B-bien sûr que si, bégaya Margaret.
Daisy ne voyait peut-être pas comment les autres gens interagissaient avec Margaret, mais Margaret si. Elle faisait tapisserie, et celles qui faisaient tapisserie ne se retrouvaient jamais dans le lit des ducs.
— Le duc aurait déclaré que ma mère et moi avions mis en scène une fausse situation compromettante, dit Margaret. Et tout le monde l’aurait cru.
C’était évident.
Complètement.
Daisy inclina la tête, déplaçant ses longues mèches blondes. Margaret avait peut-être interrompu Daisy alors qu’elle se brossait les cheveux.
Il était tard, et Margaret ne devrait pas être ici. Si seulement ses parents avaient acheté une maison à Mayfair, au lieu de leur grande résidence avec ses jardins exceptionnellement grands. Si seulement Margaret avait pu rentrer directement chez elle.
— Il n’aurait peut-être pas fait cela, dit Daisy.
— Je ne pouvais pas le forcer à m’épouser. Je ne pouvais pas commencer ma vie d’épouse de cette façon.
— Bien sûr que non, dit chaleureusement Daisy. Et c’est la vraie raison pour laquelle vous êtes ma plus chère amie. Et la raison pour laquelle le duc aurait eu de la chance d’avoir été obligé de vous épouser.
— Balivernes, dit Margaret.
Le duc pouvait épouser n’importe qui. Il ne devrait pas se voir imposer une femme dont tout le monde était heureux de ne pas tenir compte.
Elle secoua la tête.
— Je suis désolée. Je n’avais pas l’intention de venir ici et d’être aussi abattue. J’ai – euh – bien peur d’avoir perdu mon réticule. Pas qu’il ait contenu beaucoup d’argent de toute façon. Pensez-vous que je puisse emprunter le prix d’une course en fiacre ?
Daisy se redressa.
— Vous avez l’intention de rentrer chez vous ?
Margaret hocha la tête.
— Après ce que votre mère à fait ?
Une étrange indignation résonna dans la voix de Daisy, une expression que Margaret n’associait pas au caractère habituellement plaisant de Daisy.
Margaret hocha à nouveau la tête.
— Bien sûr.
— Je suis certaine que ma mère vous hébergerait.
Margaret haussa les sourcils.
— Enfin, dit Daisy en baissant les yeux tandis que ses joues rosissaient, avant de relever les yeux et de se pencher vers Margaret. Nous ne sommes pas obligées de le lui dire.
Margaret pouffa de rire.
— Je suis sûre qu’elle attend impatiemment que je parte.
— Vous pourriez grimper par la fenêtre, dit Daisy.
— La dernière fois, je suis tombée.
— Vous ne pouvez pas tomber chaque fois.
— Je doute que l’obscurité améliore mes compétences.
— Dans ce cas, nous le lui dirons, corrigea Daisy. Evidemment, vous ne pouvez vous en retourner. Qui sait ce que votre mère fera ensuite ?
Margaret se renfrogna momentanément. Puis elle releva le menton, suivant cette tradition utilisée depuis toujours par les gens essayant de faire au mieux dans une situation discutable. Il était douteux que ce geste ait le mérite d’exaucer les souhaits, mais Margaret fit néanmoins le vœu de ne pas s’inquiéter.
— Il me suffit d’un plan. Enfin, il me suffit d’un bon plan. Et ensuite, je pourrai quitter la maison et vivre heureuse pour le restant de mes jours.
Margaret n’allait pas laisser sa mère continuer à contrôler sa vie. Pas quand les plans de sa mère impliquaient de l’attacher à des lits.
— Ce qu’il vous faut, dit Daisy, c’est vous marier.
Margaret regarda soupçonneusement son amie.
En général, Daisy affichait un caractère raisonnable que Margaret appréciait. Margaret n’avait jamais cru que Daisy avait l’habitude de proférer des déclarations insensées, et il était regrettable que Daisy ait apparemment perdu la raison à ce moment très précis.
— Je ne vais pas prétendre que le duc m’ait compromise.
— Alors, n’épousez pas le duc, dit Daisy. Mais souvenez-vous, si vous vous mariez, vous ne serez plus sujette aux folles tentatives de votre mère.
Margaret se renfrogna. Techniquement, Daisy marquait un point. Sa mère avait soudoyé quelqu’un, avant que la saison ne débute, pour chanter ses louanges auprès du marquis de Metcalfe. Malheureusement pour la mère de Margaret, la femme qu’elle avait choisie avait fini par épouser le marquis. Maman avait trainé Margaret à tous les bals de cette saison, la transportant parfois à un bal différent avant que Margaret n’ait eu l’occasion de goûter les canapés. Tout le travail de Maman n’avait servi à rien : personne ne courtisait Margaret. Personne ne le ferait probablement jamais.
— Personne ne m’épousera, dit Margaret. C’est pour cela que je suis dans cette situation.
— Votre situation attachée sur un lit ? dit Daisy en esquissant un sourire.
Margaret croisa les bras.
— Ce n’est pas drôle.
Daisy haussa un sourcil, et Margaret soupira.
Peut-être était-ce amusant.
Même si l’incident avait été extrêmement embarrassant.
— Je n’ai pas envie d’épouser n’importe qui, dit Margaret. J’ai des principes.
— Et vous avez raison, dit Daisy.
Margaret dévisagea son amie. Pour quelque raison, Daisy continuait à sourire et à hocher la tête, comme si elles avaient une conversation normale, comme si son amie ignorait complètement le fait que chaque mot qu’elle prononçait était une absurdité
— Personne ne désire épouser une écossaise dont le père fait du commerce. Quand les gens bavardent, ils s’étonnent que j’aie réellement été invitée.
— C’est parce que votre père est très riche.
— Je sais, mais—
— Tout va bien se passer, dit Daisy en secouant la tête.
Margaret envisagea de lui dire que chacun de ces mots était absurde. Naturellement, tout n’allait pas bien se passer. Les hommes n’étaient pas connus pour s’extasier sur les frisottis des cheveux trop épais ou sur le manque d’une silhouette élancée.
— Les hommes n’ont pas envie de me courtiser.
— Précisément, sourit Daisy avec enthousiasme. C’est pourquoi vous devrez rapidement faire progresser votre position sociale.
Margaret la regarda soupçonneusement. Daisy parlait avec désinvolture de quelque chose d’impossible. Si Margaret avait été capable de faire progresser rapidement sa position sociale, l’argent de Papa y serait parvenu.
— Vous avez seulement besoin d’un peu d’aide, dit Daisy songeusement.
— Les mères sont supposées aider, dit Margaret.
— Eh bien, oui. Mais la vôtre est un peu trop enthousiaste dans l’accomplissement de ses devoirs. Mais peut-être…
Daisy se tut, puis un sourire joua sur ses lèvres.
Margaret se raidit tandis que le sourire de Daisy continuait à s’agrandir, indiquant toutes sortes de mauvais présages. Seules des idées réellement absurdes pourraient faire s’étirer les lèvres de Daisy dans de telles proportions ou pétiller ses yeux avec autant de prémonitions.
Daisy se pencha vers l’avant.
— Il y a quelqu’un d’autre qui peut vous aider.
— J’espère que vous n’allez pas me proposer votre mère.
— Ne dites pas n’importe quoi. Elle ne serait pas suffisamment motivée.
— Mais qui le serait ?
— Le duc de Jevington.
Margaret fut interloquée.
Elle ouvrit la bouche pour parler, mais les mots lui échappèrent. Ils semblaient avoir fui devant l’absurdité de la déclaration de Daisy. Finalement, elle secoua la tête.
— C’est vrai, dit Daisy en se redressant en arrière avec assurance.
— Vous ne l’avez pas rencontré. Il ne m’aiderait pas.
— Il vous a probablement été extrêmement reconnaissant de ne pas être restée dans ses appartements. Vous pourriez être en train de faire des préparatifs pour devenir duchesse. Au lieu de cela, vous êtes ici. Un endroit nettement moins noble, dit Daisy en souriant avec ironie.
La maison de Daisy avait beau se trouver dans un quartier agréable, l’intérieur manquait du luxe présent chez d’autres amies de Margaret. Aucun buste romain n’était perché sur les buffets, et aucune déesse grecque ne les contemplait depuis des plafonds peints avec recherche. La maison de Daisy semblait… confortable. Après tout, ses parents avaient consacré du temps à la conduire de station thermale en station thermale dans l’espoir de la guérir de sa claudication. Aucun de leurs efforts n’avaient donné de résultat, malgré les caisses bien remplies de son père et son enthousiasme à dépenser de l’argent. Ces caisses étaient à présent moins pleines, reflétant malheureusement de façon similaire un moral moins gai, et la mère de Daisy n’était pas attelée à la tâche de le cajoler pour obtenir un budget généreux pour des tentures ou pour vanter les mérites d’un ameublement renouvelé, avec la même vigueur que d’autres femmes de la haute société.
— Je ne peux pas lui demander de me trouver un mari, dit Margaret sans prendre l’idée au sérieux.
— Le duc de Jevington n’a pas la réputation d’être cruel.
— Il n’a pas non plus celle d’être déraisonnable.
Daisy ne se raidit pas. À la place, elle retira son réticule de son bureau, l’ouvrit, et glissa une pièce dans la main de Margaret.
— Mes parents insistent pour que je la garde en cas d’urgence. Jameson vous aidera à trouver un fiacre. Et demain, vous rendrez visite au duc et lui parlerez de votre situation.
Malgré le trajet sans heurts de la calèche, à présent que Londres était plongée dans la nuit et libérée de la plus grande partie de ses fiacres, charrettes et passants, Margaret rentra chez elle sur ses gardes, tout en réfléchissant aux paroles de son amie.
Enfin, le fiacre s’arrêta devant la résidence familiale. Margaret regarda fixement l’immeuble menaçant qui se profilait plus haut que les immeubles avoisinants, comme si la taille pouvait indiquer la majesté. Sa famille n’avait emménagé là que récemment, et le bâtiment lui semblait aussi étranger que tout le reste dans la capitale.
Elle devrait peut-être simplement dire au cocher de faire demi-tour et aller passer la nuit chez Daisy.
Mais ce n’était pas une solution définitive.
Ce n’était pas la première fois que Margaret souhaitait être chez elle – vraiment chez elle. Tout avait été plus simple avant que les affaires de Papa ne prennent leur essor.
Le cocher ouvrit la porte, et Margaret sortit du fiacre. Son cœur frémit, même si marcher jusqu’à la porte était un acte qu’elle avait accompli à maintes reprises auparavant, même si, normalement, elle était accompagnée par sa mère ou par une bonne.
Cependant, il n’y avait aucune raison de tergiverser.
Elle leva la main vers le heurtoir et frappa, se demandant si le majordome aurait abandonné son poste, étant donné l’heure tardive.
Elle n’eut pas besoin de s’inquiéter.
La porte s’ouvrit immédiatement. Au lieu de l’expression solennelle du majordome, sa mère apparut.
— Ma chère enfant ! s’écria Maman avec un cri perçant, enveloppant Margaret dans ses bras.
Maman ne la serrait pas dans ses bras, d’habitude. Les embrassades étaient réservées aux petits enfants, pas aux filles dont on craignait qu’elles ne terminent célibataires.
— J’étais si inquiète, clama Maman d’une voix aiguë.
Margaret se demanda si elle devait lui rappeler qu’elle n’aurait pas été aussi inquiète si elle n’avait pas pris la décision de la ligoter au lit du duc.
Lily trottina vers elle, agitant la queue, inconsciente de ce que cette soirée avait de différent de toutes les autres. Margaret s’accroupit et caressa la fourrure pâle de sa chienne.
— Ah, vous voilà, dit Papa.
Même si la lumière se reflétait sur son pince-nez comme à l’ordinaire, Margaret vit les rides amicales autour de ses yeux, même si Papa affichait moins d’émotions que sa mère.
— Jeune fille, vous auriez dû rentrer à la maison avec votre mère, dit Papa comme s’il se souvenait que le moment était propice à une démonstration d’autorité parentale, même si ces occasions étaient rares. Pourquoi diable avez-vous été séparée d’elle ?
Maman regarda Margaret avec nervosité.
Margaret hésita. C’était le bon moment pour tout raconter à son père, et pourtant, quel but atteindrait-elle ? Papa réprimanderait-il Maman ?
Non.
C’était entre sa mère et elle. Elle devait simplement se montrer plus prudente, de peur que sa mère ne décide de mettre à nouveau en scène une situation compromettante.
— Je suis là, maintenant.
— Bien sûr, bien sûr. Vous êtes là, dit Papa en hochant la tête.
Un autre père se serait mis en colère, avec l’air d’un homme qui se s’était toujours demandé ce que cela ferait d’être un dictateur et qui prenait toute mauvaise conduite comme opportunité d’explorer pleinement ce potentiel. Papa n’était pas comme la plupart des hommes. Lorsqu’il faisait une pause dans ses réunions incessantes et sa lecture de divers livres de comptes et rapports, c’était uniquement pour sourire d’un air heureux, comme s’il avait constamment une tasse de chocolat en main. Papa était reconnaissant pour sa bonne fortune et résistait à la tentation à laquelle des hommes plus faibles avaient succombé, de se montrer paternaliste avec tous ceux qui n’avaient pas réussi à devenir des magnats.
— Je vais monter, dit Margaret en se dandinant.
— Très raisonnable, dit Papa. Je – heu – devrais retourner à mes livres.
Maman hocha la tête, mais il y avait un éclat glacial dans ses yeux, et quand Margaret grimpa l’escalier, elle se demanda si elle n’avait pas commis une erreur en ne disant pas tout.

Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=67033360) на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.