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Absolution Providentielle
Pamela Fagan Hutchins
Lorsque le destin offre à Katie Connell, avocate et relativement instable, une seconde chance inattendue dans les Caraïbes, va-t-elle retrouver son équilibre, ou un tueur va-t-il tour faire chavirer ? « Katie est le premier personnage dont je suis absolument tombée amoureuse depuis Stephanie Plum ! » Stephanie Swindell, propriétaire d'une librairie.
La carrière de Katie Connell, avocate au Texas et buveuse invétérée, vient de fondre sous ses yeux. Après un échec très public lors d'un procès d’une célébrité où elle n’avait aucune chance de gagner et une rupture déchirante, elle évite la cure de désintoxication en se retirant sur l'île tropicale où ses parents sont décédés tragiquement.
Mais lorsqu'elle arrive, il devient évident que le prétendu accident de ses parents avait été un meurtre froid et calculé. Alors que Katie cherche des indices, elle reçoit l'aide d'une source inattendue : une maison hantée par l’esprit d’Annalise. Entre le fantôme de l'âme sœur, une chanteuse locale et un séduisant chef, les bizarreries de l'île vont faire perdre la tête à l'ancienne avocate. Katie pourra-t-elle recoller les morceaux du puzzle de sa vie et résoudre le meurtre de ses parents dans le cadre de son nouveau départ ?

Les livres du personnage de Katie affichent plus de 4000 commentaires et une moyenne de 4,5 étoiles. Ils sont disponibles en version numérique, imprimée et en livre audio. Absolution providentielle est le premier livre autonome de la trilogie Katie et le livre n°1 de la série de romans policiers « Ce qui ne vous tue pas… ». Once Upon A Romance qualifie Hutchins « d’ auteur de premier plan en devenir ».
Si vous aimez Sandra Brown ou Janet Evanovich, vous allez adorer Pamela Fagan Hutchins, la meilleure vendeuse du USA Today. Ancienne avocate et texane de naissance, Pamela a vécu dans les îles Vierges américaines pendant près de dix ans. Elle refuse d'admettre qu'elle a pris des notes pour cette série pendant cette période. Ce que les lecteurs d'Amazon disent de la série des mystères « Ce qui ne vous tue pas… » : « Incontournable ». « Attention lecteurs : réservez votre agenda avant de l’ouvrir, car vous ne pourrez plus le fermer avant de l’avoir terminé. » « Hutchins est une maîtresse de la tension. » « Un mystère intrigant... une romance captivante. » « Tout séduit : l'intrigue, les personnages et le style d’écriture. Les lecteurs vont se régaler. » « Immédiatement accrochant. » « Envoûtant. » « Un mystère au rythme effréné. » « Je ne peux pas le poser. » « Divertissant, complexe et qui donne à réfléchir. » « Le meurtre n'a jamais été aussi amusant ! » « Vous allez adorer le voyage ! » Achetez dès aujourd'hui Absolution providentielle pour un mystère humoristique que vous ne pourrez plus lâcher !


Absolution Providentielle

Table des matières
Free PFH Ebooks (#ub782dbf0-d04c-523c-a9ef-69880d959088)
Chapitre 1 (#u40d396f6-b87c-5a82-be8b-281b03642409)
Chapitre 2 (#u053f7748-7868-5c79-8ed3-f7d4e3aee4d8)
Chapitre 3 (#uf8670c84-a9d8-5f8c-b3a1-f32b61d127d7)
Chapitre 4 (#u8bee63b6-e0b0-59e5-9f5d-a2472a684b72)
Chapitre 5 (#uaaee059b-3d91-5014-8248-e66e2a94e67c)
Chapitre 6 (#u962fadfe-0a13-54e3-8d2d-9116c5374f9f)
Chapitre 7 (#uf11a3e40-baf4-5763-a0fc-5edfbb13b55f)
Chapitre 8 (#ue9c8861a-b17c-58cf-99d1-a8fdb3fa5302)
Chapitre 9 (#u355a3485-7cbd-5f38-854b-5aaa3164f0c9)
Chapitre 10 (#u2c593d67-b4b1-5859-ae93-e6b8d614840b)
Chapitre 11 (#u2084907b-3c5f-59f5-bf7b-e717f1dde481)
Chapitre 12 (#u918af04e-2b99-5537-a4c4-076d8a409911)
Chapitre 13 (#u57b39837-6992-59c9-8ef7-8d77872877ec)
Chapitre 14 (#u8b6a9f3d-1040-5ddb-ac51-88e1177d067c)
Chapitre 15 (#u42e08d12-a1f8-5fc7-881e-891951068299)
Chapitre 16 (#u8d5ade16-91f4-5372-a8a2-3ef6d7099f87)
Chapitre 17 (#u4e332318-5ce7-5ba6-bdc6-569332a74e9b)
Chapitre 18 (#u45b8d735-f215-5455-8f5b-9931d5b58392)
Chapitre 19 (#uafea0a9f-5447-5b81-86cd-bd9a6857ed99)
Chapitre 20 (#u55b05da9-0dc4-5acf-bbe3-aa8d5f56b032)
Chapitre 21 (#ua12d5b51-3b89-5413-bc63-e5b30afdefcd)
Chapitre 22 (#udc761781-12b4-5e87-9c12-8207ace82dbe)
Chapitre 23 (#ud2d65243-b7b4-5c13-8f01-fe3331d65f1a)
Chapitre 24 (#ue397caf0-aacb-5882-b753-a49dfc664c8b)
Chapitre 25 (#u0a1f819f-70f4-514b-8e8e-6b03abe16f7b)
Chapitre 26 (#u883bb36e-af0f-5fdc-9c85-efaf0bfaf915)
Chapitre 27 (#u0d55f815-e7d9-52a6-8986-b436ba083168)
Chapitre 28 (#ud8a930db-30a9-5e39-b448-744207eb6146)
Chapitre 29 (#u3f23d722-90b8-5e61-be77-ada629eafd29)
Chapitre 30 (#u7573fc59-8f85-511e-8d4a-a80448b00496)
Chapitre 31 (#ub88cea12-556f-594c-b587-52a150f34008)
Chapitre 32 (#u00169266-9e4e-5db2-964a-4c5236fda83e)
Chapitre 33 (#ub5789cb6-4dff-5d06-a0af-fd7f657bedcb)
Chapitre 34 (#uefbf31f8-1559-5749-9301-16cd47989784)
Chapitre 35 (#u7aa2915a-1cc0-54a4-b2a9-5ce95617121b)
Chapitre 36 (#u28fcab6e-ea0f-581c-967b-4dfa35e63919)
Chapitre 37 (#u6b233a8f-88a7-5324-a7fc-6f44d0f79242)
Chapitre 38 (#u0c4c2422-82a2-5f81-bf9b-fa49e13d3b69)
Chapitre 39 (#ucaeb02e7-923b-5491-b4ca-4f0f3d7bccf2)
Chapitre 40 (#u2ed9cb59-0401-5924-a7cf-f29f9fcb1a32)
Chapitre 41 (#u8037e037-98f5-53b6-ab5a-2617469ecf28)
Chapitre 42 (#uec81b473-cee9-5889-8a3e-80aec0c325eb)
Chapitre 42 (#ufed618c9-f18c-5a54-96ba-26d1bca92961)
Chapitre 43 (#uacf19f59-9c5f-580a-9a30-7cc0be629df2)
Chapitre 44 (#u5e1962c1-fdeb-5771-9d63-07d1b3a49ea5)
Chapitre 45 (#u3238afec-007c-5030-ab58-dc714f7c2792)
Chapitre 46 (#u59e20bad-3b3b-5cbe-86dc-7d80eb4348a8)
Chapitre 47 (#ub772bab9-f61e-5701-a5f9-359cc36319bf)
Chapitre 48 (#u577eac23-5182-5ae2-97de-340043dd8056)
Dévouement (#ufc391e79-19b7-50ce-b5f1-48a15957719f)
Remerciements (#u0f2d2140-c50f-5a09-a78a-431dc5cc80a7)
Livres de l’auteur (#ueabebf6f-c754-5fd6-b3c7-99101b7109b2)
À propos de l’auteur (#u15507a29-748d-591a-834a-8338672f9ece)
Éloge de Pamela Fagan Hutchins (#u17b40afc-5a80-5738-a504-f2ee10efeb47)
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Droits d'auteur (#ub4bd8075-aef1-5d3a-b6b5-7f2db1e1fd2d)
Avant-propos (#u9c00a669-d8f2-5373-a6cc-efc3cfc2c96c)

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Chapitre 1
L’Eldorado, Shreveport, Louisiane
Le 14 mars 2012
L’année dernière avait déjà été nulle, et celle-ci s’annonçait encore pire.
L’année passée, lors du décès de mes parents dans un « accident » pendant leurs vacances aux Caraïbes, j’avais été trop occupée pour écouter mon instinct, qui criait « couillonnade » si fort que j’avais failli en devenir sourde de ma troisième oreille. Je me préparais pour la plus grosse affaire de ma carrière, j’avais donc une excuse qui me convenait tant que j’étais à l’heure pour l’apéritif, mais la vérité, c’est que j’étais obsédée par le détective privé chargé de mon dossier.
Nick. Nick, le presque divorcé. Mon nouveau collègue Nick, qui m’envoyait parfois des vibrations indiquant qu’il voulait arracher mon chemisier Ann Taylor avec ses dents, quand il ne passait pas son temps à m’ignorer.
Mais les choses avaient changé.
Je venais de recevoir le verdict de mon méga-procès, l’affaire Burnside, un cas de licenciement abusif. Mon cabinet prenait rarement des affaires de plaignants, alors j’avais pris un gros risque avec celle-ci et j’avais gagné 3 millions de dollars pour M. Burnside, dont un tiers pour le cabinet. C’était tout le contraire d’une débandade.
Après mon coup d’éclat au palais de justice de Dallas, mon assistante juridique Emily et moi avions filé tout droit sur la I-20 jusqu’à l’hôtel où l’ensemble de notre cabinet avait pris un congé mérité à Shreveport, en Louisiane. Shreveport ne figurait pas dans la liste des dix meilleures escapades d’entreprise, mais notre associé principal se prenait pour un joueur de poker et aimait la cuisine cajun, le jazz et les casinos sur les bateaux à aubes. Ce congé était une excellente excuse pour que Gino s’adonne à un peu de poker « Texas Hold’Em » entre les sessions de consolidation d’équipe, tout en passant pour un bon chef d’équipe, mais cela impliquait un trajet de trois heures et demie dans chaque sens. Ce n’était pas un problème pour Emily et moi. Nous avions facilement comblé le fossé entre la parajuriste et l’avocate et entre la collègue et l’amie, en grande partie parce que ni l’une ni l’autre n’aimait vraiment Dallas. Ou même pas du tout.
Emily et moi nous précipitâmes à l’intérieur pour nous enregistrer à l’Eldorado.
La réceptionniste nous demanda :
- Voulez-vous un plan des visites guidées hantées ? avec son accent texan, cajun et sudiste polyglotte qui donnait un ton « vizites guidays » à ses mots.
- Merci beaucoup, mais non merci, répliqua Emily.
Depuis dix ans qu’elle avait émigré, elle n’avait toujours pas réussi à faire disparaître l’Amarillo de sa voix ni à renoncer aux courses de chevaux.
Je ne croyais pas non plus aux tours de sorcellerie pour touristes et je n’étais pas fan des casinos, qui empestaient la fumée de cigarette et le désespoir.
- Vous avez un karaoké ou autre chose que des casinos sur place ?
- Oui, madame, nous avons un bar sur le toit avec karaoké, billards, et ce genre de choses. La jeune fille repoussa sa frange, puis balança la tête pour la remettre exactement à la même place.
- Ça ressemble plus à ce que nous voulons, dis-je à Emily.
- Karaoké, dit-elle. Encore ! Elle roula les yeux. Seulement si on fait moitié-moitié. Je veux jouer au blackjack.
Après avoir déposé nos sacs dans nos chambres et nous être rafraîchies, tout en continuant la conversation sur nos téléphones portables d’une chambre à l’autre, nous avons rejoint notre groupe. Tous nos collègues applaudirent lorsque nous entrâmes dans la salle de conférence. La nouvelle de notre victoire nous y avait précédée. Nous fîmes la révérence, et je pointais les mains vers Emily, dans le genre présentatrice de jeu télévisé. Elle me rendit la pareille
- Où est Nick ? M’écriai-je. Viens par ici.
Nick avait quitté la salle d’audience lorsque le jury était sorti pour délibérer, il nous avait donc devancés à l’hôtel. Il se leva d’une table à l’autre bout de la salle, mais ne nous rejoignit pas. Je lui fis quand même une courbette à longue distance.
Les applaudissements se turent et certains de mes partenaires me firent signe de m’asseoir avec eux à une table près de l’entrée. Je m’attablai avec eux et nous nous mirent tous au travail pour rédiger une déclaration de mission pour le cabinet pendant les quinze minutes suivantes. Emily et moi étions arrivées juste à temps pour la fin des sessions du premier jour.
À la pause, le groupe se rua de l’hôtel vers la barge amarrée qui abritait le casino. En Louisiane, les jeux d’argent ne sont légaux que « sur l’eau » ou sur les terres tribales. Sur une impulsion, je me dirigeai vers l’ascenseur plutôt que vers le casino. Juste avant que les portes ne se ferment, une main se coinça entre elles et elles se rouvrirent. Je me retrouvai à monter dans les étages des chambres de l’hôtel avec nul autre que Nick Kovacs.
- Alors, Helen, vous n’êtes pas non plus une joueuse, dit-il lorsque les portes de l’ascenseur se fermèrent.
Mon estomac se retourna. C’est ringard, oui, mais quand il était de bonne humeur, Nick m’appelait Helen, comme dans Hélène de Troie.
J’avais promis à Emily de la rejoindre au blackjack avant le karaoké, mais il n’avait pas besoin de le savoir.
- J’ai la chance des Irlandais, répondis-je. Les jeux d’argent sont dangereux pour moi.
Il répondit par un silence de mort. Chacun de nous regardait le plafond, le sol, les murs, et n’importe où pour s’éviter ce qui était difficile, puisque l’ascenseur était équipé de miroirs au-dessus d’une main courante dorée et de panneaux de bois. La tension dans l’air était palpable.
- J’ai entendu dire qu’il y avait une table de billard au bar de l’hôtel, et je serais partante pour ça, ai-je proposé, me jetant tête baissée dans le vide et retenant ma respiration pendant la descente.
Toujours un silence de mort. Un long silence de mort. Le sol allait faire mal quand j’atterrirai.
Sans établir de contact visuel, Nick répondit :
- OK, je te retrouve là-bas dans quelques minutes.
Avait-il vraiment dit qu’il me retrouverait là-bas ? Juste nous deux ? Comme un rendez-vous ? Oh mon Dieu, Katie, qu’as-tu manigancé ?
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, et nous nous dirigeâmes dans des directions opposées vers nos chambres. Il était trop tard pour faire marche arrière maintenant.
Je marchais dans un état second. Hyperventilation. Les aisselles en sueur. Le cœur battant la chamade. Ma tenue ne convenant pas du tout, j’abandonnais donc le chemisier Ann Taylor pour un jean, un haut blanc structuré et, oui, je l’admets, un sac à main Jessica Simpson multicolore et ses sandales à plateforme orange assorties. Le blanc allait bien avec mes longs cheveux roux ondulés tombant sur mes épaules, que je décoiffais et réarrangeais avec les doigts. Pas très professionnel, mais c’était le but. De plus, je n’aimais même pas mon boulot d’avocate, alors pourquoi voudrais-je en avoir l’air guindé maintenant ?
Normalement, je suis Katie l’Immaculée, mais je me contentai d’un rapide brossage de dents, d’une douche express et d’un trait de rouge à lèvres. J’avais envisagé d’appeler Emily pour lui dire que j’allais lui faire faux bond, mais je savais qu’elle comprendrait quand je lui expliquerai plus tard. Je trottinai jusqu’à l’ascenseurs et le maudissant de s’arrêter à chaque étage jusqu’au bar La Grotte, sur le toit.
Ding. Pas trop tôt. Je fis une pause pour reprendre mon souffle. Je comptai jusqu’à dix, respirai profondément pour me donner du courage, et j’arrivai sous les lumières tamisées éclairant le bar en pierre. Je me tenais près d’un homme dont je pouvais sentir la masculinité palpiter à plusieurs mètres de distance. La chaleur enflamma mes joues. Mes hormones avaient allumé un feu de camp. L’homme que j’étais venu voir était déjà là.
Nick était d’origine hongroise, et c’est à ses ancêtres gitans qu’il devait son teint sombre, yeux, cheveux et peau, et ses pommettes saillantes. Il avait une prestance musculaire que j’aimais, mais il n’était pas beau au sens artistique du terme. Son nez était large et tordu, car il avait été cassé trop souvent. Il m’avait dit une fois qu’une de ses dents de devant déviée venait d’une planche de surf qu’il avait pris dans la tronche. Mais il était magnifique d’une manière indéfinie, et je voyais souvent dans les regards rapides des autres femmes que je n’étais pas la seule dans la pièce à le remarquer.
Il remarqua ma présence.
- Salut, Helen.
- Salut, Paris, répondis-je.
Il renifla.
- Oh, je ne suis absolument pas ton Paris. Paris était une mauviette.
- Hmmmmm. Ménélas, alors ?
- Um, bière.
- Je suis presque sûre qu’il n’y avait pas de Bière dans l’histoire d’Hélène de Troie, dis-je en reniflant d’un faux-air supérieur.
Nick s’adressa au barman.
- Une St. Pauli Girl.
Il m’adressa finalement le « sourire Nick », et la tension de notre dernier trajet en ascenseur disparut.
- Qu’est-ce que tu prends ?
J’avais besoin d’avaler un peu plus que de l’air pour avoir du courage.
- Une Amstel Light.
Nick passa la commande. Le barman tendit deux verres de bières perlés de condensation à Nick, puis secoua l’eau de ses mains. Nick me tendit le mien que j’enroulai dans une serviette en papier, alignant les bords avec la précision militaire que j’adorais. Nick fredonnait « Honky-tonk Women », sa tête oscillant d’un côté à l’autre.
- Je crois que je te préfère à Shreveport qu’à Dallas, lui dis-je.
- Merci pour le compliment. Et j’aime te voir heureuse. Je suppose que ça a été une année difficile pour toi, la perte de tes parents et tout ça. À ton sourire, dit-il en brandissant sa bière vers moi.
Le toast me pris par surprise. Il avait raison pour la partie difficile, surtout au sujet de mes parent. Je trinquai avec lui mais sans pouvoir soutenir son regard.
- Merci, Nick, vraiment.
- Tu veux faire un billard ? demanda-t-il.
- Pourquoi pas.
J’étais étourdie, comme une fille de seconde sortant avec le gars populaire de terminale. Nous aimions tous les deux la musique, alors nous discutâmes des genres, des groupes (son ancien groupe, Stingray, et les « vrais » groupes), mon sujet d’étude en classe de musique à Baylor (https://www.subscribepage.com/PFHSuperstars) et du LSD, alias la maladie du chanteur. Autour d’un tonneau de bières, nous échangeâmes des histoires sur le lycée, et il me raconta qu’il avait une fois sauvé un fou blessé.
- Un fou blessé ? Demandais-je. Sociopathe ou psychopathe ? Boule de huit dans le coin. Je la coulai.
Il récupéra les boules et les plaça dans le triangle pendant que j’enfonçais le bout de ma queue dans la craie bleue et que je soufflais l’excédent.
- Tu es tellement terre à terre. Un fou est un oiseau, Katie.
Je fis tourner son utilisation de mon vrai nom dans mon cerveau, en appréciant la sensation.
- Je surfais, et j’ai trouvé un fou de bassan qui ne pouvait pas voler. Je l’ai ramené à la maison et j’en ai pris soin jusqu’à ce que je puisse le relâcher.
- Oh, mon Dieu ! Est-ce qu’il sentait mauvais ? Il t’a donné des coups de bec ? Je parie que ta mère était ravie ! Je parlais vite, avec des points d’exclamation interminables. Embarrassant. J’étais une fille de la vallée sous acide, comme Oh Mon Dieu.
- Il était en état de choc, donc il était calme, mais il devenait plus énergique chaque jour. J’avais quatorze ans, et ma mère était contente que je ne sois pas dans ma chambre à feuilleter des magazines porno, donc ça ne la dérangeait pas. C’est vrai qu’après quelques jours, il sentait vraiment mauvais.
Je cassai. Les boules claquèrent et ricochèrent dans toutes les directions, et une boule rayée tomba dans un trou latéral.
- Rayées, annonçais-je. Alors, ta mère t’a déjà surpris avec des revues porno, hein ?
- Hum, je n’ai pas dit ça... dit-il, et il s’arrêta en bégayant.
J’étais plus amoureuse que jamais.
« Damn, I Wish I Was Your Lover » passait en fond sonore. Je n’avais pas entendu cette chanson depuis des années. Ça me fit réfléchir. Pendant des mois, j’avais lutté contre l’envie de passer mes bras autour du cou de Nick et de mordiller sa nuque, mais je savais que la plupart des gens considéreraient cela comme inapproprié au travail. Plutôt étroit d’esprit de leur part, si vous voulez mon avis. Je regardais le grand balcon à l’extérieur du bar et je pensai que si je pouvais juste manœuvrer Nick dans cette direction, peut-être que je pourrais faire en sorte que ça arrive.
Mes chances semblaient bonnes jusqu’à ce qu’un de nos collègues n’entre dans le bar. Tim était un conseiller juridique de la société. « Conseiller » signifiait qu’il était trop vieux pour être appelé un associé, mais il n’était pas un faiseur de pluie. En plus, il portait son pantalon remonté à la taille et trop court de cinq centimètres. Le cabinet n’en ferait jamais un associé. Nick accrocha son regard au mien. Jusqu’à présent, nous avions été deux radios à ondes courtes sur le même canal, le signal crépitant entre nous. Mais maintenant, le cadran était devenu statique et ses yeux s’assombrirent. Il se raidit et s’éloigna subtilement de moi.
Il appela Tim.
- Hé, Tim, par ici.
Tim nous fit un signe de la main et traversa le bar enfumé. Tout bougeait au ralenti alors qu’il s’approchait, un pas après l’autre. Ses pieds résonnaient dans ma tête en touchant le sol, non… non… non… Ou peut-être que je le disais à haute voix. Je n’aurai pu l’affirmer, mais ça ne faisait aucune différence.
- Hé, Tim, c’est génial. Prends une bière, viens faire un billard.
Oh, s’il te plaît, dis-moi que Nick ne vient pas juste d’inviter Tim à se joindre à nous.
Il aurait pu lui donner un petit « Hé, comment ça va, passe une bonne nuit, j’allais partir », ou n’importe quoi d’autre d’ailleurs, mais non, il avait demandé à Tim de jouer avec nous.
Tim et Nick me regardèrent pour confirmation.
J’eus une pensée fugace dans laquelle j’envoyais un coup de pied latéral parfait dans l’intestin de Tim et qu’il se roulait par terre avec des haut-le-cœur. À quoi servaient les treize années de cours de karaté que mon père m’avait forcé à prendre si je ne pouvais pas les utiliser dans des moments comme celui-ci ? « Chaque femme devrait être capable de se défendre, Katie », disait papa en me déposant au dojo.
Ce n’était peut-être pas techniquement un moment d’autodéfense physique, mais l’arrivée de Tim avait anéanti mes espoirs de morsure de cou, et de tout ce qui aurait pu suivre. N’était-ce pas une raison suffisante ?
Je rejetai cette pensée.
- En fait, Tim, pourquoi tu ne me remplaces pas ? J’ai passé toute la semaine au tribunal, et je suis épuisée. Nous commençons tôt demain. C’est le dernier jour de notre congé, la grande finale pour l’équipe de Hailey & Hart. Je tendis ma queue de billard à Tim.
Tim pensa que c’était une bonne idée. Il était clair que les femmes lui faisaient peur. Si j’avais espéré un argument de la part de Nick, rien ne vint. Il était retourné à son numéro de « Katie qui ? » en dehors du travail.
Tout ce qu’il me dit fut un « Bonne nuit », sans Helen ni Katie.
J’attrapai une autre Amstel Light au bar avant de retourner dans ma chambre.

Chapitre 2
L’Eldorado, Shreveport, Louisiane
Le 14 mars 2012
Quinze minutes plus tard, j’avais extirpé une bouteille de vin du mini-bar. Je m’accrochai à mon iPhone avec l’intention d’envoyer un message. Envoyer des textos en état d’ébriété n’est jamais une bonne idée. J’aurais aimé qu’un flic soit là pour me menotter, ça m’aurait évité la suite.
A Nick :
- Tu m’as largué pour Tim. Je suis toute seule. J’aurai aussi bien pu ajouter, « Avec amour, une fille folle de toi. »
Pas de réponse. J’attendis cinq minutes en finissant un verre de vin. Je remplis à nouveau mon verre. Je fis défiler les trois cents textos d’Emily demandant où j’étais et je lui répondis par
- Nick !!! Vraiment désolée. On se parle plus tard.
J’en envoyais un autre à Nick.
- T’es là ? Tjrs avec Tim ?
- Yop, fut sa réponse.
Un autre texte de Nick sonna quelques secondes plus tard.
- Il faut qu’on parle.
Bonne ou mauvaise conversation ? me demandais-je. Parler, comme un euphémisme pour ne pas parler ?
Je répondais à Nick :
- oki, où, quand ?
- Lundi, au bureau.
Coup de poing dans l’estomac. Reste calme, Katie, reste calme. Ne laisse pas ce moment t’échapper. Il y a encore une chance.
- Pas juste. Maintenant ? Choisis un endroit.
- Mauvaise idée. J’ai picolé.
- Je m’en fiche. Chbre 632.
Pas de réponse. Réfléchis, réfléchis, réfléchis, réfléchis, réfléchis. Il n’a pas dit non. Il n’a pas dit oui. Je pourrai renvoyer un texto et demander une réponse claire, mais ça pourrait être une mauvaise idée. Suppose que c’est oui et ressaisis-toi, ma fille.
J’inspectai la chambre d’hôtel spartiate, l’affreuse couette marron grisonnante, trop souvent passée dans des lave-linge industriels, les rideaux marron décolorés par les années « fumeur » de la chambre, une reproduction encadrée en série d’un bateau à aubes accrochée sur un mur couvert de papier peint métallisé. Ce n’était pas très prometteur pour un interlude romantique. Je nettoyai la pièce, et moi, du mieux possible, et j’essayai de me stabiliser sur une pensée et un comportement sobres.
Pas de Nick. Je fis les cent pas. Je me racontai des histoires. Je revérifiai mes textos. Et puis, soudain, je su qu’il était là, je le sentis avec ma perception Nick extrasensorielle.
Je regardai par le judas. Oui, il était là, faisant la même chose que moi de l’autre côté de l’épaisse plaque de bois. Mais je ne pouvais pas ouvrir la porte, sinon il aurait su que j’étais là à le regarder.
Il leva la main pour frapper. Il la baissa. Il se retourna pour s’éloigner ; il revint à la porte. Il passa sa main dans ses cheveux en se massant le crâne et ferma les yeux.
Il frappa à la porte. Je retins ma respiration en formulant une prière rapide. « S’il vous plaît, mon Dieu, aidez-moi à ne pas tout faire foirer ». Ce n’était pas la prière la mieux conçue ou la plus élaborée que j’aie jamais prononcée. J’ouvris la porte.
Aucun de nous ne dit un mot. Je fis un pas en arrière et il entra, serrant une serviette de bar dans sa main gauche. Sa main droite ratissant à nouveau ses cheveux en un tic nerveux que je n’avais jamais remarqué avant ce soir.
Je m’assis sur le lit. Il s’assit dans un fauteuil près de la fenêtre.
- Tu as dit que nous devions parler, commençais-je.
Il se concentra sur sa serviette froissée pendant un long moment. Quand il leva les yeux, il fit un mouvement de va-et-vient entre nous deux et dit :
- Ma vie est bien trop compliquée en ce moment. Je suis désolé, mais ça ne peut pas arriver.
Ces mots n’étaient pas ceux que j’avais espéré entendre. Peut-être n’étaient-ils pas ceux que je m’attendais à entendre, mais j’avais gardé espoir jusqu’à ce qu’il les prononce. Mon visage brûlait. Compte à rebours avant l’effondrement.
- Par « ça », je suppose que tu fais référence à une sorte de « truc » entre toi et moi ? Bien sûr que ça ne peut pas se produire. Je suis une associée du cabinet. J’entendis ma voix en écho. Supérieure. Dédaigneuse.
- Je sais que je peux passer pour une dragueuse, mais je suis comme ça avec tout le monde, Nick. Ne t’inquiète pas. Je ne te cours pas après.
Je pouvais presque voir l’empreinte virtuelle d’une main sur son visage laissée par la gifle de mes mots.
- Je t’ai entendu parler à Emily sur ton portable quand tu es arrivée cet après-midi.
Cela semblait de mauvais augure.
- De quoi tu parles ?
- Je passais devant ta chambre. La porte était grande ouverte. Je t’ai vue. Je t’ai entendue.
Je protestais,
- Comment savais-tu que c’était moi ?
- Je connais ta voix. Vous parliez de moi. J’ai entendu mon nom. Je suis désolé d’avoir écouté aux portes, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Je me suis arrêté et j’ai écouté.
Je tentais de le couper à nouveau, mais il continua.
- Tu as dit, (et, oh, j’aurai voulu ne pas entendre la suite) que tu ne pouvais pas croire à quel point je t’attirais. Que tu te sentais coupable parce que tu pensais à moi plus qu’au travail ou à ce qui était arrivé à tes parents...
Nick trébuchait sur ses mots, luttant pour faire sortir quelque chose.
- Tu as dit à Emily que tu ne pouvais pas t’empêcher d’être amoureuse de moi.
Oh, mon Dieu. Oh, mon Dieu. Tout ce sang brûlant qui se vidait de mon visage. J’avais dit ça au téléphone à Emily. Elle avait appelé pour s’assurer que je venais directement à la séance, et j’avais détourné la conversation vers Nick. C’était une chose tellement normale que je l’avais oubliée. Bon sang, c’était tellement normal qu’elle avait probablement fait abstraction de tout ça. Soudain, je sus à quel point j’étais ivre, et la pièce se mit à tourner.
Je forçai un rire à briser du cristal.
- Oui, j’ai mentionné ton nom, mais ce n’est pas ce que j’ai dit.
- Non, c’était bien ça, interrompit-il. Je ne suis pas un crétin. Je sais ce que j’ai entendu.
- Eh bien, tu l’as mal interprété, insistais-je. Je ne cours pas après toi, Nick. Pour ce que j’en sais, tu es toujours marié. Et nous travaillons ensemble. Je suis désolée si je t’ai mis mal à l’aise. Je vais essayer de ne pas le refaire.
- Tu ne m’as pas mis mal à l’aise.
Il s’arrêta et passé la main dans les cheveux une troisième fois, fixant à nouveau la serviette. Il y avait quelque chose d’écrit sur cette foutue chose.
- C’est juste que... Il soupira et n’alla pas plus loin.
- Juste quoi ?
Pas de réponse. J’aurai aimé que ce soit seulement l’alcool qui me fasse sortir des sarcasmes, mais ce n’était pas le cas.
- Pourquoi ne pas consulter ta serviette magique pour savoir ce que tu dois dire ?
Son visage s’assombrit.
- C’est pas sympa.
J’étais en train d’accumuler de la pression.
- Eh bien, il semble que tu sois venu me voir avec ton discours tout préparé. Remettre la pauvre Katie en mal d’amour à sa place.
Je pris une inspiration et je crachai :
- Je n’arrive pas à croire que tu aies dû prendre des notes sur une serviette de bar.
- Je ne suis pas aussi bon que toi avec les mots, Madame l’avocate. Je voulais faire ça correctement. Ne te moque pas de moi parce que je te prends au sérieux.
- Désolée de t’avoir causé tant de problèmes.
Je n’étais pas désolée sur le moment, et je pense que mon ton le lui fit comprendre.
- Mais je t’en prie, finis de lire ta serviette.
Il se leva.
- Il n’y a rien d’autre qui vaille la peine de discuter.
Trop tard, j’avais vu à quel point j’étais nulle.
- Nick, je suis désolée. Oublie ce que j’ai dit. J’ai trop bu. Merde, je bois trop ces derniers temps, et je vais vraiment réduire ma consommation. J’espère que cela ne fera pas reculer notre amitié, et que nous pourrons continuer à travailler normalement. Tu sais comment je suis. Je suis bien trop excessive, et j’ai une grande gueule.
J’interrompis mon bavardage inutile et luttai pour garder le contact visuel avec lui.
Mes pensées étaient devenues confuses. Comment avais-je pu me tromper autant sur lui ? J’ai toujours cru qu’au fond, il était aussi attiré par moi - et pas seulement sur le plan physique - que je l’étais par lui. Que si je lui donnais la bonne ouverture et le bon coup de pouce, il m’emporterait dans son carrosse magique et me conduirait au bonheur.
Comme c’était ridicule. Je n’étais pas Cendrillon. J’étais Glenn Close avec le lapin bouilli dans Liaison fatale. Et il était Michael Douglas cherchant un moyen de s’échapper.
Je ne savais pas comment récupérer les choses. Ses yeux devenaient plus hostiles à chaque seconde. Sans m’adresser un mot de plus, il s’en alla avec sa fichue serviette à la main.

Chapitre 3
L’Eldorado, Shreveport, Louisiane
Le 15 mars 2012
Je me réveillai avec une méchante gueule de bois qui provenait autant de l’humiliation que de l’Amstel Light et du vin du mini-bar, puis je me souvins de Nick dans ma chambre et de la façon dont j’avais agi. Il semblait peu probable d’avoir fait pire, mais au moins je ne lui avais pas ouvert la porte nue avec une rose entre les dents. J’allais me lever et me ressaisir. J’allais être séduisante dans mon ensemble Ellen Tracy vert mousse. J’allais réparer tout ça.
Mais d’abord, je voulais lire mes textos parce que mon téléphone vibrait. À cette heure matinale ?
- Où diable es-tu ?
C’était Emily.
- ?? Je me prépare.
Ce n’était pas totalement vrai, mais la règle cardinale des textos étant d’être brefs, j’avais omis les détails révélateurs.
- Nous avons commencé. Dépêche-toi !
Peut-être que ce n’était pas aussi tôt que je le pensais.
- J’arrive.
Eh bien, avoir l’air sexy et professionnelle étaient hors de question maintenant, bien que je ne sache pas si j’aurai pu réaliser cela dans ces circonstances, peu importe le temps dont je disposais. Je me ressaisis en respectant les minima hygiéniques et esthétiques et je m’en allais rejoindre la session de consolidation d’équipe du deuxième et dernier jour de ce séjour. J’espérais pouvoir assez bien simuler pour berner mes collègues.
Je m’arrêtai devant la porte ouverte de la salle de conférence et j’écoutai le présentateur. L’entreprise avait engagé un consultant en expression émotionnelle pour nous aider à résoudre les problèmes que nous avions les uns avec les autres de manière positive et constructive.
Bonne chance avec ça, pensais-je. Je me demandais s’il m’aiderait à résoudre mon « Je veux coucher avec mon collègue de travail qui est peut-être encore marié et qui, en fait, me déteste ».
Ce n’était pas une session du genre de celles qui sentent la violette, cependant, le consultant était en fait assez bon. Aujourd’hui, il nous apprenait à parler de ce dont nous avions besoin de plus et de moins de la part des autres. Il nous demanda de nous associer à la personne avec laquelle nous avions le plus besoin d’entretenir une relation de travail efficace.
J’entrai dans la salle de conférence aux fleurs criardes. En quelques secondes, presque tous les couples se formèrent. Je balayai la pièce du regard à la recherche des long cheveux blonds texans d’Emily, espérant qu’elle m’avait attendu, mais elle était avec l’assistant juridique principal, prenant l’activité beaucoup trop au sérieux. Je lui lançai un regard furieux et elle haussa les sourcils, comme pour dire : « Ce n’est pas ma faute si tu me poses un lapin et que tu ne peux pas sortir du lit avant midi. » Tout en grommelant dans ma barbe, je cherchai un partenaire dans la pièce.
Alors que je scannai l’espace, le regard terne de Nick se fixa lentement sur le mien. Pas bon. Je conservai également un visage sans expression, un effort gargantuesque si l’on considère que le mélange de fruits secs du minibar de la veille semblait vouloir remonter. Je me détournai, puis je réalisai qu’il marchait vers moi. Je m’attendais à ce qu’il continue son chemin, jusqu’à ce qu’il s’arrête devant moi.
Comme il restait silencieux, j’ouvris la bouche. Je ne pouvais pas m’en empêcher. J’ai toujours pris les reines. Pas étonnant que mon grand frère m’ait dit que je repoussais les hommes.
- Alors, tu veux finir les restes ?
Je tentais un sourire d’autodérision.
Il ne me retourna pas mon sourire.
- C’est le meilleur moyen d’éclaircir tout ça et de nous mettre d’accord avant de retourner au bureau.
Il faisait aller et venir sa main entre nous. Ça me rappela la nuit dernière, et pas dans le bon sens.
Nous nous assîmes. Les fleurs sur le papier peint et le sol ne faisaient pas grand-chose pour me remonter le moral. Les lianes du tapis se mirent à onduler et s’enroulèrent autour de mes chevilles, me ligotant aux pieds de ma chaise. Non, imbécile, c’est ton imagination et une bonne gueule de bois. Ugh. Troublant. Je passai mes mains sur mes avant-bras, essayant d’atténuer ma chair de poule.
Nick lisait les instructions à haute voix. Nous allions devoir suivre la liste d’exercices à tour de rôle. Tout d’abord, nous allions devoir énoncer ce que nous trouvions de positif chez l’autre ; ensuite, les choses dont nous avions besoin en plus ou en moins ; et enfin, ce que nous allions nous engager à faire en plus ou en moins pour l’autre. Au cas où nous aurions oublié ces instructions en cours d’exercice, elles étaient inscrites en caractères gras en couleur sur les tableaux de conférence tout autour de la salle. Je vous remercie, tableaux, d’interrompre ce cauchemar fleuri, pensais-je.
- Tu commences, Nick. Je pense que tu dois énoncer ce que tu apprécies chez moi.
Dis-je d’un ton enjoué.
Il commença très sérieux, sans hésiter.
- J’apprécie que tu sois professionnelle, tu fais un bon travail et tu travailles dur. Tu es importante pour le cabinet.
Pas vraiment chaleureux.
- Merci, Nick. Autre chose ? Tu peux continuer à faire des compliments si tu veux. J’essayais un autre sourire, inclinant la tête vers la droite. Mon meilleur profil.
- C’est tout.
Ça ne se passait bien.
- Bon, alors, ce que j’apprécie chez toi, c’est...
Alors qu’il avait pris la voie strictement professionnelle, je refusais d’être aussi impersonnelle,
- Ta créativité et ta perspicacité, et la façon dont nous avons travaillé ensemble sur l’affaire Burnside.
Je canalisais la langue de bois de l’atmosphère, une version légale d’un mauvais épisode de Dr Phil.
- Et j’apprécie que tu n’aies pas de serviette en papier avec toi aujourd’hui.
Clin d’œil mental - Nick, dépassons ça.
Aucune chance.
- Maintenant nous faisons la partie suivante, plus et moins.
Il passa ses mains dans ses cheveux. Oh oh.
- Ce que je veux, c’est que tu fasses plus souvent savoir à Gino que tu as besoin de mon soutien, et lui et moi nous pourrions faire le nécessaire. Ce que je veux que tu fasses moins, c’est...
Il hésita, puis continua,
- Me piéger.
Est-ce que j’avais mal entendu, ou est-ce que Nick venait de me larguer ? Et m’accusait de le harceler ? En si peu de mots. Même après la fin difficile de notre soirée, le coup de pied professionnel semblait extrême. Suggérait-il que je l’avais harcelé sexuellement ? Je passai de zéro à soixante sur le compteur de rage en moins d’une seconde. Oups.
- Tu ne veux plus travailler avec moi ? Je te PIÈGE ? Nous avons eu une seule conversation personnelle difficile, et tu refuses de travailler avec moi ?
- Peux-tu baisser d’un ton ? siffla-t-il.
Je levais les mains en l’air. Il prit ça pour un oui et continua.
- Je veux juste minimiser nos contacts, dit-il. Sa voix était aussi froide que ses yeux.
- C’est absurde.
La main de Nick se leva, et je montais le volume.
- Nous faisons une bonne équipe. C’est un énorme avantage pour cette entreprise quand nous travaillons ensemble. Je ne comprends pas pourquoi tu fais ça. C’est à cause d’hier soir ?
Une centaine d’yeux me regardaient m’effondrer dans un tas de débris émotionnel. Non, c’était juste ma paranoïa. Mes mains remontèrent vers mon col et tentèrent de le desserrer davantage.
- Je ne vais pas parler du pourquoi. J’ai juste besoin d’un peu d’espace. Si tu as un problème avec moi, tu devras aller voir Gino.
Moment de décision et de contrôle de soi. Si je faisais une scène plus importante, je l’embarrasserais, et ensuite je ne pourrais jamais revenir en arrière. J’avais passé la moitié de la nuit dernière à me réconcilier avec le fait qu’il n’y aurait jamais de « nous », pas de Nick et Katie. Je n’aimais pas pratiquer le droit, mais l’année dernière, j’avais adoré travailler avec Nick. Travailler avec lui, c’était mieux que rien. Cela pourrait même être suffisant. Mais s’il m’enlevait cette partie, il ne me resterait que moi avec des pensées que je ne voulais pas avoir.
Je devais aussi être réaliste. J’étais importante pour le cabinet, mais le futur ex-beau-père de Nick était notre plus gros client. Ce fossé devait rester entre Nick et moi. Il n’y aura pas de « aller voir Gino » pour moi. De plus, qu’est-ce que je lui dirais ? « Gino, Nick ne veut pas travailler avec moi parce qu’il pense que je veux coucher avec lui. Fais en sorte qu’il soit gentil avec moi ou je vais faire un caca nerveux. »
Je repris la parole avec des mots mesurés.
- Je suppose que je n’ai pas le choix. Je vais honorer tes souhaits, mais laisse-moi être claire à cent pour cent : C’est ta décision. Je ne comprends pas, et ce n’est pas ce que je veux. Je promets également d’être honnête avec toi. Je vais commencer par ça tout de suite.
Ça semblait être un bon point de départ, puisque je lui avais menti hier soir et qu’il le savait.
- Cela me fait mal. Tu me traites comme si tu me détestais. Nous avons eu un moment regrettable ce week-end. Je pense que nous devrions reparler de tout ça au bureau.
- Ça ne fera aucune différence, ici ou là-bas, dit Nick. Il se leva, mais je l’arrêtai.
- Attends. J’ai le droit de dire ce que je voudrais que tu fasses de plus ou de moins.
Il se rassit. J’ignorais la douleur lancinante dans mon estomac et je commençais.
- J’aimerais que tu fasses davantage preuve d’ouverture d’esprit et de moins juger et prendre moins de décisions irréfléchies.
- OK.
- OK, tu t’engages à le faire ?
- OK, je t’ai entendue.
Nous nous sommes regardâmes fixement pendant quelques secondes de plus. Puis Nick se leva. Les pieds de sa chaise firent un horrible bruit strident contre le tapis d’hôtel en laine d’acier. Je grimaçai. Vu le resserrement de ses lèvres et de ses sourcils, il interpréta ma grimace de travers. Il s’éloigna sans un mot.
Je restai collée à ma chaise.
Un peu plus tard - quelques secondes, quelques minutes - Emily interrompit mon interprétation de sculpture de glace.
- La Terre à Katie. C’est l’heure de la pause. Tu viens ? demanda-t-elle. Sa voix était hargneuse, mais moins que ses textes précédents.
Je levais les yeux vers elle. Elle avait de longues jambes, des bottes de cow-boy et un jean qu’elle avait complété par une veste de chez Gap et une chemise violette en coton tricoté.
- Hum, merci, non, je vais te retrouver plus tard, lui répondis-je.
Emily sortit de la salle de conférence avec un groupe de parajuristes. Je me dirigeai vers le bar. Quelle boisson était respectable à dix heures du matin ? Je commandai un Bloody Mary, un cocktail que je n’avais jamais essayé. Qui savait que les Bloody Marys étaient si bons ? Le premier étant bien descendu, j’en commandai un autre. Avec l’aide de mon nouvel ami le Bloody Mary, je décidais que je pouvais réparer les choses avec Nick. Seulement, je n’arrivais pas à le trouver.
De retour de la pause, je coinçai Emily.
- Tu as vu Nick ? Lui demandais-je
Emily soupira.
- Il est parti. Je l’ai entendu dire à Gino qu’il avait une urgence familiale.
La guigne.
Le reste de la journée se déroula dans le brouillard. Je ne me rappelle pas grand-chose. Je pense avoir fait des expressions faciales et des commentaires appropriés lorsque cela était nécessaire. Ou peut-être que non. Mon cerveau en tambour de machine à laver était agité par des pensées à propos de Nick.
Cet après-midi-là, Emily me reconduisit chez moi dans ma vieille Accord argentée. Le jour se transforma en nuit, et la nuit se transforma en jour, et le lendemain, me réveillant au son de la voix de mon frère, j’étais étalée sur le canapé de mon salon.

Chapitre 4
Appartement de Katie, Dallas, Texas
Le 16 mars 2012
- Tu n’as pas de meilleure excuse que ça pour ne pas répondre à mes appels ?
Dit Collin sur son ton sévère de grand frère. Je forçai mes yeux à s’ouvrir assez longtemps pour le voir gesticuler dans ce qui fut un jour le beau salon de mon appartement. Collin était mon jumeau irlandais, mon frère aîné de onze mois. Nous avions cependant terminé le lycée la même année, car mon père, en bon Texan, avait insisté pour faire redoubler Collin d’une année pour lui permettre d’acquérir un avantage physique sur le terrain de football. Nous étions donc des camarades de classe ainsi que des frères et sœurs. Malgré cela, Collin avait toujours agi de manière paternelle envers moi, surtout l’année dernière après la perte de maman et papa.
J’ouvris un peu plus les yeux, assez pour voir le désordre. Je suppose que ça n’avait pas l’air présentable. Je suis généralement très pointilleuse sur mon environnement. Collin avait toujours insinué que j’avais des troubles obsessionnels compulsifs, mais je n’étais pas d’accord. Je passais l’aspirateur en marchant à reculons parce que je ne voulais pas laisser de traces de pas sur le tapis. Je classais mes vêtements par saison et les sous-catégories par fonction et par couleur, car qui ne le fait pas ? Et si les autres ne peignaient pas la frange de leurs coussins, je pense qu’ils le devraient. Une frange emmêlée. Quelle horreur.
Ces dernières semaines, cependant ? Eh bien, pas tant que ça.
Il y avait des emballages de casse-croûtes sur la table de la cuisine et quelques bouteilles vides de jus de tomate et de vodka Ketel One sur le comptoir. Ce n’était pas insalubre selon les normes de Dennis la Menace, mais, d’après mon frère, c’était troublant. Mon pyjama était mon uniforme de travail de la veille, et les vêtements des jours précédents gisaient en tas à côté du canapé - canapé sur lequel la frange du coussin me narguait avec ses nœuds. La télévision diffusait « Runaway » de Bon Jovi sur une station de musique rock des années 80 de Direct TV. Un Bloody Mary presque vide me narguait depuis la table basse, où il trônait à côté de mon ordinateur portable Vaio rouge, d’une bouteille d’Excedrin et de mon iPhone.
Je m’assis d’une manière aussi digne que possible et je lissai mes vêtements.
- Pourquoi n’ai-je pas entendu l’alarme quand tu es entré ? Lui demandais-je.
Collin avait un jeu de clés de mon appartement, mais mon alarme aurait dû sonner à l’ouverture de la porte.
Sans ménagement, Collin répondit :
- Je suppose que tu étais trop bourrée pour te rappeler de l’activer. Ou peut-être que tu as eu un visiteur qui s’est esquivé au milieu de la nuit ?
Il cherchait un deuxième verre, mais j’avais bu en solitaire. Collin commença à organiser mon désordre.
- Collin, je vais faire ça, lui dis-je.
- Non. Va te rafraîchir, dit-il. Je t’invite au petit déjeuner. C’est un ordre.
Je le regardais tristement. Il portait son habituel jean 501 avec un t-shirt Hooters, et il son attitude criait « Je n’ai pas de problèmes ». Je ne voulais pas aller prendre le petit déjeuner avec lui. Je voulais me mettre en boule. Je voulais dormir et être seule. Je voulais rester là, sans bouger, comme si je n’existais pas.
Il me regarda, immobile sur le canapé, et quelque chose le poussa à poser la poubelle et à revenir vers moi. Prenant ma main, il me força à me lever. Il serra mon corps raide dans une étreinte d’ours, me berçant doucement pendant une bonne minute. Oh oh. Au début, j’essayai de me retenir, mais ensuite je m’écroulai et me mis à sangloter sur sa large épaule. Les sanglots se transformèrent en reniflements, puis en hoquets, puis en soupirs. Il fit basculer ma tête en arrière de son gros pouce sous mon menton et me regarda dans les yeux pour m’évaluer.
- Va prendre une douche chaude. On va aller manger dans un endroit décontracté, mais je pars, avec toi, dans la voiture dans vingt minutes. Il toucha l’os de mon menton avec les articulations de son poing fermé.
- Allez, allez. Tu sais que je vais te trainer s’il le faut. Ne m’oblige pas à le faire.
D’une légère poussée, il m’envoya dans le couloir vers ma salle de bain, puis je l’entendis reprendre le nettoyage. Des larmes coulaient sur mon nez et mes joues. Bon sang, j’allais devoir boire des litres d’eau au petit-déjeuner, parce qu’au rythme où je pleurais et avec la quantité de vodka que j’avais consommée la veille, j’étais au bord d’un gros mal de tête pour cause de déshydratation.

Quarante-cinq minutes plus tard, nous prenions place dans le IHOP de Mockingbird Lane. C’était l’un des endroits préférés de notre enfance, mais aujourd’hui, je remarquai que le décor était beaucoup moins orange criard qu’avant, et j’en étais un peu déçue. Collin me surpris en demandant une table pour trois, mais je n’avais pas assez d’énergie pour le questionner. Je compris lorsque je vis la chevelure d’Emily à l’entrée du restaurant. Elle s’avança vers nous dans un pantalon bleu marine plissé et une chemise jaune soyeuse serrée par une ceinture en cuir assortie à ses escarpins marron.
- Salut, Katie. Elle m’observa un moment, puis détourna les yeux.
Je levai une main molle pour la saluer. Super. Une autre personne à me voir dans cet état. J’avais évité de croiser mon image dans le miroir avant de quitter l’appartement, mais le bref coup d’œil que j’avais eu m’avait suffi. Une queue de cheval humide. Un vieux survêtement et un t-shirt. Les yeux bouffis et le teint pâle. Beurk.
Nous examinions nos menus en silence jusqu’à ce que la serveuse d’âge moyen, qui aurait vraiment dû porter un uniforme d’une taille plus large, vienne prendre notre commande. Les muscles de mon estomac se contractèrent en la regardant s’éloigner. Je pensais l’arrêter pour ajouter un jus d’orange dont je ne voulais pas à ma commande, mais je ne le fis pas. Il ne servait à rien de retarder l’inévitable. Collin nous avait réunis pour une raison, et quelque chose de désagréable allait se passer.
- Emily et moi avons discuté, et elle m’a dit ce qui se passait avec toi, commença Collin.
J’espérais qu’Emily en avait omis une partie, mais je ne pouvais pas lui reprocher de se soucier de moi. Ou de céder à Collin. C’était un flic, dans la belle tradition filiale, et il aimait à dire qu’il n’avait jamais rencontré un témoin qu’il ne pouvait pas faire flancher.
Collin continua.
- Nous sommes inquiets pour toi. Tu es dans un sale état. Tu te fais du mal.
Il lança un regard à Emily pour avoir son support et elle fixa la table en formica blanc. Tel que je connaissais Collin, il l’avait entraînée dans cette petite intervention, et tel que je connaissais Em, elle avait résisté. Emily était sûre d’elle, mais faire chavirer le bateau n’était pas son style.
Je n’avais pas la force de me battre avec Collin sur ce point, et je n’étais pas vraiment en désaccord avec lui. J’étais une épave en ce moment, c’est sûr. Il m’avait surprise à l’un de ces rares moments où la femme à la grande gueule n’était pas là pour défendre la petite fille fragile au fond de moi. Elle était probablement encore vautrée sur mon canapé à soigner sa gueule de bois.
- Tu as raison, ai-je avoué.
Les mots avaient un goût de poussière sur ma langue sèche.
- J’ai besoin de me ressaisir.
- Je pense que tu devrais suivre une cure de désintoxication. Les mots de Collin me semblaient acides, mais comment des mots comme « va en détox » pourraient sonner agréables et enjoués.
C’est donc ce qu’avait ressenti Amy Winehouse. Et elle était morte maintenant. Il fallait que j’y réfléchisse. Sauf que je n’étais pas Amy Winehouse.
- J’ai été dans le creux de la vague, oui, et j’ai bu un peu trop, mais seulement depuis quelques semaines. Je ne pense pas que ça justifie une cure de désintoxication.
L’idée de parler de mes problèmes avec tous ces alcooliques me rendait claustrophobe. Le système des Alcooliques Anonymes peut fonctionner pour certains, mais les activités de groupe en chantant et en se serrant les mains, c’est pas mon genre. De plus, je n’étais pas alcoolique.
- Ces trois dernières semaines ont été particulièrement mauvaises, mais tu es sur cette pente depuis bien plus longtemps que cela, déclara Collin. Comme du genre un an. Est-ce que tu peux réduire ou arrêter ? Je parie que tu as déjà essayé, n’est-ce pas ?
J’évitais son regard.
- Et je parie que ça n’a pas marché.
J’avais presque répondu « Non, connard, je n’ai pas essayé ». Presque. Au lieu de cela, je répondis :
- Je n’ai pas essayé. Je sais que je peux, quand je serais prête.
Mon omelette au fromage était arrivée, mais je n’avais pas faim. Aucun d’entre nous ne touchait à sa nourriture.
- J’admets que j’aurais du mal à m’arrêter ici à Dallas si j’essayais. Lorsque j’essaierai. Mais je sais que si je pouvais sortir de cet environnement pendant quelques semaines, je pourrai maîtriser la situation. Je suis prête à commencer par ça. La désintoxication n’est pas pour moi. Peut-être qu’un jour, si vous me ramassez dans le caniveau... mais pas maintenant.
- Très bien. Je te donne une chance, sœurette, alors saisis-la. Tu as quelque chose en tête ? Demanda Collin.
J’inspirai autant d’air que possible, puis j’expirai de force jusqu’à ce que mon estomac s’effondre.
- St. Marcos. J’ai besoin de savoir ce qui est arrivé à maman et papa. Je commençai à pleurer, puis je me retins. J’ouvris la bouche pour parler et les larmes commencèrent à couler.
- Tu es sûre ? Demanda Collin.
Je hochai la tête et utilisai le côté propre de ma serviette en papier pour m’essuyer les yeux. Lorsque je levai les yeux, une jeune femme noire attira mon attention, en partie parce qu’elle me fixait, et en partie parce qu’elle était pieds nus à IHOP et que ses vêtements semblaient être vieux de cent cinquante ans. Maintenant, celle-là avait un problème. La drogue, à ce qu’il semblait. Une candidate parfaite à la cure de désintoxication. Pas moi. J’essuyai mes yeux à nouveau et lorsque je les rouvris, elle avait disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Je devenais folle. J’aspirai une bouffée d’air.
J’avais désespérément besoin de faire une pause. Ce voyage, cette cure de désintoxication en solo ou ces mini-vacances ou quoi que ce soit, serait une aubaine.
Et donc nous avons convenu que j’allais partir. Immédiatement. Comme du genre, demain. Oups. Un peu plus tôt que prévu, mais Collin avait insisté, et Emily avait promis de m’aider à m’organiser. Je dis au-revoir à Collin lorsqu’il me déposa à mon appartement, alors qu’Emily se garait juste derrière nous.
Après avoir enfilé un pantalon d’été couleur crème acceptable pour le travail, Emily et moi arrivâmes chez Hailey & Hart en milieu de matinée. Nous ne fîmes grand-chose d’autre que de préparer mon voyage et de libérer mon emploi du temps. Je présentai mes projets de vacances à Gino, m’attendant à ce qu’il chicane, mais il ne le fit pas. Il me tapota la main. Ugh.
- Un congé vous fera le plus grand bien, dit-il. Vous avez travaillé dur cette année dans des circonstances difficiles, et vous avez besoin de vous ressourcer et de retrouver le meilleur de vous-même.
Super. C’était le langage du patron pour dire « tu es une épave, dégage de là. » Eh bien, il n’avait pas tort. Humiliée et passant pour une bille. Il n’était pas trop tôt pour s’éloigner de ça après tout.

À la demande de Collin, Emily allait rester avec moi cette nuit, laissant son mari seul à la maison. Emily était une bien meilleure amie que je ne le méritais, mais il fut un temps où j’avais joué son rôle lorsque Rich avait temporairement rompu leurs fiançailles. L’équilibre de la vie.
Tard dans la soirée, j’avais finalement mentionné le nom que personne n’avait prononcé de toute la journée.
- Si Nick demande où je suis, donne-lui la version aseptisée.
Emily était assise sur un tabouret de bar, et je me tenais de l’autre côté du comptoir de ma cuisine. Elle se pencha vers moi.
- N’y pense même pas. Nick se comporte comme un connard avec toi depuis Shreveport. Allez, ma fille. Laisse tomber.
J’avais reçu de nombreux messages sublimés aujourd’hui. Celui-ci voulait dire « tu ne l’intéresse pas ». Aïe, mais elle avait raison.
Mais pourrais-je laisser derrière moi mes sentiments à son égard et partir vraiment à St. Marcos l’esprit tranquille ? Je tournai et virai dans mon lit toute la nuit, ballottée entre les images de mes parents et de Nick.

Chapitre 5
Aéroport international DFW, Dallas, Texas
Le 17 mars 2012
- Veuillez maintenant éteindre et ranger tous les appareils électroniques, déclara la voix de l’hôtesse dans le système de sonorisation d’American Airlines. Merde. J’étais en train d’écrire un courriel à Emily lui promettant un dîner de côte de bœuf de chez Del Frisco, mon cadeau, si elle éliminait les restes de sushi de mon réfrigérateur, mais j’eus le temps d’appuyer sur Envoyer.
Je m’étais installée dans mon siège de première classe en route pour St Marcos avec mes affaires indispensables étalées autour de moi : passeport, ordinateur portable Vaio rouge, iPhone dans sa boîte Otter à motifs zébrés. Je savais que Dell et Blackberry étaient les technologies de choix pour la plupart des avocats, mais j’aimais montrer que je n’étais pas comme tout le monde. Bien sûr, ces derniers temps, je correspondais au pire des stéréotypes de l’avocat : celui qui picole. C’était mauvais pour moi.
Le courriel que j’avais envoyé hier à mes amis hors de mon cercle professionnel expliquait ma disparition soudaine comme des vacances. Ils m’imagineraient sirotant des piña coladas sur la plage et dansant toute la nuit sur de la musique calypso avec un Antillais sexy, retrouvant mon rythme comme Stella. Emily s’occuperait d’envoyer un mémo similaire au bureau pour moi ce matin.
En parlant d’hommes antillais, celui qui était à côté de moi en première classe, légèrement bedonnant, tentait de lire mon écran. Je le tournai de l’autre côté. Où étaient ses manières de première classe ?
Je reportai mon attention sur mon courriel. Devrais-je envoyer l’information à Nick moi-même ? Peut-être qu’il avait agi comme un connard, mais jusqu’aux évènements de Shreveport, je lui aurais envoyé un mot sexy sur mon voyage. Si c’était lui qui disparaissait, je voudrais en connaître la raison. Ipso facto, n’est-ce pas ? Sous l’emprise de ce manque de logique, je lui envoyai un courriel rapide.

À nick.kovacs@haileyhart.com (mailto:nick.kovacs@haileyhart.com)
De katie.connell@haileyhart.com (mailto:katie.connell@haileyhart.com)
Sujet : Voyage
Nick,
Je voulais t’informer, au cas où tu remarquerais mon absence, que je suis en vacances aux Caraïbes. Je serais de retour dans une semaine. Emily s’occupera de mes affaires pendant mon absence. Et Nick, je suis désolée. Pour tout.
Katie

Je lui avais promis de lui dire la vérité après Shreveport. J’étais plutôt honnête, car c’était des sortes de vacances. Je fermais les yeux avec mon doigt vacillant au-dessus de la touche Envoyer.
- Madame, vous devez l’éteindre et le ranger maintenant. L’hôtesse de l’air aux cheveux gris était penchée vers moi, un sourire crispé sur le visage. Comme elle devait détester répéter ces mots encore et encore et encore chaque jour à des gens comme moi qui mentaient, trichaient et volaient pour obtenir quelques précieuses secondes de plus de temps de connexion avant le décollage. Cependant, j’étais une bonne fille cette fois.
- Pas de problème, répondis-je. J’appuyai sur Envoyer et éteignis mon écran. Eh bien, une sorte de bonne fille. Je me calais dans mon siège, dégageant ma maxi robe violette qui s’était inconfortablement torsadée sous mes jambes.
- Je m’appelle Guy, dit l’homme à côté de moi. Il me tendit la main.
Nooonnn. Je voulais dormir. Je lui serrais la main, une main très douce, douce comme de la vaseline, et je répondis
- Katie. Ravie de vous rencontrer, puis je rompis le contact visuel. Je penchai ma tête en arrière. Ne pense pas aux pellicules, aux poux et aux autres parasites capillaires, marmonnais-je. Je fis immédiatement une fixation sur cette pensée.
Un gamin hurlait. Je me penchai dans l’allée pour trouver le coupable. Un jeune père voyageait seul avec un enfant dans la première rangée. Cela ne présageait rien de bon.
L’hôtesse de l’air était de retour. Sa peau semblait plus jeune que ses cheveux, et ses yeux étaient brillants.
- Puis-je vous servir une boisson avant le décollage, madame ?
J’étais anxieuse après avoir envoyé ce courriel à Nick. L’enfant terrible et le problème potentiel des poux me portaient sur les nerfs. J’étais en route pour conquérir des démons et affronter des problèmes personnels dans un environnement étranger. Même un buveur responsable aurait commandé un cocktail en première classe dans ces conditions.
- Un Bloody Mary, dit quelqu’un.
Moi.
Oups.
- Absolument, madame.
Eh bien, je n’étais pas à l’hôtel, je n’étais même pas encore à St. Marcos. Si on y pense vraiment, c’était le compte à rebours, mais il n’était pas encore à zéro. Je n’avais pas besoin de faire une pause dans ma consommation d’alcool jusqu’à mon arrivée. D’ailleurs, à quoi servaient les surclassements en première classe si ce n’était pas pour les boissons gratuites ? Bien sûr, ils vous servaient un bol de noix mélangées réchauffées au micro-ondes et vous tendaient une serviette chaude avec une pince, peut-être même vous donnaient-ils un biscuit gluant aux pépites de chocolat si vous étiez chanceux, mais l’alcool était ce qui comptait le plus.
- Même chose pour moi, dit mon nouvel ami Guy. Il se pencha légèrement vers moi et dit :
- Cela semblait parfait. J’étais à Los Angeles pour rencontrer des producteurs de télévision afin de tourner une émission sur St. Marcos. C’est exténuant.
- N’est-ce pas intéressant ? rétorquais-je.
Après l’atterrissage à St. Marcos, j’étais encore sous l’emprise de mes libations en vol. Je souhaitai un adieu chaleureux à Guy à qui j’avais menti sur mon nom de famille et sur le lieu de villégiature où je séjournais, afin de m’assurer que je ne le reverrai pas par hasard.
Je pris place dans le taxi-van pour l’hôtel de la Fleur de Paon, en balançant la tête de manière appréciative au rythme de « I Shot the Sheriff » de Bob Marley. Lorsque j’arrivai à l’hôtel, je le trouvai encore plus beau que je ne l’avais imaginé. Il se dressait fièrement, en stuc rose, sur deux étages, entouré de palmiers royaux. Je pouvais voir pourquoi mes parents avaient aimé séjourner ici. Alors que je passais l’entrée, le portier me tendit un gobelet en plastique transparent de punch au rhum avec un gros morceau d’ananas sur le bord.
Un fruit.
Dîner.
Les gens ici étaient parfaitement charmants.
Alors que je m’enregistrais à la réception, le réceptionniste appela le plus sympa des employés pour m’aider à trouver ma chambre. Ce faisant, il remplit à nouveau mon verre de punch au rhum.
- Vous allez avoir une longue marche déshydratante jusqu’à votre chambre, mademoiselle, dit-il avec un clin d’œil. Son accent était délicieux.
Ma chambre se trouvait en bordure de la plage, mais dans un bosquet de palmiers pour plus d’intimité.
- Beaucoup de gens célèbres ont séjourné dans cette chambre.
Il me regarda attentivement.
- Est-ce que je vous connais ? Vous êtes terriblement belle, mademoiselle. Êtes-vous un mannequin ?
Je choisis d’ignorer le fait qu’il me faisait ce commentaire à la porte de ma chambre, et que le moment coïncidait idéalement avec ma décision de lui donner un pourboire. Je lui répondis :
- Merci, en glissant un billet de vingt dollars dans sa main. Il s’inclina à moitié et me souhaita un « bon après-midi ».
J’explorai mon environnement. Ah, bien, l’espace de bureau était parfait. Je posai mon sac à main sur le sol à côté et je plaçai mon ordinateur portable parfaitement aligné sur la table, comme je l’aimais. Je consultai mon téléphone. La batterie était morte. Je fouillai dans la sacoche de mon ordinateur portable pour trouver le chargeur de téléphone et le branchai. Dieu sait combien de temps j’avais perdu à attendre des messages avec un portable éteint. Probablement juste au moment où Nick m’aurait aussi répondu par courriel. Je déballai mes affaires pendant que le téléphone rassemblait assez de jus pour pouvoir se connecter.
Je continuai mon exploration. Le site Internet de l’hôtel indiquait que la baignoire était assez grande pour deux personnes, et elle était telle que sur la photo. Assez grande pour contenir moi et mon alter ego maléfique à la langue acérée qui buvait trop. Des carreaux de marbre aux couleurs terre, de teintes, de textures, de tailles, de formes et de motifs variés, décoraient la salle de bains. Ça aurait pu être trop criard, mais ça ne l’était pas. C’était stupéfiant.
La palette tropicale atténuée du reste de la suite mettait magnifiquement en valeur les tons naturels de la salle de bains. C’était le meilleur de la nature incorporé délicatement à l’intérieur. Les meubles et le ventilateur de plafond étaient en bambou, les draps étaient en coton égyptien ivoire à rayures, d’une épaisseur moelleuse, recouverts d’une couette douillette de couleur crème. J’avais hâte de me glisser dans le lit et de me rouler dans ces draps, de frotter du coton frais sur ma peau. La plupart des couleurs de la pièce, jaunes éclatants, verts palmier et fuchsia, provenaient de boutures fraîches de plantes et de fleurs locales.
Une porte-fenêtre s’ouvrait depuis la chambre sur un patio carrelé de pavés en travertin de couleur amande. Le patio descendait sur une courte pelouse parsemée de cocotiers qui se terminait par un accès à la plage privée. Au-delà de la plage s’étalait la mer turquoise et saphir des Caraïbes. J’arborai un sourire. Cela ferait l’affaire.
Mon iPhone était assez chargé pour un téléchargement de données. Je le ramassai et fis défiler mes courriels. Ma secrétaire avait envoyé quelques questions, et Collin et Emily m’avaient tous deux demandé de leur faire savoir que j’étais bien arrivée. Je leur envoyai une note et je fis défiler d’autres messages, surtout des pourriels. Et puis j’arrivai à l’un qui me coupa le souffle : une réponse de Nick.
Je posai l’iPhone jusqu’à ce que je puisse respirer normalement. J’essuyai mes paumes moites sur ma jupe violette, puis je ramassai le téléphone. Pas de problème. J’étais calme. Le texte du courriel était court :
« Ok »
Ok. OK !! Deux lettres minuscules, un mot. Pas vraiment de quoi s’extasier. Il aurait pu supprimer mon courriel sans le lire. Il aurait pu le lire et ne pas répondre. Il aurait pu le lire et répondre en disant quelque chose de grossier (est-ce que « ok » était grossier ?). Ou, il aurait pu le lire et répondre par quelque chose de positif, comme « Je te verrai à ton retour » ou « Bonne chance ». Mon cerveau se mit à rouler à toute allure sur les pistes familières de Nick, comme un aspirant de Formule 1 sur un parking. Ce n’était pas bon.
Je vidai mon punch au rhum et mangeai mon dîner de garniture d’ananas. Je regardai dans le mini-frigo. Jackpot. Un pichet entier de punch au rhum m’attendait à l’intérieur. Malheureusement, il n’y avait pas de fruits. Le jus de fruit était assez sain, cependant. Le punch au rhum serait un parfait substitut insulaire au Bloody Mary. Je me versai un verre.
Nick. L’abruti incroyablement froid. Je me retenais de ne pas lui répondre. Je descendis le punch au rhum. J’essayai de résister un peu plus. Je gobai un autre verre. Et puis je pris ma décision. Il fallait que je sorte de là. J’attrapai mon sac à main, mon téléphone et la clé de ma chambre et je me dirigeai vers le bar que j’avais vu pendant l’enregistrement.
Le bar était un patio couvert au sommet d’une colline, avec vue sur la plage et l’océan. Je montai les marches de pierre et je débouchai au milieu d’une bonne foule se tenant autour du bar en acajou et des tables rondes disposées çà et là sur le sol carrelé. Quelques couples dansaient, collés et lascifs, sur un groupe de reggae qui sonnait plutôt bien. Ils jouaient une chanson parlant des 36 degrés à l’ombre. La chanteuse entonna le refrain : « Vraiment chaud, à l’ombre des palmiers ». Je m’assis au bar et je me retournai pour les regarder après avoir commandé mon Bloody Mary au barman blond à la coiffure rasta. Après une gorgée, je réalisai qu’il était mal dosé et je commandai un punch au rhum.
- Vous refusez une boisson parfaitement acceptable ? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous, ma chère ? La voix avait prononcé « chère » comme « chay ». Je me retournais et réalisais que c’était la chanteuse.
- J’ai changé d’avis, lui dis-je.
- À moins que vous n’ayez une maladie contagieuse, vous pouvez me donner ce truc, dit-elle. « Donnay ce tuc. »
Je poussai le verre dans sa direction, luttant contre ma peur de partager des poux avec une étrangère. Je ne voulais pas paraître impolie.
- Je l’ai gouté, dis-je pour la prévenir.
Elle retira la paille du cocktail et la jeta vers la poubelle derrière le bar. Panier raté.
- Merci. Chanter donne soif. Elle me tendit la main.
- Je suis Ava.
Je lui serrai la main.
- Katie
- Les gens se lèvent et partent avant qu’on n’ait fini la soyée. Ça fait des poblèmes.
J’essayais de suivre, mais son accent chantant me déstabilisait. J’avais raté la moitié de ce qu’elle disait. Elle eut pitié de moi.
- Là, tu ne me comprends pas. Elle s’enfila le Bloody Mary.
- J’ai dit que mes camarades de groupe venaient de me quitter et que nous n’avions même pas fait notre dernier set. Nous allons avoir des problèmes avec le propriétaire. Elle s’était exprimée parfaitement cette fois, en prononçant chaque mot distinctement.
- Oh, woa, oui, je comprends maintenant.
- Désolée. Je parle avec l’accent local lorsque je me produis, ou lorsque je parle à d’autres habitants. Mais je peux faire l’aristo, quand j’en ai besoin.
- Faire l’aristo ?
- Parler comme une dame. C’est comme parler deux langues. Parler le patois graisse les pattes et impressionne les touristes. Ça fait partie de la vie d’un natal.
- Qu’est-ce que ça veut dire natal ?
- En local, ça veut dire « né ici ». Vous pouvez vivre à Saint Marcos pendant quarante ans, mais vous n’êtes vraiment local que si vous êtes natal.
Ce que j’étais.
- Maintenant, je vous dois un verre, dit-elle en faisant signe au barman, et je paie toujours mes dettes à mes amis.

Chapitre 6
Station balnéaire de la Fleur de Paon, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Je me réveillai sur ma chaise longue le lendemain matin, encore vêtue de ma maxi robe de la veille. Même chanson, différents couplets. Mais j’étais encore plus dégoûtée de moi-même que d’habitude. J’étais ici pour enquêter sur la mort de mes parents et retrouver mon équilibre, ce qui était censé inclure une réduction de ma consommation d’alcool. Et penser à autre chose qu’à Nick. Il semblait que tout ce que j’avais fait était déplacer mes problèmes dans ce nouvel univers, et que j’étais prête continuer le présent en me basant sur le passé. Bien joué, ma fille.
Dans un moment de panique, je me souvins d’une partie de la nuit précédente. Le courriel de Nick. Le punch au rhum. Le bar de l’hôtel. Est-ce que je lui avais envoyé un autre message ? Oh, par pitié, non.
Je sautai sur mes pieds, mon cœur résonnant dans mes tympans. L’eau bleue taquinait le sable ambré de la plage devant moi. Au loin, deux petits enfants jouaient avec des seaux près des vagues. Au-dessus de moi, le soleil du matin traversait les feuilles de palmier pour réchauffer le tapis d’herbe devant mon patio. La sérénité de ma retraite me réconfortait. Tout irait bien.
Je trouvai mon téléphone à côté de moi et je fis défiler les textes et les courriels envoyés sur mon iPhone. Rien, Dieu merci. J’avais tout gâché hier soir. Mais aujourd’hui, j’étais décidée à enquêter sur le mystère de la mort de mes parents, et à reprendre à zéro sur le plan personnel. Après quelques heures de sommeil supplémentaires. Je me repliai sur ma chaise.
- Hé, ma fille, on fait la fête comme des rock stars, articula une voie de femme. Une femme juste à côté de moi semblait-il.
Je me redressai d’un bon. Je reconnaissais la voix rauque. Le nom de la femme à qui elle appartenait ne me revenait pas. Je réfléchis. Abigail ? Ariel ? Eva ? Non. Ava. C’était Ava.
Je me forçais à rire.
- Ouais, je suppose que c’est ce que j’ai fait. Au moins, ce dont je me souviens.
Je regardais la chaise longue de l’autre côté du patio, et, bien sûr, Ava y était étalée. Elle se leva, s’étira de la pointe des pieds au bout des doigts en tendant les bras vers le ciel, ce qui aurait mieux donné dans une tenue autre qu’une mini-robe en lycra jaune. Je détournai mon regard. Elle se rassit et se renversa sur sa chaise, se tripotant la paupière.
- Eh bien, je suppose que nous ferions mieux de commencer, dit-elle en posant un faux cil sur la table du patio et tirant sur l’autre paupière.
- Je vote d’abord pour un baril d’eau et deux Excedrin avec des œufs.
Je n’avais absolument aucune idée de ce qu’elle voulait dire. J’essayai de dissiper les brumes de gueule de bois enfumant mon cerveau. Devrais-je m’inquiéter ? J’avais lu des histoires de pirates et d’escrocs dans les Caraïbes. Peut-être qu’elle était une sorte d’arnaqueuse. Je pourrai, par essence, être sa prisonnière. Bon, je délirais, mais pourquoi pas. Quelque chose chatouilla les cellules de ma mémoire, puis disparut.
Ava continuait à parler.
- Je connais le cuisinier du restaurant. C’est un pote. Ava attrapa le téléphone posé sur la table du patio à côté d’elle.
Je l’écoutais commander dans son patois insulaire. Elle avait continué ses ablutions pendant qu’elle était au téléphone, retirant des boucles d’oreilles, un bracelet et un collier, et elle se releva en raccrochant.
- Allez, allez, Katie. Ils nous attendent en bas. Elle retira sa robe d’un seul geste fluide, révélant des courbes café au lait impeccables, quelque peu contenues par un soutien-gorge et une culotte en satin imprimé léopard. Mes mains posées sur mes propres hanches saillantes, j’avais l’air de Pippi Longstocking à côté de Beyoncé. Elle s’engouffra dans ma chambre.
Je serrais les dents et me concentrai sur ses mots. Poste de police. Oui. C’est ça. Des bribes de notre conversation d’hier soir me revenaient en mémoire, notamment le fait que j’avais raconté à Ava ma quête pour découvrir ce qui était arrivé à mes parents, et son appel à un policier avec qui elle sortait ou qui voulait sortir avec elle ou quelque chose comme ça. Oui. C’est ça. Je me rappelais.
Soulagement.
Elle passa la tête derrière la porte en rassemblant ses longs cheveux noirs bouclés en un chignon haut.
- Ça te dérange si j’utilise la douche d’abord ?
- C’est bon, répondis-je.
Elle leva un sourcil.
- Tu vas bien ?
Je sautais sur mes pieds.
- Absolument. Dépêchons-nous avec les douches et essayons de finir avant que le service de chambre n’arrive.
- Ya mon, dit-elle, et elle disparut à nouveau.
Je renversai ma tête en arrière, les yeux fermés, et je me pinçai l’arête du nez. Ce n’est pas parce que je me rappelais de la veille au soir que la journée d’aujourd’hui était forcément une bonne idée. Je ne connaissais même pas Ava. Est-ce que je devenais folle ? Je redressai ma tête pour la remettre dans sa position normale.
Eh bien, j’étais sur le point de le découvrir.

Chapitre 7
Station balnéaire de ma Fleur de Paon, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
- Je n’arrive pas à croire que tu laisses tout tomber pour m’aider, lui dis-je.
Ava avait engouffré ses courbes dans un haut de bikini et une mini-jupe en jean bleu, qui m’appartenaient tous les deux, puis elle avait enfilé par-dessus une de mes chemises et en avait noué les pans au-dessus de son nombril. Elle était pieds nus.
- C’est la meilleure offre que j’ai eue de la journée, dit-elle. Je suis revenue sur l’île il y a six mois. J’ai fait le truc danse-chante-agence-crève la faim à New York, mais mes parents vieillissent et, eh bien, je ne peux pas rester loin de l’île pour toujours. St. Marcos coule dans mes veines. Elle prit son téléphone, faisant dérouler sa galerie, puis me tendit l’appareil. Elle avait fait afficher une photo d’elle-même se tenant entre un homme blanc beaucoup plus âgé et une femme à la peau sombre qui avait l’air d’être la grande sœur d’Ava.
- Mes parents, expliqua-t-elle. Donc je peux comprendre l’objet de ta visite ici. Si quelque chose arrivait à maman ou papa, je ferai la même chose.
Il me semblait que je lui avais raconté beaucoup de choses la nuit dernière.
- Ils sont beaux, répondis-je. Tu es un parfait mélange des deux. Je lui ai rendis son téléphone.
Et elle l’était. Ava était très sexy et, avec sa peau couleur café au lait et ses cheveux noirs ondulés, elle pouvait passer pour n’importe quelle race, italienne, égyptienne, mexicaine, ou tout cela à la fois. C’est un mélange qui fonctionnait.
Elle sortit un rouge à lèvres de son sac à main et entra dans la salle de bains, toujours en parlant.
- Ouais, ils sont super. Quoi qu’il en soit, je suis revenue chez moi, mais il n’y a pas beaucoup de travail sur l’île pour les actrices de théâtre formées à l’université de New York, spécialisées dans les comédies musicales de Broadway, et qui n’ont pas d’autres compétences employables.
J’élevai la voix pour qu’elle puisse m’entendre dans la salle de bain.
- Je peux comprendre. J’ai étudié le chant à l’université avant de devenir raisonnable. J’ai passé trois ans à comprendre que je ne gagnerai jamais d’argent dans la musique.
- Tu chantes ? Ma chérie, pourquoi tu ne m’as pas dit ça hier soir ? On aurait pu te faire monter sur scène.
- Pas question, dis-je en riant C’était il y a longtemps.
- Ça ne veut rien dire. En tout cas, je suis contente que tu sois là. C’est bien mieux que de regarder Oprah avec maman. Ava revint dans la chambre et se planta devant moi, debout, les mains sur les hanches, m’étudiant.
- Le fait est que je te trouve très bien.
Je l’aimais bien, même si elle était mon opposé polaire. Et j’aimais l’écouter, je commençais même à mieux la comprendre : « chuis » était « je suis » et « tés » était « tu es » par exemple. Ce n’était pas si difficile après tout.
Je lui dis :
- Encore une fois, merci de m’avoir aidée.
Ava mit son pied à côté du mien et pencha la tête.
- J’ai besoin de chaussures. Tout ce que j’ai, c’est les pompes à talons que je portais hier soir. T’as de grands pieds, alors si on essayait les plus petites chaussures que tu as ?
Son argot me secouait un peu, surtout à cause de l’éducation de ma mère institutrice de maternelle, mais je ne m’offusquais pas des commentaires sur mes pieds. Je faisais 10 cm de plus qu’elle.
- Que penses-tu de celles-ci ? Lui demandais-je en lui lançant des sandales Reef qui étaient une demi-pointure plus petite que ce que j’aurais dû acheter.
Elle y glissa ses pieds et prit la pose.
- Qu’est-ce que tu en penses ?
- Je pense que mes affaires te vont mieux qu’à moi, et on ferait mieux d’y aller ou je vais commencer à te détester.
Elle s’esclaffa et passa son bras sous le mien.
- Ouais, ou je vais te détester parce qu’à côté de toi, mon cul a l’air plus large qu’il ne l’est déjà, dit-elle en tapotant sur son postérieur de son autre main.
- Viens, on s’en va.
Ava retira son bras. J’enfilai mes lunettes de soleil, attrapai mon sac à main sur le bureau et enfonçai mes pieds dans des sandales Betsey Johnson qui semblaient heureusement trop grandes pour ma nouvelle amie. Je verrouillai la porte derrière Ava. Je marchai d’un bon pas sur le trottoir vers la voiture de location que le concierge avait garé ici sur ma demande, ragaillardie par cette magnifique matinée.
- Ralentit un peu, Katie. Tu vas trop vite pour le rythme de l’île, beugla Ava derrière moi.
J’ouvris la portière de la jolie Malibu verte.
- Ralentir, je peux ralentir. Là.
Une fois en route, Ava m’enseigna les subtilités des salutations locales, en m’expliquant combien il était important que je passe pour une habituée de l’île pour le succès de ma quête.
- Ne dis pas salut. Dis bonjour, bonne journée et bonne nuit. Dis-le quand tu entres dans une pièce pleine de gens, à la cantonade. Tu n’as pas besoin d’établir un contact visuel. Fais une longue pause après l’avoir dit, et donne à ton interlocuteur la possibilité de te répondre et de s’enquérir poliment de ta santé et de ta famille. Alors, et seulement alors, tu peux poser tes questions. Si tu ne fais pas ça, tu n’arriveras à rien.
- Oui, madame, répondis-je en inclinant la tête.
- Je suis sérieuse. Si tu vas trop vite, parle trop vite, et ne dis pas les choses correctement, un Antillais fera seulement semblant d’écouter, et tu penseras que les choses vont bien alors que ce ne sera pas le cas.
Je me retenais de rire.
- Je sais que tu es sérieuse, et j’apprécie l’aide.
- Quand même, laisse-moi le plus gros de la conversation.
Je n’étais pas très douée pour laisser quelqu’un d’autre parler pour moi, mais j’allais essayer.
Nous étions en centre-ville à ce moment, et je fis une embardée pour éviter une limousine qui sortait d’une place de parking juste devant moi. En donnant un coup de volant sur ma gauche, je sentis un craquement sous l’un de mes pneus. J’enfonçai le klaxon. C’était déjà assez difficile de conduire en ville sans ça. Je jetais un œil dans le rétroviseur pour lire la plaque d’immatriculation à l’envers. Plaque personnalisée. Pas surprise de ça. On pouvait lire « BondsEnt. »
- C’est mon futur mari, dit Ava, en pointant la limousine.
- Vraiment ?
- Nan, il est juste assez riche pour m’entretenir.
Un pâté de maisons plus loin, j’entendis un bruit sourd. Pneu à plat.
- Merde, dis-je en me garant.
- On est dimanche matin, dit Ava, comme pour m’expliquer quelque chose. Je devais avoir l’air perplexe, car elle ajouta : Du verre brisé par les fêtards en centre-ville.
- Ah, répondis-je. Parce que je suis perspicace.
- Ce n’est pas un problème, dit Ava en sautant de la voiture.
Je la suivis sur le trottoir. Jouant à balancer ses cheveux par-dessus son épaule, elle fut bientôt entourée d’une foule d’antillais prêts à lui prêter main forte.
- Ah, mon petit, c’est à ça que servent ces gros muscles. Elle encourageait le jeune homme, se penchant pour lui donner une bonne vue sur son décolleté.
- Je peux te montrer à quoi ils servent, si tu me laisse faire, répondit-il.
- Ah, tu es trop fort pour quelqu’un comme moi. Tu dois avoir des tas de poulettes qui se battent pour toi jour et nuit.
- Tu es la seule fille pour moi, Ava. Tu n’as qu’un mot à dire.
Une fois le changement de pneu terminé, elle se dégagea de la foule sans effort. On remonta dans la voiture.
- Je suis impressionnée, lui dis-je.
Ava répondit par un sourire.
Nous continuâmes à rouler dans le centre-ville parmi les vieux bâtiments de style danois. Le stuc et des arches dans un arc-en-ciel de couleurs atténuées prédominaient. Presque tous les autres bâtiments étaient dans un état de délabrement. Certains avaient perdu leur toit. À cause d’ouragans, peut-être ? D’autres n’étaient que des décombres en ruine là où les murs auraient dû se trouver. Les habitants du coin traînaient en petits groupes aux coins des rues. Plus souvent que je ne l’aurais cru, nous croisions un sans-abri poussant un caddie rempli de trésors ramassés çà et là. Les touristes en t-shirt se faufilaient parmi les habitants, sacs à provisions dans une main, cônes de glace dans l’autre.
Il ne nous prit pas trop de temps pour traverser la ville. À son extrémité, nous arrivâmes à un bâtiment danois de deux étages de couleur bleu layette. Quartier général de la police. On s’arrêta sur le parking pour sortir de la voiture.
Il était temps de rendre justice à maman et papa.

Chapitre 8
Taino, St Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Ava s’était arrangée pour rencontrer son ami à 11h30 tapantes. Nous entrâmes dans la vieille maison convertie en commissariat de police avec un quart d’heure de retard, ce qui, selon Ava, était à la limite d’être trop en avance. Ava, roulant lascivement des hanches, et moi, je retenais ma longue foulée en me sentant ridiculement vierge dans ma robe blanche à ses côtés. J’enlevais mes lunettes de soleil et les rangeai dans leur étui dans mon sac.
- Bonjour, annonçais-je à notre entrée dans la station. Un chœur de « bonjour » résonna en réponse. Je failli exploser de rire. Ava se tourna vers moi pour voir si je me moquais d’elle, puis me récompensa d’un signe de tête approbateur.
- Bonjour ! Nous sommes ici pour voir Jacoby, dit-elle à la greffière assise au bureau derrière le comptoir d’accueil, l’interrompant au milieu d’une demi-sieste.
Ava se retrouva entourée d’officiers serviables en quelques secondes, tous prétendant connaître Jacoby, être Jacoby, ou être plus viril que Jacoby ne le sera jamais. Ils occupaient le hall du rez-de-chaussée, une petite pièce qui, une centaine d’années plus tôt, avait probablement été le vestibule d’une grande maison. Il abritait désormais des chaises pliantes et une table basse en stratifié couverte de magazines et de journaux pas très frais. Je ramassais un journal pendant qu’Ava faisait la cour, et parcouru vaguement une histoire d’acquisition de la compagnie locale de téléphonie cellulaire par un gros patron de l’île. Son nom était Bonds. Gregory Bonds. Je gloussais à lisant son nom. Ah, oui, ça devait être le futur mari d’Ava, le gars avec un stupide chauffeur. La flagornerie des journalistes me dégouta de poursuivre ma lecture.
Lorsque le vrai Jacoby se présenta, j’eus un choc. Il était un Shrek noir, pas le dieu d’ébène exotique que j’avais imaginé convenant à la beauté sulfureuse d’Ava. Ava gloussa comme une poule, ce qui me laissa bouche bée, et jeta ses bras autour de son cou sous un concert de murmures masculins déçus, de grognements et de bruits de bécotages humides. Beurk. Les autres policiers se dispersèrent, disparaissant derrière des portes et par un escalier visible dans une pièce adjacente au hall.
- Katie, voici Jacoby. On a été copains d’école depuis la maternelle. Jacoby, Katie.
Il me tendit sa main.
- Darren Jacoby.
Je la saisis.
- Ravi de vous rencontrer, Officier Jacoby. Je suis Katie Connell.
Jacoby pointa du geste vers l’une des pièces jouxtant le hall, et s’engagea dans cette direction. Il ouvrit la porte en bois massif donnant sur une salle de conférence vide, aux murs intérieurs épais en béton. Construite pour résister à Mère Nature. Il y avait là une table métallique pliante et d’autres chaises pliantes identiques à celles du hall. Encore une fois, mon esprit identifia les origines de la pièce. Je décidai qu’elle avait été une chambre. Nous prîmes place autour de la table.
- Alors, Ava, je suppose que je n’ai pas rêvé de ton plan cul d’hier soir, commença-t-il.
S’il existait un exemple d’espoir éternel, c’en était un.
- Tu rêves d’un plan cul, mais c’est moi qui t’ai appelé, répondit-elle. Katie a besoin d’aide. Ses parents sont morts à St Marcos l’année dernière, pendant leurs vacances.
Il détourna son attention d’Ava.
- Je suis désolé, Mlle Connell, dit-il.
- Katie, s’il vous plaît. Merci.
Il me fit signe de continuer à parler.
Ava voulait-elle continuer la conversation ? Je décidai qu’elle ne le voulait pas et je pris le relais.
- La police nous a dit, à mon frère et à moi, que nos parents étaient morts dans un accident de voiture. Je ne voudrais pas offenser la police de St. Marcos, mais, compte tenu des circonstances telles qu’elles nous ont été expliquées, cela semble incohérent. Ça ne leur ressemble pas. J’espérais pouvoir parler à l’officier qui a travaillé sur l’affaire, et peut-être voir le dossier. Pour aplanir mes doutes, me faire à l’idée. Expliquais-je.
Il plissa les yeux.
- Connaissez-vous le nom de l’officier ? Demanda-t-il.
- Non, je ne sais pas, répondis-je. Je suis désolée.
Collin saurait cela. J’aurais dû lui demander.
- Leur nom est Connell ?
- Oui. Frank et Heather Connell.
Sans un autre mot, il repoussa sa chaise. Un des pieds avait perdu son coussinet, et elle raclait le sol, ce qui me rappela Shreveport, et Nick. Jacoby quitta la pièce.
- C’était abrupt, dis-je à Ava.
- Ils ont tendance à se serrer les coudes, surtout si tu n’es pas du coin, dit Ava. C’est pourquoi je t’ai dit hier soir que tu avais besoin de moi pour t’accompagner, et que nous devions travailler avec Jacoby, du moins autant que possible.
Une pensée me traversa l’esprit.
- J’espère qu’il n’était pas l’officier chargé de l’affaire. Si c’était lui, je viens juste de l’accuser d’avoir bâclé son boulot.
Ava ne répondit pas, un sourire de Mona Lisa sur les lèvres. Les secondes défilaient sur l’horloge murale derrière elle. Une minute passa, puis une autre, et encore une autre. Ava sortit son téléphone et commença à jouer avec. J’éloignai ma main de ma bouche, réalisant trop tard que j’avais arraché la cuticule de mon index. Une goutte de sang avait perlé.
Puis Jacoby revint, sa carrure remplissant la pièce. Il tenait un dossier sous un bras et une petite feuille de papier dans son autre main.
- J’ai parlé à mon patron, le chef adjoint. Tutein. Il m’a dit de vous donner ça. Il parlait « ma langue », au lieu de son patois précédent. Il me tendit le bout de papier qui avait été arraché d’un carnet de notes.
Une adresse était écrite au crayon : Walker, 32 King’s Cross.
- Est-ce le nom de l’officier ? Demandais-je.
- Non, l’officier qui travaillait sur l’affaire s’est noyé il y a onze mois, dit Darren, d’une voix sans émotions. Il ne donna pas de détails. Je n’en demandai pas.
- Je suis désolé d’entendre ça. Et le dossier ? Je peux le voir ?
Il me lança un regard noir.
- C’était juste un incident de circulation. Il se frotta l’arrière du cou de la main. Nous avons le rapport d’accident. Je vous en ai fait une copie. Peut-être que le médecin légiste a plus d’information.
Il me tendit le dossier, puis l’ouvrit en le retournant. Une page. Je la pris avec précaution, mes yeux traçant les noms de Frank Connell et Heather Connell. Je parcouru le reste jusqu’à ce que j’arrive au nom de l’officier de police qui avait répondu à l’appel. Tapé proprement, je pouvais lire Michael Jacoby. Signé d’une main ferme et rapide par George Tutein. Jacoby. Mais pas ce Jacoby, parce que ce Jacoby - Darren - était très vivant.
- Walker est un détective privé, le seul de St. Marcos. Tutein dit que Walker connaît tous ceux qu’il doit connaître sur l’île, et qu’il travaille pour quelques-unes des plus grandes entreprises. Peut-être qu’il peut vous aider. Jacoby commença à s’éloigner, puis se retourna.
- Mais vos parents sont morts dans un accident de voiture. On dirait qu’il n’y a pas grand-chose à découvrir pour vous.
- Donc il n’y a personne ici à qui je peux parler ? Une bouffée de colère commençait à m’envahir.
- Juste Michael. Et il est mort. Il regarda Ava.
- Content de te voir. Il tourna les talons et sortit.
Mes joues et mes oreilles brûlaient. Cette conversation avait tiré toutes mes sonnettes d’alarme. J’ouvris la bouche mais Ava porta son doigt à ses lèvres. Je la fermais et je serrais les dents. Elle fit un signe de la tête vers la sortie, puis se dirigea vers la porte, en beuglant à tous ceux qui étaient à portée de voix
- Un agréable bon après-midi à vous.
Un mur de chaleur moite m’attendait à la porte, mais je ne m’arrêtai pas, déjà échauffée par ma frustration. Deux officiers passèrent devant nous et entrèrent dans le bâtiment, et nous fûmes soudainement seules. Je plissai les yeux et cherchai mes lunettes de soleil.
Consciente de leur amitié, je tentais de calmer ma fureur.
- Ava, je sais que c’est ton ami, mais n’as-tu pas l’impression qu’il s’est foutu de moi ? Je sais que je ne suis pas d’ici, tout ça me laisse une mauvaise impression.
Les yeux d’Ava balayaient de gauche à droite.
- Chut, Katie. Les choses se passent différemment ici qu’aux États-Unis.
J’ouvris mon côté de la voiture et déverrouillai les autres portières. Nous montâmes dans la voiture.
- Laisse-moi voir ce rapport, dit Ava.
Je lui tendis l’enveloppe. Il n’y avait pas grand-chose à voir. Un accident de voiture, plongeon d’une falaise, atterrissage dans les rochers en dessous. Le conducteur et le passager décédés. Mes parents.
Sans quitter la feuille des yeux, Ava demanda :
- Pourquoi es-tu si sûre que leur mort n’est pas un accident ?
- Je ne suis pas sûre. Je crois beaucoup à l’intuition, et c’est juste un sentiment que j’ai, à partir de petites choses qui n’ont pas de sens. Comme le fait que ma mère portait toujours l’alliance de ma grand-mère, mais la police ne l’a jamais trouvée. Pas sur elle, ni dans ses affaires à l’hôtel. J’ai trouvé ça bizarre. En plus, j’ai parlé à mes parents cette nuit-là. Ils avaient dîné, et ils étaient sur le chemin du retour à la Fleur de Paon. Ils m’ont appelé pendant qu’ils conduisaient. Ils avaient l’air heureux. Et l’instant d’après, ils étaient morts.
Merde. Mes yeux commencèrent à fuir.
- Okay, okay. Il est dit ici que ton père était ivre. Sa voix était devenue plus formelle. Plus sérieuse.
- Oui, c’est l’autre chose qui me dérange. Mon père était un alcoolique repenti. Il n’avait pas l’air d’être saoul quand je lui ai parlé au téléphone. Et je n’arrive pas à imaginer ma mère restant là à le regarder picoler.
Maman s’était occupée d’enfants de maternelle pendant vingt ans, un travail dont elle aimait à dire que ça l’entraînait à s’occuper de mon père. Elle était à la fois tendre et très déterminée. Seul sa grossesse surprise avec Collin avait fait dérailler ses plans pour devenir avocate.
- Peut-être qu’elle n’avait pas remarqué ? Suggéra Ava.
- Peut-être. Je ne sais pas Tout est possible. Je lui fis une confession.
- C’est ce que pense mon frère. Collin. Il est officier de police. Quand il a appris la mort de mes parents, il a appelé ici et parlé à un officier. Collin a dit qu’il était gentil, qu’il était serviable, et qu’il a dit qu’ils voyaient tout le temps des touristes sur St. Marcos, conduisant en état d’ivresse et se mettant dans de mauvaises situations. Collin pensait que papa avait peut-être rechuté et qu’il le cachait à ma mère.
Ava posa sa main sur mon avant-bras.
- Je déteste dire ça, Katie, mais les touristes et les conducteurs ivres sont la même chose pour nous.
Cela n’aidait pas mes yeux à sécher.
- Mais ton copain a agi si bizarrement. Tu ne crois pas ?
Elle me regarda, et ses yeux étaient doux et tristes.
- L’officier sur cette affaire, celui qui est mort...
- Michael Jacoby ?
- C’était le frère de Darren. Son petit frère.
- Je suis désolée. Oh mon Dieu, je suis tellement désolée. Je me sens égoïste. Je...
Un coup sec sur la vitre derrière ma tête me coupa court. Je poussais un glapissement en sursautant, me cognant la tête contre le toit. Ava pris une goulée d’air.
Je me retournai et me trouvai face à face au large visage de Darren Jacoby dans l’encadrure de la vitre. J’essayais de l’ouvrir mais les boutons ne répondaient pas. Ce n’est qu’à ce moment-là que je me suis rendu compte que nous étions assises dans une voiture en plein soleil, sans vitres baissées ni climatisation. Je tournai la clé et démarrai le moteur, puis je baissai la vitre.
Ava se pencha sur moi, et prit son accent local.
- Jacoby, tu nous as collé la trouille.
Il ne souriait pas.
- Je voulais lui dire... il me regarda directement,
- Pour dire que je suis désolé pour vos parents. Je sais que c’est dur de perdre quelqu’un qu’on aime. Je sais que ça vous fait poser des questions. Mais mon frère était un bon flic, et je lui fais confiance. S’il a dit qu’ils sont morts dans un accident de voiture, c’est ce qui s’est passé.
Il était repassé à l’accent local.
- Je suis désolée pour votre frère, lui dis-je.
Il inclina la tête, baissa les yeux, puis les remonta à nouveau pour rencontrer les miens.
- Bonne journée, Mlle Connell.
Je remontais la vitre alors qu’il s’éloignait. J’étais plus confuse maintenant que je ne l’avais été avant d’arriver à la station. Il aurait été préférable de laisser tomber, de faire confiance au jugement de Collin, de chercher la paix plutôt que les problèmes. Je le savais. Normalement, je faisais aussi entièrement confiance à Collin. Mais il avait eu des problèmes sentimentaux juste avant la mort de maman et papa. Sa fiancée l’avait largué pour une femme, et il n’était tout simplement pas lui-même alors, distrait par ses propres problèmes. Si j’avais des doutes, alors je le devais à mes parents de faire ce que je faisais. Je les avais laissés tomber pendant un an, laissant tout le reste être plus important que mon intuition, qu’eux, et tant qu’une once de doute subsistait en moi, je devais continuer.
Je me dégageai de ma place de parking et pris la route.

Chapitre 9
Taino, St Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Quinze minutes plus tard, Ava et moi étions assises dans le bureau d’un certain Paul Walker au 32 King’s Cross Street. Son bureau était une longue pièce étroite dont les murs et le sol étaient recouvert de briques rouges. Il avait probablement été autrefois une ruelle ou un passage pour piétons. Il était coincé entre une boutique de friperie et un magasin de disques à l’abandon avec des albums couverts de poussière en vitrine et qui dégageait une impression de déchéance, de décrépitude. Je me demandai s’il renfermait des trésors cachés dans ses profondeurs. Probablement pas.
Walker se rendit au fond de son espace jusqu’à un mini-réfrigérateur, duquel il extirpa deux bouteilles d’eau. Il essuya les bouteilles et les bouchons avec la manche de sa chemise en claudiquant sur le sol inégal devant nous. Les murs se resserraient derrière lui, projetant son ombre vers l’avant, du moins c’est ce que mes yeux me disaient. Ça ressemblait au palais des glaces d’une fête foraine de bas étage.
- Parlez-moi donc de l’affaire, Mlle Connell, commença Walker en nous tendant les bouteilles avant de s’asseoir derrière son bureau.
Je n’avais travaillé en étroite collaboration qu’avec un seul autre détective auparavant : Nick. Quel contraste entre Walker et lui. Le ventre de Walker lui donnait l’air d’être enceint de cinq mois sous son t-shirt publicitaire Cruzan Rum. De la sueur perlait sur son front. La pièce empestait la malpropreté. Si j’avais eu un mouchoir sur moi, j’aurais pu y enfouir mon nez, après avoir nettoyé ma bouteille d’eau avec. Je posai la bouteille sur le sol à côté de moi.
- Mes parents ont passé une semaine à St Marcos l’année dernière. Ils sont venus ici pour leur quarantième anniversaire de mariage. Ils passaient un bon moment, et ils m’appelaient chaque jour. Un sentiment de culpabilité me traversa à l’idée de l’irritation que j’avais ressentie en voyant quotidiennement leur numéro sur mon téléphone. Des gens que j’aimais interrompant une vie que je n’aimais pas, et ils m’irritaient.
- Ils ont participé à toutes les activités habituelles pour touristes. Ils ont pris un catamaran pour aller sur l’un des atolls. Ils ont fait de la randonnée dans la forêt tropicale. Ils sont allés sur une plage isolée pour faire de la plongée. C’est comme s’ils avaient retrouvé leur jeunesse. Ils m’ont même appelé un jour pour me dire qu’ils étaient tombés sur deux personnes faisant l’amour sur la plage, littéralement. Ma mère gloussait comme une adolescente en me racontant l’histoire, un grand homme blond aux cheveux touffus et une petite femme noire, m’a-t-elle dit. Mais elle s’amusait bien. Elle a tout aimé de ce voyage.
Va droit au but, Katie. C’est drôle comme je pouvais être éloquente sur les problèmes des autres, mais si maladroite sur les miens. Je terminais le reste de mon histoire sans m’étaler sur des détails non pertinents.
Les yeux de Walker scrutaient mon visage pendant que je parlais. Une fois terminé, il resta silencieux, tapotant lentement son stylo contre ses lèvres.
- M. Walker ? Avez-vous des questions ? Demandais-je.
- Oh. Désolé. Vous me rappelez quelqu’un que j’ai connu, répondit-il. Son commentaire rampa sur ma peau comme un scorpion.
- Oui, juste quelques questions pour m’aider à démarrer. Avant la mort de vos parents, où sont-ils allés dîner ?
Je me souvenais de ça. Ils avaient adoré le restaurant et y sont retournés pour leur dernier dîner.
- Chez Fortuna’s. Vous connaissez ?
- Oui, c’est un endroit très populaire.
Mes yeux s’arrêtèrent sur le certificat encadré des dix ans de service de la police de New York, cloué sur le mur au-dessus de son épaule gauche. À côté, la photo de pêche obligatoire quand on vit sur une île : Walker, un homme noir de la même taille et un homme blond encore plus grand, debout sur le pont arrière d’un bateau nommé Big Kahuna, tous les trois soutenant un énorme marlin.
Ava pris la parole pour la première fois depuis que nous avions échangé nos salutations au début de l’entretien.
- Baptiste’s Bluff pas exactement sur le chemin du restaurant à l’hôtel.
Walker l’ignora et s’adressa à moi.
- A votre connaissance, sont-ils allés ailleurs cette nuit-là ?
- Pas que je sache.
- Le casino ? Une promenade au clair de lune sur la plage, peut-être ?
- Je suis désolée, je ne sais pas. J’ai le rapport d’accident de la police, cependant. Et ils ont dit que le médecin légiste pourrait également avoir un rapport. Je lui tendis le dossier de police, il le saisit, l’ouvrit et le posa devant lui.
- Okay, je vais demander ça au médecin légiste.
- Aussi... J’hésitais, regardais Ava, puis continuais.
- L’officier qui a enquêté sur leur mort est décédé peu de temps après eux. Vous pouvez voir sur le rapport qu’il a été signé par un autre officier que celui qui a enquêté. Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose, mais...
Walker me coupa la parole.
- Je vais voir ça. D’accord.
Il jeta un coup d’œil au dossier ouvert et au rapport de police sur son bureau.
- Je pense que j’ai tout ce dont j’ai besoin de votre part. Il y a un acompte de cinq cents dollars, pour commencer.
Il fallait que je fasse quelque chose, mais est-ce que je faisais assez confiance à cet homme pour lui faire un chèque et le laisser s’occuper de l’enquête pour moi ? Dépenser l’argent de l’assurance dont je n’avais pas besoin me ferait-il me sentir moins coupable ? Je voulais appeler Nick et lui demander conseil. Je voulais sortir d’ici à toute allure. Je voulais un punch au rhum. Je voulais que maman et papa reviennent. J’avalai difficilement ma salive et sortis mon chéquier.
Pendant que je remplissais le chèque, il continua.
- J’ai pas mal de boulot en ce moment. Je sais que je ne pourrai pas commencer avant plusieurs semaines. Ce n’est pas une urgence, après tout, puisque vos parents sont déjà morts.
Une autre vague de chair de poule. Il avait raison, cependant. Grossier, mais exact. Je posais le chèque sur le bureau avec ma carte de visite par-dessus et le poussais vers lui du bout des doigts. Il laissa une traînée propre dans la poussière de son bureau.
- Eh bien, merci, Mlle Connell. Je vous contacterai, dit-il en saisissant le chèque avant que j’aie le temps de retirer mes doigts.
Alors qu’Ava et moi nous nous levâmes pour partir, il nous arrêta.
- Oh, une dernière chose. C’est mieux pour moi si je contacte directement les témoins potentiels. Cela interfère avec mon enquête quand mon client essaie de le faire lui-même. Donc, si vous le voulez bien, laissez-moi faire mon boulot, et profitez du reste de votre séjour sur notre belle île.
- Très bien, dis-je.
Et nous nous élançâmes vers la sortie, aussi vite que la politesse nous le permettait.

Chapitre 10
Taino, St Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Ava et moi marchions silencieusement sur le trottoir, comme un vieux couple marié plutôt que comme deux femmes qui s’étaient rencontrées quinze heures auparavant. Je marchais toujours devant elle, mais plus lentement. Physiquement, cependant, pas mentalement.
Lorsque nous arrivâmes à la voiture, Ava posa ses paumes à plat sur le toit.
- Dis-moi que tu as faim et que tu es prête pour un cocktail. Elle leva son avant-bras devant son visage comme pour consulter une montre imaginaire.
- Ouaip, c’est vraiment l’heure de l’appel de l’estomac.
- Je dois voir Baptiste’s Bluff, lui dis-je. J’ai juste besoin de voir l’endroit. Je ne pense pas que je puisse laisser ça à Walker et continuer à vivre sans me rendre compte par moi-même.
Ava pris une pose dramatique, les bras en l’air, les doigts pointant vers le ciel, et roula les épaules avec une emphase dramatique.
- Bien sûr, tu dois te rendre compte. Elle abandonna sa pose théâtrale et se pencha vers moi.
- Et je vais t’y conduire, mais tu auras un sandwich au poisson volant dans une main et une bière dans l’autre quand on y arrivera. Elle pointa vers une rue sur notre gauche.
- Tu conduis, et c’est par là.
Après avoir remonté dans la Malibu brûlante, nous quittâmes la ville par la route scénique, vers la côte nord sinueuse, bleu à droite, vert à gauche. Fenêtres baissées, nous laissâmes le vent emmêler nos cheveux. J’avais besoin d’un ouragan force quatre pour purger mon système de ces contrariétés, mais une forte brise côtière ferait l’affaire pour le moment. Nous passâmes devant une marina. L’odeur du diesel et des charognes de poissons envahit l’habitacle pendant un moment, et j’expirais par le nez. Je repoussais une mèche de cheveux que le vent poussait devant mes lèvres et je pris une gorgée de la bouteille d’eau du bureau de Walker. Cette bouteille que j’avais frottée avec une lingette désinfectante trouvée dans le fond de mon sac à main après être montée dans la voiture.
Après dix minutes de route, Ava désigna une cabane sur la plage.
- Gare-toi là, ordonna-t-elle.
La cabane était en fait un petit restaurant de plats à emporter, avec un bar et quelques tabourets de plage. Elle ne portait pas de nom que je puisse voir. Ava enleva ses/mes chaussures et sortit de la voiture, et je fis de même. Nous marchâmes dans le sable jusqu’à la cabane sans nom où un couple de chiens nous accueillit.
- Des ramasseurs de noix de coco, expliqua Ava. Elle leur donna l’ordre de rentrer d’une voix plus grave que celle que je lui connaissais, et les chiens obéirent en remuant la queue.
Ava héla le propriétaire comme s’il était un vieil ami et lui a passa notre commande. Il tendit la main vers moi et j’y déposais un billet de 20. Il cligna des yeux et tendit son autre paume. Je sortis un deuxième billet de 20. Il hocha la tête, et je plaçais l’autre billet dans sa main. Il jeta l’argent sous le comptoir dans un panier et se retourna vers ses friteuses, rentrant ses joues dans l’espace creux où auraient dû se trouver ses molaires. Pas de monnaie. Le paradis n’était pas bon marché.
Ava grimpa sur l’un des tabourets du bar et a fit face à la mer. Je l’imitais. Quel décor pour un déjeuner. Je pourrais m’y habituer. Je posai mes pieds sur la barre du tabouret et mes coudes sur mes genoux, le visage dans mes paumes.
- Le déjeuner est toujours aussi cher sur cette île ? Demandais-je.
- Ben ouais. Si tu n’es pas d’ici.
J’étais indignée.
- Donc il t’aurait fait payer moins que ce qu’il m’a fait payer ?
Elle renifla.
- Lui ? Non, c’est un voleur. Mais en général, il y a une remise locale.
Oh d’accord. Je n’étais pas surprise. Je fis rouler ma tête, appréciant quelques craquements de cou. L’océan m’appelait.
- Ça te dérange si je me trempe les orteils pendant qu’on attend ? Demandais-je à Ava.
- Non, vas-y. Je reste ici et je t’appelle quand la bouffe est prête.
Le sable était chaud, presque brûlant. Mes pieds s’enfonçaient le talon en premier, ralentissant ma marche. Plus je me rapprochais de l’eau plus le sable devenait ferme et froid. Je n’hésitais pas. J’entrai dans l’eau, d’abord jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux genoux. Je remontai ma robe blanche de quelques centimètres. L’eau affluait contre mes genoux, puis la vague monta jusqu’à mes cuisses. Quand elle reflua devant mes jambes, je sentis la douce brise commencer à sécher ma peau. Je pouvais voir mes orteils sur le sable blanc à travers l’eau claire, et je les remuai. Une autre vague arriva, me soulevant presque. Un banc de petits poissons argentés tournait autour de moi, à quelques centimètres seulement de la surface.
- Katie, appela Ava. C’est prêt !
J’aurais pu rester là pendant des heures. Mais je revins vers la plage, m’éclaboussant à chaque foulée. J’imaginais ma mère, je me demandai si elle avait fait la même chose, si elle l’avait fait ici, sur cette plage. Si le vieil homme qui m’observait depuis la hutte l’avait vue, il devait penser que je lui étais familière. Depuis mon adolescence, les gens disaient qu’on pouvait passer pour des jumelles. Maman roulait les yeux et répondait : « De 100 mètres pour un septuagénaire myope. » Elle avait tort, cependant. Elle était morte bien trop jeune.
Je rejoignis Ava et nous embarquâmes nos sandwichs et nos accras au poisson emballés dans du papier gras dans la voiture. L’accras est un genre de pain frit, l’équivalent caribéen des beignets ou des sopapillas pour les Mexicains. Juste ce dont ma cellulite avait besoin. Sauf qu’en réalité, c’était à cause du manque d’exercice au cours des cinq dernières années, après avoir arrêté le karaté, et bien trop de calories. Ava tenait aussi les goulots de deux bouteilles de Red Stripes glacées entre ses doigts.
- C’est encore loin ? Demandais-je.
- Dix minutes, répondit-elle.
Après avoir conduit un autre kilomètre le long de la côte, nous tournâmes tout droit vers l’intérieur des terres en remontant. Je détestais quitter la sérénité du rivage. Les huit dernières minutes de notre trajet se déroulèrent sur des chemins de terre parsemés d’ornières qui disparaissaient dans des buissons denses à chaque virage.
- Ce n’est pas un endroit à explorer tout seul, dit Ava en désignant l’une des routes secondaires. Trop isolé.
- C’est magnifique ici, pourtant, rétorquais-je.
En fait, j’étais choquée de voir à quel point l’endroit était grandiose. Différent du rivage, évidemment, mais différent dans le bon sens, un sens qui était parfait. Les arbres étaient plus grands et se rencontraient au-dessus de la route, créant une arche au-dessus de nous et atténuant le bruit du ressac contre le sable et les rochers à seulement un kilomètre de là. Je vis un éclat de plumes dans un des arbres.
- C’est un ara ?
- Ben ouais. Ils vivent ici.
Je ne savais pas si je pourrais un jour être aussi blasée qu’Ava de cette flore et de cette faune. Je m’imprégnais de la scène : des orchidées plus belles que des fleurs de serre, des lianes flamboyantes fuchsia, rose et orange se dressant fièrement, me rappelant les mimosas de chez moi.
- Tourne ici, dit Ava, et je virais à droite, dans la direction générale de l’eau, mais à des centaines de mètres au-dessus.
Nous roulâmes trois cents mètres de plus, puis nous sortîmes des arbres. Le changement de notre environnement fut soudain, nous arrachant à la tranquillité de la forêt. Mon humeur se dégrada de même. De qui je me moquais ? Mes émotions étaient à vif, et mon humeur montait et descendait les octaves plus vite que Sarah Brightman dans le Fantôme de l’Opéra.
- Tu peux te garer où tu veux, indiqua-t-elle.
J’arrêtai la voiture pour me garer, puis coupai le moteur et retint ma respiration.
Me trouver à l’endroit où mes parents étaient décédés, c’était comme entrer dans les églises ornées de la Vallée de la Nativité au Texas. Nous y étions allés en famille lors d’un court voyage en voiture à La Grange quand j’étais au collège. Dans ces vieilles églises en bois, je savais que j’étais en présence de quelque chose de saint et de puissant, et que sous leurs toits, les problèmes de la vie et les bénédictions étaient liés, tout comme ici, là où la forêt tropicale se mêlait aux falaises. Où la vie rencontrait la mort.
Ava avait sauté de la voiture, à nouveau pieds nus et se dirigeait vers un chemin escarpé. Je trainai derrière elle. Je voulais tout absorber. Je voulais sentir mes parents à nouveau, et je voulais qu’ils sachent que j’étais venue sur ces lieux, qu’ils avaient compté pour moi. Que si je n’accomplissais rien d’autre au cours de ce voyage, je pourrai au moins leur dire au revoir.
- Je vous aime, maman et papa, chuchotais-je.
Ava avait franchi la colline et en trois pas, elle disparut. J’accélérais le pas. Je haletais en arrivant sur la crête et je dû faire un pas en arrière à cause d’un vertige. Le sol descendait sur trente mètres, puis disparaissait tout simplement. Au-delà, il n’y avait que le ciel, qui se confondait avec la mer des Caraïbes à l’horizon.
- Ils n’ont pas été les premiers à tomber de cette falaise, dit Ava sur un ton solennel.
- Oh mon Dieu, dis-je, sans pouvoir trouver d’autres mots. Je m’affalai dans l’herbe. Assise sur un monticule et tentais de rassembler mes pensées. Pourquoi ? Pourquoi étaient-ils venus à cet endroit précis ?
- C’est en quelque sorte notre coin des amoureux, dans un sens rude et inaccessible. Beaucoup de filles que je connais ont perdu leur virginité ici. Il a également été le site de quelques suicides d’amoureux. Il a toujours eu cette atmosphère romantique à laquelle les gens ne peuvent pas résister.
Je réfléchissais à ses mots. Est-il possible que mes parents aient recherché cet endroit ? Un dernier frisson pour leur anniversaire de mariage ? Je les imaginai tous les deux, main dans la main, yeux dans les yeux. Je l’espérais. Quelque chose en moi ne le croyait pas, mais Dieu, je l’espérais.
- Au-revoir, maman et papa, murmurais-je. Je fermais à nouveau les yeux, comptais à rebours à partir de cent en essayant de ne penser à rien et j’ouvris mon cœur au ciel.

Chapitre 11
Baptiste’s Bluff, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Nous nous éloignâmes de Baptiste’s Bluff pour retraverser la forêt tropicale une demi-heure plus tard. J’avais retrouvé une partie de mon équilibre mental, suffisamment pour que la beauté des fleurs m’emporte à nouveau. Elles semblaient maintenant rendre hommage à mes parents. Compositions florales funéraires. La forêt tropicale n’était pas uniquement un plaisir pour les yeux, elle me faisait me sentir plus proche de maman et papa. Je détestais devoir m’éloigner.
- Tu sais, j’ai un ami qui organise des visites guidées de la forêt tropicale. Il a fait la navette avec son groupe depuis la Fleur de Paon. Tu devrais aller avec eux demain. Je vais l’appeler et le prévenir.
- Une randonnée ? Je ne suis pas une randonneuse. Mais je suis une excellente conductrice. Est-ce qu’il fait aussi des visites guidées en voiture ?
- Non. Il est botaniste. Arrête d’argumenter et suis-le. Ça va changer ta vie.
La totalité de ce séjour avait déjà l’air de changer ma vie, et je n’avais été sur place que depuis 24 heures.
Je succombai à une bouffée d’honnêteté.
- C’est pourquoi je suis ici, tu sais. Pour changer ma vie. Ou je suis censée le faire, en tout cas, autant que je peux en une semaine. Mon frère a vraiment insisté. Il pense que je bois trop. J’essaie de passer au-delà des symptômes et de remonter à la source. Ce n’est pas l’alcool. C’est mes parents. Mes mauvaises décisions. Courir après le mauvais gars. Tout ça et plus encore. Mes mots se trainaient, gênée de ne pas pouvoir les réexpédier à l’endroit d’où ils étaient sortis.
Ma confession n’impressionna pas Ava.
- La plupart des gens fuient quelque chose quand ils viennent ici. La plupart du temps, ils doivent comprendre s’ils fuient la bonne chose, ou si c’est la mauvaise chose qui les poursuit.
Sa déclaration était profonde. J’en avais fini avec la philosophie pour la journée, alors je gardai le silence.
Ava continua.
- Tu as dit que ton père était alcoolique ? Je crois avoir lu que c’est génétique, déclara-elle.
- Ouais.
Peut-être. Sauf que je n’étais pas Amy Winehouse.
- Beaucoup de gens qui s’installent ici deviennent alcooliques, dit-elle. C’est un environnement difficile pour arrêter de boire.
- J’avais un peu remarqué ça.
Au moins, elle ne s’était pas arrêtée sur le fait que je courais après le mauvais gars, mais j’étais prête à en finir avec le sujet des problèmes de Katie. Nous étions presque de retour en ville.
- Où est-ce que je te dépose ? Demandais-je.
- Emmène-moi chez moi pour que je puisse me changer. J’ai un rendez-vous plus tard, mais tu peux rester avec moi jusque-là.
- Tu ne chantes pas ce soir ? Demandais-je.
- Pas officiellement.
Quoi que ça veuille dire.
On s’arrêta devant la maison d’Ava et elle me fit signe d’entrer. C’était petit, mais propre. Mignon, avec des meubles en osier et des coussins blancs moelleux. Je regardai ses photos jusqu’à ce qu’elle sorte de sa chambre habillée d’une courte robe turquoise scintillante avec un décolleté en trou de serrure. Elle portait des sandales blanches à talons hauts qui reprenaient le design du décolleté de la robe dans le travail du cuir.
- Est-ce que c’est celui auquel je pense ? Demandais-je, en montrant une photo d’une Ava plus jeune avec un acteur magnifique et reconnaissable.
- Ouais, j’étais à l’école avec lui à NYU. Ne le dis à personne, mais il est gay. Tous ceux qui sont vraiment beaux sont gays. Elle fourra un tube de brillant à lèvres dans son sac à main blanc.
- Prête ?
- Ça dépend de ce pour quoi je dois être prête, mais, en général, je suis prête à partir.
- Tu parles comme une avocate.
- En fait, je suis une avocate.
- Oh, ça explique beaucoup de choses, dit-elle sur un ton qui laissait entendre que j’avais beaucoup de choses à expliquer.
- Ouais, ouais, ouais. Mais à quoi suis-je censé être prête ?
- À chanter.
J’éclatai de rire.
- Tu m’as surprise. Et non, je ne suis pas prête à ça.
- Très bien. Alors allons au casino. Ils ont un buffet et des boissons gratuites.
Il n’y avait rien à redire, alors j’acquiesçais.
Après un arrêt à mon hôtel qui dura plus longtemps que prévu pour pouvoir répondre à des courriels de travail, nous arrivâmes au casino Porcus Marinus. Le casino se trouvait sur la rive sud, à côté d’une station touristique du même nom et faisant face à une plage de sable blanc. La pleine lune se reflétait sur la surface de l’eau plissée par les vagues. De notre côté de la route se trouvait un énorme bâtiment ressemblant à un bunker avec son parking attenant, le plus large de l’île. Nous montâmes les marches du bunker et passèrent sous une énorme banderole au-dessus de la porte qui annonçait : « Soirée karaoké ».
- Soirée karaoké ? Demandais-je à Ava en plissant les yeux.
- C’est le destin, rétorqua-t-elle.
Après quelques pas à l’intérieur, je me mis immédiatement à tousser. La fumée de cigarettes s’accumulait vers les plafonds hauts du casino. Pour la première fois depuis mon arrivée à St Marcos, J’avais l’impression d’un minuit éternel. Pas de fenêtres. Beaucoup de bruit, cependant, au-dessus du bruit de fond des tintements des machines à sous éclataient les rugissements à intervalles réguliers des jeux de tables.
Et un autre bruit. En arrière-plan, j’entendais la voix d’un DJ qui faisait la promotion du karaoké auprès de la foule environnante.
- Qui sera le prochain ? Est-ce que c’est vous, ma belle ? Ou vous, monsieur, là-bas dans la chemise que vous avez empruntée à Jimmy Buffett ?
Ava me donna une petite poussée entre les omoplates en direction de la scène. L’endroit était bondé, et il n’était même pas encore neuf heures. Nous nous faufilâmes entre des Antillais moroses et quelques touristes titubants. La plupart d’entre eux auraient mieux fait de dépenser leur argent pour un repas décent ou des vêtements frais.
Une observation étrange et malvenue me frappa. Le Porcus Marinus n’était pas différent du bref aperçu que j’avais eu de l’intérieur du casino Eldorado à Shreveport. Je balayai cette idée de ma tête. C’était différent. Un monde à part, différent. Il n’y a pas de quoi avoir honte, différent. Je levais le menton un peu plus haut.
Lorsque nous arrivâmes à la scène, Ava ne s’arrêta pas. Elle passa devant moi pour rejoindre le DJ.
- Mlle Ava, annonça-t-il dans son micro. Quelques personnes dans la foule applaudirent et sifflèrent.
- Ce sera quoi ce soir, ma belle ?
- Commence avec No Doubt, des Fugees, et... Elle se tourna vers moi. Quoi d’autre ?
- Je suis du Texas. Trouve moi du Dixie Chicks et du Miranda Lambert.
Le DJ répondit :
- Miranda quoi ?
- Oublie ça. Dixie Chicks.
- C’est les trois gonzesses blondes ? demanda-t-il.
J’étais sûre qu’elles adoreraient cette description, mais elles s’en sortaient mieux que Miranda, de toute façon.
- Oui.
- Ouais, je les ai.
Ava jeta son sac à main dans la cabine du DJ comme un frisbee. Je m’approchais et je posais le mien sur son comptoir.
- Est-ce que je peux ? Lui demandais-je.
Il avait déjà chargé le morceau « Underneath It All » de No Doubt et balançait la tête en rythme avec la musique qui sortait des enceintes et du casque qu’il portait. Il ne regardait pas dans ma direction. Ses yeux étaient rivés sur Ava.
- Et puis merde, marmonnais-je en me dirigeant vers une table devant la scène pour la regarder.
- Huh uh, dit-elle dans le microphone.
- Amène tes fesses sur la scène, ma fille. Son accent s’était épaissi.
La petite foule applaudissait maintenant plus fort.
Super, me dis-je. Je suis l’imbécile continentale. Le touriste bouffon.
- Je ne vais pas vieillir ici. Continua Ava, une main sur sa hanche. Oh ouais.
Je déambulai en soupirant jusqu’à la scène dans la robe blanche que je portais depuis le matin, montais les trois marches du destin et me posai à ses côtés, devant la toile de fond noire. Mon profil angulaire contrastait à côté de ses courbes et son allure provocante. Si tu dois faire ça, fais-le en style, pensais-je en redressant le menton.
La foule s’était jointe à Ava pour applaudir et m’encourager. Elle me tendit le micro et pointa vers l’écran du moniteur.
- Chante, ordonna-t-elle.
Alors je me mis à chanter. Puis ce fut son tour, puis ensemble, et c’était époustouflant. Ma voix nasillarde, capable d’atteindre les notes les plus aiguës mais pas assez forte, était entremêlée et renforcée par sa voix plus profonde, plus jazz. J’harmonisai avec elle dans les refrains, je l’accompagnai dans les couplets, puis elle me rendait la pareille. J’étais détendue et j’imaginais que mon attitude guindée s’était assouplie, du moins un peu. Je m’amusais.
Nous quittâmes la scène vingt minutes plus tard sous les ovations, même si elle ne se composait que de dix soulards et d’une petite dame aux cheveux bleus qui s’était perdue en revenant des toilettes.
- Maintenant, qui est assez courageux pour prendre la relève ? demanda le DJ. La foule lui répondit bruyamment.
- Pas moi, pas question, non monsieur.
Il posa un disque sur la platine, nous fit un signe de la main et partit en pause.
Je m’effondrai sur ma chaise.
- Champagne, dis-je en me tournant vers la serveuse qui nous avait suivis jusqu’à notre table.
- La même chose, dit Ava.
Elle griffonna notre commande et s’éloigna, me donnant la meilleure démonstration que j’ai vue jusqu’à présent de vie au ralenti.
- On déchire, Katie Connell, s’exclama Ava. Et bon sang, tu es encore plus grande sur scène.
Je n’avais pas chanté depuis des années, sauf dans la voiture et sous la douche. Je me sentais soudainement électrifiée. Vivante, d’une manière que je n’avais jamais ressentie dans la pratique du droit, ça c’est sûr.
- On arrache, dis-je en gloussant.
On arrache. Comme si c’était une expression que j’utilisais souvent.
- Ouais ma sœur, dit Ava.
Notre serveuse revenait vers nous avec deux boissons sur un plateau. Alors qu’elle passait devant une petite table ronde de l’autre côté de la zone de karaoké, une femme tendit la main et l’attrapa par le bras. Sa voix trancha à travers le bruit de la foule.
- Où est ma boisson ? Je l’ai commandée il y a cinq minutes.
- Je l’apporte sous peu, dit la serveuse en se dégageant de l’emprise de la femme.
- Je veux mon verre immédiatement. C’est ridicule. Où est votre patron ? demanda la femme, dont l’accent indiquait qu’elle venait probablement de New-York ou des environs.
La serveuse hocha la tête, sourit et répondit :
- Oh, oui, madame, je vous l’apporte tout de suite.
Elle continua vers nous, encore plus lentement cette fois. Une fois à notre table, Ava lui dit :
- Ouah, elle pense qu’elle est spéciale.
- Pour de vrai, convint la serveuse. Elle n’est pas près d’être servie.
Elle posa nos boissons sur la table et s’en alla.
- Qu’est-ce que je disais ? Me dit Ava.
- Je ralentis, je ralentis... dis-je.
Nous bûmes notre champagne servit dans des gobelets en plastique ornés de dauphins bleus. Je pris une gorgée et les bulles me chatouillèrent le nez. Je gloussais à nouveau. Je ne buvais jamais ce truc. Je ne gloussais jamais.
- Santé, dis-je en levant mon verre. Ava et moi trinquâmes nos gobelets l’un contre l’autre, éclaboussant nos bras de champagne. Un peu plus de gloussements.
- Est-ce que cette chaise est occupée ? demanda une voix grave. Un de nos fans, peut-être ? Ses larges épaules bloquaient le soleil, wahou. Sauf qu’il n’y avait pas de soleil dans le casino. Il bloquait la lumière des luminaires de pacotille. Le halo de lumière autour de la tête à qui appartenait la voix occultait son visage.
Ava reconnut la voix, cependant.
- Jacoby, assieds-toi, mon ami. Elle tapota le siège rembourré en simili-cuir à côté d’elle. Petite île.
Darren Jacoby, toujours dans son uniforme de policier, s’assit face à Ava, et les deux autochtones s’échangèrent la bise sur la joue. Il avait eu l’air plutôt bien pendant un moment, dans le noir.
- Bonjour, Mlle Connell, dit-il par-dessus son épaule.
Il n’avait vraiment pas l’air de vouloir m’appeler Katie. Bon, enfin.
- Bonjour, officier Jacoby.
- Je ne peux pas rester longtemps, dit-il à Ava. Je suis en service. Mon quart se termine à dix heures. Je faisais juste une ronde quand je t’ai vue. Qu’est-ce que tu fais ?
- Nous sommes allées voir le détective privé que vous avez recommandé, dis-je, m’adressant à son profil.
Il se retourna, sans expression.
- Eh bien, j’espère que ça se passera bien pour vous. Quand retournez-vous aux États-Unis ?
La subtilité n’était pas son fort.
- Dans cinq jours, répondis-je.
- Soyez prudente, alors. Il reporta toute son attention sur Ava.
- Tu veux qu’on se voie plus tard ? J’ai Love and Basketball en DVD.
Oh, bon sang, encore moins subtile. Il aurait pu aussi bien se placarder sur un panneau d’affichage.
- Oh, Jacoby, je ne peux pas. J’ai un rendez-vous.
Sa mâchoire se contracta et la colère traversa ses yeux si vite que je faillis ne pas l’apercevoir.
- Il y a toujours quelqu’un, n’est-ce pas, Ava ? Sa mâchoire se détendit. Ses larges épaules s’affaissèrent.
- Eh bien, une autre fois.
- Bien sûr, dit-elle.
- Je vais y aller, alors.
Ava et lui se firent à nouveau la bise, il se retourna, me salua de la tête, et s’éloigna avec la démarche d’un grizzly. Il ne m’aimait pas beaucoup, mais j’avais quand même de la peine pour lui.
Ava avait l’air triste.
- Il a toujours été comme ça. Il n’abandonne pas facilement. Elle sortit son téléphone et dit : Je ferais mieux de vérifier mon rendez-vous. Quelques clics plus tard, elle continua.
- Guy a réservé une chambre ici, sur la colline. Une suite. Ooo là là.
- Est-ce que tu vas me le présenter ? Demandais-je.
- Non. Il est très discret à notre sujet.
Elle pointa le quatrième doigt de sa main gauche et chuchota le mot « marié ».
- Il ne me contacte même pas lui-même. C’est comme si j’avais une affaire avec son assistant, Eduardo.
- Je suis désolée, dis-je, parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Ça me semblait assez arrogant et grossier.
- Oh, ce n’est pas un problème, dit Ava en chassant le problème imaginaire de la main.
- C’est un sénateur. Les gens le connaissent. C’est une petite île.
J’avais cru remarquer.
Je pensais à ce que je ressentais quand Nick m’ignorait en public. Et je n’avais même pas « une affaire » avec lui. Jacoby n’était pas non plus avec Ava, mais cela ne semblait pas l’empêcher d’éprouver une certaine aigreur à propos de son rendez-vous.
- Mais ça ne te dérange pas ?
Ava pinça les lèvres.
- Je ne suis pas amoureuse de lui, Katie. Il est sympa et il essaye de m’obtenir un rôle dans une émission pilote de télévision qui se passera ici. Nous satisfaisons nos intérêts mutuels. Je préfère les riches aux puissants, de toute façon, et il n’est pas riche. Elle prit une autre gorgée de champagne.
Je coinçai une mèche de cheveux derrière mon oreille. Un pilote pour une émission de télé ? Son gars sénateur avait dû être mon compagnon de beuverie pendant mon vol. Je décidai de ne pas en parler, puisqu’il m’avait dragué sans relâche. Hé puis, si leur arrangement ne dérangeait pas Ava, je n’allais pas m’en faire. Je serais peut-être plus heureuse si j’étais aussi détachée qu’elle. Peut-être. Mais probablement pas.
- Alors, qui est le mauvais gars, de toute façon ? demanda-t-elle.
- Quoi ? J’étais embrouillée, pensant pendant un moment que nous parlions encore de son type.
- Celui pour lequel tu n’es pas censée mourir d’amour.
Ah, lui. Je fis signe à la serveuse d’apporter plus de champagne. Puis, prudemment, je me frayai un chemin dans l’histoire, en essayant de ne pas buter sur des mines qui feraient exploser ma fragile trêve sentimentale.
- Tu es mieux sans lui. Déclara Ava. Je vais m’occuper de toi et te trouver un homme pour t’occuper l’esprit cette semaine.
- Pas d’hommes, Ava.
- Oh Alors t’es pincée ? On dirait que tu ne fais pas trop d’efforts pour le fuir.
- Je ne suis pas pincée. Je l’évite. Vraiment.
Ava n’avait pas l’air trop convaincue.
- Si tu le dis, Katie. Si tu le dis.

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