Читать онлайн книгу «Roulette Russe» автора May Freighter

Roulette Russe
May Freighter
« Vampires, démons, anges, magie, le monde en regorge. J'ai fait l'erreur de m'impliquer dans les ténèbres, et maintenant j'y suis jusqu'au cou. Je pense que mon ange gardien m'a abandonné… littéralement.
Qui pourrait penser qu'un simple toucher du doigt d'une corde d'âme scintillante pourrait bouleverser votre monde ? La vie d'Helena, 19 ans, change lorsque son esprit entre dans le Royaume des Anges à la recherche de son père. Mais, les choses ne se passent pas comme prévu. Contre les avertissements de son ange gardien, elle lie son âme à un vampire, une créature qu'elle pensait n'exister que dans les films d'horreur.

Lucious a passé son immortalité à rechercher les monstres qui ont tué sa dame. La dernière chose dont il avait besoin était de devenir vulnérable à cause d'un lien avec une fille imprudente. Pourtant, il réalise que ce lien pourrait tourner cela à son avantage. Estimant qu'Helena possède un grand pouvoir, il envisage de l'utiliser contre le Conseil comme monnaie d'échange.

Quand Helena rencontre le vampire charmant et terrifiant avec qui elle partage un lien émotionnel, elle se rend compte que sa vie ne sera plus jamais la même. Malgré son combat contre les manipulations de Lucious, elle ne peut pas nier leur attraction l'un pour l'autre. Alors que leur désir l'un pour l'autre s'intensifie, elle a besoin de savoir si elle peut lui faire confiance. Après tout, sa vie et son âme sont en jeu.


ROULETTE RUSSE
Séries Helena Hawthorn Vol. 1

MAY FREIGHTER
Table des matières
SÉRIES HELENA HAWTHORN (#ulink_5ee2e34e-4508-55a2-abad-e0740a8e8ba5)
Prologue (#ulink_935fdaf3-9567-5438-8960-62367b1f3263)
1 Le journal (#ulink_5a3ab7c5-6844-5914-823f-db6441d3ad07)
2 Domaine des destins (#ulink_72e14169-d6b2-5cf7-b48e-a7884c2433e3)
3 Traquée (#ulink_8c917cc4-edb0-5eca-85bd-ae07ee952516)
4 L’entretien (#ulink_1d5fca21-1486-56fb-ad82-04e2129012cc)
5 Kidnappée (#ulink_b254e18d-9a7c-58b3-b4f8-4776cec8ec0a)
6 Cauchemars (#ulink_fee3e003-6591-50b4-8e22-6280a4b966c1)
7 Un pacte (#ulink_5c0c5db9-ff61-5988-afc3-66c34774332e)
8 Morsures pas très amicales (#ulink_e7b93aaf-f9a5-54a8-9d56-e7a445588e45)
9 L’invitation (#ulink_1087e720-2d4a-5878-b153-70a12db3e383)
10 Âmes tourmentées (#ulink_60860873-32ec-5849-989c-e41206343da4)
11 Union d’énergies (#ulink_c2acf709-a744-54b0-aa9f-7853b607be24)
12 Russian Roulette (#ulink_063736bc-2e66-559f-92af-e6a2dfd795c5)
13 Le voyage (#ulink_fdf93bae-0267-589f-b3ce-123d9249b8ba)
14 Son Infant (#ulink_13aa2c69-b21b-5d2e-81a2-eed4d82b9ad6)
15 Au-delà des ténèbres (#ulink_1bc90cc8-82ce-5538-a90d-49032671d05a)
16 Cauchemars sans fin (#ulink_cc62b1c9-cbb6-5042-a8d3-655f71bcde08)
17 La vérité (#ulink_13796748-4b2b-50ec-8420-7e086844b9b6)
18 Père J. R. (#ulink_381f8c91-8931-56c3-a135-f91aed757901)
19 Nouveau ravisseur (#ulink_7abd2cda-8f98-5dc6-8889-231a0d763a61)
20 Seule (#ulink_02c6f941-4043-5d89-b4ed-6d2631527526)
21 Nouveau pouvoir (#ulink_c33ec6b7-7749-510f-9e90-74c10a793190)
22 Lumière et ténèbres (#ulink_047d8d00-1952-5f18-9d81-c59a24b01da0)
23 Le Conseil (#ulink_51b52e1c-b794-590b-b07a-94451cd5d569)
Épilogue (#ulink_47ac1e4a-0fc1-5445-b78c-60d6d6188b01)
Chapitre bonus Valentines hantées (#ulink_6dedad1d-02d3-5351-8448-42d5713b808e)
AVEZ-VOUS AIMÉ CE LIVRE ? (#ulink_8b8e79a3-a0ac-5593-9ab1-a820368f83e1)
A propos de l'auteur (#ulink_871e3698-5f9d-5798-8af8-93fe4237f4a3)
Dédicace (#ulink_818707ec-8238-55ac-9150-1dfb3993a291)
Remerciements (#ulink_8b0ac5bb-9352-52f2-908d-edf71f647d25)
Copyright © May Freighter, 2021.

May Freighter détient les droits d’auteur de ce travail en vertu de la loi 2000, l'amendement du droit d'auteur (droits moraux).
Cette œuvre est protégée par des droits d'auteur. À l'exception d’une utilisation autorisée par la Loi de Copyright, Designs and Patents Act 1988, aucune partie ne peut être reproduite, copiée, numérisée, stockée dans un système de recherche, enregistrée ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'autorisation écrite de l'auteur.
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le produit de l’imagination de l’auteur. Toutes les déclarations, descriptions, informations et documents de toute autre nature contenus dans le présent document sont uniquement inclus à des fins de divertissement. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des événements ou des lieux est entièrement fortuite.

Tous les droits sont réservés.

SÉRIES HELENA HAWTHORN
Alexander : Mémoires (Préquelle/Séries AVIL)
Russian Roulette
Les portes démoniques
Éboulement du contrôle
Désiré
Entretien monochrome (série AVIL)
Origines fatales
Bien-aimée
Affiliations des ténèbres
Vous découvrirez dans ce livre une terminologie utilisée dans la série Helena Hawthorn. En voici un petit glossaire :

Infant : Un humain changé en vampire.

Sire ou Dame : Un titre donné à un vampire géniteur d’un autre vampire, partageant son énergie avec un humain.

Conseil : Les vampires sont dirigés par sept conseils, dont le rôle est d’empêcher que le monde des humains les découvre et protègent leur peuple des attaques des chasseurs de vampires. Un Conseil est généralement composé de 4 à 5 membres, tous respectés et craints par leur communauté.

Loups-garous sont des vampires qui servent volontairement le Conseil ou qui sont engagés par les membres du Conseil. Leur nombre dans chaque conseil est en moyenne de 20 à 50 vampires, à l'exclusion des goules.

Dissipation est le déplacement très rapide et inhumain des vampires. Habituellement, un vampire peut parcourir des kilomètres sans ressentir de fatigue. S’ils vont au-delà de leurs limites, ils risquent de se déchirer les muscles des jambes, ce qui peut être atroce et lent à guérir s’ils n’ont pas de sang pour se nourrir.

Donneurs : les humains qui font un don aux vampires après avoir été affiliés à leurs cercles et avoir accepté la protection d'un vampire. Ils ont tendance à bien gagner leur vie et certains acquièrent même un pouvoir influent dans la société humaine grâce à leurs liens avec des vampires.

Humains sont tenus hors de la boucle par le surnaturel.

Goules sont des humains ayant bu du sang de vampire juste avant de mourir. L'échange d'énergie ne se produit jamais avec leur sire, comme il le ferait lors de la création d'un infant. Les jeunes vampires ont tendance à prendre cela comme un développement et à enterrer le corps dans le sol sans attendre, laissant la créature se réveiller avec l’envie irrésistible de se nourrir de la chair des morts.

Prologue
Helena frissonna au contact du mur en pierre. Son cœur se mit à battre la chamade en réalisant qu’elle avait les poignets ligotés. Elle tira de toutes ses forces, mais ses chaînes étaient inflexibles.
- Je crois qu’elle s’est réveillée, dit une voix rauque.
- Alors qu’on en finisse, lui répondit une autre.
Elle tourna sa tête dans la direction des voix. Le mouvement rendit sa vision trouble et elle plissa des yeux. Des caisses et des boîtes empilées étaient éclairées par une ampoule à faible puissance. Un homme chauve assis à une table, les pieds croisées, tenait un journal local dans ses mains musclées.
Le deuxième homme s'écarta du mur crasseux et s’approcha d’elle en traînant des pieds. Son sourire déroutant révéla une série de canines allongées.
Elle retint son souffle.
- T’es pas un peu trop jeune pour travailler pour Alexander ? lui demanda-t-il.
Il fit la grimace en arquant des sourcils. Son attention passa d’un ravisseur à l`autre. Elle ne travaillait pas pour Alexander, elle ne voulait jamais le revoir, ni revoir Lucious, d’ailleurs.
L'inconnu s'arrêta à un pied d’elle. Ses cheveux noirs et gras épars étaient collés à son cuir chevelu. Quelques mèches lui tombaient sur les yeux, voilant ses lourdes paupières. Il tendit la main, l’attrapa par les cheveux et tira fort pour lui relever la tête et la regarder dans les yeux.
- Je t'ai posée une question, humaine !
Elle plissa le nez. Son haleine lui donnait envie de vomir - un mélange de tabac bon marché, de bière et d’on ne sait quoi d’autre. La panique ne résoudra rien, pensa-t-elle, mais son cœur ignora cette tentative de rationalisation.
- Je ne travaille pas pour lui, dit-elle surprise par le ton inébranlable de sa voix.
Il fit un signe de main vers sa chemise et son pantalon élégants.
- On t'a vu sortir de son club, habillée comme ça.
Helena se retint de rouler des yeux. S'il avait été à l'intérieur de son établissement, il aurait su que le personnel d'Alexander ne portait pas d'uniforme. Ah, si, les videurs en portaient…
- C'est ce que les gens portent pour un entretien !
Ses yeux brillèrent d'une lueur gris clair et elle regretta aussitôt son ton grossier. Elle tressaillit sous son regard menaçant, qui lui rappelait un enfant de deux ans qu'elle avait pour habitude de garder. Le gamin la fusillait toujours du regard lorsqu’elle refusait de lui donner des bonbons.
- …tu m’entends ?
Il lui avait tiré la tête en arrière d’un mouvement brusque, lui relâcha les cheveux en lui criant dessus.
Elle sentit un terrible mal de tête.
- Je crois que j’y suis allé un peu fort.
- Rick,… intervint son compagnon en posant son journal sur la table, si tu ne peux rien tirer d’elle…
- Si, j’y arriverai !
Helena comprit que ‘Rick’ n’était pas le patron. L’autre homme était autoritaire. Elle s'imagina Rick se démener pour lire un roman de Tolstoï. Elle retroussa ses lèvres en un sourire moqueur.
- Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? Est-ce que tu te rends compte de la situation dans laquelle tu t’es mise ? lâcha Rick.
Elle le fusilla du regard. C’était inutile de discuter avec lui.
- Quoi ?
Elle sentit sa joue gauche brûler, il venait de la gifler. Elle remua pour effacer la douleur et ressentit une crampe à l’estomac. Elle était enchaînée à un mur avec deux hommes inconnus dans une pièce sombre.
Une douleur lancinante s'enracina dans ses bras, elle se mordit la lèvre inférieure pour empêcher sa langue acerbe de lui causer plus de problèmes.
Rick se pencha vers elle et ses lèvres lui effleurèrent l’oreille.
- Voyons ce que tu sais.
Il serra sa tête entre ses mains et la força à le regarder. Il lui sourit en la fixant dans les yeux.
Helena se débattit en criant :
- Lâche-moi !
- Calme-toi, humaine.
Son ton dur se transforma en une mélodie apaisante. Son corps se détendit en entendant l’ordre. Ses yeux brillants étaient devenus le centre de son univers. Tout ce qu'il disait était un ordre à exécuter.
Son cerveau essayait de lutter contre sa domination. Pourquoi Lucious n'a pas pu m'influencer, alors que cet idiot y arrive ?
- Est-ce que tu m’entends ?
- Oui.
- Obéiras-tu à mes ordres ?
Elle répondit d’un ton monotone et dépourvu d’émotions :
- Oui.
Se penchant jusqu'à ce que leurs nez se touchent, Rick lui posa la question à un million de dollars.
- Est-ce que tu travailles pour Alexander ?
- Non !
La lueur grise dans ses yeux s'intensifia, lui donnant l'impression qu'elle flottait. Ses poignets palpitaient. Le métal s’enfonçait dans sa peau et elle laissa échapper un gémissement.
- Est-ce que tu connais Lucious ?
- Oui.
Les doigts du vampire s'enfoncèrent dans sa mâchoire et elle grimaça.
- Où est-il ? Que sais-tu de lui ?
- À la Roulette Russe. Il voulait me voir pour briser le lien.
Son partenaire bondit hors de sa chaise en la renversant.
- Quel lien ?
Les mots lui manquaient, elle était confuse.
- Réponds-lui, siffla Rick en lui tirant la tête en arrière.
- Je ne sais pas, c’était un accident.
Dans sa frustration, Rick la secoua.
- Je te viderai de tout ton sang, si tu ne me donnes pas la bonne réponse !
Son partenaire avait sorti son téléphone et tapait quelque chose sur l'écran.
- Elle n’a pas beaucoup d’informations à nous donner, mais elle pourrait nous être utile pour autre chose.
Rick fit glisser ses doigts le long de ses bras, approchant son ongle de sa jugulaire.
- Est-ce que je peux m’amuser ?
Son influence sur elle s’était estompée et Helena fixait le côté de sa tête.
- Tu peux te nourrir, mais va pas trop loin. Nous pourrions en tirer un bon prix plus tard.
Tout son corps frissonna en voyant le sourire de Rick s’élargir. Elle n’en savait pas assez sur le lien, elle ne pouvait donc pas utiliser cette information à son avantage. Elle ne savait pas grand-chose sur Lucious, Alexander et leurs projets.
Helena gémit. Son mal de tête s’était transformé en un bourdonnement constant. En fermant les yeux, elle fit une prière pour que Michael fasse son apparition et lui annonce de bonnes nouvelles.
Le patron les regarda un instant avant de retourner son attention vers son téléphone.
- Tu as deux minutes.
Il sortit à grands pas de la pièce sans dire un mot de plus. Le patron de Rick dissipa, elle se mit à regretter son comportement. Elle regarda la porte se refermer, souhaitant qu’il revienne bientôt.
Rick sortit un couteau suisse de la poche de son jeans. Une étincelle brillait dans ses iris alors qu'il ouvrait la lame.
Helena ferma les yeux. Elle refusait d’être sa marionnette. La pointe métallique froide effleura sa joue.
- Si tu n'ouvres pas les yeux, je lacèrerai ton joli petit visage.
Elle hésita. Elle sentait toujours la piqûre de la pointe de la lame contre sa joue. Elle serra des dents et ouvrit les paupières. Une seconde de contact visuel avait suffi pour la faire retomber sous son emprise.
- Bien ! Ne bouge pas.
Son corps refusait de bouger et elle se réprimanda d'être aussi faible.
Un à un, les boutons de son chemisier sautèrent. Le dernier arraché, il écarta le tissu de sa poitrine. Ses yeux scintillaient comme ceux d’un enfant déballant un cadeau de Noël. Il examina sa poitrine et sa respiration s’accéléra.
Peu importait ses efforts, elle n'arrivait pas à sortir de son emprise mentale. Il fit une petite entaille dans sa peau pâle. Du sang monta à la surface et se mit à couler sur ses petits seins, tachant son soutien-gorge. Il fit glisser le côté plat de la lame le long de sa poitrine, séduit par le doux parfum de son sang.
Elle était certaine qu’il n’était pas du tout attiré par la vue de sa poitrine.
Son emprise mentale disparut et elle fut en mesure de reprendre le contrôle de ses membres. Ses hanches se rétractèrent lorsque le couteau descendit vers ses hanches. Le métal s'enfonça dans sa peau. Elle laissa échapper un cri d'agonie.
Le patron refit son apparition en criant :
- Je croyais t'avoir dit de te nourrir et rien d'autre.
Rick retira sa lame.
- Cette salope n'est pas facile à contrôler. Si je ne la regarde pas droit dans les yeux, elle arrive à rompre l'hypnose.
- Ce n’est pas mon problème, grogna l’homme. Laisse-la tranquille jusqu'à ce qu'il vienne la chercher. On doit se préparer.
Grognant dans sa barbe, Rick lécha le sang sur la lame et poussa un gémissement de satisfaction. Il lança un regard fugitif dans sa direction, puis rangea son couteau et sortit de la pièce avec son partenaire.
Elle avait la bouche sèche. Elle examina son entaille. Des lignes rouge foncé coulaient le long de ses côtes. Elle reposa sa tête contre le mur, se concentrant sur le plafond blanc pour empêcher que la nausée ne fasse remonter sa bile.
Qu'est-ce que je vais faire ? Personne ne sait où je suis, pensa-t-elle.
- Ce n’est pas vrai, répondit une voix métallique sur sa droite.
Elle se tourna en poussant un grognement. Elle avait très mal à la tête, comme si elle avait reçu un coup de marteau au visage. Son ange gardien se tenait à un mètre d'elle, il avait des traits anguleux entourés d’une longue crinière de cheveux raides dorés.
- Où étais-tu passé ?
Michael inclina la tête pour s'excuser.
- Je sais, j'aurais dû venir plus tôt. Je voulais savoir qui ils avaient contacté, alors j'ai suivi…
Il se précipita vers elle sans finir sa phrase. Sa main plana sur ses blessures. Il serra des dents.
- Tu es blessée.
- Je vais bien, mais comment tu vas …
Elle n’avait pas fini sa phrase. Cette situation était comique. Il était là, mais il ne pouvait pas la sauver. Sa présence fantomatique le forçait à n’être qu’un observateur dans son royaume. Même s’il l’avait voulu, il n’aurait pas pu intervenir. Ils le savaient tous les deux.
- Il viendra, soupira Michael.
- Et si je ne veux pas le voir ?
- Helena, tu sais ce qui va t’arriver si tu ne sors pas d’ici.
Elle arqua un sourcil.
- Tu l'as insulté il y a quelques heures, qu'est-ce qui a changé ?
- S'il pouvait te sortir d'ici, je serais prêt à changer ma terminologie.
Helena renifla. Décidément, ce n’était pas son jour.

1
Le journal
Cinq jours avant…
Le dernier carton fermé, Helena s'étira pour soulager la douleur au bas de son dos. Elle essuya son front en sueur et inspecta sa chambre : un océan de cartons et de valises.
Après une dernière vérification, elle ferma les yeux. Le rythme des battements de son cœur la confortait. De joyeux souvenirs se confondaient avec l'odeur familière des bougies parfumées à la rose posées sur le rebord de sa fenêtre. Du rez-de-chaussée, les voix étouffées de sa mère et de Richard naviguaient vers sa chambre. C'était ici qu'elle avait grandi et cette maison allait beaucoup lui manquer.
Ses doigts la démangeaient d’impatience et un sourire se dessina sur ses lèvres. Assise sur le bord de son lit, elle glissa sa main sous l’oreiller pour sortir un journal intime. Elle posa la masse de deux pouces d'épaisseur sur ses genoux. Elle n'avait pas arrêté d'y penser depuis qu'elle l’avait trouvé dans le grenier poussiéreux la veille au soir. Dès qu'elle avait posé les yeux sur sa couverture en cuir gravé de feuilles de fougère, elle avait senti une envie pressante de lire les secrets qu'il contenait. mais la priorité était empaqueter se affaires. Si elle n’avait pas fini à temps, elle aurait été obligée d’écouter les plaintes de Laura jusqu’à en avoir mal aux oreilles.
Elle ouvrit le journal, qui révéla la première page, vieille et jaunie. Une liste de noms écrits à la main par différentes personnes. Peut-être que le journal n’appartenait pas à un seul propriétaire. Un nom en particulier avait attiré son attention. Elle avait parcouru les étranges croquis et dessins de plantes, et reconnu quelques-unes du jardin de sa grand-mère lorsqu'elle était petite. Une langue archaïque, dans une encre ternie, couvrait les pages usées.
Elle reconnut certaines des belles lettres incurvées et sa main se figea. Sa grand-mère était la dernière propriétaire de ce journal. Helena sourit au souvenir doux-amer du temps qu'elles avaient passé ensemble. La vieille femme avait souvent pour habitude de lui lire des histoires de sorcières qui combattaient les forces du mal - des histoires qu'elle n'oublierait jamais.
Ses souvenirs heureux s’effacèrent pour être remplacés par les épisodes tragiques du passé. Sa mère lui avait tout simplement dit que sa grand-mère aimante s’était suicidée en mettant le feu à leur maison, suite à une crise de folie. Mais ces épisodes tirés de son enfance étaient une énigme qu'elle n'avait jamais réussi à résoudre.
Elle entendit soudain Michael lui parler dans sa tête et elle sursauta.
- Sasha a fini les préparatifs. Tu devrais te changer.
- Je suis occupée, répondit-elle.
- C'est ta dernière nuit, ici. Ce que tu fais en ce moment ne peut pas être plus important que de passer un peu de temps avec tes parents.
Elle ferma le journal en le claquant.
- Très bien !
Elle se leva, jeta un regard fugace à la cachette et se planta devant son vestiaire. Les vêtements qu'elle avait préparés pour le dîner de ce soir étaient posés sur l'étagère du haut. Elle retira son survêtement tâché de sueur et mit un t-shirt ample et un jean.
Dès qu’elle ouvrit la porte, elle sentit l’odeur exquise du dîner. Son estomac gargouilla alors qu’elle descendait les escaliers. Elle se retrouva face à plusieurs délicieux mets disposés sur la table ronde en chêne. Sa mère, comme d'habitude, avait mis le paquet. Mais Helena s'abstint de le souligner et se contenta de se réjouir de l'odeur délectable du poulet rôti.
Les cheveux poivre et sel de son beau-père se dressèrent devant ses yeux, alors qu’il se démenait pour ouvrir une bouteille de vin.
- Allez, tu ne vas pas rester là à rien faire !
Le petit accent russe de sa mère ne manquait jamais à se manifester quand elle était inquiète. Elle renifla et empila des assiettes et des couverts dans les mains d'Helena, avant de redisparaître dans la cuisine.
Helena se mit à préparer la table en marmonnant :
- Bonjour, maman !
Richard posa la bouteille sur la surface laquée et fit la moue. Le bouchon était à moitié coincé dans le goulot de la bouteille et refusait de bouger.
- Ça fait longtemps que nous n’avons pas bu de champagne, dit Helena.
- Tu as raison. Je crois que Sasha en a acheté pour l'occasion.
Il sortit de la pièce et sa mère réapparut. Ses deux yeux marrons se fixèrent sur Helena. Elle passa ses doigts dans ses cheveux courts platine et le bombardement émotionnel commença.
- Es-tu sûre de vouloir déménager ? Tu peux rester avec nous jusqu'à la fin de tes études ou…
Helena croisa les bras.
- Maman, nous avons déjà eu cette discussion la semaine dernière.
- Oui, je sais.
Elle se serait donné un coup de pied, elle avait horreur de contrarier sa mère. Sa vie universitaire serait plus facile si elle emménageait avec ses amis. Elle jeta un coup d'œil à la porte de la cuisine. Richard prenait plus de temps que prévu pour revenir. Elle tapa du pied pour rompre le silence.
La scène de tristesse joué par sa mère était terminée, elle redressa ses épaules avec la désapprobation encore gravée dans les rides de son visage.
- Je sais que tu t’inquiètes pour moi, maman, mais je serai avec Laura et Andrew.
Sasha se décontracta et serra sa fille dans ses bras.
- Tu es ma fille unique, comment veux-tu que je ne m’inquiète pas ?
Helena lui tapota le dos, ne sachant pas quoi dire ou faire. Heureusement, Dieu lui vint en aide. Elles entendirent un grand bruit venant de la cuisine et un léger tintement de verres.
Richard refit son apparition avec un grand sourire aux lèvres révélant ses dents nacrées, une bouteille de champagne débouchée et trois flûtes.
- Alors comment ça va, vous deux ?
- Très bien, répondit sa mère.
Elle s'écarta d'Helena, plia son tablier sur le dossier de sa chaise et s'assit.
Helena s’installa sur la chaise à côté.
Richard leur versa à chacune un verre et s’assit à table. Il fit la grimace en buvant une gorgée.
Helena baissa ses yeux sur ses cuisses. Elle aimait beaucoup son beau-père. Même s'il était toujours très occupé par son poste de directeur du département des sciences, il aimait la vie de famille. Il ne se plaignait jamais. Il avait pris soin d'elle et de sa mère, après que son père les avait quittées sans leur donner d’explication.
- Est-ce que tu as rendu ton formulaire d’inscription ? demanda Richard.
Helena leva la tête.
- Ouais, le jour où je l’ai reçu.
- Ce que tu as choisi ne me plaît pas beaucoup. Le salaire de médecin ou avocat est plus élevé qu'un…
Sa mère leva la main en l'air cherchant le mot juste.
- C’est quoi déjà ce que tu fais ?
Helena détourna son regard. Des yeux froids de sa mère émanait assez de déception pour y noyer toute une armée. Le silence se prolongea et Helena serra ses couverts. Le métal chauffait dans le creux de ses paumes.
- Si je découvre que c’est ennuyeux, je pourrais toujours changer.
Discussion terminée, Helena reporta son attention sur son assiette.
Richard s'éclaircit la gorge.
- J'ai entendu dire que demain il y aura une pluie torrentielle. J'espère que ton déménagement se passera bien.
Sa mère lança à Helena un regard bref lui disant que leur conversation n'était pas encore finie. Elle se tourna vers son mari.
- J’espère que le temps ne sera pas trop mauvais, j’ai rendez-vous avec les filles.
Helena prit le changement de sujet comme un sursis et fit à Richard un « merci » de la tête et il lui répondit par un clin d'œil.
*****
Le dîner terminé, Helena était affairée de mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle.
- Est-ce que je peux te parler une minute ? la fit sursauter la voix profonde de baryton de Richard.
Elle hocha la tête et se redressa.
- D'abord et avant tout, tu es toujours la bienvenue ici…
Ses yeux scrutèrent la cuisine.
Helena le fixait en lui souriant.
- Euh, Richard ?
- Bien ! Deuxièmement, j’aimerais que tu saches que nous t'aimons. Si tu as besoin de quoi que ce soit, nous serons toujours là pour toi.
Il hésita une seconde avant d’ouvrir les bras pour l'attirer dans une étreinte maladroite. Son corps maigre irradiait de chaleur et elle sentit un serrement au cœur.
- Appelle-nous si quelque chose arrive ou…
- C’est bon, j’ai compris, marmonna-t-elle sur son épaule.
Il la lâcha et se frotta la nuque.
- Tu devrais aller te reposer. Tout le monde se réveillera très tôt demain matin.
- Oui, tu as raison.
Dès qu’il sortit de la cuisine, elle s'empressa de ranger le reste de la vaisselle en pensant au comportement de Richard. Était-il inquiet pour elle ? Pourquoi ? Elle haussa les épaules et appuya sur le bouton « marche » du lave-vaisselle.
En haut des escaliers, elle entendit de faibles chuchotements venant de la chambre de sa mère. Elle se faufila dans le couloir et appuya son dos contre le mur.
- ... tu lui as dit ? entendit-elle la voix agitée de Sasha en premier.
- Oui, tu ne devrais pas t'inquiéter. Tout ira bien, répondit Richard.
Sa mère parla plus fort.
- Et s’il se passait quelque chose et qu’elle se souvienne ?
- Chut, Sasha. Si elle nous entend, elle nous posera des tas de questions. Tout ce que nous devons faire est de la surveiller. Interférer dans sa vie pourrait créer une mésentente entre vous deux et je ne pense pas que c’est ce que tu veux.
Choquée, Helena posa sa main sur son torse. Elle tituba jusqu'à sa chambre et traîna ses pieds jusqu'à ce qu'elle s'effondre sur son lit. Elle laissa échapper un soupir en fixant le plafond.
- Qu’est-ce qu’ils me cachent ?
Michael se matérialisa à côté d'elle. Il suivit son regard fixé sur les étoiles phosphorescentes qui avaient pour habitude de la fasciner dans son enfance.
- Je me souviens du jour où ton beau-père les a collées. Il était tombé de ce lit deux fois.
- Quoi ?
- Est-ce que tu te rappelles pourquoi il avait fait ça ?
- Richard m’a dit que j'avais l'habitude de faire des cauchemars quand j'étais plus jeune. Des cauchemars dont je ne me souviens pas…
-Tu étais une enfant. Tu ferais mieux d’oublier.
Helena se redressa.
- Tu parles sérieusement ? Ils me cachent quelque chose, une chose importante. Je le sens.
Michael se tourna et leurs yeux se croisèrent. Elle adorait fixer les profondeurs azur de ses yeux. Ils étaient d’une beauté enchanteresse, ils ressemblaient à deux pierres précieuses renfermant des milliers de secrets.
Elle savait qu’il lui cachait beaucoup de choses la concernant. Elle savait que quelque chose ne tournait pas rond, il lui cachait des secrets qu’il n’était pas autorisé à lui révéler.
- Tu étais trop jeune pour t’en souvenir.
Elle lui lança un regard sévère.
- J'ai une bonne mémoire, Michael.
- Ne me regarde pas avec ces yeux de meurtrier. J'ai répondu à ta question.
Les terreurs nocturnes de son enfance ne pouvaient pas être l’explication plausible de l’inquiétude de ses parents.
- Tu finiras par avoir des rides, si tu continues à faire la grimace !
Elle se laissa tomber sur le lit et soupira.
- D'accord, je vais laisser tomber, pour l'instant.
Michael s’était allongé à côté d'elle, sans que le matelas ne s’enfonce d’un seul millimètre. Le fait qu'il n'ait pas de corps physique la troublait encore aujourd'hui.
- Repose-toi. Tu as beaucoup de choses à faire demain.
sans prendre la peine de se mettre en pyjama, elle se glissa sous les couvertures et demanda :
- quoique je choisisse, tu seras toujours là pour moi ?
- Bonne nuit, Helena.
*****
Elle se brossait les cheveux pour la deuxième fois ce matin-là et leurs yeux se croisèrent dans le miroir. Au moins, Michael s'abstenait de faire son apparition lorsqu'elle était sous la douche ou aux toilettes.
Elle plissa des yeux.
- Quoi ?
- Rien !
- Tu n'as pas arrêté de me regarder depuis mon réveil. Dis-moi qu'est-ce qui ne vas pas ! Est-ce que c'est mes cheveux ?
Il retroussa les coins de ses lèvres.
- Tu es nerveuse.
Helena se retourna.
- C’est normal, non ? J’ai pris une décision qui va chambouler toute ma vie.
- Moi qui croyait que tu étais une fille très calme, recueillie et observatrice ?
Elle croisa les bras sur sa poitrine.
- T’as fini ?
- Non, une dernière chose, Andrew est à la porte.
Elle fixa son ange gardien et se précipita en bas. Des gazouillements d'oiseaux lui remplirent les oreilles et elle grogna. La sonnette ringarde était l'idée de sa mère.
A la dernière marche, elle évita de justesse de trébucher. Elle ouvrit la porte entre deux respirations profondes et sourit à son futur colocataire.
- Alors, comment as-tu prévu de t’y prendre ?
Le sourire d’Andrew s’effaça. Il se tapota le menton de l’index.
- Hum, la première étape serait d’entrer.
Il entra sans attendre d'y être invité.
- Et, maintenant, on prend tes affaires.
Helena roula des yeux.
- C'est très drôle. Je voulais dire, est-ce que tu as une idée pour transporter mes affaires ?
- Ne t'inquiète pas, Épine, on le saura à temps.
Elle ignora le surnom agaçant que ses amis lui avaient donnée à l'école et jeta un coup d’œil derrière lui. Il y avait une fourgonnette blanche garée dans l’allée.
- Elle est à toi ? demanda-t-elle.
- Papa m'a prêté une de ses voitures d'entreprise pour la journée. Il m'a demandé de ne pas la bousiller, alors j'espère que tes affaires ne sont pas trop lourdes.
Helena cacha son irritation derrière un faux sourire. Elle lui fit signe de la suivre.
- Allons-y !
- Allons-y, s'il te plaît.
Elle lui lança un regard agacé.
- Rabat-joie !
Il la suivit dans les escaliers. Arrivé à la porte de sa chambre, il dit :
- Je parie que tout est rose et à froufrous là-dedans.
- Plus tu parles, plus tu sors de conneries du trou que tu appelles une bouche.
Il claqua sa main sur sa poitrine d'un geste dramatique.
- Tu me vexes, Épine.
Helena hocha la tête et ouvrit la porte.
Andrew balaya la pièce du regard et son expression révéla une pointe de déception. Elle sourit.
- Déçu ? Pas de rose et pas de froufrous.
- Des vêtements amples, des cheveux violets et une chambre triste… Je me demande si tu es une fille normale ?
- mm mm.
*****
Jusqu'à présent, Andrew et Laura avaient gardé secrets les détails de leur appartement. Ils voulaient la surprendre et ils avaient réussi. Ses yeux s'écarquillèrent à la vue de l'immeuble en briques rouges, ressemblant à une forteresse. Vivre dans un château n'était peut-être pas une mauvaise idée, surtout qu’ils avaient des fenêtres surdimensionnées donnant sur le paysage urbain.
- Ouah, l’appart est là-dedans ? demanda-t-elle.
Andrew la regarda avec un soupçon d'amusement.
- Tu aimes ?
Elle se retint de sauter sur place et afficha un visage légèrement désintéressé.
- Tant que je n’ai pas vu l’intérieur, c'est difficile de juger.
- Ne vous inquiétez pas, Votre Altesse, nous l'avons choisi en prenant en compte tout ce que vous aimez.
Elle lui lança un regard perçant et il lui tira la langue. Elle se demandait si sa décision d'emménager avec ses deux meilleurs amis était une bonne idée.
Andrew ouvrit la porte vitrée et la laissa entrer en premier. Elle évalua le hall d'entrée blanc et simple. Un gardien potelé au comptoir près de l'ascenseur les ignora. Si une chose arrivait, elle savait qu’il ne lui proposerait pas son aide.
- Reviens sur terre.
Le visage d'Andrew apparut à quelques centimètres du sien. L'odeur de son après-rasage frais emplit ses narines, alors que ses yeux vert forêt la fixaient.
- Est-ce que tu veux visiter l'endroit ou non ?
Elle sentit ses joues chauffer. Espérant mettre fin à son embarras, elle se dirigea vers l’ascenseur où elle écrasa le bouton jusqu'à ce que les portes s'ouvrent, avant d’entrer dans l’enceinte métallique.
Avec un petit rire, il appuya sur le bouton et l’ascenseur se mit à bouger.
Au cinquième étage, le sol était couvert d’un tapis vert mousse et les murs étaient tous blancs. Le soleil du matin des tons bleus dans le couloir des tons bleus. Arrivés à la porte de leur appartement, Andrew glissa une carte-clé au-dessus de la poignée.
Helena posa un pied à l’intérieur et ses chaussures de course grincèrent sur le parquet poli. À chaque pas, ses yeux s'écarquillaient encore plus et elle se retrouva très vite dans un salon spacieux. Deux confortables canapés en cuir et une grande télévision LED accrochée au mur, ainsi que des photographies de monuments de la ville et de rues célèbres. Elle aimait même le détail de la petite ballerine en céramique sur la table basse.
- C’est combien, le loyer ? demanda Helena.
A Dublin, impossible de louer un appartement aussi spacieux sans débourser une fortune.
- Le père de Laura est propriétaire du bâtiment et, comme il aime beaucoup sa fille… disons qu'il nous a laissé l'appartement à un prix abordable.
Helena leva un sourcil.
D'un pas furtif, Laura émergea derrière eux et tapota Helena sur les épaules.
- Heureuse de te voir. Où sont tes affaires ?
Helena essayait de contrôler son excitation. Andrew tapota la tête de Laura et se mit à jouer avec ses boucles blond vénitien.
Laura Quinn n'était pas grande, 1m 50, mais sa taille était compensée par sa personnalité. Se disputer avec elle était comme se battre nue et seule contre une horde de sauvages. Helena se rappela la fois où elles avaient débattu sur le possible vainqueur d’un concours de chant. Sa défaite avait été tournée en une frasque, se décolorer les cheveux et se les teindre en violet lors d'une soirée pyjama.
- Je croyais que tu allais nous aider, déclara Andrew.
Laura fit la moue.
- J'ai trop mal aux bras d’avoir porté mes affaires… Elle lui pointa l`index contre la poitrine, puisque tu ne t'es pas donné la peine de m'aider.
Andrew leva les mains comme pour se rendre.
- Hé, je suis allé chercher Épine. Elle n’a pas de voiture, contrairement à toi. Je parie que si tu voulais de l'aide, tu aurais facilement pu convaincre le gardien de jouer le rôle d’esclave.
- Très drôle, ce n’est pas mon genre.
Helena se frotta les yeux. Ces deux-là avaient trop d’énergie et il n’était même pas dix heures.
- J'ai besoin de la carte-clé et des clés de la voiture.
- Ne t'inquiète pas, Épine, je ne vais pas t'abandonner et te laisser porter tes cartons extrêmement lourds toute seule, dit Andrew.
Laura croisa les bras.
- Très bien ! Mince ! Il faut que je vous donne un coup de main.
- Excellent ! Plus on est fous, plus on rit.
Helena se dirigea vers la porte et Laura se mit en travers de son chemin.
- J'ai oublié de te demander, comment ça se passe ta recherche d’emploi ? Est-ce que t’as besoin d'aide ?
- Non, merci. Je me débrouillerai toute seule.
- Très bien, n’hésite pas à m’en parler si tu as un problème. Ah, je vais te faire visiter l'étage pendant qu'Andrew va chercher tes affaires.
Laura n’attendit pas sa réponse et la traîna presque dans l'escalier métallique.
- Hé, qui va me donner un coup de main ? cria Andrew après elles.
Laura se pencha par-dessus la rampe.
- On viendra t’aider une fois que j’aurai montré sa chambre à Helena.
- Ouai et ça n'a rien à voir avec le fait que tu sois trop paresseuse pour donner un coup de main. Alors, tu lui apprends à glander comme toi ?
- On te rejoindra en bas dans quelques minutes, hurla Laura en retour. Elle traîna Helena et la poussa dans une pièce sur la gauche.
- Qu'en penses-tu ?
Le cœur d’Helena fondit de bonheur. La chambre était très bien éclairée avec des murs bordeaux. Des draps bleu pâle recouvraient le lit double placé entre deux tables de chevet brun orangé. Le mobilier n’était pas vraiment à son goût. De la fenêtre, on voyait la mer d'Irlande et elle poussa un léger soupir.
- Je savais que tu l’aimerais. J'ai dû lutter contre mon instinct intérieur pour te laisser cette chambre.
- Ce paysage est superbe, mais pourquoi tu fais ça ?
Laura lui fit un clin d'œil.
- Tu peux prendre ça comme un pot-de-vin.
Helena savait ce qui allait suivre. Laura manigançait quelque chose et c’était pour elle une tentative minutieuse pour lui lécher les bottes en faisant semblant d’être altruiste. Elle attendit que son amie reprenne son souffle.
- Ne le prends pas mal, Hel, mais que penses-tu d’Andrew ?
Helena haussa un sourcil. Elle s'attendait à une chose comme des tâches ménagères ou l'aider à faire ses devoirs, mais pas du tout à ça.
- C’est juste un copain ?
Laura tapa du pied sur le doux tapis noir.
- Je veux dire en tant que mec. Est-ce qu'au moins tu le considères comme appartenant au sexe opposé ?
Helena fronça légèrement des sourcils.
- Où veux-tu en venir ?
- Ok, répondit Laura en roulant les épaules comme pour se préparer à une bagarre. J’ai été surprise lorsqu’il m’en a parlé. Qui aurait pu le croire ? Et moi, en tant que meilleure amie, je crois que je pourrais arranger les choses entre vous. Au début, j'avais quelques appréhensions. Est-ce que tu comprends où je veux en venir ?
Helena fronça encore plus des sourcils.
- Est-ce que tu peux être un peu plus claire, s'il te plait ?
- Bon Dieu, Hel, tu comprends vite lorsqu'il s’agit d’autre chose que de romance. En gros, Andrew m'a demandée si tu l'aimais bien.
- Oh…
Elle n'avait pas du tout pensé à ça. Andrew ne pouvait pas s'intéresser à elle. Bien sûr, il la taquinait tout le temps et il l'appelait par son surnom. L'idée de sortir avec lui, lui semblait aussi bizarre que de faire du sport. Mais était-ce une bonne idée ? Elle avait entendu trop d'histoires de disputes entre amis dès qu’ils sortaient ensemble.
- Très bien, je vois que tu es entrée dans ton propre petit monde, lui dit Laura.
- Je ne sais pas quoi te répondre. Je veux dire, je…
- Tu n'y a jamais pensé.
Helena hocha la tête.
- Eh bien, réfléchis-y. On a encore du temps. Maintenant, on ferait mieux d'aller l'aider, sinon il nous fera une plaintathon.
Helena renifla.
- Je pensais que c'était toi la pro pour faire ça.
- Je m'en souviendrai, Épine. Maintenant, allons-y !
*****
Vers vingt heures, Helena décida d’aller dans sa chambre sans attendre la livraison des plats chinois qu’ils avaient commandés. La vue splendide par sa fenêtre disparut lorsqu'elle alluma la lampe de chevet.
Enfin, un peu de paix, pensa-t-elle en cherchant dans sa valise le journal.
Helena feuilleta les pages, fascinée par les détails des dessins, jusqu'à ce qu'elle tombe sur l'écriture familière. Elle essaya de lire le texte en russe. Concentrée sur le journal, elle n’avait pas entendu les coups sur la porte. La porte s'ouvrit et elle ferma brusquement le journal et le glissa d’un geste rapide sous son oreiller.
- Oui ? demanda-t-elle à Laura.
- La bouffe est arrivée. J'ai appelé et j'ai frappé, mais…
Laura rentra et ferma la porte derrière elle.
- Qu'est-ce que tu lisais ?
Helena réfléchit à une réponse, elle ne voulait surtout pas que Laura pense qu’elle était folle de lire ce genre de chose.
- C'est juste un truc que j'ai trouvé dans mon grenier.
Les lèvres de Laura s’étendirent en un sourire narquois.
- Je parie qu’il s’agit des escapades amoureuses de ta mère.
Laura était une bonne amie, mais souvent sa curiosité la poussait à empiéter dans l’intimité des gens. Helena savait que Laura n’arriverait pas à le lire, mais elle savait qu’elle ne baisserait pas les bras. Grâce à l'internet et aux logiciels en ligne, tout pouvait être traduit. Alors, Helena joua le jeu.
- C'est embarrassant.
- Je le savais !
Laura s'avança à grands pas avec une main tendue vers le journal. Helena se redressa et serra les épaules de Laura.
- La bouffe va être froide.
- Très bien, mais tu me raconteras les détails dégoûtants plus tard.
- Bien sûr !
Helena poussa son amie hors de la pièce et appela mentalement Michael.
Il lui répondit aussitôt.
- Quoi ? Qui a-t-il ? Tu as l'air bouleversée.
- On doit parler de ce journal.

2
Domaine des destins
Il faisait nuit. À sa connaissance, tout le monde dormait. Elle faisait les cent pas autour du lit, les bras croisés, son esprit n’arrêtant pas de cogiter.
- Que veux-tu dire ? demanda-t-elle à Michael.
Il ne répondit pas et la regarda comme s'il souffrait.
- Me caches-tu un autre secret ? Il est mon vrai père. S'il a été pris par le monstre mentionné dans le journal de grand-mère, je dois savoir…
Elle cligna des yeux pour chasser ses larmes.
- ... il y a des chances qu'il ne nous ait pas abandonnés...
- Helena, commença Michael sur un ton apaisant.
Elle lança ses mains en l'air.
- N'essaye pas de me calmer et dis-moi comment le retrouver !
Retenant un juron, elle se rappela qu'elle devait se taire, une chose difficile à faire à chaque seconde qui passait. Elle inspira pour calmer sa colère.
- S'il te plaît, dis-moi quelque chose. N'importe quoi !
- Allonge-toi.
Elle hocha la tête.
- Je ne suis pas d'humeur à me détendre.
- Si tu veux vraiment savoir où il est, je ne peux pas t’en empêcher. Je vais t'aider à le faire, mais tu dois te concentrer.
Helena plissa des yeux. Elle étudia son visage impassible. Comme d'habitude, ses traits étaient neutres. Elle ne savait pas si c’était un stratagème pour qu'elle se calme ou s'il pensait vraiment ce qu'il disait. Elle décida de l'écouter et se laissa tomber sur les draps doux en lin.
- Ferme les yeux, dit Michael.
- Pourquoi ?
Il disparut et continua à s’adresser à elle mentalement : Tu dois écouter mes conseils sans poser de questions.
Helena se mordit la lèvre inférieure et s’exécuta.
- Maintenant, concentre-toi sur ma voix et visualise ton corps à l'intérieur d'une bulle ou à un endroit où tu te sens en sécurité.
En quelques secondes, elle s'imagina une sphère en acier. Une bulle d’air ne la mettrait pas en sécurité. Elle planait dans ses limites confinées tandis que l'obscurité troublante l'encerclait. Être suspendue dans les airs la mettait mal à l'aise, elle utilisa donc les mêmes principes pour faire apparaitre un sol en damier sous ses pieds.
Michael apparut à ses côtés. Son corps émettait une faible lueur qui apaisa ses nerfs.
- À quoi ça sert ? demanda-t-elle.
- C'est un bouclier mental. Ça te protégera.
- Me protéger de quoi ?
- Il fait noir ici, dit-il, essaye de créer de la lumière.
Helena le fusilla du regard. Elle avait peur qu'il change d'avis et qu’il refuse de l'aider. Si cela pouvait être considéré comme une aide. Elle prit une profonde inspiration et se concentra à nouveau. Une luminosité afflua au-dessus de sa tête.
Michael se rapprocha du mur et elle l’imita. Il toucha la surface lisse et dit des mots incompréhensibles.
- Je vois que tu préfères le métal comme protection. Beaucoup utilisent des éléments ou des forteresses imposantes pour se protéger. Certains érigent même plusieurs couches, sur lesquelles nous devrions travailler plus tard.
Elle avait de nombreuses questions à lui poser.
- Qui ferait ça ?
La grande main chaude de Michael se posa sur sa tête et lui fit voir un sourire fantomatique.
Ses yeux sortaient de leurs orbites.
- Tu peux me toucher ?
- Ton corps est uni à ta structure physique dans laquelle je ne peux pas agir. Mais ici, ton esprit entre dans l'une des structures que je peux atteindre, répondit-il. Je ne suis pas le seul à pouvoir t'atteindre ici, c'est pourquoi je t'ai demandée de créer ta propre couche de protection. Cette couche utilisera une partie de ton énergie pour te protéger, alors ne sois pas étonnée si tu te sens fatiguée.
- Très bien, et c’est quoi la prochaine étape ?
- Tu prends ma main et nous allons voyager dans mon royaume. Tu ne dois pas t’éloigner de moi, sinon je ne pourrais pas masquer ta présence.
Elle mit sa main dans la sienne et il la serra de ses doigts fins. L'air grésillait d'énergie qui les encerclait pour les dissimuler.
D'un geste rapide, Michael l'attira dans son étreinte. Une seconde plus tard, les boucliers fondirent et ils se retrouvèrent dans une vaste chambre avec de hauts piliers en ivoire. Un réseau désordonné géant de fils multicolores entrelacés formait le « plafond ». Au sol, ils étaient disposés en rangées soignées et interminables, maintenues en place par des cadres à tisser couleur or. Le sol couleur ébène brillant ressemblait à un miroir inversé reflétant l'intégralité de la chambre.
Elle s'éloigna de lui et regarda la bouche bée tout ce qui les entourait.
- Où sommes-nous ?
- Au royaume des anges, le domaine des destins.
Helena détourna ses yeux de la toile colorée.
- Et si quelqu'un nous trouve ici ? Tu ne vas pas avoir des ennuis ?
- Cet endroit n'est plus utilisé par les dieux.
- Les dieux ? Il y en a plus d'un ? Les personnes croyantes seraient vraiment déçues de l’apprendre.
Michael admirait le plafond avec une émotion cachée qu’elle n'arrivait pas à cerner.
- Autrefois, un seul créateur existait. Il avait vécu si longtemps que même lui-même avait oublié ses origines. Il s'était alors divisé en plusieurs divinités inférieures pour expérimenter des choses. Pour lui, le sexe, l'âge, la couleur de peau ne semblaient pas avoir de l'importance.
Ses paroles se perdirent dans l’exaltation.
- C’est le résultat final qui est important - une leçon à apprendre.
Sur sa gauche, un fil gris vibra. Elle tendit la main pour le toucher, mais Michael se mit en travers de son chemin et hocha la tête.
- On ne touche pas !
Elle fronça des sourcils.
- Pourquoi pas ? Ce n’est qu’une corde.
- Ce ne sont pas des cordes. Ce sont les liens avec des êtres de la Terre.
Confuse, Helena se tut. Il ne pouvait pas être sérieux. Elle se tourna et se concentra sur les cordes. Le blanc était la couleur la plus répandue. Quelques gris, noirs et rouges ressortaient çà et là. Plus loin, une corde dorée se démarquait de ses voisines monochromes, telle une balise. Elle plissa des yeux pour essayer de voir ce qui se trouvait au-delà, mais les cordes se sont dissoutes en un brouillard blanc, trop épais pour qu'elle puisse voir à travers.
- Que signifient les couleurs ?
Michael étudia son expression avide et soupira.
- Le blanc est un humain normal. Une nuance de gris représente une personne influencée ou utilisée par les ténèbres, ou peut-être une forme d'être surnaturel. La couleur noire appartient à des créatures des ténèbres, tels que des mangeurs d'âmes, certains démons, des monstres qu’on ne devrait jamais croiser dans ton royaume.
Elle pointa du doigt une corde et s’en approcha.
- Et la dorée, là-bas ?
- Des saints, dit-il comme si le mot expliquait tout par lui-même.
- Que sont-ils ? Des personnes saintes ?
- Je ne peux pas t’en dire plus.
Helena se mordit la lèvre, elle voulait vraiment en apprendre plus. Cette expérience était pour elle toute nouvelle. Pourtant, au fond d'elle, une chose la dérangeait. C'était comme si elle avait oublié une chose.
Une corde rouge-sang se démarquait dans la rangée de blancs et de gris.
- Et la rouge ?
- Des vampires, cracha Michael le terme comme si c'était une chose dégoûtante.
La corde écarlate avait retenu son attention. Une énergie bizarre la traversait. Helena avait lu beaucoup d'histoires sur le folklore et les créatures mythiques, mais ce qui l’avait toujours fasciné le plus étaient ces êtres suceurs de sang. Enfin, elle avait la chance d'en apprendre plus sur le monde de Michael.
En se rapprochant, elle réalisa que la corde n'était pas tout à fait rouge. Un liquide riche et cramoisi longeait la corde.
- Rappelle-toi, Helena, tu ne touches pas.
Ses conseils lui importaient. La corde l'attirait, la conviait à la prendre, à toucher sa texture. Elle sentit des picotements aux doigts et elle tendit sa main vers la corde.
La main lourde de Michael se posa sur son épaule, la sortant de son état d’hypnose.
- Je crois qu’on devrait revenir plus tard.
- Non ! cria-t-elle.
Surprise par son emportement, Helena baissa la tête de honte. Qu’est-ce qui me prend ? La pièce entière bourdonnait d’énergie. Penser était devenu une corvée et, en se concentrant plus, elle vit sa corde jaillir de son ventre. Elle avait l’air plus pâle que les autres cordes blanches. Elle la caressa, se délectant de la douce sensation.
- Qu'est-ce qui se passe lorsque deux cordes se touchent ?
Michael leva les yeux vers le plafond.
- Un lien est ajouté.
- Et qui décide de ça ?
- Les destins.
- Mais tu as dit que plus personne n'utilisait cet endroit. Comment…
L'expression de Michael s'assombrit, comme s'il se rappelait d'un fait douloureux.
- Ils ont été bannis dans le royaume humain il y a longtemps. Depuis, les choses se produisent telles que les Dieux le souhaitent.
Helena jeta un coup d'œil à la corde connectée à un vampire quelque part sur la planète. Est-ce qu'on se rencontrerait si nos cordes se touchaient ? Elle secoua la tête. Ce n’était pas important pour l’instant. La raison pour laquelle ils étaient venus ici, était de retrouver son père.
Sa mère lui avait toujours dit qu'il les avait quittées, mais Helena ne l'avait jamais crue. Et si une chose de grave lui était arrivée à cause des ténèbres décrites dans le journal de grand-mère ? Si les vampires et les autres êtres surnaturels étaient réels, il y avait une chance que sa grand-mère ne soit pas folle comme sa mère voulait qu'elle le croie. Peut-être qu'il a été enlevé. Elle avait besoin de connaître la vérité.
- Et mon père ? Comment on peut le retrouver ?
Michael semblait réfléchir.
- Je vais chercher son âme. Attends ici et ne touche à rien.
Il retourna à l'entrée. Dès qu’il s’éloigna d’elle, une voix féminine murmura dans sa tête une sorte de chant.
Son corps se raidit et, comme possédée, elle attrapa la corde rouge-sang. Un frisson la traversa, lui donnant la chair de poule aux bras et au cou. L'énergie encerclant le lien n'était rien comparée à celle qui traversait son noyau. Elle l'envahissait contre sa volonté.
- Helena, non ! cria Michael.
Mais c'était trop tard.
Un bruit très fort envahit la chambre, la poussant à vouloir unir les cordes. Lorsqu’elle comprit ce qu'elle venait de faire, son lien blanc s'était déjà enroulé autour de la corde du vampire.
Son cœur battait la chamade dans sa cage thoracique et sa vision devint trouble. Une puissante vague d'énergie issue d’un autre monde se fraya un chemin à travers le lien, un arc rouge et blanc. Elle pressa sa main contre sa poitrine brûlante. Chaque partie de son corps lui faisait mal, mais en séquence alternative.
Une minute plus tard, semblant être une éternité, ses genoux cédèrent. La dernière chose dont elle se souvenait était deux bras forts la rattrapant dans sa chute.
*****
Le réveil sur sa table de chevet affichait deux heures du matin. Elle s'assit, alluma la lampe de chevet et se frotta le visage. Michael l'avait trompée. Le royaume des anges et ses boucliers mentaux devaient être un rêve. Il a dû utiliser une sorte de ruse pour qu’elle se détende et qu’il puisse se dissiper.
Est-ce que j’ai rêvé ? Elle fit une grimace en sentant le mal de tête marteler dans son crâne.
- Michael ? appela-t-elle dans l’espoir d’avoir des réponses à ses questions.
Helena prit une inspiration et se prépara à l’appeler de nouveau lorsqu'il se matérialisa devant elle. Son expression la força à se taire. Ses yeux brillaient d'indignation. Si ce qui s'était passé avait été réel, il avait alors raison de se mettre en colère contre elle. Il lui avait demandé de ne toucher à rien et elle lui avait désobéi. Mais elle avait perdu le contrôle de son corps, ses membres avaient bougé malgré elle.
- Michael, je…
- Je n’ai pas beaucoup de temps, Helena. J’ai commis une grande erreur de t’emmener avec moi. J'aurais dû y aller seul. Ce que tu as… Il s'arrêta comme s'il cherchait le mot juste... fais, n'aurait jamais dû arriver.
Helena se massa les tempes dans l'espoir d'apaiser sa douleur. Son mal de tête était similaire à celui qu'elle avait eu après sa première cuite. Le jour de son seizième anniversaire, lorsque Laura avait parié qu'elle pourrait boire plus qu'elle. Son amie avait tout même réussi à gagner son pari.
- Je suis désolée. Je... je n’étais pas moi-même. C'était comme si…
- Pas besoin de t'excuser. Je dois y aller. Nous nous occuperons des dégâts que tu as causé plus tard, dit-il avant de redisparaître.
Helena rampa hors du lit. Les paroles cinglantes de Michael lui faisaient mal au cœur. Elle savait que ce qui s'était passé était de sa faute, mais elle ne l'avait pas fait exprès.
Elle sortit de sa chambre pour aller se chercher de l'aspirine. Arrivée dans le couloir, elle vit la lumière du salon allumé à l’étage en-dessous et elle s'arrêta. Tout le monde avait cours demain matin, ce n'était donc pas logique que quelqu'un soit encore réveillé à cette heure de la nuit.
Son mal de tête oublié, elle se dirigea vers l'escalier sur la pointe des pieds et jeta un coup d’œil par-dessus la rampe. Elle craignait que ce soit un vampire qui l'attendait. La rationalisation chassa l'idée idiote de la possibilité qu'un imposteur pourrait la localiser. Les cordes avaient créé un lien, mais ce n'était pas un capteur, ou du moins c'est ce qu'elle espérait.
Les marches en métal glacé lui piquaient la plante des pieds. À mi-chemin, elle se dit qu'elle devrait s'acheter des pantoufles dès qu'elle en aurait l'occasion. Elle se maudit d'avoir pensé que ça aurait pu être un monstre suceur de sang en apercevant Andrew. Il était assis sur le canapé avec un livre ouvert sur les genoux.
- T'es encore réveillé ? demanda-t-elle.
Andrew tourna brusquement la tête dans sa direction.
- Mon Dieu, tu m'as foutu une de ces trouilles, Epine ! Tu sais très bien que j'ai le cœur fragile.
Helena roula des yeux. Il était dingue de sport, il jouait dans plusieurs équipes à l'université. Elle n'avait jamais compris ce qui pouvait pousser des personnes à courir après un ballon avec des vêtements trempés de sueur. Contrairement à lui et à Laura, elle détestait le sport et tout ce qui y était associé.
Andrew ferma son livre et le posa sur la table basse. Elle n’aurait jamais cru qu’il lirait ce genre de livre. Elle pensait qu’il lirait des bandes dessinées ou des magazines pornographiques, mais surtout pas un livre sur les finances.
Il avança d'un pas lent vers elle et lui souleva la tête tendrement.
- Tu es pâle, tu devrais te remettre au lit.
Elle se rappela soudain de sa conversation qu’elle avait eue plus tôt avec Laura et sentit ses joues rougir. Elle recula d'un pas sans le réaliser.
Andrew se gratta l'arrière de la tête et balança son poids d'une jambe à l'autre.
- Ah, Laura t'a déjà parlé de… euh… de ça.
L’esprit d’Helena s’emballa alors qu’elle essayait désespérément de trouver les bons mots. Avait-elle besoin de lui donner une réponse maintenant ou avait-elle le temps de réfléchir ? Pourrait-elle trouver assez de courage pour lui répondre ?
- Helena, je ne t'ai pas posée la question moi-même parce que je ne voulais pas te mettre la pression, ou peut-être parce que je suis un lâche. Je ne sais pas. Ce que je sais, en tout cas, c'est que je t'aime depuis presque le début.
Son sourire ringard habituel avait disparu. Il avait l’air sincère. Elle sentit un resserrement au cœur, comme s'il allait s'arrêter de battre en prévision de ce qui allait arriver.
- Andrew, je... je ne sais pas.
Ses cheveux tanguèrent sur son front en s’approchant d’elle.
- Prends ton temps.
Elle eut le souffle coupé lorsqu'elle réalisa la couleur verte de ses yeux et la douceur de son visage rasé. Elle lutta contre l'envie de lui toucher la joue.
- Promets-moi d'y réfléchir, lui dit-il.
Elle avait la bouche sèche. Au lieu de lui répondre, elle lui fit un signe de tête rapide.
Avec un sourire d’enfant, Andrew lui tapota la tête comme il le faisait souvent à Laura.
- Ne te couche pas trop tard, Épine.
Elle fronça des sourcils. Il était redevenu lui-même en une fraction de seconde, alors qu'elle était toujours perdue dans ses pensées.
Helena posa sa main sur son cœur excité et s'imagina ce que ce serait de sortir avec lui. Bien qu’il semblait ne pas être un étudiant sérieux, le voir lire ses cours avant le début du trimestre lui apprenait qu’il était tout sauf incompétent. C’était la première fois qu’elle découvrait ce côté sérieux de sa personnalité. Et, la façon dont il l'avait regardée ce soir était différente. Il ne plaisantait pas et ça lui faisait peur.
*****
Au déjeuner, elle alla rejoindre Laura dans un café du campus, rempli de plaisanteries joyeuses et de conversations bruyantes. Helena avait fait de son mieux pour les ignorer. Elle ferma les yeux pour apprécier le parfum du macchiato dans ses mains, fraîchement préparé. Depuis son réveil ce matin, elle se sentait frileuse.
Laura soupira.
- Est-ce que tu m'écoutes au moins ?
Helena leva les yeux vers son amie qui mordait dans son sandwich au jambon fromage. Des miettes de pain tombèrent sur sa chemise en voile bleu marine et Laura les retira d'un mouvement de la main.
- Je vois que te parler de ma journée t'ennuie à mourir, alors parle-moi de la tienne.
- Rien de spécial ! Des cours, des nouveaux profs et beaucoup de monde.
En inclinant sa tête sur le côté, Laura reprit :
- Avec moi et Andrew comme tes meilleurs amis, je pensais que tu avais appris comment te faire un ou deux amis. Qu'est-ce que t’attends ?
Helena essaya de penser à une excuse assez bonne pour se débarrasser de Laura. Les arguments qu'elle pourrait utiliser semblaient insignifiants.
- Tu vois, tu n’arrives même pas à trouver d’excuses !
Helena leva les mains en signe de défaite.
- Très bien, je te promets d’essayer demain.
Laura posa son sandwich dans son assiette et la dévisagea.
- Demain ?
- Oui, c’est quoi le problème ?
- Rien, à part que tu parles comme un fumeur qui dit qu’il va arrêter de fumer en s’allumant une cigarette.
Avec un long soupir, elle scruta la foule. Les étudiants étaient dispersés en groupes, partageant leurs expériences du premier jour de cours. Elle s’apprêtait à abandonner ses recherches lorsqu'elle repéra une fille de sa classe, qui attendait de passer sa commande à la caisse. Elle hocha la tête dans la direction de la brune aux cheveux courts et aux vêtements à l'aspect antique.
- Elle est dans deux de mes modules.
Laura se retourna sur son siège pour jeter un coup d'œil rapide. Un sourire troublant étira ses lèvres roses.
- Je crois qu’on a trouvé ta cible.
- Maintenant ? Tu veux que je lui parle, maintenant ?
- A quoi bon reporter à demain, Épine. Va la chercher.
Réticente, Helena se leva et vérifia que son pull n'était pas taché. C’était bon, il était propre. Elle redressa sa posture et grogna intérieurement. Tout ira bien.
Des yeux brun chocolat la virent arriver. Helena avait les mains moites et se les essuya sur son jeans. Elle pensait qu’elle s’était approchée d’elle bien trop vite. S'arrêtant à deux mètres d'elle, elle s'éclaircit la gorge.
- Salut, je m'appelle Helena Hawthorn, et nous sommes…
- ... dans le même cours de mythologie. Je m'appelle Nadine Smidt.
Elles se serrèrent la main et Helena eut un trou de mémoire.
- Tu voulais me dire quelque chose ?
- Ah, oui, c'est vrai !
Helena désigna Laura.
- Veux-tu t’asseoir avec nous ? On a presque fini, mais ce serait super si tu te joignais à nous.
Le visage de Nadine s'illumina.
- Je vais aller me chercher quelque chose à boire et je vous rejoins.
Se dirigeant droit vers la table, Helena savait à quoi s'attendre. Laura avait déjà le regard disant « Je te l'avais dit ! ». Les choses s'étaient mieux déroulées qu'elle ne l'avait prévu. Peut-être que Laura avait raison après tout, il suffisait tout simplement de se présenter. Cette idée poussa Helena à se reprendre. Elle avait beaucoup de secrets qu'elle cachait à sa famille et à ses amis. Cela ajouterait une personne de plus à sa liste des gens qui ne la connaissaient pas vraiment.
- Qu'est-ce qui ne va pas ? Je croyais que tu serais contente de te faire une nouvelle amie.
La voix inquiète de Laura ramena Helena à la réalité.
- Je le suis. Désolée, je pensais à une dissertation que j'ai à faire.
Laura haussa un sourcil. Lorsque Nadine les rejoignit, Laura se leva en faisant presque tomber sa chaise.
- J'avais complètement oublié ! dit Laura en rangeant ses affaires. J'ai du travail à faire. On se reverra à l’appart.
Elle fit un clin d'œil à Helena et se tourna vers Nadine.
- Ravie d’avoir fait ta connaissance.
Comme si ses cheveux bouclés blond-fraise étaient en feu, Laura sortit du café en trombe, laissant Helena seule. Nadine n'avait pas l'air du tout gênée, elle s’installa sur une chaise et se mit à siroter son thé vert.
Helena était sur le point de dire quelque chose, mais elle réalisa bien vite que c’était stupide. Elle décida donc de garder le silence.
Au bout de quelques minutes, Nadine décida enfin d’interrompre le silence :
- Pourquoi as-tu choisi de me parler, moi en particulier ?
- Que veux-tu dire ?
La fille posa sa tasse dans son plateau avec l'élégance d'une dame, une chose qu'Helena n'avait jamais vu auparavant.
- Il y a d'autres personnes ici qui sont dans le même cours que nous. Alors pourquoi m’avoir choisie moi et pas quelqu’un d’autre ?
Elle réfléchit et haussa les épaules.
- Tu es la première personne que j'ai reconnue et, j'ai pensé que nous pourrions devenir amies.
Nadine lui lança un regard méfiant.
- Tu aimerais qu’on soit amies ?
- J'aimerais bien, oui.
Cachant son visage derrière sa tasse, Nadine ne répondit pas. En deux gorgées rapides, elle but sa boisson, récupéra ses affaires et lui fit ce sourire charmant qui arrivait toujours à énerver Helena.
- Je crois que j'ai un cours. Désolée de ne pas pouvoir rester plus longtemps…
En fixant la chaise où sa camarade de classe était assise il y a à peine quelques secondes, Helena se dit qu’elle devait avoir une sorte de pouvoir mystique à repousser les gens ou qu'elle n’était pas du tout douée pour se faire de nouveaux amis. Elle se pencha sur la table.
*****
Sa journée de cours terminée, Helena se rendit au centre-ville pour distribuer son CV. L’endroit où elle serait embauchée lui importait peu, elle voulait juste trouver un boulot. Même si Laura et Andrew lui avaient assurée que ce n’était pas urgent, elle refusait de dépendre d'eux. Elle ne voulait dépendre de personne d’ailleurs. Pas même de Michael.
Maintenant qu’elle y pensait, elle ne l’avait pas revu depuis leur dispute. Est-ce qu'il s'était fait passer un savon par ses supérieurs anges pour l’avoir emmenée dans leur royaume ?
Elle s'arrêta aux feux de circulation de Dame Street, les épaules affaissées. Le soleil s'était déjà couché. Combien de temps lui restait-il avant que ces vieux bâtiments ne soient réclamés par la nuit ?
Sur le trottoir opposé, un homme vêtu de noir se détachait des autres piétons. Il n'avait pas plus de trente ans, devina-t-elle. Il était grand et il portait une veste en cuir et un jeans serré. Le vent soufflait dans ses cheveux couleur corbeau. Ses lèvres charnues sensuelles s’étirèrent en un demi-sourire et elle nota que ses yeux bleus perçants la fixaient.
Elle sentit une chaleur lui monter aux joues et elle baissa les yeux.
Elle traversa la rue en évitant tout contact visuel, jusqu'à ce qu'elle se cogne dans quelqu'un.
Deux grandes mains la rattrapèrent par le bras pour la stabiliser. Son touché lui avait fait ressentir une sensation de picotement se répandre le long de son membre. Elle s’excusa et releva les yeux pour réaliser que c'était le même beau mec qu’elle avait aperçu plus tôt. Elle s’était trompée, ses yeux étaient couleur bleu-brun avec un effet hypnotique.
Elle sentit une piqûre douloureuse à la poitrine et une étrange énergie lui titilla l'estomac.
Elle s'éloigna de lui d’un pas rapide. Ce qu’elle avait senti était très étrange et elle avait appris de toujours s'éloigner des choses anormales, sauf de Michael qui lui avait juré que sa mission était de veiller sur elle.
Elle regarda par-dessus son épaule à plusieurs reprises pour s'assurer que l’homme ne l’avait pas suivie. Dès qu’elle tourna au coin de la rue, Helena se tapa le front. Qui suivrait une cinglée qui s'est enfuie comme un animal effrayé ?
Elle poussa un soupir de soulagement et se mit à distribuer son CV dans les différents commerces à proximité de son arrêt de bus. Elle monta ensuite dans le premier bus pour rentrer chez elle. Il était grand temps qu'elle ait des réponses sur son père et de l'étrange lien qu'elle avait créé.
*****
Au-delà de sa barrière protectrice, les choses semblaient différentes. Quelque chose se cachait dans l'ombre. Son énergie rampante encerclait ses boucliers comme un requin attendant une faille. Les poils de sa nuque se hissèrent et elle se rappela des mots de Michael : « Des choses essayeront d'entrer. »
Ce qui essayait de pénétrer en elle n’avait pas l’air amical. C’était une énergie qui la glaçait jusqu'à la moelle, la faisant frissonner. Elle fit alors la seule chose à laquelle elle pouvait penser, elle renforça ses boucliers d’une autre couche en acier. Même si elle n’était pas certaine que ça marchait, elle se sentait beaucoup plus en sécurité ainsi. Cette impression ne dura pas longtemps.
L'obscurité l'encercla, forçant sa barrière à grincer comme un sous-marin écrasé par la pression de l'eau. Une rigole de sueur coula le long de son front alors qu'elle faisait de grands efforts pour se concentrer.
C’est quoi cette chose ?
En résistant, elle fortifia la structure avec autant de couches qu'elle le put. Son énergie s’épuisa et elle s'effondra à genoux. Elle haleta pour essayer d’inspirer autant d’air que possible.
Au loin, une lumière brillante brillait.
Michael, pensa-t-elle. Il est revenu.
La lueur apaisante enveloppa ses boucliers et repoussa l'ombre, apportant soulagement et chaleur à son corps glacé. Enfin, elle pouvait réduire ses barrières à une seule couche.
Elle entendit une voix l'appeler, lui demandant de se réveiller. Les mots paniqués la bombardaient d'une soudaine urgence.
Quelqu'un lui tirait les épaules pour essayer de la sortir de là. Elle ouvrit les yeux sur une paire d'orbes vert. C’était Andrew.
- Dieu merci, tu t'es réveillée !
Il l'attira en une étreinte frénétique.
Pas sûre de ce qui s’était passé, elle le serra maladroitement dans ses bras. Elle sentit la chair de poule dès qu’elle sentit le confinement de son corps dans son emprise. Elle avait très froid, comme si elle avait été plongée dans une piscine remplie d'eau glacée. Son pyjama en était la preuve.
- J'ai très froid, réussit-elle à dire en claquant des dents.
Andrew se précipita vers son armoire et l'ouvrit. Il en sortit plusieurs vêtements et retourna à ses côtés. Il se mit à lui retirer son T-shirt. Elle lui donna une claque sur ses mains.
- Holà, je peux me changer toute seule !
En réalisant ce qu’il venait de faire, il recula et lui donna du dos.
- Désolé, mon intention était seulement de t’aider.
- Pourquoi t’es dans ma chambre ?
- Laura a pris un appel pour toi. Comme elle avait laissé un mot et qu'elle était sortie, j’étais venu pour t'annoncer la bonne nouvelle. Mais tu n’arrêtais pas de gémir. Je me suis précipité pour m'assurer que tu vas bien… Tu étais gelée et j'ai essayé de te réveiller.
Il enfonça ses mains dans les poches de son pantalon et continua :
- Ensuite, tu sais ce qui s’est passé.
Helena le serra à nouveau dans ses bras.
- Merci de m'avoir réveillée.
Il enroula ses bras autour d'elle et la rapprocha à sa poitrine. La chaleur qu'il dégageait picota sa peau. Ne voulant pas se séparer de lui, elle enfouit son visage dans le tissu doux de sa chemise.
Une fois calmée, elle se dégagea d'un mouvement maladroit.
- Alors, c'était quoi le coup de fil ?
Les lèvres d'Andrew s'étirèrent en un sourire.
- On dirait que tu as un entretien demain.

3
Traquée
Trois coups violents résonnèrent dans l’une des ruelles de Londres. Lucious enfonça ses mains dans les poches. Un rapide coup d'œil par-dessus son épaule lui apprit que la rue était déserte. Il plissa du nez. La puanteur de viande pourrie venant d'une grande poubelle entrouverte à quelques mètres de là, raviva son odorat affiné.
Lucious fixa la porte métallique. Il sortit sa main de la poche, prêt à frapper de nouveau lorsqu'il entendit le bruit des lourds verrous.
Enfin, pensa-t-il en redressant sa posture.
La porte s'entrouvrit.
- Pourquoi t’es ici ?
Lucious se renfrogna. La moitié du visage d’un petit vampire à la peau tannée apparut à l’entrebâillement de la porte.
- C'est toi qui m’as demandé de venir, répondit-il en poussant la porte. Qu’est-ce qui se passe ?
L'homme maigre recroquevillé l'étudia de ses yeux aussi sombres que la ruelle.
- Tu sais très bien ce qui se passe ! dit Phil en le laissant entrer.
Lucious entra dans la pièce terne aux murs gris et se laissa choir sur une chaise. Les semelles de ses bottes collaient au lino. À côté de son pied, il nota une tache de sang.
- C’est toi l'informateur, dis-moi ce qui se passe.
Une fois les cinq verrous refermés, Phil s’approcha de son bureau et s'assit dans son siège en cuir. Il s’entrelaça les doigts sur la pile de journaux et regarda Lucious comme s'il essayait de deviner ses pensées.
Déterminé, Lucious lui rendit son regard. Il se moquait de l’âge de Phil ou de son influence. Ce qui lui importait, c'était les informations qu’il avait réunies.
Phil passa une main tremblante sur sa tête chauve.
- Tu ne sais pas que le Conseil te cherche, c’est ça ?
S’il avait un cœur qui battait, il se serait arrêté.
- Pourquoi moi ?
- Je ne sais pas. Aucune explication ne m’a été donnée. Tout ce que je sais est qu’on est à ta recherche et qu’ils aimeraient te voir.
Lucious se pinça le nez. Qu'est-ce que le Conseil tout-puissant pouvait bien lui vouloir ? Pour autant qu'il le sache, il avait respecté toutes les lois. Pourquoi donc cette convocation ?
- T’as dit que t’avais trouvé une nouvelle piste, non ?
- Tu as idiot, répondit Phil en hochant la tête, de ne pas t’enfuir dès que en entendant les mots « Conseil » et « à ta recherche » dans la même phrase. Mais je comprends que retrouver les meurtriers de ta Sire est plus important pour toi. Après tout, tu m'as aidé à nettoyer ma merde.
Le vampire âgé fouilla dans une pile de papiers tachés de café sur son bureau. Il y avait tant de fouillis, de dossiers manille et tout un attirail d’objet qu’on ne voyait pas un seul centimètre de sa surface en bois.
Se souvient-il au moins de la couleur d'origine de ses meubles ?
Phil fit un sourire narquois et sortit une note de la pile. Il la tendit à Lucious, qui fouilla dans la poche de sa veste en cuir pour sortir un petit étui en velours.
- J'espère qu'elle l’aimera, déclara Lucious.
Phil accepta la boîte et la rangea dans le tiroir de son bureau.
- J’en suis sûr.
Lucious se leva et fourra le morceau de papier dans sa poche. Il espérait que ce serait la dernière fois qu’il chasserait les loups-garous responsables de la mort d’Anna.
- Es-tu certain que ces informations sont correctes, cette fois-ci ?
- Ça fait plus d'un siècle, Lucious. Personne n'a rien vu et nous avons épuisé toutes les sources.
Il lui donna du dos lorsque Phil ajouta :
- Fais attention aux loups-garous du Conseil. Ils arrivent toujours à leur but.
Avec une inclination de la tête, Lucious sortit. Il n’avait pas beaucoup de temps.
En écoutant le son de ses pas, il se dirigea vers le magasin de téléphone le plus proche. L'une des ampoules halogènes clignota, mais aucun humain à l'intérieur ne le remarqua.
La fille au service clients ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans. Un sourire radieux orna ses lèvres à son entrée. Ses cheveux décolorés se balancèrent d'un côté à l'autre. Elle sentait la cigarette bon marché et un parfum suffoquant.
- En quoi puis-je vous aider ?
Sa voix aigüe lui disait qu’elle allait le soûler, une chose pour laquelle il n’avait pas le temps.
- J’aimerais le téléphone le moins cher que vous avez.
La vendeuse se mordit les lèvres. Après quelques secondes de réflexion, elle se rendit d’un pas rapide vers le mur décoré de téléphones portables. Elle lui désigna quatre modèles volumineux.
- Ils coûtent entre dix et cinquante livres. Lequel aimeriez-vous ?
Lucious voulait vraiment qu’elle se taise, il ne voulait pas se sentir poussé à l'emmener dehors pour mettre fin à sa voix de harpie. Il n’avait pas faim, il venait récemment de s’abreuver de sang, mais sa voix lui transperçait les tampons.
Il sortit deux billets de cinquante livres de sa poche.
- Je te l’ai déjà dit, gamine.
Elle se renfrogna.
- Pas besoin de te comporter comme un con, mon pote.
Lucious scruta l'intérieur orange. Les clients étaient tous sortis et il était seul avec cette humaine effrontée. Il leva la tête pour attirer son attention. Son corps se détendit lorsque leurs regards se croisèrent. Être un mort-vivant avait ses avantages. Il avait la capacité de forcer les humains à obéir à ses ordres.
Une lueur bleue jaillit de ses iris, intensifiant l'effet sur son emprise. Il a suffi d’une faible force pour que sa volonté de se battre soit brisée. Une fois qu'il était certain d’avoir le contrôle, il recula.
- Donne-moi le moins cher, humaine. Tu peux garder la monnaie en crédit.
Il lui tendit l'argent et elle se dépêcha d’exécuter ses ordres, impatiente de satisfaire ses désirs. Il sortit du magasin et copia le minimum de ses contacts sur son nouveau téléphone. Il sortit la batterie de son ancien appareil et la jeta dans la poubelle la plus proche. Les anciens pouvaient le traquer de plusieurs manières.
Il composa le numéro de la seule personne en qui il pouvait faire confiance et son ami répondit après la première sonnerie.
- Alexander, c’est moi.
Il entendit un lourd soupir au bout de la ligne.
- Où es-tu ?
Il scruta les ruelles sombres.
- Toujours à Londres. J'ai une nouvelle piste.
- T'es fou ? Le Conseil te cherche et, toi, tu te promènes dans les rues comme si de rien n’était ?
Lucious afficha un sourire narquois en apprenant que son ami était inquiet pour lui.
- Ne t'inquiète pas. Si cette information est bonne, je pourrais enfin me détendre et Anna aura la paix.
- Et si tu te fais prendre, qu'est-ce qui se passera ?
Il entendit un bruit de clavier en arrière-plan alors qu’il parlait.
- Ecoute, tu peux prendre mon jet privé et te planquer dans mon club un temps.
- Je ne peux pas. Pas pour le moment. Et si...
Alexander jura.
- Et si tu venais te planquer ici et que je suive moi-même ta nouvelle piste.
- C’est à moi de le faire. Je te verrai une fois que tout sera fini.
Lucious raccrocha en entendant le début d'une riposte furieuse.
Il fourra le téléphone dans sa poche arrière et se décida de se rendre dans sa cachette. Au cours du siècle, il avait appris que rester longtemps au même endroit finissait toujours par des ennuis. Les anciens n'étaient pas les seuls à vouloir le retrouver. La personne qui avait averti le Conseil devait sûrement être quelqu’un qui lui en voulait.
En utilisant sa vitesse de vampire, il se dissipa à travers les ruelles sombres en traversant quelques bâtiments au cas où il serait suivi. Arrivé à son appartement, le temps continuait à saper le ciel nocturne.
Finalement. Il sortit le morceau de papier que Phil lui avait donné et il lut le nom écrit dessus. Ses épaules s'affaissèrent. Ça ne lui disait rien. Une fois que tous les proches d'Anna ont été rayés de la liste, les noms étaient devenus une étiquette générique. À quoi s'attendait-il ?
Lucious se rendit directement au frigo, ouvrit la lourde porte et sortit une bière. Il fit sauter le bouchon, but une gorgée de la boisson fraîche et se laissa s'effondrer sur son divan déchiré pour réfléchir.
Un étrange parfum fleuri l'enveloppa, envahissant ses boucliers mentaux d'une énergie étrangère. Sa main droite serra fort la bouteille et l'autre se flanqua sur son estomac. Il se plia en deux de douleurs et se laissa glisser au sol. La bouteille se cassa et il poussa un grognement lorsque le verre lui coupa la main. La bière mélangée à son sang tacha le tapis sale.
L’énergie étrangère se dissipa, laissant derrière elle une connexion singulière.
Il se redressa en position assise et se frotta le ventre. La douleur s'était calmée aussi vite qu'elle avait apparue. Il n'aimait pas du tout ça. Plusieurs vampires avaient juré que le Conseil avait des sorcières qui travaillaient pour eux. Les deux races n'étaient pas sur la même longueur d’ondes, mais il y avait quelques lascars prêts à enfreindre les règles de leur communauté à leur avantage.
Il sortit son téléphone et appela Alexander. Une fois de plus, son ami avait répondu aussitôt.
- Est-ce que tu connais des sorciers dans mon quartier ? demanda Lucious.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Une chose est arrivée à laquelle je ne m’attendais pas.
Alexander soupira.
- As-tu été ensorcelé ?
Lucious éclata de rire. La façon dont les choses s’étaient déroulées aujourd'hui, il ne serait pas du tout surpris que le Conseil se rabatte sur cette dernière solution.
- Non, je crois que j’ai été suivi par l’un d’eux.
- Tu as toujours ton sens de l'humour, mon vieux pote, mais le moment est mal choisi pour ça.
Lucious se leva. En regardant la bouteille de bière en morceaux sur le sol, il se demandait s'il devait vraiment s’en ouvrir une autre.
- Alors, tu peux m'aider ou non ?
Alexander grommela une chose en russe et le son des touches de son ordinateur portable traversa le haut-parleur.
- Désolé, la seule sorcière qui pourrait nous aider se trouve ici.
- Tu ne dis pas ça pour que je vienne, n'est-ce pas ?
Un bruit traînant derrière la porte l’interrompit. Il n’y avait que très peu de locataires habitant dans ce bâtiment et il s’était également assuré que personne ne vivait au même étage que lui. Il raccrocha et glissa son téléphone portable dans sa poche arrière. D'un pas léger, Lucious se rapprocha de la porte et tendit les oreilles.
La porte éclata de ses gonds. En une fraction de seconde, il s'était retrouvé cloué au sol par un vampire qui ferait un très bon lutteur professionnel.
Un objet froid et dur se pressa contre son flanc et il s’arrêta de se débattre. Les traqueurs portaient des armes à munitions en argent qui, tiré au mauvais endroit, étaient une condamnation à mort pour les êtres de leur espèce.
C’est vraiment pas mon jour, aujourd’hui.
- Lucious Ellwood, tu as pour ordre par la présente d'assister à ton procès demain et je suis venu ici pour t'y escorter.
Le vampire saisit Lucious par la gorge.
- Toute tentative de résistance entraînera ton exécution immédiate. Lucious garda la majeure partie de son corps aussi immobile que possible. Il cherchait avec sa main libre un objet qu’il pourrait utiliser comme arme. Ses doigts se posèrent sur la bouteille cassée et il l’agrippa.
- Ai-je été suffisamment clair ?
- Parfaitement clair.
Lucious se redressa à moitié et plongea l'extrémité dentelée de la bouteille dans la poitrine du loup-garou. Un bruit d'os craquelé domina la forte explosion du pistolet.
L’homme émit un cri strident en reculant. Son dos cogna contre le mur et, avec les mains tremblantes, il attrapa la bouteille en verre dépassant de sa cage thoracique tout en visant son pistolet sur Lucious.
Lucious devait agir vite. Là où il y avait un loup-garou, il pouvait y en avoir un autre.
Il jura et se dissipa hors du bâtiment. Il courut jusqu'à ce que la fatigue le submerge et que ses mollets le brûlent. Il n’y avait pas un seul endroit où il serait le bienvenu, maintenant qu’Alexander avait appris la nouvelle. Il était foutu.
Lucious appuya son dos contre le mur latéral d'un immeuble de bureaux et réfléchit à ce qu'il devait faire. Il avait deux options : abandonner sa piste et savoir pourquoi les anciens le poursuivaient ou rester et essayer d’échapper au Conseil en continuant ses recherches. Aucune des deux options ne lui plaisait.
Il donna un coup de poing au mur, faisant éclater des morceaux de brique rouges. La coupure qu’il s’était faite avec le verre cassé de la bouteille s’était déjà cicatrisée et une nouvelle peau avait poussé. Il n’avait plus le choix. Il sortit son téléphone portable de sa poche et envoya un message à Alexander : J’accepte ton offre. L
*****
Lucious monta à bord du jet privé d'Alexander lorsque le soleil se levait à l'horizon. Au moins, la météo était de son côté, cachant les rayons cruels derrière des nuages gris orageux.
Une belle hôtesse de l'air balançait ses hanches sous sa jupe moulante en l'accompagnant à son siège. Elle lui tendit un smartphone et une enveloppe avec son nom inscrit dessus.
Il accepta les objets et se laissa tomber dans le fauteuil en cuir. Il déchira le haut de l'enveloppe.
- Aimeriez-vous vous restaurer, M. Ellwood ? demanda-t-elle en poussant ses mèches d'ébène de son cou.
Il avait la gorge sèche et la douleur à son estomac lui disait qu'il était vide. J'aurais dû finir ma bière.
La femme se glissa sur ses genoux, lui tendant son cou en guise d'offrande. Son parfum épicé envahit ses sens. En posant ses paumes sur ses épaules, elle se rapprocha jusqu'à ce qu'elle soit à quelques centimètres de ses lèvres.
En utilisant le coussinet de son pouce pour caresser sa jugulaire, il fit ressortir la veine palpitante à la surface, la faisant gémir. Elle enfonça ses ongles dans sa veste. Mal à l'aise dans son siège, il se décala. Une lueur argentée à côté de son cou le mit en garde.
Il repoussa la fille, l'envoyant au sol avec un bruit sourd.
- Vous n’auriez pas dû faire ça, M. Ellwood !
Elle se jeta sur lui avec une seringue dans la main. Il lui saisit les poignets, les tirant au-dessus de sa tête.
- Bâtard ! cria-t-elle en se débattant.
Il lui arracha la seringue de la main et la jeta au sol. Le pilote se précipita hors du cockpit.
- Quelque chose ne va pas ?
Lucious s'était retenu de rire en voyant l'humain paniqué, jeter un coup d’œil de derrière le rideau, la bouche bée.
L'hôtesse de l'air profita de sa distraction pour lui donner un coup de pied dans les joyaux.
Une agonie électrisante se répandit dans sa moitié inférieure et il se plia en deux. Des taches noires lui gâchaient la vue alors qu'il se débattait pour rester debout. Ses narines se dilatèrent. Oubliant la douleur entre ses jambes, il se concentra sur sa colère montant en flèche.
La fille se précipita à quatre pattes vers la seringue.
- C’est une bonne idée, dit Lucious en attrapant une poignée de ses cheveux noirs pour lui relever la tête et croiser ses yeux, un dîner n’est pas de refus.
Il enfonça ses canines dans son cou sans se soucier de lui faire mal. Elle criait en se débattant dans ses bras alors qu'il lui suçait son sang. Un grondement s'échappa de sa gorge. Cette humaine avait le goût de cendre de cigarette et de terre, ruinant son plaisir.
Une fois vidée de son sang, il jeta son corps sans vie sur le côté.
- Monsieur, est-ce que vous allez bien ? demanda le pilote en s'essuyant les paumes sur son pantalon noir.
Lucious leva un sourcil en réponse. Alexander avait le don d'embaucher des gens bizarres, certains plus meurtriers que d'autres.
- Très bien, merci.
Le pilote retourna dans le cockpit les jambes tremblantes, laissant Lucious seul.
Dans l’enveloppe, il trouva une carte écrite par Alexander. Une phrase à l'encre noire : Méfie-toi de l’hôtesse de l’air.
Lucious se pinça le nez. Son ami avait certainement un sens d'humour bizarre. Épuisé après cette lutte, il ferma les yeux. Il sentit le lien lui tirer les tripes. Mais, pour une raison quelconque, plus il s'éloignait de l'Angleterre, plus le lien s’intensifiait.
*****
Lucious fut réveillé par une sonnerie. L'heure sur l'écran lumineux de son téléphone lui indiquait qu'il était 18h10.
Il grommela et essaya de savoir où il était. Il était dans une chambre d'hôtel, allongé sur un lit, des rideaux à pois roses tirés sur les fenêtres. L'endroit était assez sombre. Il dût plisser des yeux pour voir où se trouvait la porte. Le pilote a dû l'amené ici après son évanouissement. Avec les loups-garous sur sa piste et ses recherches du tueur de son père, il était devenu vulnérable.
- Je vois que tu es toujours en vie, dit Alexander.
- La prochaine fois que tu m'envoies un cadeau comme celui-là, appelle-moi. Je n'ai pas eu le temps de lire ta carte avant qu'elle essaye de me tuer.
Alexander rit.
- Je ne l'ai pas envoyée, mais j'avais des doutes.
Son amusement se dissipa :
- Il est temps que tu te lèves. Tu as rendez-vous avec la sorcière.
Lucious se glissa dans sa veste en cuir noir.
- Dis-moi où et quand.
*****
Une grande partie de Dublin n’avait pas changé. Les humains détestaient le changement autant que les vampires. Plus le monde changeait, plus leur ajustement était difficile, c'était son interprétation personnelle.
Il s'arrêta aux feux de signalisation. Sa douleur au ventre l'avait repris. Il se frotta l’estomac, mais il avait toujours mal. Il jura dans sa barbe et essaya d’ignorer les douleurs en regardant devant lui. Quelques personnes sur le côté opposé de la rue le fixaient, la plupart étaient des femmes, mais l'une d'elles se démarquait du groupe. Ses yeux noisette disséquaient son âme. Lorsqu'il se força à lui sourire, elle détourna son regard comme une voleuse.
Le feu passa au vert et il traversa la rue à côté de la femme. La tête baissée, elle lui rentra dedans et il la rattrapa. Au moment où ses mains se posèrent sur ses épaules, la douleur se dissipa et ses doigts bourdonnèrent d'une énergie étrange.
Qui est-elle ?
Elle le dévisagea. Elle n’était sûrement pas une sorcière bien entraînée comme il s'attendait. Elle avait moins de vingt ans. Aucune chance qu'elle possède le pouvoir de le suivre d’un pays à un autre. Elle devait sûrement faire partie du cercle local.
Le vent soufflait, remplissant ses narines de son parfum fleuri. Il savait qu'il ne se trompait pas.
Elle s'arracha de lui et partit en trombe.
La voiture sur sa gauche klaxonna, lui indiquant que le feu n'était plus vert pour les piétons.
Sans plus tarder, Lucious la suivit. Innocente ou pas, elle avait créé un lien entre eux. Si le Conseil arrivait à la retrouver, il pourrait le localiser. Il refusait que cela arrive.
La fille jetait un coup d'œil par-dessus son épaule de temps en temps. Sa prudence ne le dérangeait pas. Se cacher dans l'obscurité était une chose à laquelle il s'était habitué lorsqu'il chassait ses proies.
Une fois arrivée à l’arrêt de bus, elle posa sa main sur sa poitrine comme pour essayer de se calmer. Elle n’avait rien de particulier. Elle portait des vêtements simples : un jeans et un anorak. En se précipitant à l’intérieur d’un magasin, elle se cogna dans un homme musclé. Une rafale d'excuses sortit de sa bouche, la tête baissée. Elle fit le tour du magasin pour trouver le vendeur, qui lui remit une chose. Elle ressortit du magasin en courant et sauta dans un bus.
Lucious attendit que le bus s’éloigne. Il entra dans le magasin rempli de clients et se dirigea à grands pas vers le vendeur.
- Puis-je vous aider ? lui demanda un adolescent derrière le comptoir.
Il fixa son regard dans les yeux du gamin et l'expression de l'adolescent se détendit.
- Donne-moi ce que la fille aux cheveux violets vient de te remettre.
L'adolescent lui tendit quelques feuilles de papier agrafé intitulées 'CV'.
Assis sur le banc dans le parc voisin, il parcourut le CV. Elle avait dix-neuf ans - une enfant. Elle avait donné ses coordonnées, mais pas d'adresse - intelligente. Il parcourut les pages pour avoir une idée de ce qu'elle était. À sa grande consternation, les informations lui étaient inutiles. Il enregistra son numéro de téléphone.
*****
Lucious était arrivé à la propriété privée de son vieil ami. Il s'arrêta devant le manoir victorien de trois étages qu'Alexander avait converti en boîte de nuit. Une enseigne en néon rouge au-dessus de l'entrée affichait des lettres courbées « Russian Roulette », qui illuminait la rue tout comme un arbre de Noël.
Il se rendit à la tête de la file d'attente où un videur gardait la porte principale du club.
- Je suis ici pour voir Alexander.
L'homme portant un badge avec le nom « Dean » le dévisagea d’un coup d’œil rapide.
- Et vous êtes ?
- Attendu ! Sois sympa, mon pote et laisse-moi passer.
Sa patience à bout, Lucious relâcha sa prise sur ses boucliers mentaux. Il laissa son énergie encercler le videur. Un siècle de vie en plus permettait aux vampires d’avoir plus de pouvoir sur les plus jeunes.
Dean sentit l'intrusion et recula d'un pas incertain. Il fit signe à Lucious de passer.
- J'espère que vous n'êtes pas là pour semer le trouble.
Lucious l'ignora et déambula à l'intérieur. Les choses n’avaient pas beaucoup changé depuis sa dernière visite. La salle de réception de couleur prune semblait plus sombre avec les ampoules faibles encastrées dans le plafond. Le boom de la musique rock le guida vers l'endroit où Tanya, l’unique infant d'Alexander, était assise avec un magazine de mode sur les genoux.
Sans lever les yeux, elle désigna la liste des prix sur le mur.
- Tanya, où est-il ?
Elle laissa tomber son exemplaire de Vogue au son de sa voix et rebondit de sa chaise. Sans prévenir, elle se jeta sur lui, le piégeant dans une étreinte serrée.
- Tu m'as manquée. Ça fait une éternité que tu n'es pas venu ici, lui murmura-t-elle à l'oreille.
Lucious lui retira les bras et recula légèrement.
- Je suis désolé, j’étais très occupé.
En rejetant ses cheveux blonds en arrière, elle fit la moue.
- Ils disent tous ça.
Comme il s’était tu, elle soupira et désigna le couloir sur sa gauche.
- Il doit être dans son bureau. Tu connais le chemin.
Il se dirigea vers la porte et elle lui attrapa le bras. Elle pausa sa paume sur sa poitrine et ses ongles longs s'enfoncèrent dans le cuir de sa veste. Il ne ressentait vraiment rien envers elle. Peu importait le nombre d'années qui s’étaient écoulées, il n'avait jamais eu une attraction sexuelle pour elle.
- Reviens me voir dès que tu as fini, peut-être que tu auras besoin de moi, lui dit-elle en lui faisant un clin d'œil.
Lucious voulait se débarrasser d'elle, il lui donna un léger baiser sur la joue.
- D'accord, ma chérie, murmura-t-il.
- Tu es un allumeur, dit-elle en se rasseyant sur sa chaise.
Lucious décida de ne pas lui répondre et de se rendre directement au bureau d’Alexander. Il longea un long couloir faiblement éclairé, encombré d'affiches de groupes qui ne l'intéressaient pas. Arrivé à une porte en acier au bout du couloir sans fenêtre, il s'arrêta.
Il frappa. Le son traversa le métal épais. En entendant l’invitation, il fit son entrée dans la pièce. Il gémit de mécontentement en voyant Alexander dans une scène intime.
Alexander était connu pour avoir plusieurs partenaires. Il ne changera jamais. Un homme maigre et pâle était allongé entre deux femmes nues sur un très grand lit. Ils étaient tous les trois nus.
Lucious détourna son regard vers le bureau en ébène jonchés de paperasses et d'affiches. Des carreaux de marbre noir brillaient sous ses pieds bottés, contrastant avec les meubles ivoires. Les deux seules couleurs approuvées par Alexander.
- Ne fais pas ton timide ! lui dit Alexander. Tu peux te joindre à nous, si tu veux.
Lucious hocha la tête et se laissa tomber dans un fauteuil face au bureau.
Alexander chuchota quelques mots aux filles et elles se levèrent du lit. Il enfila le pantalon blanc jeté sur le sol. A moitié rhabillé, il donna un coup de coude à la jeune femme aux cheveux courts châtains.
- Permets-moi de t'offrir le dîner.
La jeune femme lança un coup d’œil à Alexander par-dessus son épaule comme pour lui demander la permission.
Avec une expression désintéressée, Lucious la suivit du regard alors qu’elle se rapprochait de lui. Elle avait l'air trop jeune pour être ici. Elle avait une dizaine de marques de morsure sur le corps.
Lucious leva la main en signe de protestation.
- Non, merci, je me suis déjà nourri.
La brune se caressa les seins.
- Tu es sûr, chéri ?
- Assez, dit-il en écartant l'humaine et en fixant Alexander du regard. Il faut qu'on parle.
Son ami se passa les doigts dans ses cheveux courts platine. Ses yeux gris pâle inspectaient Lucious sous des sourcils sombres. Il aboya en italien et les filles se dispersèrent pour ramasser leurs vêtements. Elles sortirent rapidement du bureau, en marmonnant leur mécontentement.
Alors qu'Alexander s'approchait de lui à grands pas, Lucious essaya de se souvenir de leur dernière rencontre. Même s’il était venu en Irlande il y avait dix ans, c’était la première fois qu’il venait au club. Ses recherches à l’époque lui avaient pris tout son temps. La dernière fois qu'ils s'étaient rencontrés remonte à près de cinquante ans, lorsque les choses avaient mal tourné avec Zafira - une époque qu’il aimerait effacer de sa mémoire.
Lucious se leva et tendit sa main vers Alexander.
- Ça fait longtemps.
- Oui, c'est vrai, répondit Alexander.
Il ignora sa main et attira Lucious en une forte étreinte. Comme toujours, des manières et des maladresses.
- Vous, les britanniques, vous devez apprendre à vous détendre un peu.
Immobile dans ses bras, Lucious tapota le dos d'Alexander.
Alexander gloussa et le relâcha sans dire un mot de plus. Il ouvrit la porte du bar de son bureau.
- Est-ce que je peux t'offrir un verre ?
- J’en ai vraiment besoin avec tout ça !
- Que se passe-t-il ?
Alexander sortit deux verres en cristal du deuxième tiroir de son bureau, les remplit à moitié d’un alcool ambré d'une carafe et lui en tendit un.
- Je crois que tu le sais déjà.
- Si je le savais, je ne risquerais pas mon immunité pour cacher un fugitif à Eliza et au Conseil. Suis-moi !
Ils traversèrent des doubles portes pour se retrouver dans un salon spacieux. Des étagères de livres et des vitrines de poignards de l’antiquité ornaient les murs.
Alexander s'assit sur le canapé Chesterfield en cuir blanc.
- Je t'écoute.
Lucious accepta l'invitation et se détendit dans un fauteuil, face de son ami. Il posa son verre sur la table basse et croisa ses mains sur son ventre.
- Par quoi veux-tu que je commence ?
- Et si tu commençais par m'expliquer pourquoi tu n'es pas allé voir la sorcière ? Apparemment je lui ai fait perdre son temps et elle pourrait nous jeter un sort à tous les deux.
- C'est parce que je l'ai trouvée.
Alexander arqua ses sourcils noirs.
- Trouvé qui ?
- La sorcière ou ce qu'elle est, qui a créé le lien entre nous.
Il se souvint de son apparence - presque trop innocente.
- Et quoi ? Tu l'as laissée partir ?
Lucious sourit.
- J'ai son nom et son numéro de téléphone.
Alexander avala son poison de premier choix.
- Pour être honnête, je ne comprends pas pourquoi tu ne l'as pas amenée ici avec toi. Je l’aurais influencée et je lui aurais fait l’amour jusqu'à ce qu'elle m’avoue pour qui elle travaille.
- Je n'aime pas les gamines, Alexander.
Alexander haussa les sourcils.
- Hum, une jeune sorcière avec un sort de traquage ? Je suis vraiment impatient de voir ça.
- Ce n’est pas un sort de traquage. C’est autre chose.
- Très bien, je t’écoute.
Alexander prit son ordinateur portable du siège à côté de lui et le nicha dans ses genoux.
- Donne-moi ses coordonnées et je verrai ce que je peux trouver sur elle.
Lucious obéit. Alors que son ami faisait des recherches sur son ordinateur, il sirotait son scotch.
Au bout de dix minutes, Alexander poussa un grand soupir.
- Elle n'appartient à aucun cercle Wiccan de mes bases de données. Elle est… étudiante et presque normale.
- Presque normale ?
- On dirait que notre petite sorcière a bénéficié d’une thérapie lorsqu'elle était enfant, mais ses dossiers sont scellés. Je ne peux pas accéder aux informations. Veux-tu que j'envoie quelqu'un trouver plus d’informations sur elle ?
Lucious se frotta le menton.
- Pourquoi ne pas le lui demander en personne ? J'ai une idée.

4
L’entretien
Le bruit sourd de la porte d'entrée lui apprit qu'Andrew venait de quitter l'appartement. Depuis hier soir, elle n’avait pas osé le regarder dans les yeux. Après son cauchemar, elle avait eu froid. Elle avait juste eu besoin d’un peu de chaleur, rien d’autre.
Mais se mentait-elle ?
Helena rangea ses livres et ses affaires dans son sac. Elle sortit un pantalon noir et une chemise blanche de sa garde-robe. Elle détestait porter du blanc. Celui qui avait décidé que les mariées devaient s'habiller en blanc n'avait sûrement pas pensé à la facture du pressing et le discours sur la pureté de la mariée était une chose surestimée de nos jours.
Elle s’attacha les cheveux en queue de cheval, saisit son sac à dos et descendit l’escalier.
Laura s'affairait dans la cuisine. Elle s’était attachée les cheveux en chignon, maintenus par des petits bâtons chinois colorés.
Helena laissa tomber son sac sur le canapé et se rendit à la bouilloire.
Son amie lui lança une expression sévère en s’adossant au comptoir. Elle tenait une fraise dans une main et un couteau dans l'autre.
- Pourquoi tu essayes d’éviter Andrew ?
- Qu'est-ce que tu fais ?
Laura retroussa ses lèvres en un sourire diabolique.
- Tu essayes de changer de sujet ?
Helena vérifia s’il y avait assez d’eau dans la bouilloire et appuya sur le bouton ‘marche’. Elle avait décidé de lui dire la vérité.
- Nous… nous nous sommes enlacés hier soir.
Laura poussa un cri. Helena roula des yeux et leva ses mains pour l’interrompre.
- J’ai fait un cauchemar et il m'a réveillée, expliqua Helena. Nous nous sommes enlacés spontanément. Rien de spécial.
- Continue à te comporter comme ça et tu finiras par devenir une vieille fille, sans personne à tes côtés.
Helena tambourinait le comptoir de ses ongles. Pourquoi la bouilloire mettait autant de temps à bouillir ? Elle ne voulait pas parler de ses relations amoureuses si tôt le matin, pas quand elle devait interroger Michael sur son père. Depuis qu’ils étaient revenus du royaume des anges, elle n’avait pas pu le joindre. C'était comme s'il l'évitait exprès. C'est exactement ce que tu fais avec Andrew…
- Comme tu ne vas pas me donner des détails, je vais devoir utiliser mon charme de pâtissière plus tard.
Helena lui saisit le bras.
- Tu n’as pas le droit de faire ça !
- Bien sûr que j’ai le droit. Andrew sera aux anges.
- La dernière fois que tu as cuisiné, nous avions dû suivre un régime pendant une semaine !
- Je crois que c'est un marché équitable.
Laura posa le couteau toujours en souriant.
- Soit tu me racontes tout maintenant, soit tu prépares ta balance.
Helena renifla. Toute cette situation était ridicule, mais c'était ce qu'elle aimait chez Laura. Elle était toujours prête à aider ou à remonter le moral aux gens, même si elle utilisait des moyens un peu trop indiscrets.
- D'accord, tu as gagné.
La bouilloire siffla et Helena se prépara un café en racontant à Laura une version éditée des événements de la nuit dernière, supprimant bien sûr les parties qui pourraient être interprétées comme débiles.
Son amie l'écoutait attentivement en hochant la tête de temps en temps. Son anecdote terminée, Laura mangea le reste de ses céréales d'un air amusé.
- Quoi ? demanda Helena.
- Tu veux savoir ce que je pense ?
- Est-ce que j'ai le choix ?
Laura hocha la tête.
- Quand tu rentreras ce soir, tu iras directement vers lui et tu lui donneras un baiser.
Elle haussa un sourcil.
- Un baiser ?
- Exactement ! Laura passa son sac à rayures roses et jaunes par-dessus son épaule. C’est ce dont vous avez besoin tous les deux. Maintenant, je ferais mieux d'y aller ou je vais être en retard en cours.
Helena jeta un coup d’œil à l'horloge. Il était presque neuf heures, il lui restait encore une heure.
Son amie lui donna une tape rassurante sur le dos.
- Souviens-toi, un beau et un long baiser. Si je reviens et que vous ne sortez pas ensemble, je cuisinerai pendant un mois.
- Avertissement noté, répondit Helena.
Laura sortit avec un léger saut dans sa démarche. Au moins une personne est contente.
Elle finit son café tiède en prenant son temps. Elle se rendit au canapé sur lequel elle s'étira et ferma les yeux, en se concentrant sur ses boucliers. Plus elle pratiquait, plus vite elle sortirait de son état demi-conscient.
À l'intérieur de ses barrières mentales, elle était sur le sol en damier. La bulle en acier familière l'entourait. Cette fois, elle était calme. Tout ce qui s'était frayé un chemin avait disparu et la confrontation lui apporta une autre question sans réponse.
Elle appela Michael qui se matérialisa presque aussitôt devant elle. Son teint doré avait perdu un peu de sa couleur.
- On doit parler, lui dit-elle.
Michael resta immobile. Elle n'était pas sûre qu'il respirait.
- Bien… commençons par ce qui s’est passé hier. Qu'est-ce que c'était ?
- Ça ne te concerne pas.
Contrariée, elle essaya de reformuler sa question. Elle savait qu’il détestait qu'on lui mette la pression pour avoir des réponses. S’il sentait qu’elle allait lui poser des questions sur sa vie d'ange, il disparaîtrait sans dire un mot.
Elle se serra les mains et se retint de lui lancer des accusations inutiles. La créature d’hier soir avait essayé d’entrer à l'intérieur de ses boucliers mentaux. Bien sûr que cela la concernait !
- Michael, dis-moi, s'il te plait.
- Si t'as fini, j’ai d’autres choses à faire.
Elle attrapa la manche crème de sa chemise, dont une grande partie était cachée par un gilet en cuir marron attaché par des boucles argentées sur sa poitrine. Le coton rugueux irrita sa peau, mais elle s'y accrocha tout de même.
Il se renfrogna.
- Tu ne peux pas partir. Et…
Elle baissa les yeux en essayant de penser à ce qu'elle pourrait lui dire. La corde pâle, dont elle se souvenait du royaume du destin, lui sortait du ventre. D'un air absent, elle la caressa.
- Et la corde ? Pourquoi est-elle toujours là ?
Michael lui toucha la main et leurs regards se croisèrent. Pendant un bref instant, elle croyait qu'il était sur le point de lui dire quelque chose, mais il repoussa sa main.
- Tu dois me faire confiance, Helena. Je suis ici pour veiller sur toi et non pour répondre à ta profusion infinie de questions.
Ses mots irritants la blessèrent. Elle n'était pas sûre de vouloir des réponses à toutes ses questions. Ses doigts tirèrent sur la corde qui émit un léger bourdonnement. Puisqu'il l'avait emmenée dans le royaume des anges, elle pensait qu'il pourrait également l’aider dans ses recherches. Il pourrait avoir des ennuis pour avoir accepté de l’aider.
- Je suis désolée, dit-elle.
L’expression de Michael s’adoucit.
- Tout ce que je te demande est de me faire confiance. Je serai toujours à tes côtés, quoi qu'il arrive.
Ses doigts caressaient doucement sa joue, comme si elle était en verre fragile.
- Le lien que tu as créé avec le vampire doit être rompu dès que possible. Tu es en danger. Ce soir, lorsque tu rentreras et que tu affirmeras tes sentiments pour ton ami humain, je ferai de mon mieux pour briser le lien. D'accord ?
Helena ne voulait plus rien avoir avec le monde surnaturel. Tout ce qui lui importait pour le moment était de retrouver son père - où qu'il soit. Se mettre en danger ne lui serait d’aucune aide.
- D’accord !
*****
Son sac dansait sur son dos alors qu'elle courait vers le bâtiment des arts. Elle ne s'était pas attendue à ce que son bus tombe en panne au milieu d’une rue encombrée. Ce n’était vraiment pas son jour de chance aujourd'hui.
Elle releva le bord de la manche de sa veste pour vérifier l'heure. Son cours allait commencer dans trois minutes. En haletant, elle fit irruption dans le bâtiment rempli d'étudiants énergiques et de bavardages. En se faufilant dans la foule, elle se rua vers une salle de conférence. Près de la porte, elle aperçut sa camarade de classe.
- Nadine, attends ! appela-t-elle.
La fille s'arrêta.
- Bonjour !
Helena avait du mal à contrôler son malaise. Nadine était presque contrariée de la voir. Elle avait pris à cœur l'encouragement de Laura à se faire des amis et elle voulait être sûre de faire de son mieux pour y arriver.
En glissant ses mains dans les poches de son jeans, Helena dit :
- Je suis désolée de t'avoir vexée la dernière fois.
Nadine la fixait de ses yeux marrons. Pour quelqu'un de si jeune, elle semblait avoir beaucoup de connaissances et d’expériences dans la vie. Dès qu’elle avait détecté son sourire ennuyé, Helena se dit mentalement qu’elle n’arriverait jamais à se faire de nouveaux amis.
- Tu ne m'as pas vexée, j’avais un rendez-vous.
Helena lutta pour ne pas laisser sa surprise paraître sur son visage. Est-elle sérieuse ? Elle se mordit les lèvres. Elle n’aurait jamais pensé que leur conversation irait plus loin qu’un simple bonjour.
- Le cours va bientôt commencer. Tu veux bien t’asseoir à côté de moi ? demanda Nadine.
Avec un sourire d’idiote, Helena la suivit dans la salle de conférence en se donnant mentalement une tape dans le dos pour se féliciter. Laura sera fière d’elle.
*****
Helena attendit à côté de Nadine que tous les étudiants sortent. Elle regarda sa nouvelle amie. Pour une raison quelconque, Nadine se comportait comme un chat perdu et Helena ressentit le besoin de lui venir en aide.
- Es-tu libre pour le déjeuner ? demanda Helena.
Nadine jeta un coup d'œil dans son journal. Plusieurs choses y étaient notées pour la soirée, mais Helena n’arrivait pas à lire ses minuscules gribouillis.
- Oui.
Elles sortirent ensemble de la salle de conférence. Le couloir était presque vide, seulement quelques étudiants assis par terre à bavarder.
Helena décida de se rendre au café où elles s'étaient rencontrées la première fois. Ses doigts jouaient avec le crochet métallique de son sac, tandis que le silence entre elles était rempli des conversations occasionnelles des personnes qui passaient. Elle ne savait pas si Nadine préférait le silence ou si elle attendait qu’elle commence à parler.
- L'essai que nous avons sur l'Égypte ancienne, as-tu décidé sur quoi tu vas écrire ?
La fille pencha la tête sur le côté.
- Je pense que ce devoir va beaucoup me plaire. Ça parle du long chemin que nous, les humains, avons parcouru.
Elles tournèrent au coin. Les murs étaient couverts d'affiches pour une prochaine fête. Helena les regarda avec dégoût. Les fêtes, les boîtes de nuit et les concerts n'étaient pas son truc. Elle préférait s'éloigner des endroits bondés.
- Je n'ai jamais trouvé les égyptiens intéressants, admit Helena. L'esclavage n'est pas ma tasse de thé.
- Une âme pure ne peut pas accepter la cruauté.
Helena dévisagea Nadine. Elle affichait ce même sourire mystérieux qui la troublait.
- Pourquoi tu fais ça ?
Nadine fronça des sourcils.
- Que veux-tu dire ?
- Tu souris, mais on a l'impression que tu te forces à le faire.
Nadine s'arrêta dans l'escalier, la tête baissée.
- Ecoute, je ne voulais pas te vexer…
Nadine hocha la tête. Elle écarta sa frange de ses yeux et sourit. Son premier vrai sourire. Helena se sentit heureuse.
- Personne ne m'a jamais dit ça auparavant. Les gens, en général, préfèrent m’éviter dès qu’ils en apprennent plus sur moi… le vrai moi.
Nadine reprit la descente des marches.
Un million de questions se poussaient les unes les autres à l’intérieur de sa tête. N'importe qui de normal feindrait le désintérêt et changerait de sujet. Helena refusait de le faire. Elle voulait savoir pourquoi cette fille avait dressé une barrière autour d'elle pour s’éloigner des autres.
Helena attrapa le bras de la fille en bas des escaliers.
- Est-ce que tu tortures des chiots, est-ce que tu roules en sens inverse dans une rue à sens unique ou quelque chose comme ça ?
Nadine détourna ses yeux et se mordit la lèvre inférieure. Helena avait détecté dans ses yeux une douleur profonde et déchirante.
- Je ne peux pas avoir d'amis parce qu'ils seront chassés par les ténèbres qui me suivent.
La frange de Nadine tomba sur ses yeux comme une armure.
- J'allais oublier, je dois me rendre quelque part.
Helena la rattrapa par les épaules, forçant la fille à s’arrêter. Pour une fois, elle s’était retenue de dire ce qu’elle pensait. Alors qu’Helena cherchait ses mots, Nadine repoussa sa main.
- Helena, les gens comme toi brillent de mille feux. Je ne veux pas qu’une chose de mal t’arrive à cause de moi.
- Tu ne penses pas que c’est à moi de prendre cette décision ?
- Tu ne réalises pas à quel point c’est dangereux d’être avec moi !
- Et si tu m’expliquais !
La main chaude de Nadine caressa la joue d'Helena.
- Je suis désolée, mais, à la place, je vais te montrer.
Le corps d'Helena se détendit et sa vision s'assombrit. Des images floues se mirent à flotter devant ses yeux. Elle se concentra. Plus elles défilaient, plus elles devenaient claires.
Au début, elle vit une obscurité semblable à un brouillard recouvrant le sol. Elle leva les yeux et croisa des orbes rouge brillant. Ils s'ouvraient et la fixaient. L'obscurité se déplaça. Elle réalisa que ce qu’elle voyait n’était pas un brouillard, mais une masse de corps. Des centaines de corps ébène lisses, écaillés, velus, affamés, entrelacés comme dans un nid. Impossible de voir leurs extrémités. Leurs mains griffues étaient tendues dans sa direction, comme si elles essayaient de l'attirer à l’intérieur de l’amas emmêlé.
De l'air froid l'enveloppa, s'infiltrant sous sa peau. Elle sentit des frissons. Elle ne voulait pas que ces créatures la touchent ou même qu'elles s’approchent d'elle.
Ce n’est pas réelle, se rassura-t-elle. C’est juste un rêve débile.
De longues mains osseuses s'enroulèrent autour de sa cheville. Elles serrèrent fort.
Elle se mit à crier et recula en titubant, relâchant la main de Nadine. Helena était sur le point de lui donner une partie de son esprit, mais elle se figea lorsqu'elle vit les traits tristes de Nadine.
Nadine baissa la tête.
- Je suis désolée, je dois m’en aller. S'il te plait, oublie-moi.
Helena tendit la main pour la retenir, mais changea aussitôt d’avis. Le froid du rêve était toujours présent en elle. Il la glaçait au plus profond de son âme, même si elle n’avait plus mal à la cheville.
Quoi que Nadine fût, elle n'était pas normale, et normal était la seule chose dont Helena avait besoin ces jours-ci.
*****
La journée à l'université était terminée et le soleil commençait à se coucher sur la ville monotone, baignant le ciel de teintes multicolores. Helena se changea dans les toilettes dans les vêtements qu’elle avait apportés pour l'entretien et prit un taxi. Lorsqu’elle donna l'adresse au chauffeur, il lui fit un sourire narquois, comme pour dire qu’il savait où elle allait.
Elle l’ignora et se concentra sur son entretien. Elle voulait penser à n'importe quoi qui lui ferait oublier Nadine et ses visions.
La dernière fois qu'elle s’était rendue à un entretien remontait à deux ans. Elle l'avait lamentablement raté. Elle ne s'était pas préparée au bombardement de questions sur les tendances actuelles de la mode ou sur ce qu'elle savait de l'entreprise. Pour elle, les vêtements servaient tout simplement à cacher sa nudité. Les personnes dans le quartier où son taxi s'était arrêté ne semblaient pas être du même avis, elles affichaient plus de chair que nécessaire dans leurs minijupes moulantes et leurs décolletés bien échancrés.
- Êtes-vous sûr que c’est la bonne adresse ? demanda-t-elle en détachant sa ceinture de sécurité.
Il hocha la tête et regarda son sac avec impatience.
Elle fixa les femmes qui faisaient la queue devant le manoir victorien. Une enseigne en néon rouge vif au-dessus de la porte affichait « Russian Roulette ».
Helena régla sa course au chauffeur et sortit du taxi, hésitante. Elle ne pouvait plus changer d’avis, le taxi avait déjà redémarré en soulevant le gravier sous ses pneus. L'une des pierres la cogna à la cuisse et elle lança un regard noir vers le véhicule qui s’éloignait.
Pourquoi je suis ici ?
Elle se rappela de son indépendance, elle avait besoin d'un emploi. Mais travailler dans une boîte de nuit la faisait se sentir mal.
Peut-être qu'ils ont un travail de bureau ?
Helena resserra sa veste autour de son corps tremblant. Elle se sentait mal à l'aise avec son sac à dos volumineux suspendu à son épaule, alors que les autres femmes tenaient des sacs à main scintillants. Elle prit une profonde inspiration. Cela l'aida à calmer l'étrange sensation qui lui chatouillait l'estomac. Elle se dirigea vers un imposant videur d’un mètre quatre-vingt, debout à l'entrée.
Il la fusilla du regard et elle le raya mentalement de sa liste des personnes avec lesquelles elle s'entendrait.
- Je suis ici pour un entretien.
Au moins, sa voix ne tremblait pas autant que ses entrailles, face au regard mortel qu'il lui lançait.
Le videur croisa les bras sur sa large poitrine. Le mouvement étira le tissu de son T-shirt noir pour révéler une masse intimidante de muscles.
- Votre nom ?
Son ton était menaçant. Helena dit son nom d’un rythme saccadé. Il ouvrit la porte derrière lui. Dès qu’elle franchit le seuil, elle entendit un flot de plaintes des autres clients attendant leur tour pour rentrer.
Helena leva la tête et avança en traînant des pieds. Le couloir sombre menait à une réception où une femme était assise derrière un comptoir, tenant un magazine de mode dans des mains parfaitement manucurées. Ses talons rouge vif reposaient sur la table. Helena fixa ses pieds. Sa position avait fait remonter sa jupe noire jusqu'aux cuisses, exposant sa lingerie en dentelle.
- Bienvenue à Russian Roulette.
La blonde regarda ses vêtements et fit une grimace.
- Tu dois être la candidate pour le poste.
Helena répondit par un signe de tête et attendit les instructions. La blonde lui désigna le couloir adjacent.
- C’est par là. La deuxième porte au fond sur ta droite.
Helena avait la gorge sèche. Elle avala le peu de salive qui s'était accumulée dans sa bouche. En faisant de grands efforts pour se rassurer, elle prit la direction indiquée. Elle sentait des picotements au ventre. Qu’est-ce qui lui arrivait ? C'était comme si son lien essayait de lui dire quelque chose.
Helena s'arrêta devant la porte pour vérifier si elle était au bon endroit. Elle frappa, mais elle n’eut aucune réponse. Elle décida de rentrer. C'était probablement la salle d'attente.
Elle enclencha la poignée métallique froide et, avec un clic presque silencieux, la porte s'ouvrit. Elle jeta un coup d'œil à l'intérieur et étudia le décor monochromatique. Un minibar en bois noir sur sa droite avec des bouteilles de whisky à moitié vides, deux canapés en cuir blanc au centre d’une vaste pièce. Ses yeux se posèrent sur deux hommes assis, comme le jour et la nuit.
Un homme aux cheveux blanchâtre et platine l'étudiait du regard. Ses yeux argentés troublants reflétaient presque le dégoût et l'irritation, contrairement à l'accueil chaleureux auquel elle s’était attendue. Elle baissa les yeux sur ses vêtements. Ils étaient parfaits pour un entretien.
Une sonnette d’alarme retentit dans son esprit. Elle l’ignora et essaya de reprendre le contrôle de ses nerfs.
L’homme se leva, exhibant son costume blanc impeccable, et lui fit signe de s'asseoir face à lui. Aucun de ses recruteurs n’avait prononcé un seul mot. C'était peut-être une sorte de test ? Et si c'était le cas, elle espérait que cet entretien ne soit pas long.
- Helena, cours !
Les mots de Michael résonnèrent fort dans sa tête, la faisant grincer des dents. Elle s'arrêta dans son élan dans l’espoir qu’il lui donne des explications.
- Ils ne sont pas ce que tu crois. Excuse-toi. Dis-leur que tu veux aller aux toilettes. N'importe quoi. Vite !
Helena sentit son rythme cardiaque s’emballer de panique, alors qu’elle essayait de trouver une excuse.
- Je... Je... est-ce qu'il y a des toilettes, ici ?
L'homme pâle tourna son regard vers le deuxième inconnu. Ce dernier avait les cheveux courts couleur corbeau et portait une veste en cuir noir cintrée aux épaules. Il lui semblait familier.
- Sors d’ici ! Maintenant ! lui cria Michael dans sa tête.
Helena ne prit pas la peine d’attendre qu’on lui réponde. Elle tourna ses talons et se précipita vers la porte. Mais avant qu’elle n’y arrive, une chose la claqua contre le mur et elle poussa un grognement de douleur.
- Nous n’avons pas encore fini avec toi, ma chère, lui chuchota une voix rauque à l’oreille.
Elle avait détecté un accent anglais.
- Je veux m’en aller !
Elle se poussa du mur.
- Si tu essayes de t’enfuir, tu mourras.
Ses mots froids l’envahirent d'une terreur paralysante. Le grand inconnu lui serra les bras et la fit tourner, lui pressant le dos contre sa poitrine solide. Son sac à dos glissa de son épaule. Il le ramassa et le balança près du minibar. Le deuxième homme était maintenant assis sur le canapé.
Helena pencha la tête sur le côté, essayant de comprendre comment quelqu’un pouvait se déplacer aussi vite sans qu’elle ne le remarque.
Il la tira vers le canapé, la poussa dessus et se laissa choir à côté d'elle avec élégance tout en gardant ses yeux bleu-marron pénétrant fixés sur elle.
Helena se souvint soudain.
- Vous…
Elle voulait se maudire de ne pas avoir compris plus tôt. Elle avait ressenti le même étrange picotement au ventre la première fois qu'elle l'avait croisé dans la rue.
Le bel inconnu révéla une paire de dents blanches avec deux canines allongées.
- Vampire ! s’exclama-t-elle.
- Lucious, es-tu sûr que cette enfant est Wiccan ? lui demanda son compagnon.
Sans briser leur contact visuel, Lucious répondit :
- Je ne sais pas ce qu’elle est, Alexander. Je n'ai pas d'influence sur elle.
Helena était confuse, que voulaient-ils dire ?
Rapide comme l'éclair, sa main attrapa son épaule et l'attira assez près pour que leurs cuisses se touchent.
Elle fit la grimace.
- Qu'est-ce que tu pensais faire ?
Lucious gloussa.
- Je l'aime bien. Elle a l’air intelligente.
- Arrêtez de parler comme si je n’étais pas présente dans la pièce !
Elle se mordit la lèvre, sentant leurs yeux la fixer. Pourquoi Michael ne dit plus rien ? Attend-il qu’une chose arrive ? Elle appela mentalement son tuteur. Comment a-t-il pu m'abandonner dans cette situation ?
Alexander se leva et serra sa mâchoire entre son pouce et son index.
- Si tu oses encore parler sans qu’on te le demande ou si tu nous mens, sorcière, je t'arracherai le cœur.
Helena frissonna, ne sachant pas si le froid qui la consumait était sous l’effet de ses paroles froides ou de son toucher.
Alexander la relâcha et se rassit face à elle. Il posa ses coudes sur ses genoux en joignant les mains.
- Maintenant, dis-nous ce que tu es.
Paralysée par ses nerfs déchaînés, elle réunit tout son courage.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je suis humaine.
Lucious leva la tête, la forçant à le regarder. Ses yeux bleu étrange brillaient intensément.
Les secondes s'écoulèrent. La lueur dans ses yeux s'intensifia, puis il fronça des sourcils et baissa la main.
- À moins que tu ais une autodiscipline extraordinaire, ma chérie, tu es plus que ce que tu veux laisser entendre, même si tes mots sonnent vrais.
Le regard d'Alexander la troublait. Il ne disait rien. Son silence l’effrayait. Ses yeux perçants devenaient de plus en plus brillants.
Est-ce que tous les vampires avaient la capacité de faire ressembler leurs yeux à de minuscules lampes de poche ? Pourquoi faisaient-ils ça ?
- Tu as raison. Je n’arrive pas non plus à l’influencer, dit finalement Alexander.
Helena était restée silencieuse. Son esprit n'arrêtait pas de se poser des questions, mais elle avait peur de les poser à voix haute. En tout cas, pas avant qu'elle ne sache ce qui se passait.
- Puisque vous n’arrivez pas à me contrôler, auriez-vous l’obligeance de me dire ce que je fais ici ? s’entendit-elle demander malgré elle.
- Tu n'as pas encore répondu à ma question, dit Lucious.
- J'ai...
L'œil de Lucious convulsa.
- Tu n’as pas besoin de répéter la même chose.
Helena se retint de jurer. Elle serra ses mains en poings pour contrôler son envie de leur crier dessus. Elle essaya de répondre d’un ton calme.
- Moi, non plus, mais nous y voilà !
- Tu comprends… commença Alexander.
- Que vous pouvez me tuer ici et tout de suite ? Oui, j'ai compris le message, elle fixa Lucious et ajouta, alors, faites-le maintenant ou laissez-moi partir.
Elle n'avait aucune idée comment elle avait pu réunir autant de courage. Au fond d’elle, tout son corps tremblait de peur. Chaque mouvement de leur corps la mettait sur ses gardes. Sa fausse bravade était la dernière barrière qui la gardait saine d'esprit.
Les deux vampires avaient l’air très contrariés par son comportement. Ils échangèrent des regards et Alexander sortit de la pièce.
Tout à coup, la pièce spacieuse semblait se refermer sur elle-même. La proximité de Lucious était la principale raison de sa panique. Il donnait l'impression qu'il pourrait lui briser le cou s’il le voulait, elle sentait que ses intentions n’étaient pas du tout bonnes.
- Qu’est-ce que tu comptes faire ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Son corps trahissait son manque de détachement, faisant trembler sa main.
Lucious l'attrapa au poignet et l'examina. Ses yeux en scrutèrent les deux côtés. Renfrogné, il retroussa la manche de son chemisier jusqu'au coude. Paraissant toujours insatisfait, il leva son autre main et répéta le processus.
Il la lâcha et s'écarta légèrement d'elle.
- Si tu es humaine, comment as-tu pu créer un lien entre nous - un lien que je ressens encore plus fort lorsqu'on est proche l'un de l'autre ?
Elle venait enfin de comprendre. Elle se concentra et le lien bourdonna, perturbant son ventre déjà noué. Jusqu’à ce qu’il en parle, elle avait presque oublié le lien. Elle n'avait pas encore demandé d'explication à Michael. Elle aurait voulu avouer à Lucious que le lien n’était qu’un accident survenu au royaume des anges, mais elle repoussa l’envie de le lui avouer ne sachant pas ce qui pourrait arriver. Si ces vampires arrivaient à savoir si elle mentait ou non, elle ferait mieux de se taire.
- Helena, la voix faible de Michael résonna dans son esprit.
Elle se couvrit la bouche avec sa main.
- Tu es revenu !
Il se matérialisa à ses côtés et le vampire se crispa.
Lucious scruta Michael d’un regard fixe comme s'il essayait de comprendre ce qu'il était. Il s'inclina sur son siège, d’un air décontracté.
- Qu'est-ce qu’un ange vient faire ici ?
- Si tu sais ce que je suis, tu dois également savoir que je suis son protecteur, déclara Michael avec un dégoût évident sur son visage.
Tous deux s’évaluèrent un moment. L'intensité dans la pièce était devenue dense et elle se dit qu’elle ferait mieux de ne pas faire de commentaire qui pourrait aggraver la situation.
Michael brisa le silence le premier.
- Je te conseille de libérer ma protégée si tu sais dans quoi tu t'es embarqué. Une abomination comme toi ne devrait pas s'approcher de son âme ou même exister dans ce royaume.
- C’est là que tu te trompes, mon pote. C'est elle qui a créé ce lien. C'est également elle qui est venue me voir.
- Hé, je suis venue ici pour un entretien ! Si j’avais su qu’il y avait des vampires ici, j’aurais évité cet endroit comme la peste.
Michael se rapprocha d'elle en contournant la table basse. Helena devina qu'il l’avait fait exprès pour faire croire au vampire qu'il était présent sous sa forme physique. Au début, elle n'avait pas cru que Michael était autre chose qu’une hallucination. Des années plus tard, elle avait fini par accepter sa présence fantomatique. En ce moment même, elle priait pour qu'il ait un corps physique au cas où tout ce scénario tournerait mal.
- Je suppose que les anciens ne sont pas assez stupides pour avoir une sainte. Ils l'extermineraient plutôt que de risquer qu'elle les trahisse, déclara Lucious.
Michael jouait à un jeu avec cet homme et Helena n'avait aucune idée des règles. Une chose dont elle était sûre, elle n’était pas une « sainte ». Leur lien était une balise dorée brillant au milieu d'une mer de couleurs dans le Domaine des Destins.
Michael inclina la tête.
- Alors tu dois savoir qu’elle n’est pas impliquée dans votre monde et, pour que les choses restent ainsi, je t'aiderai à briser ce lien.
Lucious jeta un coup d'œil dans sa direction et elle lutta pour ne pas tressaillir. Elle redressa ses épaules pour feinter la confiance.
Son attention s’était attardée sur son cou, avant de tourner son regard vers Michael.
- Je la laisserai repartir si tu arrives à rompre ce lien. Je n'ai pas le temps de jouer avec les anges et leurs saints.
- Si tu ne tiens pas ta parole et que tu lui fasses du mal, je veillerai à ce que tu sois déchiré et réassemblé par les hordes de démons pendant tout le reste de ton existence insignifiante.
Les paroles de Michael étaient empreintes d’une promesse de malveillance.
Helena écarquilla des yeux. Elle n’avait jamais vu Michael agir ainsi, il dépeignait l'image parfaite d'un être froid et impitoyable. Que savait-elle de son ange gardien, après tout ? Tout ce qu’elle savait de lui était qu’il était là pour la protéger. Son regard froid et intense lui faisait peur.
Lucious l’avait également sûrement remarqué, car son expression passa de détendue à prudente. Son langage corporel disait qu’il était prêt à se battre à tout moment.
- Tu as ma parole.
Michael fixa le vampire du regard.
- Ta parole n'est pas assez. Il n'y a que tes actes qui prouveront tes bonnes intentions.
- Très bien !
Son protecteur n'avait pas attendu. Il avait tendu ses mains entre elle et Lucious. Sa peau la piquait alors que le niveau d'énergie dans la pièce s’intensifiait et que leur lien se matérialisait devant eux.
Lucious le regarda avec intérêt et, Helena avait noté qu'il évitait de toucher le lien qui sortait de son ventre.
Au centre du lien, deux cordes étaient enroulées l'une autour de l'autre en un arc désordonné. Michael posa ses paumes sur le petit nœud. Ses mains émirent une lumière aveuglante, la forçant à plisser des yeux. Le lien vibra et son ventre se contracta. Plus les mains de Michael brillaient, moins elle voyait ce qui se passait, mais la sensation d’une chose qui se décollait d'elle était continuellement présente.
Helena serra des dents.
Rassuré, Michael retira ses mains. Le lien était brisé et la paume de Michael plana au-dessus de son ventre plus longtemps qu'elle ne le pensait nécessaire.
Elle jeta un coup d'œil à Lucious. Son lien pourpre s'était également séparé sans laisser de trace.
- C'est fait, déclara Michael. Le lien ne t’ennuiera plus, vampire.
Lucious se frotta l'abdomen. Apparemment satisfait, il se leva et se dirigea vers la porte.
- Toi et ta protégée, vous êtes libres de partir.
Helena n'attendit pas qu'on le lui dise deux fois. Elle se précipita hors de la pièce, se retenant de regarder derrière elle. Le cauchemar était fini et elle en était sortie indemne.
Elle se précipita dans le couloir, bousculant quelques personnes, ne se souciant point des regards qu'on lui lançait. Elle avait besoin de sentir le vent froid sur son visage, de respirer l’air frais et de sentir qu'elle était vivante.
S’étant enfin assez éloignée de la discothèque, elle s’arrêta. À bout de souffle, elle haletait. Tous ses muscles lui faisaient mal. Elle posa sa main sur sa poitrine et sentit son cœur battre à un rythme irrégulier. Dieu merci, c'est fini.
Elle sentit un mouvement derrière elle qui la fit sursauter. Une douleur sourde explosa à l'arrière de sa tête. Elle se balança sur ses pieds et posa une main sur son cuir chevelu. Ses doigts étaient humides.

5
Kidnappée
Lucious fixait la porte après le départ de la jeune fille. Jamais dans sa deuxième vie il n'aurait cru qu'il verrait un vrai saint vivant. En trouver un parmi les humains était comme voir une licorne. Les anges étaient une légende, des êtres qui pouvaient éliminer les siens d'un simple mouvement de main, du moins c'est ce que les mythes racontaient.
La porte s'ouvrit en un clic fort.
- Désolé, je devais répondre à un appel, dit Alexander en scrutant la pièce du regard. Où est notre petite sorcière ?
Lucious passa ses doigts dans ses cheveux courts.
- Ce n’était pas une sorcière.
- Alors, comment tu expliques…
- C’est une sainte. Une maudite sainte avec son ange gardien personnel.
Alexander prit une bouteille de scotch du mini-bar et versa le liquide doré dans un verre. Il l'avala d'un cul-sec.
- Personne ne me croirait si je disais qu'une sainte s’est présentée dans mon club.
Lucious hocha la tête.
- Même moi, j’ai encore du mal à y croire.
Son ami prit le sac à dos d’Helena du sol. Il l'ouvrit et jeta un coup d’œil à l'intérieur.
- Elle a oublié ses affaires, dit Alexander en renversant le contenu du sac par terre.
Lucious réfléchissait en fixant le sac. Il pourrait peut-être le lui rendre, mais cela divulguerait son existence au Conseil. Ils pourraient alors changer leurs plans, s’intéresser à elle et lui foutre la paix. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Ce n’est pas une mauvaise idée.
- Que penses-tu qu'Eliza ferait si je lui échangeais cette information en échange de ma liberté ?
Alexander se gratta le menton.
- Je ne sais pas. Elle déteste que les gens se tirent d’affaire, même en échange d’informations aussi importantes. Elle pourrait te capturer et te torturer.
- Tu as raison, acquiesça-t-il. Mais les autres membres du Conseil pourraient être raisonnables.
- Et s'ils ne le sont pas ? Tu risques de mettre en colère une sainte qui te localisera où que tu sois. L'avoir de notre côté est mieux que de fuir. Je veux dire, qui sait quels sont les pouvoirs que cette petite possède.
- Tu pourrais trouver plus d’informations à ce sujet.
Alexander le regarda d'un air incrédule.
- Tu n’es pas sérieux, j’espère ! Tu veux la convaincre de t’aider ? Nous ne pouvons pas l’influencer et je doute que son protecteur la laisse rejoindre notre groupe de mariachi.
Lucious roula des yeux. Il avait noté que cette fille était innocente, qu’elle avait peur de ce qu'il était, mais elle était également très courageuse. Savait-elle comment leur faire du mal ? Même si elle ne le faisait pas, son protecteur le ferait certainement. La façon dont ses yeux brillaient avec l'intention de tuer n'était pas une chose à laquelle Lucious s’attendait venant d'un ange. Mais il n’avait jamais eu d’expérience avec ces êtres auparavant.
Un coup à la porte interrompit ses pensées. Alexander alla ouvrir. C’était Tanya.
- Il y a quelqu'un qui aimerait vous parler.
Une main posée sur sa hanche, elle s'écarta de l’entrée.
- Ce gamin ne veut pas partir tant que je ne lui aurais pas montré qu'elle n'est plus là.
Un jeune homme aux yeux verts pénétrants était debout derrière Tanya. Il balaya la pièce du regard.
Lucious allongea ses jambes sous la table basse et les croisa aux chevilles. Il n'avait pas le temps de jouer avec d'autres humains. Pas quand il avait d'autres choses plus importantes à résoudre.
- Où est-elle ? demanda le gamin d'un ton exigeant.
Alexander croisa les bras sur sa poitrine.
- C'est impoli de rentrer chez les gens sans se présenter.
Le gamin le fusilla du regard.
- Je m'appelle Andrew. Andrew Keane.
- Et de qui parles-tu, Andrew Keane ? demanda Alexander d'un ton amusé.
Au moins, cette interruption amuse quelqu’un, pensa Lucious.
L'humain poussa Alexander et pointa un doigt vers le sac à dos.
- Il appartient à Helena, où est-elle ?
Les oreilles de Lucious se redressèrent à la mention du nom. Cet humain connaissait la sainte et il semblait en être amoureux. S’ils étaient proches, il serait plus facile de la manipuler.
Alexander haussa les épaules.
- Elle est repartie il y a peu de temps.
- Je ne vous crois pas !
Lucious se leva et réduit la distance qui les séparait en quelques enjambées. Ils étaient presque de la même taille. Il laissa tomber ses boucliers. Il libéra son énergie pour encercler le gamin et saisit la mâchoire carrée d'Andrew. Une légère barbe de trois jours irrita sa peau.
- Qu'est-ce que tu fais, zigoto ? lui cria Andrew.
Lucious serra des dents. Ses iris avaient changé de couleur et les yeux de l’homme sortirent de leurs orbites. Il ne comprenait pas pourquoi ce garçon ne tombait pas sous son influence. Pour clore le tout, Andrew lui donna un coup de poing au ventre.
Lucious lança un juron.
- Encore un autre !
- Un saint ? demanda Alexander.
- Je ne crois pas. J'ai entendu dire qu’ils voyageaient un à la fois.
Andrew recula brusquement. Son dos se cogna contre la vitrine de poignards d'Alexander, la faisant trembler. Andrew se tourna, souleva le couvercle en verre et tira un poignard en argent. Lucious haussa un sourcil.
- Ne t'approche pas de moi, sinon tu le regretteras ! menaça l'humain.
- Il n’est certainement pas un saint, dit Alexander en étouffant un rire.
Son téléphone sonna et il regarda Lucious avec résignation.
- J’ai bien peur de devoir te laisser t’amuser tout seul.
Tanya jeta un bref regard par-dessus son épaule et tous deux disparurent par la porte.
Lucious avait besoin de réunir autant d'informations que possible du gamin. D’un geste lent, il prit un verre propre de la table. Il n’avait pas besoin d’avoir un œil sur l’humain, il pouvait entendre les battements de son cœur, tout comme un stéthoscope posé sur sa poitrine. Avec une grâce mesurée, il se versa un verre et fit face à l'humain paniqué.
Il n’avait même pas eu le temps de penser à la première question à lui poser, lorsqu'Alexander fit irruption dans la pièce en bousculant le gamin.
- Nous avons un problème !
Lucious et Andrew se tournèrent vers Alexander. Ce dernier prit le verre des mains de Lucious et le reposa sur la table.
- On dirait que les loups-garous l’on trouvée.
Lucious jura dans sa barbe. Il aurait dû la suivre malgré sa promesse de la laisser repartir.
- Où est-elle ? demanda Lucious.
Alexander ouvrit la bouche pour parler, lorsqu'Andrew s'avança avec un poignard pointé sur eux.
- Vous parlez d'Helena ?
- Oui, jeune homme, répondit Alexander.
Lucious regarda son ami d'un air renfrogné. L’humain n’avait pas besoin de le savoir. Ils doivent le contrôler jusqu'à ce qu'ils s'occupent des loups-garous.
- Si vous allez la retrouver, emmenez-moi avec vous, dit Andrew.
Avec un nouvel intérêt, Lucious étudia le jeune homme. L'humain avait peur d'eux - de ce qu'ils étaient. Son rythme cardiaque rapide le confirmait, mais il était prêt à se lancer dans l'inconnu pour elle.
- Et jusqu’où irais-tu pour venir en aide à ta nana ? demanda Lucious.
Les joues d'Andrew devinrent rouge écarlate. Lucious sut instantanément ce que signifiait la réaction de l’humain : leur relation n'avait pas atteint le niveau intime. Leur serait-il vraiment utile ?
- Je suis prêt à faire l'impossible.
Lucious échangea un regard avec Alexander. Tous deux avaient sûrement pensé à la même chose, car Alexander lui répondit par un sourire narquois. Ce gamin allait être leur distraction pendant qu'ils se débarrasseraient des loups-garous.
- Bienvenu au clan, dit Lucious avec une main tendue.
*****
Ils étaient assis dans la voiture d'Alexander à un kilomètre du bar 'The Rift', attendant le bon moment pour attaquer. Ne pouvant pas s'en empêcher, Lucious vérifia sa montre pour la énième fois. Il jeta un coup d’œil à Andrew, qui serrait toujours le poignard dans ses mains tremblantes. Le seul bruit dans la voiture était la respiration irrégulière du gamin, comme si son corps n'arrivait pas à se décider s’il devait se détendre ou s’enfuir en courant.
- On y va ! dit Alexander en ouvrant la porte. Le soleil se lèvera dans une heure.
Andrew se décala sur la banquette arrière.
- Êtes-vous vraiment des vampires ?
- Jeune homme, je ne pense pas que le moment est bien choisi pour avoir une discussion là-dessus.
L'air à l'extérieur commençait déjà à passer du froid et de l’humidité à la fraîcheur matinale - la première indication que le soleil allait bientôt se lever à l'horizon et lui faire perdre connaissance. S'ils n'agissaient pas vite, dans le meilleur des cas, ils finiraient comme cadavres dans la morgue à côté des amis d’Alexander. La mort les réclamerait à nouveau et, cette fois, ils n’avaient aucune chance de retour. Les loups-garous ne s'attendaient sûrement pas à ce qu'un humain frappe à leur porte. Pitoyable, mais c'était le meilleur plan auquel ils avaient pu penser en un délai aussi court.
Andrew les avait rejoints. Ses jointures étaient pâles à force de serrer la dague contre sa poitrine.
- Tu pourrais perdre une main si tu ne fais pas attention avec ça, plaisanta Alexander.
Andrew baissa son arme.
- Je n’ai pas peur, je suis inquiet pour Helena.
- Excellent, déclara Alexander, mais les femmes existent uniquement pour être utilisées. Souviens-toi de ça.
- Nous pourrions passer l'heure à discuter de nos points de vue sur les femmes ou en finir le plus vite possible, dit Lucious.
Ils répétèrent leur plan, puis vérifièrent les alentours du bar. Les vitraux de la propriété étaient barricadés, ce qui les empêchait d'évaluer le type d'accueil qu'ils auraient.
Lucious se sépara des autres et traversa le parking pavé. Ils ne savaient pas où ils la gardaient, donc le meilleur plan d'action était de couvrir autant de terrain que possible. Alexander fouillera le rez-de-chaussée et Lucious la cave.
Il s'agenouilla à côté des portes métalliques et souleva la chaîne. Il siffla en ressentant une sensation de brûlure lui traverser le bout des doigts qui lui brûla la peau. Maudit argent !
Lucious retira sa veste en cuir, l’enroula autour de ses mains et tira sur la chaîne. Les anneaux se séparèrent lentement. Il leur donna un petit coup pour les écarter. En faisant le moins de bruit possible, il couvrit les chaînes avec sa veste et la laissa sur le côté.
Il souleva lentement les portes et évalua l’endroit sombre en-dessous. Il tendit les oreilles pour détecter tout signe de mouvement. Le silence complet. Il sauta dans l’ouverture et de la poussière s’éleva dans les airs.
Une porte simple, quelques rayons de lumière suintant à travers les fissures du bois usé, lui bloquait le passage. Lucious sortit un couteau qu'il avait emprunté à Alexander et appuya son dos contre le mur. Il baissa la poignée, forçant la porte à s'ouvrir avec un grincement. Il se retint de rire face à l'ironie de la situation.
Ne se souciant plus de sa discrétion, il entra dans la pièce. Le gémissement des charnières aurait alerté n'importe quel vampire dans le quartier. Alors, il attendit. Comme rien ne se passait, il fronça des sourcils et examina la pièce. Une douzaine de boîtes sans couvercles étaient empilées contre le mur du fond.
Il vérifia l'escalier. Personne. Il entendit des grognements étouffés venant de l’étage, mais il décida de ne pas aller vérifier. Alexander devait se débrouiller seul. Sa mission était de retrouver la sainte.
Lucious s’approcha de la dernière porte sur sa gauche. Toujours aucun mouvement. Au-delà de l'obstruction, le battement nerveux d'un cœur humain emplit ses oreilles. Ses doigts serrèrent la poignée.
La première chose qu'il vit en ouvrant la porte était la sainte. Ses mains étaient enchaînées au-dessus de sa tête. Elle était pâle, sûrement épuisée. Lucious prit une inspiration, sentant le léger parfum de son sang doux qui flottait dans l'air.
Il sentit une chose dure et froide à l’arrière de son crâne.
- Ne bouge pas, l’avertit une voix masculine sévère.
Lucious sourit. Un amateur. Il se retourna, attrapa le canon de l'arme et le poussa vers le bas. Une explosion perçante fit vibrer ses tympans. Il serra des dents lorsqu'une sensation de brûlure se propagea dans sa cuisse. Agacé, il prit le vampire par la gorge et utilisa son autre main pour lui retirer l’arme. Une fois l’arme jetée au sol, il souleva l'homme et le pressa contre le mur.
- Qui es-tu ?
Peu importait ce que Lucious pensait de l'incompétence de ce voyou, il n'était pas un loup-garou.
L'homme libéra son énergie, prêt à se battre. Lucious continua à lui tordre la gorge, mettant fin au combat du vampire.
Le vampire lui cracha dessus et enroula ses mains autour de son poignet.
Lucious, réalisant qu’il avait l'intention de lui casser les os, enfonça son poing dans son ventre. Il passa ses doigts dans le diaphragme et trouva le cœur.
- Réponds à ma question avant que je ne mette fin à ta misérable existence.
Le vampire le fusilla du regard.
- Nous avons été engagés pour te garder en vie jusqu'à l'arrivée du Conseil.
Lucious garda son calme pour ne pas révéler son inquiétude. La nouvelle de leur arrivée imminente lui avait donné des frissons. Il ne voulait pas être à leur portée lorsque les anciens enragés - qui voulaient sa mort - arriveraient. Puisqu'il avait choisi de ne pas répondre à leur convocation, il était en partie responsable de leur intention meurtrière.
- Quand arriveront-ils ? demanda Lucious avec un soupçon de désespoir s'infiltrant dans sa voix.
Le vampire émit un sourire sans lui donner de réponse. Lucious avait mal à la mâchoire tellement il serrait des dents, luttant pour garder sa colère secrète. Sa main comprimait le cœur glissant.
- Réponds-moi, bon sang ! cria-t-il.
Les yeux du vampire devinrent bleus et Lucious sut qu'il n'allait rien en tirer. Il saisit l’organe immobile et le sortit du corps du loup-garou.
Lucious jeta le cœur sur le sol en pierre. Il s'essuya la main sur la chemise du vampire, alors que sa peau se fanait et se fripait. De grands yeux exorbités continuaient à le fixer pendant le processus, jusqu'à ce qu'ils se dessèchent et que le vampire s'étale sur le sol en un tas momifié.
Il n’avait pas le temps d’admirer son travail. Lucious s'agenouilla et fouilla dans les poches de sa victime. Les muscles de sa cuisse hurlaient sous la douleur de la balle en argent qui s'y était logée, mais il l’ignora. Il trouva un paquet de cigarettes et un briquet en plastique bon marché, qu’il lança sur le mur en jurant.
Le halètement de la sainte résonna derrière lui. Une seconde plus tard, Helena demanda :
- Les choses ne se sont pas déroulées comme tu l'aurais voulu ?
Lucious se figea. Il l'avait oubliée. En prenant une profonde inspiration, il se leva et se tourna pour lui faire face. Il endurcit son expression, ne laissant voir aucune émotion. La douleur de la balle lui arrachait l'arrière du crâne, mais il serait damné si elle découvrait qu’il avait une faiblesse.
Il se lécha la lèvre inférieure.
- Quelqu'un d'autre à ta place éviterait de trop parler, ma chérie.
*****
Helena rougit. Elle l'avait vu tuer quelqu'un, mais elle ne sentait aucune pitié pour Rick. C’était un salopard qui aurait été plus qu'heureux de la torturer pendant des heures, si son partenaire ne lui avait pas donné l’ordre de se tenir tranquille.
- Si je ne t'avais pas interrompu, tu aurais retourné cette pièce sens dessus dessous, répondit-elle.
Lucious avança d'un pas. Ses yeux hypnotiques se focalisèrent dans ceux d’Helena, qui se battait pour détourner son regard. Rick pouvait la contrôler et comme son lien avec cet homme était la chose qui avait changé, elle ne voulait pas qu’il sache qu'il arrivait à la manipuler.
Il s'arrêta à quelques centimètres d'elle. Il portait un débardeur noir serré, faisant ressortir sa large poitrine et ses muscles.
- Tu ne vas pas me supplier de te laisser partir ? demanda-t-il, son souffle chatouillant son oreille.
Helena serra ses mains en poings. Elle ne voulait pas s’abaisser et le supplier, ce serait une grande erreur.
- Non.
- Je pourrais te laisser, ici, enchaînée. Tu seras une proie aux autres vampires.
Elle leva les yeux et lui sourit.
- Mais tu ne le feras pas, n'est-ce pas ? Sinon, tu ne serais pas ici.
- Très intelligente !
La main froide de Lucious effleura son côté blessé et elle fit la grimace. Il leva ses doigts tachés de sang et les lécha l’un après l’autre, la faisant rougir de plus belle.
- Je suis déçu que ton sang ait le même goût que ceux des autres.
- C’est normal ! Je te l'ai déjà dit, je suis une humaine.
- Oui, tu l'es en surface. Mais l'énergie qui a disparu lorsque notre lien a été rompu ne peut pas appartenir à un simple mortel.
Helena était confuse, elle était normale dans une certaine mesure. Alors, pourquoi avait-il dit à Michael qu'elle était une sainte ? Que savait-il d’autre qu’elle ignorait ?
Elle se força à se concentrer sur sa situation difficile. Elle était enchaînée à un mur en pierre et le froid lui donnait la chair de poule.
Il s'était assez éloigné d'elle pour qu'elle réalise qu'il saignait de la cuisse.
- Je vois que ta blessure est grave, marmonna-t-elle.
Il gloussa légèrement d’un ton mélodieux, un comportement qu’elle commençait à aimer. Elle était plus calme et les douleurs de sa blessure n’étaient plus aussi fortes.
- Toi aussi, ma chérie, dit-il en se mettant à genoux.
Lucious examina sa blessure. Elle fit de grands efforts pour cacher l’attirance qu’elle avait pour lui.
- Je peux guérir tes blessures, mais les miennes devront attendre pour plus tard.
- Attends, qu’est-ce que tu vas faire ?
Il lui fit un sourire de prédateur.
- Tu ne t’attendais pas à ça, n’est-ce pas ?
Il se mordit le pouce et étala son sang sur sa blessure.
Helena essaya de reculer, mais il lui saisit la hanche. Son emprise douloureuse l'avait maintenue en place pendant qu'il continuait sa procédure peu orthodoxe.
- Pourquoi tu fais ça ?
- Ça va guérir ta blessure.
Il se mordit ensuite le poignet, se redressa, lui serra la nuque et pressa son poignet ruisselant de sang contre ses lèvres.
- Bois !
Elle ferma la bouche.
- Ça guérira ton traumatisme crânien.
La morsure était guérie et il la mordit à nouveau.
- Dépêche-toi ! Nous n'avons pas toute la nuit devant nous.
Helena plissa du nez, son envie de vomir s’empirait. Elle fixa le sang couler le long de son bras en minuscules rivières.
- Oh, pour l'amour de Dieu, marmonna Lucious dans sa barbe.
Il retira sa main, pressa son corps résistant contre le sien et l'embrassa. Il posa ses lèvres trapues et froides contre les siennes. Il lui saisit le menton et enfonça ses doigts dans sa peau jusqu'à ce qu'elle ouvre la bouche.
Le goût métallique du sang cuivre remplit sa bouche et le baiser s'intensifia. Aucune émotion, uniquement de la lassitude. Elle comprit ce qu'il faisait. Il lui faisait boire son sang pour la guérir.
Le liquide frais lui apaisa la gorge. La sensation n'était pas aussi mauvaise qu'elle l'avait pensé. Plus les secondes s’écoulaient, plus son corps se détendait.
Lucious recula pour qu'elle puisse reprendre son souffle.
- Pourquoi… s'embrasser ? réussit-elle à dire entre deux halètements.
- Pour que tu ne me regardes plus avec cet air dégoûté.
Helena se mordit la lèvre. Elle pouvait bien vivre avec l'embarras pendant une nuit. Elle examina sa blessure. Elle s'était cicatrisée.
- Je n'ai rien senti, dit-elle d'une voix émerveillée.
Lucious leva ses mains pour saisir les chaînes au-dessus de sa tête.
- Tu aurais ressenti quelque chose uniquement si tes blessures étaient plus graves.
- Mais pourquoi ta blessure n’est pas guérie ?
Lucious défit ses attaches d'un coup sec. Elle se frotta les poignets et attendit qu’il lui réponde.
- Je dois d'abord retirer la balle en argent, sans ça ma guérison sera impossible. Allons-y, ajouta-t-il en lui attrapant la main, sortons d’ici !
Elle trébucha après lui, ses jambes raides faisant de grands efforts pour le suivre.
- Si tu permets, lui dit-il en enroulant le bras autour de sa taille.
Elle sentit ses joues rougir. Tout son corps fut envahi par une torride chaleur sous l’effet de son toucher. Être si proche d’un homme la mettait mal à l’aise, elle se rappela d’Andrew. Elle ne lui avait pas dit ce qu’elle ressentait pour lui, elle n’en était même pas sûre. Trop de choses s'étaient produites depuis sa dernière conversation avec Laura.
Elle baissa la tête. Comment allait-elle expliquer sa disparition ?
Lucious la guida en haut des escaliers grinçants, supportant son poids avec aisance. Il avait gardé son rythme sans se plaindre. Les vampires étaient-ils aussi maudits que Michael voulait lui faire croire ?
Arrivés à la dernière marche, Lucious lui serra la main lui envoyant un léger frisson dans le corps. Helena retira brusquement sa main de son emprise, mais ce geste ne semblait pas le déranger. Il continuait à avancer en traversant les deux portes bleu marine désignées comme toilettes.
Il tourna au coin et elle l'entendit jurer. Elle se décida d’avancer plus vite pour voir ce qui se passait. Elle sentit sa tête tourner. Elle s’adossa contre le mur dans l’espoir que son étourdissement disparaisse. Elle avança à petits pas et tourna au coin.
Elle se retrouva face à une grande piste de danse d'un bar rock. Les tables et les chaises jonchaient la pièce suite à une bagarre évidente. Des guitares signées étaient accrochées aux murs dans leurs vitrines à moitié brisées. Les lumières ternes au plafond éclairaient la piste de danse et le bar. C'est alors qu'elle vit Alexander et Lucious debout, tous deux les yeux fixant une chose au sol.
Helena les poussa. Son cerveau n'arrivait pas à accepter la vérité de ce qu'elle voyait. Ça devait être une erreur.
Sur le parquet usé, à côté d'une table entourée de chaises renversées, Andrew gisait dans une mare de sang. Il ne bougeait pas. Pourquoi ne bouge-t-il pas ? Du sang. La quantité de sang coulant de sa tête n’était pas normal. Le cœur d’Helena s’était presque arrêté de battre, aucun mot n’arrivait à sortir de sa bouche. Ses genoux tremblaient, luttant pour rester debout.
- Est-il…, le mot « mort » était resté coincé dans sa gorge.
- Il est vivant, dit Lucious, même si son rythme cardiaque ralentit.
Helena se mit à donner des coups de poings sur la poitrine de Lucious.
- Comment as-tu pu laisser cela arriver ?
Il ne répondait pas et elle continuait à l’agresser. Son corps l'avait trahi, emportant le peu de force dont elle disposait. Elle se laissa glisser au sol. Surpassant la douleur qui traversait ses rotules dû à l'impact, elle rampa jusqu'à son meilleur ami.
- Andrew, murmura-t-elle son nom comme une prière.
Ses doigts retirèrent une mèche de cheveux ensanglantés de son visage cendré et les paupières d'Andrew se soulevèrent lentement. Au début, il eut du mal à se concentrer. En croisant le regard d’Helena, il ressentit de l'amour dans ces yeux verts. Son cœur était prêt à exploser de joie.
Elle l’examina en glissant tendrement ses mains autour de sa tête, faisant attention de ne pas la bouger. Elle voulait savoir d'où venait tout ce sang.
- Helena… tu es… saine et sauve, dit-il d’un ton saccadé.
Ça lui faisait beaucoup de peine de le voir dans cet état. Andrew avait toujours été le mec plein d'énergie et de vie. Ses larmes chaudes lui picotaient les joues. C'était elle qui aurait dû être à sa place.
Lucious pourrait l'aider comme il m'a aidée. Elle se tourna vers l'homme qui l'avait guérie, les yeux écarquillés. Il était debout avec Alexander à regarder son tourment.
- Aide-le, s’il te plait ! le plaida-t-elle.
- Non, répondit Lucious.
Elle lui cria dessus. Je ne peux pas le laisser mourir.
- Tu dois l'aider, il va mourir !
Alexander hocha la tête.
- C’est trop tard ! Notre sang ne suffira pas à le guérir.
- Alors qu'est-ce…
Pour qu'Andrew vive, il n’y avait qu’une solution et elle savait qu’il pourrait ne jamais la pardonner. Je suis désolée, Andrew. Elle lança à Lucious un regard désespéré.
- Fais-le !
Lucious fut surpris.
- S'il-te-plait, je t'en prie. Sauve-le !
Lucious éclata de rire.
- Tu penses que vivre cette vie, le sauveras ?
Elle retint un sanglot.
- Je m'en fiche !
Lucious pencha sa tête sur le côté, ses yeux jugeurs fixés dans les siens. Il s'agenouilla à côté d’Andrew.
- Qu’est-ce que tu m’offres en retour ?
Helena serra des dents. Pour sauver Andrew, elle devait renoncer à une chose. Lucious ne l’avait pas sauvée par bonté.
- Que veux-tu de moi ?
Il plaça sa paume contre sa joue et elle sentit un picotement à son contact glacial.
- Toi, ma chérie !
Sa réponse la surprit. Pourquoi un vampire voudrait-il d'elle ? Helena jeta un coup d'œil à son ami. Il avait les yeux fermés, son teint bronzé était devenu gris pâle. Elle serra la main d'Andrew et la tira sur ses genoux.
- Il va mourir si tu ne te décides pas maintenant, exhorta Alexander.
Andrew doit rester en vie. Il était venu l'aider et c'était à son tour de lui rendre la pareille. Elle se redressa, puisant toutes ses forces pour répondre.
- Très bien, tout ce que tu veux tant qu'il ne meurt pas.
- Très bien ! dit Lucious.
Sans plus attendre, Lucious se mordit le poignet pour se faire saigner. Il ouvrit la bouche d'Andrew et fit couler le liquide dans sa gorge. En même temps, il mesurait sa réaction, ses iris illuminés d'une lumière bleue.
Helena s'en moquait. Tout ce qui lui importait était qu'Andrew vive. Même s’il venait à la détester pour ça, elle refusait de le laisser mourir.
Le poignet de Lucious s’était cicatrisé quatre fois de suite au cours du processus. Il souleva la tête d'Andrew et lui brisa le cou.
- Pourquoi t'as fait ça ? hurla Helena.
Elle tendit ses mains tremblantes vers Andrew.
- Je n’avais pas le choix. Une fois le sang avalé, il doit mourir pour ressusciter.
Lucious essaya de se relever. Son corps bascula et il s'écroula sur ses genoux.
Alexander s'approcha de lui pour lui venir en aide, mais Lucious l'arrêta.
- Est-ce que tu vas bien ? lui demanda Alexander.
- Je vivrai.
Lucious essaya à nouveau, mais sans résultat.
- Tu n'as pas l'air d'aller bien, dit Helena.
- Sans blague ! s’exclama Alexander. Il a perdu trop de sang.
Helena savait que si quelqu'un devait les sortir d’ici, ce ne pouvait être que Lucious. Elle ne faisait pas confiance à Alexander. Avec Lucious dans cet état, ils avaient peu de chance de sortir de cet endroit. Elle tendit son poignet vers sa bouche.
- Bois !
Les doigts de Lucious s'enroulèrent autour de sa chair exposée. Ils étaient encore plus froids et elle frissonna.
- Dans mon état, tu vas ressentir les douleurs…
À l’idée d’être mordue, elle se rappela du cran d’arrêt de Rick. Elle refoula sa peur.
- Je m'en fiche.
Ses lèvres s'étaient entrouvertes et ses crocs transpercèrent sa peau.
Helena fit une grimace. La douleur aiguë devint plus forte, longeant son bras. Son corps lui disait qu’une chose n'allait pas et qu'elle avait besoin de se retirer. Son cœur battait plus vite. La sensation n'était rien de moins que d'être mordu par un loup-garou, sauf que cette créature lui suçait son sang. Son esprit hurlant ses protestations, elle se força à rester immobile, essayant d'imaginer le sourire d'Andrew et la myriade de questions de Laura.
Les minutes s’écoulaient au ralenti. L'engourdissement s'était logé à l'endroit de la douleur. Plus il lui suçait le sang, plus elle se sentait étourdie. Elle essaya d'arracher sa main de son emprise, mais sans succès.
- Lucious, lâche-moi, supplia-t-elle.
Alexander lui donna un coup de coude sur l'épaule.
- On doit partir ! Le soleil va bientôt se lever.
Soudain, Lucious la lâcha et la serra dans ses bras. Elle frissonnait toujours. C'était comme si elle avait été submergée dans de l'eau glacée.
Il marmonna une chose à Alexander, qui retira sa veste et la lui tendit. Lucious l'enroula autour de ses épaules pour essayer de la réchauffer.
- Repose-toi, Helena, ordonna Lucious.
Elle regarda le fond de ses yeux qui étaient devenus normaux. C'était la première fois qu'il l'appelait par son nom et elle lui sourit.
Elle serra la veste autour d'elle, mais son corps n'arrivait toujours pas à se réchauffer. Ses paupières s'alourdissaient. La dernière chose dont elle se souvint était son corps soulevé et pressé contre une chose dégageant une puissance et une force apaisantes.

Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=67033104) на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.